Panat in postcardThe Ranums'

Panat Times

Volume 1, redone Dec. 2014

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/54/ De Paris le 2 avril 1652

M. de Longueville a receu les commissions qu'il avoit tant fait solliciter à la Cour, pour lever un regiment de 30 compagnies d'infanterie et un de 8 compagnies de cavalerie, moyenant quoy la Cour espere qu'il ne sera point contre elle; mais on croit aussy qu'il ne sera pas contre MM. les princes, et qu'ainsy la neutralité ne laissera pas beaucoup d'embarrasser le cardinal Mazarin.

Les Espagnolz assemblent leur armée à Bourbourg et à Lentz [Lens], sur la Colme, pour assieger, comme on croit, Duncherque, où les Anglois envoyent une escorte de vaisseaux, pour les assister à une prise de cette place.

On escrit de Montauban du 20 mars que la retraitte de M. le Prince a tellement espouvanté tous ceux qui tenoint pour luy dans la Haute Guyenne, que les ville de Nerac (à la reserve du chateau), Condon [Condom], et Marmande ont envoyé vers M. d'Harcourt; et cette derniere à demandé un gouverneur, et M. de Biron luy a esté donné. Clerac a refusé la garnison que le mareschal de la Force y vouloit faire entrer. M. le Prince s'est neamoing tenu dans Agen, où il a 700 maistres et son infanterie, qui se desbande fort apres cette disgrace. On dit qu'il y faict fortiffier l'esglise de Ste Crapasi [St Caprais], pour obliger les habitans que ce poste commande à demeurer ferme dans le party. Il est, en tout cas, maistre de Villeneufve sur le Loth, où M. de Theobon tient pour luy, pour passer quand il luy plairra à Bergerac, qui est sa melieure place. Le comte d'Harcourt a despuis campé aux lieux que M. le Prince abandonna; et le 16 il escrivit, du poste de Laplume, aux consulz de cette ville là, de luy envoyer quantité d'espées, pelles, pioches, et autres munitions, à quoy l'on travaille. Despuis, il est allé loger sur les terres de M. de Gondrin, qu'il ne peut traitter plus mal que les autres lieux où il passe. Il doit attaquer Beaumont et Grenade, et a escrit à ceux de Tholouse, qui luy ont refusé du canon, que s'ilz n'en donnoint dans le temps qu'il marquoit, et ne faisoint sortir de ces place ceux de cette ville là qui s'y sont jettés, qui [qu'il] les iroit visitter. On dit, cependant, que le duché d'Albret traitte pour se rachepter du logement, c'est à dire, du pillage et de toutes sortes de violences, et qu'il offre 300 mille livres, mais qu'il en demande 500 mille livres. Les Estatz de Rouergue et de Quincy sont convoqués à Montauban, pour luy fournir un million par dessus les tailles, moyennant quoy le pays sera deschargé de logement et de passage. M. de St Luc et l'intendant de l'armée y sont attendus.

A quoy les lettres de Bourdeaux du 25 adjoustent que, le 24, les bourgeois d'Agen firent des barricades dans touttes les rues de leur ville, pour empescher que M. le Prince n'y mit une garnison de 400 hommes de pied, qui estoint dans un village voisin, où M. de Marchin les estoit allé querir; que sur cela, tandis que M. le prince de Conty estoit au conseil de Ville, M. le Prince ayant voulu aller au devant de M. de Marchin, un bourgeois tient quelque temps sa picque au ventre de Son A., qui avoit le pistolet à la /54v/ main, luy disant qu'elle le tueroit si elle le vouloit, mais qu'elle ne le vouloit point faire; mais peu apres, M. de Marchin s'estant rendu maistre d'une des portes, le conseil de Ville fit defaire les barricades sans autre inconvenient; que les corps de Ville en firent tous leurs excuses à Son A., luy offrant mesmes de lever, à leur despens, un regiment d'infanterie pour son armée, et de recevoir 400 hommes de garnison, commandés par M. de Gallapian; et que nonobstant cela, l'on croyoit que le comte d'Harcourt ne trouveroit beaucoup de difficulté à prendre cette ville s'il la vient assieger, comme il sembloit qu'il eut dessain, ayant fait passer quelque cavalerie de l'autre costé de la Garonne.

M. de Beaufort avoit envoyé 300 hommes vers Sully, pour se jetter dans le chasteau, ayant apris que la Cour y alloit pour chastier, par son logement, le duc de Sully de s'estre declaré pour MM. les princes, et d'avoir fait passer leur trouppes à Mantes; mais il les a despuis contremandés, sur l'advis qu'il a eu q'ung party de cavalerie avoit esté envoyé au devant d'eux, pour les surprendre au passage de la Loire, ce qui a obligé le duc de Sully d'envoyer ordre, à la ville de ce nom, de bien recevoir la Cour, qui y arriva le 28. Les armées mazarines sont du costé de Gien, au nombre de 7 mille hommes, et celles de S.A.R. en deça de Jargeau. La blessure du baron de Sirot les a empeschés d'aller à Agen. Les chirurgiens luy promettent de le guerir dans 15 jours.

Mademoiselle est tousjours la maistresse dans Orleans, où elle assista le 29 à un conseil de guerre qui ce [se] tient dans les faubourgs de deça par MM. de Beaufort et de Nemours, lesquelz y eurent grande disputte sur ce que celuy cy estoit d'advis de faire marcher les troupes à Blois, pour s'emparer du passage sur la Loire. Le premier n'y voulut jamais consentir, croyant que M. de Nemours le quitteroit aussytost qu'il pourroit passer la Loire, et s'en iroit secourir M. le Prince en Guyenne, ce qui obligea M. de Nemours à luy dire qu'il trahissoit M. le Prince, et l'appeller Mazarin, dont M. de Beaufort se picqua si bien que, dans cette chaleur, ilz ne peurent s'empescher de mettre l'espée à la main, sans respecter Mademoiselle, qui se mit entre leurs espées et les leur fit rendre entre ses mains; apres quoy, elle leur remonstra le tortz qu'ilz avoint de leur peu de respect, et la consequence où alloit cette desunion, qui seroit capable de ruyner S.A.R. et M. le Prince; et apres les avoir bien reprimendé pendant une heure, pour donner loisir à leur fouge de ce [se] ralentir, elle les accommoda sans partir de là; et les ayant fait embrasser, les exhorta de vivre en freres, et leur en fit donner parolle solemnelle, avec touttes les precautions qui ce [se] pouvoit. Aussytost, elle depescha icy un courrier pour en avertir S.A.R., qui leur envoya, le 31, M. de Rarés, pour recevoir encore leur parolle, et pour les remettre en parfaitte intelligence.

Hier, au matin, S.A.R. eut nouvelles, par un courrier expres, que M. le Prince estoit venu par l'Auvergne, accompagné seulement du duc de la Rochefoucaut et son fils, et les sieurs Tourville et Guitaud avec 3 valetz, et qu'il devoit arriver icy le soir; ce qui obligea S.A.R. /55/ de partir l'apresdisnée avec beaucoup de suite, pour luy aller au devant; et feut jusques à Villejuif, où n'ayant peu aprendre de ses nouvelles, et voyant qu'il estoit tard, s'en revient à cheval avec 7 ou 8 personnes seulement, luy ayant envoyé au devant son carrosse et le reste de sa suitte.

Ce matin l'on a trouvé des placards afichés aux coings des rues intitulés Advis aux Parisiens, contenantz que M. le Prince, pour tesmoigner le zele qu'il avoit pour le bien public, a quitté sa famille et tout ce qu'il avoit en Guyenne, pour venir jour et nuict, sur l'advis qu'il avoit eu que le cardinal Mazarin grosissoit ses troupes, et en faisoit venir de tous costés, pour blocquer Paris, d'où il s'aprochoit; et que M. le Prince estoit venu là dessus pour se mettre à la teste de l'armée du duc de Nemours, soubz les ordres de S.A.R.; qu'il y avoit beaucoup de personnes qui blasmoint les dessaings de M. le Prince, mais que neamoins il n'avoit d'autre intention que de procurer la paix, et que les Parisiens seroint bien insensibles à leurs maux, s'ilz ne le secouroint apres un coup si favorable, et apres six mois de travail qu'il a fait; et qu'il va encor continuer à exposer son sang, et faire comme Mademoiselle a fait à Orleans, pour empescher que les Mazarins n'y entrassent, exhortant tous les bourgeois de se trouver à 2 heures apres midy sur le Pont Neuf, non pour autre desseing que pour aller tesmoigner à S.A.R. et à M. le Prince la bonne volonté qu'ilz ont pour leur service; et que, comme le mal est à l'extremité, qu'il ne faut pas balancer; que si l'on n'y apporte un prompt remede, le mal sera incurable, et qu'il faut chasser tous les suspects; que le gouverneur de Paris a esté bien surpris de cette nouvelle de l'arrivée de M. le Prince, et qu'il avoit voulu s'y opposer, ayant pour cest effect festiné plusieurs bourgeois pour les saigner, et s'opposer à ce bonheur par un resultat [lire: une resolution?] qu'il avoit fait prendre de l'Hostel de Ville, et qu'il estoit bien capable d'en faire d'autres pour exposer les Parisiens à la mercy du cardinal Mazarin, si on ne le chassoit.

Il est vray que hier, au matin, sur la nouvelle de la venue de M. le Prince, le mareschal de l'Hospital fit tenir une assemblée à l'Hostel de Ville, pour y desliberer; mais il ne peut faire prendre autre resolution que d'envoyer le Prevost des Marchandz à S.A.R., pour luy en donner part, et la supplier d'y tenir la main à ce qu'il n'en arrivat aucung accident qui peut troubler le repos de la ville; à quoy elle luy respondit que MM. de la Ville n'avoint rien à craindre de ce costé là, et luy adjousta qu'elle ne croyoit pas que M. le Prince demeurat icy plus de 24 heures. Sur quoy ce mareschal y a fait tenir, ce matin, une seconde assemblée, dans laquelle il a esté resolu qu'on deputteroit à S.A.R., pour la prier de donner sa parolle que M. le Prince ne seroit icy que 24 heures, et de trouver bon qu'elle feut enregistrée à l'Hostel de Ville; à quoy elle n'a pas voulu consentir, et leur a dit qu'elle n'en avoit parlé au Prevost des Marchandz que parce qu'elle le jugeoit ainsy, mais qu'elle ne l'asseuroit pas; et parce que ce mareschal continue d'y fortiffier sa brigue, pour y faire prendre d'autres resolutions contre M. le Prince, l'on croit que S.A.R. ira demain à l'Hostel de Ville pour l'empescher.

M. le Prince a envoyé cette nuict un courrier, pour faire ses excuses à S.A.R. de ce qu'il ne vient /55v/ pas encore, et pour luy dire qu'il estoit arrivé à l'armée; où ayant appris que les Mazarins avoint commencé à passer la Loire sur le pont de Gien, il avoit jugé à propos de se tenir là, pour les empescher d'avancer.

Les placardz de ce matin ont fait un tel effect que, pendant toutte l'apresdisnée, une grande foule de peuple s'est tenue sur le Pont Neuf, où elle a arresté tous les carrosses qui ont passé, pour recognoistre ceux qui estoint dedans, les ayant neamoings laissés passer, apres les avoir obligés de crier "Vive le Roy et les princes!" et "Point de Mazarins!" Mais tout cela ne s'est pas passé sans quelque accident fascheux. Mme de Sully y passant sur les 3 heures, dans un carrosse dont la housse ressembloit fort celle de Mme de Chevreuse, ont [on] l'a prise pour celle cy; et apres luy avoir dit des injures telles que vous pouvés juger, on ne parloit pas de moings que de la jetter dans la riviere, quoy qu'elle criat qu'on se mesprenoit, et qu'elle estoit la duchesse de Sully; mais S.A.R. ayant passé dans ce temps là, l'a mieux fait cognoistre, et on luy en a fait de grandes excuses. Elle y a passé despuis deux fois en si grande seurté qu'au contraire, on luy faisoit tres bon acceuil. Mme de Chastillon et Mme de Bonnelle y estant passées ensuitte, ont esté quittes pour se demasquer et crier "Vive le Roy et les princes," et "Suere de Mazarin," car on les a obligé à cela; mais le carrosse de Mme la comtesse de Rieux y ayant passé peu apres, dans lequel estoit Mme la mareschalle d'Ornano, avec 2 autres femmes, aussytost qu'on a veu les couleurs de la maison d'Elbeuf, on a crié "A Mazarin!"; et l'on a mis le carrosse en cent pieces, neamoings les femmes qui estoint dedans n'ont point eu de mal, ayant esté reconnues et retirées de la foule par d'honnestes gens qui s'y sont rencontrés. S.A.R. ayant ensuitte repassé, et apres ce desordre ce peuple luy a demandé permission d'aller piller la maison du mareschal de l'Hospital, et d'y mettre le feu puisque c'estoit un Mazarin; à quoy elle leur a respondu qu'ilz s'en gardassent bien, et qu'il ne falloit piller personne. Ce soir, quantité de gentz ramassés de cette foule sont allés, en sortant de là, à l'hostel de Nevers, où M. du Plessis Guenegaud loge despuis peu, pour la piller; mais S.A.R. en ayant esté avertie, y a aussytost envoyé touttes ses gardes du corps, Suisses, et valetz de pied, qui ont empesché ce desordre, et fait retirer cette canaille sans coup ferir, quoy qu'elle eut desja rompu deux portes, et mesmes fort gabé le portail de cest hostel. J'oubliois à vous dire que le comte de Brancas, ayant aussy passé sur le Pont Neuf, a esté recognu par quelq'ung, qui ont crié que c'estoit celuy qui avoit appellé en duel M. de Beaufort; et ayant arresté son carrosse, l'on le prit aux cheveux, et luy ont deschiré la manche de sa chemise; mais ilz n'ont peu avoir loisir de luy faire autre mal, parce que le cocher a si bien fouetté ses chevaux qui [qu'il] leur a fait prendre le galop, et il s'est sauvé de cette maniere entre leurs mains.

/56/ De Paris du 5 avril 1652

La querelle de MM. de Beaufort et de Nemours se renouvella le 30 du passé, mais Mademoiselle les accommoda encor derechef, les fit embrasser, et les fit boire et manger ensemble. Du despuis, on a sceu qu'ilz estoint bien unis, par le raport qu'en a fait M. de Raré, qui en revient hier.

Le Conseil n'ayant peu entrer dans Orleans, et ayant esté obligés de se tenir dela la riviere, sans y avoir trouvé un seul lict pour se coucher, en partit le 30 pour aller trouver la Cour à Sully; d'où l'on envoya, le premier du courant, un courrier à Orleans pour porter ordre aux deputtés du Parlement qui y estoint encor, d'aller trouver le Roy à Briare, où ilz s'acheminerent le mesme jour, auquel le mareschal de Turenne fit decamper de Jergeau [Jargeau] les troupes du comte de Palluau, y ayant laissé seulement 100 hommes, comme avoit fait M. de Beaufort dans le faubourg de deça, et les fit marcher vers Gien. Le baron de Siron se fit porter à Orleans, où les chirurgiens se promettent de le guerir dans 15 jours.

Le desordre qui avoit commencé le 2 continua l'apresdisnée du 3 sur le Pont Neuf, sans aucung accident; parce que, suivant l'ordre de S.A.R., MM. de l'Hostel de Ville envoyerent battre le tambour par les rues, pour faire tenir les bourgeois prestz, et il s'en assembla quantité là dessus, pour empescher le desordre; et le soir S.A.R. envoya le mareschal d'Estampes sur le Pont Neuf, avec une partie de ses gardes et Suisses, qui firent retirer cette canaille. Hier il y eut garde bourgeoise sur le Pont Neuf, laquelle a continué encor cette apresdisnée, à cause que ce soir on a fait pendre un des plus mutins, qui feut pris avant hier en executtant ce desordre au mesme lieu, avec un autre qui a esté condenné aux galleres.

On mande de Rion, du 30 du passé, que le duc de Candale y ayant fait venir des deputtés de touttes les villes et de la noblesse d'Auvergne, leur avoit dit que les ennemis avoint desseing sur la province et que, pour y remedier, il leur avoit proposé que chasque gentilhomme du pays fit tenir 8 cavaliers tout prestz, et que la despense en seroit prise sur les premiers deniers provenantz des tailles de cest année; et sorte qu'il se faisoit fort que, quand il n'y auroit que 500 gentilhommes à accepter ce party, il auroit 4 mille chevaux; mais l'assemblée se contenta de le remertier de ses soings, et luy promit de desliberer, et de luy rendre response dans un mois.

Les lettres de Bruxelles de mesme datte portent qu'on ne pouvoit rien dire d'asseuré du duc de Lorraine, jusques à ce que les troupes feussent jointes; mais M. de Marcheville, qui en revient avant hier, asseura S.A.R. que M. de Lorraine luy avoit promis de partir dans 2 jours, pour aller faire avancer ses troupes en diligence, et venir à son secours.

Le marquis de Vardes estant allé à Brissac trouver la mareschalle de Guebriant, sa tante, dans /56v/ l'esperance de succeder à Charlevois, on luy a refusé les portes, et il a trouvé que sa tante en avoit esté chassée.

Un courrier de M. de Beaufort, arrivé avant hier, a apporté nouvelle à S.A.R. que toutte son armée avoit tesmoigné grande resjouissance de ce que M. le Prince y estoit arrivé, et qu'elle s'avanceoit à Montargis pour le forcer, suivant les ordres de Sadite A., en cas qu'il continuat à refuser garnison, comme elle avoit fait par l'intrigue d'ung gentilhomme du cardinal Mazarin, nommé Mondreville, qui s'y estoit jetté dedans; mais ce matin le comte de Coligny, envoyé de la part de M. le Prince, a porté nouvelle à S.A.R. qu'aussytost que les habitans de Montargis virent que l'armée s'estoit mise dans les marestz qui sont aux environs, pour y commencer les attaques, ilz resoleurent de se rendre, et donnerent seulement le loisir à Mondreville de se sauver par une fausse porte, desguisé; apres quoy ilz envoyerent les clefz de la ville à M. le Prince, qui y entra avec MM. de Beaufort et de Nemours, et mit quelques troupes dans le chasteau, ayant logé l'armée aux environs de la ville, dans laquelle commandera le marquis de Crevecoeur, maistre de camp du regiment de cavalerie de S.A.R., qu'il envoya avant hier.

On escrit d'Orleans d'hier que M. de Guittaud y estoit arrivé pour complimenter Mademoiselle de la part de M. le Prince, dont l'arrivée embarrasse fort la Cour.

/58/ De Paris du 9 avril 1652

Vous aures sceu que la Cour, estant sortie de Blois, y laissa un ordre secret de faire rompre le pont; et pour cest effect, l'on ce [se] servit d'ung fourneau qui en fit sauter la moitié d'une arche, et tua 2 hommes qui passoint dans ce moment là.

Le 5 du courant le Parlement s'assembla, mais il ne fit autre chose que recevoir l'appel du seditieux qui feut executté, lequel avoit esté condemné auparavant au balliage du Palais, et sa sentence feut confirmé, chambres assemblées. Un sien parent, devant qu'on le pendit, ayant couppé la corde pour le faire sauver, feut mené en prison, et trouve force ennemis qui concluent sa perte.

Le mesme jour on publia icy une declaration du Roy, veriffiée en la Cour des monnoyes, portant reglement du pris des louys d'or et des pistolles à 7 livres, et des escus d'argent à 3 livres 5, jusques au mois de julliet; apres lequel temps on ne pourroit plus mettre les pistolles et louys d'or qu'à 10 livres, et les escus blans à 3 livres, mettant cepandant les especes au billon, ce qui faisoit desja crier tout le monde; mais le Parlement, considerant que ce n'estoit q'ung party fait par les monnoyeurs, qui en donne, dit-on, une somme de 600 mille livres au Roy, y remedia le 6, ayant arresté qu'il seroit fait tres humbles remonstrances au Roy sur l'importance de cette affaire, et que cepandant, sans avoir esgard au jugement de la Cour des monnoyes, touttes les especes auroint cours, suivant le pris qui leur a esté donné par l'arrest que le Parlement donna il y a 2 ou 3 mois sur cette matiere.

S.A.R. ayant voulu faire embrasser M. le prince de Tarante et M. de Rohan, à cause du different qu'ilz eurent l'année derniere en Bretagne, le premier a tesmoigné ne pouvoir s'accommoder sans le mareschal de la Mesleraye, qui pour l'amour de luy s'est brouillé avec M. de Rohan; de sorte que S.A.R. s'est contenté de leur faire promettre qu'ilz ne demanderoint rien l'ung à l'autre. Vous aures sceu que MM. d'Orleans, ayant prié Mademoiselle, lors qu'elle y alla, de n'y mener point celuy cy, elle le laissa à Artenay, d'où il revient icy 3 ou 4 jours apres.

On escrit de Montauban, du 28, que l'armée du comte d'Harcourt est de 4 mille chevaux et 2500 fantassins, que font les regiments de Champagne, Lorraine, Auvergne et un autre, et faisoint contribuer touttes les villes de la Haute Guyenne; que Nerac avoit esté rançonné à 50 mille livres, Condom à 45 mille livres, et que tout Albret composoit, de mesmes que les habitans de Marmande, qui avoit deputté vers ce comte et qui devoint recevoir de sa part M. de Biron pour leur gouverneur, n'avoint peu luy tenir parolle à cause de M. le Prince, avant que partir pour s'en venir, y estoit allé luy mesmes en poste, afin de les confiermer dans son party; que Clairac et Villeneufve s'estoint declairés de ne vouloir point de garnison; qu'on continuoit de fortiffier Aigullion [Aiguillon], suivant les ordres que M. le Prince en avoit laissé; q'ung gentilhomme du vicomte d'Arpajou, depputté pour les Estatz qui se devoint tenir le 30 à Montauban ou Vors, [sic: a non sequitur] le comte d'Harcourt avoit porté nouvelle que son maistre avoir receu commission de la Cour pour commander les troupes de Languedoch aussy ample que celle de ce comte en Guyenne, avec un ordre de prendre 100 mille escus sur les tailles du pays, pour la levée de 6 regimentz d'infanterie /58v/ et 4 de cavalerie, dont il attend des commissions; et que M. de Tracy y estoit à Montauban de la part de la Cour, pour faire lever promptement un million sur les restes des tailles des années dernieres, et s'ilz ne suffisent pas, sur celles de cette année.

A quoy les lettres de Bourdeaux adjoustent que le comte d'Harcourt ayant fait repasser la Garonne à son armée à Auvila [Auvillar], sur le bruit des barricades d'Agen, pour les favoriser M. le prince de Conty en sortit en mesme temps; et on aprit qu'il paroissoit encor, de l'autre costé de la riviere, environ 500 chevaux et mille fantassins de ce comte, vis à vis du Port de Ste Marie. M de Marchin y envoya des partis à pied et à cheval, qui remenerent plusieurs prisonniers, par lesquelz on sceut que ce n'estoit q'une feinte; mais despuis, nous avons advis certain que le Port Ste Marie s'est rendu, ce qui fait croire qu'Agen aura suivy, d'autant plus que les troupes de M. le Prince ont touttes repassés, estant trop foibles; dont Bourdeaux s'est un peu allarmé, quoy qu'il n'aprehende point de siege. Les trouppes de M. d'Harcourt viendront peu à peu dans tout le Pays d'Entre Deux Mers, et l'on aprehendent qu'ilz retournent, par là, à Libourne ou à Bourg.

Le 6, au matin, on eut nouvelles que les deputtés du Parlement avoint eu audiance à Sully, pendant laquelle on remarqua que la Reyne interrompit 3 fois le president de Nesmond, qui dit la substance de ce qui estoit contenu dans les remonstrances par escrit, lesquelles on ne voulut pas entendre; mais les depputtés les ayant laissées là, on leur dit que le Roy y deslibereroit en son conseil et leur envoyeroit sa response, qui arriveroit aussytost qu'eux à Paris, où ilz arriverent le 7, assez mal satisfaitz.

Le mesme jour, 6, M. de Chasteauneuf arriva à Montrouge, et le lendemain à Paris, où le commandeur de Souvré arriva aussy le mesme jour. Le commandeur de Chattes y estoit arrivé quelques jours auparavant. Le marquis de Roquelaure s'en vient aussy.

Le duc de Lorraine est attendu ches le marquis de Mouy à Tunis [Thugny], deux lieues de Retel, où 1500 chevaux du comte de Ligneville l'escortent, ce duc ne faisant difficulté de venir au secours de S.A.R. que pour avoir, auparavant, une asseurance de la restitution des places de Stenay, Clermont, et Jametz. S.A.R. envoya pour le subject, le 6, M. de Gaucourt à M. le Prince, pour en arrester les conditions et les asseurances, et sur les nouvelles qu'elle en receut avant hier, elle envoya aussy, hier au matin, le marquis de la Sablonniere à M. de Lorraine, qui ne laisse pas de faire avancer ses troupes en attendant; mais celles d'Alsace ne s'hastent pas de venir, parce qu'ilz mousquettent Brissac despuis la prison de Charlevois, ayant fait offir, dit-on, 300 mille escus à la garnison.

Le comte de Bussy fait faire un reduit à La Charité sur Loire, pour y mettre 10 pieces de canon qu'il veut oster de Nevers, quoy que les agens du duc de Mantoue s'y opposent. On a fait quantité d'armes à Nevers, qui [qu'ilz] ont portées dans l'armée de la Cour pour les soldatz, qui n'en avoint point. L'on y a fait cuire 20 mille rations de pain, et autant à La Charité pour la mesme armée, laquelle le marquis de Genlis vient joindre avec 1200 hommes et celles de Plessies Belliere, qui est allé assieger Talmond avec le reste, apres avoir fait raser Taillebourg.

/59/ Les batteliers d'Orleans ayant voulu prendre les armes pour aller saluer Mademoiselle le 3 du courant, les bourgeois la prierent de l'empescher, et à cette fin tendirent les chaisnes et fermirent les boutiques, de peur d'estre pillés par ces sortes de gens, qui sont fort incommodes, ne trouvant pas à travailler; sur quoy, cette princesse leur manda qu'ilz ne vinssent point. Le lendemain, elle se plaignit au gouverneur et au maire d'Orleans de ce qu'ilz avoint laissé passer dans la ville, sans luy en parler, les officiers du Roy qui sont sortis du quartier, dont ilz luy firent excuse.

Le cardinal Mazarin estant allé, le 3, de Sully à Gien, y confera avec le mareschal de Turenne, et luy fit prendre resolution de faire passer son armée en deça; apres quoy estant retourné à Sully, la Cour en partit le 4 au matin, et arriva l'apresdisnée à Gien, où les armées avoint desja passé la Loire; dont M. le Prince estant averty, party de Montargis le 4, apres y avoir laissé 200 fantassins pour garder le chasteau, et feut camper à Chasteaurenard, qui est un poste tres avantageux, estant à couvert de 2 rivieres. Il n'envoya point à Montereau, parce qu'il aprit que le marquis de Nangis s'y estoit jetté par ordre de la Cour, avec quelque noblesse.

Un courier de M. de Nemours, arrivé hier au soir, porta nouvelles à S.A.R. que M. le Prince ayant sceu à Chasteaurenard que le mareschal d'Hocquincourt avoit mis ses troupes dans des quartiers proche Chastillon sur Loing, y avoit envoyé M. de Nemours avec mille chevaux et quelque infanterie en croupe, qui avoit passé cette riviere sur le pont de Chastillon, le 7 au matin; et que dans ce jour là, celuy cy avoit enlevé 4 quartiers de ce mareschal, et avoit esté blessé d'un coup de pistollet au coste à l'enlevement du 4, mais asses legerement et sans danger; que sur cela il s'estoit fait porter à Chastillon, et y avoit fait conduire 3 ou 400 prisonniers qu'il avoit fait; et qu'en mesme temps M. le Prince avoit fait avancer toutte l'armée de ce costé là, pour combattre le mareschal de Turenne, qui s'avançois aussy au bruit de l'enlevement des quartiers. Mme de Nemours, ayant apris cette nouvelle, partit d'icy hier à 8 heures du soir avec des chirurgiens, pour y aller, ce qui a esté confiermé ce matin par l'arrivée d'ung autre courrier, qui a raporté que M. le Prince estant arrivé au village de Champoulé, entre Chastillon et Gien, avoit trouvé le mareschal de Turenne posté avantageusement dans un valon proche de là, où il avoit mis son canon en batterie, et se couvroit d'ung grand marest; ce qui obligea aussy Son A. de disposer son artillerie et d'essayer de passer, mais il n'y eut pas moyen. Cepandant, l'effort que fit le canon de ce mareschal, tua 50 officiers et soldatz de M. le Prince; et le comte de Maré, mareschal de camps dans l'armée de S.A.R., y feut blessé dangereusement d'un coup de canon à la cuisse. M. le Prince voyant qu'il ne pouvoit pas passer, se contenta d'attaquer le corps d'armée du mareschal d'Hocquincourt, qui faisoit l'avant garde, et le defit entierement. Ceux qui feurent les plus maltraittés feurent les gardes /59v/ de ce mareschal, les carrabins de Seneterre, le regiment de Navailles, et tous les bonnetz et escharpes vertes qui avoint conduit le cardinal Mazarin à son retour, avec les Polonnois, lesquelz s'estant retirés dans une grange, on y mit le feu et y feurent bruslés. Le reste feut mis en desroutte. M. le Prince y fit environ 600 prisonniers et quantité de tués; et que M. le Prince poursuivoit encor le mareschal de Turenne, qui avoit fait rebrousser ses troupes pour repasser la Loire à Gien. S.A.R. en attend les particularités.

S.A.R. a eu nouvelles aujourd'huy que le duc de Lorraine doit coucher ce soir à La Capelle, avec 200 officiers de son armée, et que les troupes du comte de Ligneville l'y viennent joindre, pour marcher en Champagne, où celles de Fauge, qui viennent d'Alsace, les viendront joindre pres de Bassigny. Il mande qu'il vient pour le service de S.A.R., sans aucune condition, et qu'il luy mene 10 mille hommes du consentement des Espagnolz. On croit qu'aussytost qu'il sera arrivé, M. le Prince retournera en Guyenne, et y menera les trouppes de M. de Nemours.

/60/ De Paris le 12 avril 1652

Les particularités du combat d'entre l'armée de la Cour et celles de princes, feurent aportées icy le x par M. de Gaucourt, qui rapporta que M. de Nemours ayant pris le commandement de l'avant garde, à cause que c'estoit son jour, enleva les quartiers que vous aves sceu, où il feut blessé apres avoir eu un cheval tué soubz luy et 2 autres blessés; qu'en mesme temps M. le Prince s'estant engagé à combattre, et M. de Beaufort voyant l'affaire en si beau chemin, et voulant avoir part à la gloire du combat, pria M. le Prince de luy donner quelque commandement pour y aller des premiers; que sur cela, Son A. le mit à la teste du regiment de cavalerie de Condé; et qu'apres la prise d'ung chasteau dans lequel les Polonnois s'estoint retirés, ilz attaquerent si vertement le quartier du mareschal d'Hocquincourt, quoy que de nuictz, qu'ilz la defirent entierement. Ce mareschal ayant laissé son bagage avancé, afin que les troupes de M. le Prince s'amusassent à le piller, et luy donnassent le temps de rallier les siennes, pour les surprendre au pillage, Son A. fit de si rigoureuses deffenses de ne s'y amuser point, que personne n'y toucha qu'apres que le combat feut finy; et que ce feut alors qu'elle disposa du pillage, et en donna ce qu'il voulut à chasque regiment. Il y eut environ 700 prisonniers, dont la moitié n'estoint que de valetz qui gardoint le bagage; et M. le Prince en renvoya plus de 300, qui feurent reclamés par les chefs de l'armée de ce mareschal, comme leur domestiques. Quant au nombre des tués, comme ce feut un combat de nuict, et qu'on eut le loisir de retirer beaucoup de corps mortz, l'on n'a peu encor en bien sçavoir le nombre, mais il ne s'en est pas trouvé 250. Ceux qui feurent les plus maltraittés, feurent les gardes de ce mareschal, les carrabins de Seneterre, les Polonnois, les regimentz de Bodar, de Navailles, et de Borlemont, qui feurent entierement defaitz. Il n'y eut, avec l'armée de M. de Turenne, que l'escarmouche que vous aves sceu, apres laquelle il se retira en si bon ordre à Briare, que M. le Prince ne luy peut rien faire. Cepandant, M. de Beaufort ayant sceu q'ung de ses principaux officiers avoit esté fait prisonnier, l'envoya reclamer par un trompette, qui rencontra le comte de Grandpré à 40 pas, lequel le renvoya à M. de Beaufort, pour luy demander s'il l'agreroit qu'il le saluat, puisqu'il estoit si proche; que M. de Beaufort ayant agrée, ilz s'aprocherent, et s'estant embrassés, ce comte accompagna le trompette, qui alla trouver le mareschal d'Hocquincourt; lequel s'estant aussy trouvé fort proche de là, voulu aussy saluer M. de Beaufort; et apres luy avoir promis de luy renvoyer cest officier, luy dit que puisque M. le Prince estoit si proche, il seroit bien ayse de le saluer aussy, s'il luy vouloit donner sa parolle. Aussytost M. de Beaufort se chargea d'en faire la proposition à Son A., qui l'ayant agréé, luy renvoya le trompette pour l'en avertir; et s'estant aproché, elle l'embrassa et luy parla en ces termes, "Nous sommes bien malheureux de nous veoir obligés de nous entrecoupper la gorge pour un faquin qui n'en vaut pas la peyne," et luy dit que veritablement [son armée] estoit en desordre, et qu'il n'avoit encor peu la rallier; qu'il s'y estoit ruyné, ayant perdu tout son bagage, sa vaiselle d'argent, 100 chevaux de prix, /60v/ et 2500 louys d'or et 10 mille livres argent monnoyé, en sorte que sa perte estoit plus de 50 mille escus, et celle du comte Broglio de 100 mille livres; et ce discours fit croire qu'il n'avoit souhaitté de veoir Son A. que pour veoir si elle seroit asses genereuse pour luy en faire rendre une partie; mais elle ne luy en parla point, et sur cela il prit congé, et s'en retourna en seurté; apres quoy Son A. fit retourner son armée en deça de loing, vers Chasteaurenard. La Cour feut en terme de partir de Gien, et de repasser la Loire; mais le Conseil n'en feut pas d'advis, à cause que la deffaite eut semblé plus grande, et fit venir seulement là une partie de l'armée du mareschal de Turenne, pour empescher celle des princes d'en aprocher; mais le bruit court aujourd'huy que la Cour en devoit partir ce matin, pour venir coucher à Pleuviers [Pithiviers], et demain à Fontainebleau, quoy qu'il n'y aye pas d'aparence qu'elle puisse passer.

On escrit de Bourdeaux, du 4, que M. le prince de Conty estant sorty d'Agen, se retira à Cadillac avec les troupes qu'il met aux environs, dans des quartiers le long de la Garonne, jusques vers Marmande; qu'ensuitte le comte d'Harcourt s'estant avancé vers les villes de Clerac [Clairac] et de Villeneufve, faisoit courir des partis de cavalerie entre le Pays des Deux Mers, et tiroit des grosses contributions de touz les lieux qu'il pouvoit aprocher; qu'il avoit esté mandé de la Cour, pour venir avec la melieure partie de son armée, mais qu'il n'en avoit fait encor partir que 1000 chevaux, et qu'il y estoit demeuré. Le baron de Batteville estoit venu à Bourdeaux, et logé au logis de M. le prince de Conty, où il avoit porté 150 mille piastres fines d'Espagne, et promettoit d'en recevoir encor, jusques à la concurrence de 200 mille escus. Il attendoit aussy 200 mariniers et 1200 fantassins, pour mettre dans ses vaisseaux.

Les villes de Nevers et de Molins, ayant eu advis que la Cour les devoit aller visitter, y ont envoyé des deputtés pour asseurer Leurs M. qu'elles y seroint receues avec touttes les acclamations possibles, mais qu'elles les supplioint de n'y mener point le cardinal Mazarin; et pandant qu'on prenoit cette resolution à Nevers, un eschevin ayant voulu se passioner pour les interestz de ce cardinal, feut chassé de l'assemblée, et ensuitte le peuple feut piller sa maison.

Les advis de La Rochelle sont que le baron d'Estissac y est mort. Il y a beaucoup de pretendans à ce gouvernement.

Hier, au matin, S.A.R. ayant advis que M. le Prince venoit icy avec M. de Beaufort, luy envoya un carrosse, et feut au devant de luy à cheval jusques au delà de Villejuif, où l'on remarqua que M. le Prince mit pied à terre de loing avant qu'apercevoir S.A.R., laquelle descendit aussy de cheval lors qu'il feut à dix pas de luy; et l'ayant fort embrassé et caressé, remonta à cheval, et s'en vient en devisant avec luy dans le palais d'Orleans. M. le Prince ayant salué Madame et grand nombre de personnes de condition qui s'y trouverent, feut souper ches M. de Chavigny. Hier, au soir, le mareschal de l'Hospital estant fort empesché de la venue de M. le Prince, fit aller le Prevost des Marchandz au palais d'Orleans, où il parla en particulier /61/ à S.A.R.. On croit qu'il la pria de trouver bien qu'on s'assemblat à l'Hostel de Ville, pour y desliberer. Sadite A. luy respondit tout haut que si les Mazarins estoint asses hardis pour luy venir rompre en visiere, qu'elle les feroit jetter dans la riviere, et le renvoya sans autre response. Ce matin ce mareschal ayant voulu envoyer 50 gardes à pied qu'il a levé nouvellement avec les archers de la Ville pour garder le Palais, S.A.R. leur a mandé que s'ilz ne se retiroint, elle les feroit charger; sur quoy, il s'en sont allés, et elle s'est trouvée à l'assemblée du Parlement avec M. le Prince et M. de Beaufort, sans ce mareschal et sans le cardinal de Retz. Le president Le Ballieul a dit que la Compagnie se sentoit bien honnorée de la personne de M. le Prince, mais que veritablement elle ne le pouvoit veoir qu'avec regret de ce qu'il venoit de tirer l'espée contre le Roy; et aussytost toutte la Compagnie l'a hué, luy demandant de quel ordre il parloit de la sorte, et le desadvouant de son proceddé. S.A.R. ayant pris la parolle là dessus, a dit que M. le Prince n'avoit pris l'espée que contre les troupes que la Compagnie avoit condemné, et dereschef protesté qu'elle quitteroit les armes aussytost que le cardinal Mazarin seroit chassé, sans esperance de retour. M. le Prince a dit qu'il estoit venu là pour faire une protestation à la Compagnie, de poser les armes aussytost que le cardinal Mazarin et ses adherens seroint chassés. Plusieurs se sont formalisés de ce qu'il parloit de ses adherens, et ont dit que soubz ce mot on pouvoit envelopper touz ceux qu'on voudroit. Apres cela, M. de Landes Payen a parlé d'une requeste dont MM. de la ville d'Angers l'avoint chargé, par laquelle ilz se plaignent de l'inex[e]cution de son traitté, et en demandent l'execution; mais on a remis la desliberation à une autre fois, et l'on a entendu le raport de ce qui s'estoit passé à Sully en l'audiance que les deputtés y eurent, en representant les remonstrances par escrit. Ensuitte, on a leu une lettre en forme de declaration du Roy, dattée de Saumeur [Saumur] du 2 de mars, laquelle les Gens du roy ont dit avoir receue il y a plus de 3 semaines, mais qu'ilz n'avoint pas jugé à propos de la presenter à la Compagnie, et que, despuis, ilz avoint receu ordre expres de la presenter. Elle contenoit une injonction au Parlement d'envoyer au Roy les informations qui avoint esté faittes contre le cardinal Mazarin, afin d'y faire droit; à quoy ilz ont adjousté que Sa M. leur avoit mandé qu'aussytost que le Parlement auroit envoyé les informations, elle envoyeroit la response aux remonstrances par escrit; et on conclut à renvoyer les mesmes deputtés à la Cour, pour faire des instances continuelles au Roy de vouloir faire response aux remonstrances, ou du moings en escrire au Premier President pour l'en charger. Sur cela, l'on a commencé la desliberation, laquelle a esté remise à demain, à cause qu'il estoit fort tard, et qu'on ne l'auroit pas achevée.

La Cour a envoyé le baron Beaujeu au duc de Lorraine, pour tascher de l'attirer à elle, en luy faisant des nouvelles offres.

M. le Prince s'en retourne demain, aussytost apres l'assemblée du Parlement.

/62/ De Paris du 16 avril 1652

Le 13 du courant, S.A.R. estant arrivée à l'assemblée du Parlement avec M. le Prince et M. de Beaufort, l'on y continua la desliberation du jour precedent; et suivant l'advis ouvert par M. de Cumont, qui passa de 87 voix, il y eut arrest portant que la declaration que S.A.R. et M. le Prince avoit faitte, de vouloir poser les armes apres l'exclusion du cardinal Mazarin, seroint enregistrées; que les mesmes deputtés seroint renvoyés au Roy, pour le suplier de lire les remonstrances et d'y repondre; que tous les autres parlements seront conviés d'en faire de mesmes, et touttes les cours souveraines, mesmes la chambre de St Louys; qu'on tiendroit, dès le 15, une assemblée generalle pour le mesme suject à l'Hostel de Ville, où S.A.R. et M. le Prince seroint priés d'y assister, pour y faire enregistrer leur declaration; que les mesmes deputtés du Parlement feroint aussy des remonstrances pour le suject pour lequel on n'a peu enregistrer les lettres patentes qui ordonnent qu'on portera au Roy les informations contre le cardinal Mazarin; que cependant, touttes declarations et arrestz contre luy donnés seroint executtés; et que pour cest effect, on deputeroit des conseillers dès le mesme jour.

Les lettres de Bourdeaux du 8 portent que M. le prince de Conty y estant arrivé, et y ayant demeuré 8 jours, en estoit party le 7 pour aller à Libourne, Bergerac, et Ste Foy, afin d'y donner les ordres necessaires pour les conserver, de crainte que le comte d'Harcourt n'en surprit quelq'une pour avoir un passage sur la Dordogne; que cepandant, M. de Marchin s'estoit posté à Ste Machaire [Saint-Macaire], qu'il faisoit fortiffier, aussy bien que Longon, afin de tenir tousjours le comte d'Harcourt esloigné de Bourdeaux; que ce comte ayant voulu tirer 2 pieces de canon d'Agen, en estant sorty pour y faire entrer l'attirail, lors qu'il y voulu rentrer il trouva qu'on avoit fait, contre luy, les mesmes barricades qui avoint esté faittes contre M. le Prince, en sorte qu'il n'y rentra plus; mais il en avoit desja tiré une grande somme d'argent; qu'il avoit contremandé les mille chevaux qu'il avoit fait partir pour joindre l'armée de la Cour, disant qu'il ne vouloit point se defaire de ses troupes, et que si le Roy luy ordonnoit de marcher, il les meneroit en personne, et non autrement.

Les advis de la Cour continuent d'asseurer qu'elle devoit partir de Gien dans 2 jours, pour s'en aller à Auxerre, ensuitte à Sens, et de là à St Germain en Laye, ayant trouvé le chemin plus seur à cause qu'elle sera à couvert par la riviere d'Yonne, dont elle tient tous les passages, et ensuitte par la Seyne; que tous les jours il y mouroit plus de 30 hommes de faim, le pain y valant 12 solz la livre; qu'il y avoit eu disputte dans le Conseil du Roy entre les mareschaux de Villeroy et du Plessis: toutte la Cour avoit pris le party du premier, à la reserve du cardinal Mazarin /62v/ et de ses adherens; que Prioleau estoit arrivé en Cour, pour y faire des demandes de la part du duc de Longueville, son maistre; que s'estant adressé au cardinal Mazarin, il luy avoit dit qu'il n'avoit ordre d'y demeurer que 2 jours, et que ce temps estant expiré, il en partiroit. Ce cardinal luy avoit respondu que ses demandes estoint tropt hautes pour pouvoir les obtenir; que sur cela, Prioleau ayant pris congé, on l'avoit fait suivre par un gentilhomme, lequel le voyant prest de monter à cheval, luy dit que S.E. vouloit parler à luy. Aussytost l'estant allé trouver, elle luy dit qu'elle avoit receu ordre du Roy de luy accorder tout ce qu'elle luy demanderoit, et que pour asseurance de cela, en attendant qu'on luy en donnat les prouvisions, elle luy donneroit son escrit; à quoy Prioleau repartit que son maistre ne demandoit rien, et qu'il seroit temps de le rcompenser quand il auroit rendu service, et qu'il l'avoit envoyé en Cour pour y aprendre les desseings; à quoy l'on adjouste que le mareschal d'Hocquincourt estoit sur le point de partir, pour retourner à Peronne, n'ayant plus d'esquipage pour servir.

On escrit d'Orleans que Mademoiselle y avoit eu quelque petit desmelé avec le marquis de Sourdis, sur ce qu'il avoit voulu former son oposition au presidial de cette ville là, à la veriffication et enregistrement du plain pouvoir qu'elle a de S.A.R., et avoit prié MM. de Ville de se joindre à luy pour cest effect, mais qu'ilz ne l'avoint pas voulu faire; et qu'enfin l'affaire s'estoit terminé au contentement de Mademoiselle, qui n'avoit pas voulu laisser passer le prince d'Harcourt par Orleans, quoy qu'il eut un passeport; qu'elle y laissa seulement passer les marquis de Gesvres et de Roquelaure, qui arriverent hier au soir icy; et qu'elle avoit fait arrester l'abbé Guron, qui s'en alloit trouver le comte d'Harcourt, et luy portoit des instructions pour faire le siege de Brouage.

On mande de Marseille, du 13, que les troupes lorraines du comte de Ligneville estoint encor aux environs de La Capelle; que M. de Lorraine n'y estoit pas encor arrivé; et que le baron de Beaujeu y avoit passé, pour l'aller trouver de la part du cardinal Mazarin.

Avant hier M. le Prince disna ches M. de Chavigny, et apres feut veoir le duc d'Angoulesme, avec lequel il eut conference sur l'estat des affaires de Provence.

Le Parlement s'assembla hier pour desliberer sur le suject de l'assemblée generalle qui ce [se] doit tenir dans l'Hostel de Ville, qui pretent que le Parlement n'a point de droit de le faire assembler, S.A.R. ny M. le Prince d'y assister aux desliberations qui s'y prennent; et parce que l'arrest du 13 porte que ces 2 princes seront priés de s'y trouver, pour y faire la mesme declaration qu'ilz avoint faitte à la Compagnie, l'on corrigea ce mot de pour, à cause qu'il y eut semblé qu'ilz n'y feussent allé que pour ce seul subject, et l'on mit d'y faire la mesme declaration, etc.

/63/ Cette assemblée ce [se] devoit aussy tenir aujourd'huy, mais elle est differée jusques à jeudy. S.A.R. se devoit aussy trouver à la Chambre des comptes avec M. le Prince, mais ilz tienrent hier conseil au palais d'Orleans, dans lequel ilz resoleurent aussy de differer à y aller jusques à demain.

Il y a une lettre de Calais qui porte que Gravelines est assiegé despuis vendredy au soir, par l'armée espagnolle et par 16 vaisseaux anglois, et que le fort d'Hellpe a esté abandonné, la garnison s'estant retirée dans Gravelines, mais il en faut attendre la confiermation.

/64/ De Paris du 19 avril 1652

Les lettres de Bourdeaux, du xi, portent que la ville du Mas d'Agenois sur la Garonne a esté surprise, le 8 de ce mois, par le comte d'Harcourt, par la trahison d'un chanoine nommé Pichon, qui donna à 300 hommes de ce comte l'entrée de sa maison par une fausse porte qui repondoit aux champs; et que ces 300 hommes y estant sur la minuict, y esgorgerent deux corps de garde; et que, sur ce bruit, le reste de la garnison s'estant barricadé, feut contrainte de demander quartier, qui luy feut accordée le lendemain; que ce lieu feut pillé, et que ce comte avoit enfin detaché 1000 chevaux pour la Cour; et que M. de Marchin continuoit à fortiffier St Macaire et Langon; à quoy celles de Montauban, du mesme jour, adjoustent que le comte d'Harcourt continuoit à faire contribuer les villes de la Haute Guyenne; que Clerac [Clairac] s'estoit bien soubmis à luy, mais qu'elle ne vouloit pas y laisser entrer aucunes troupes; que celle de Marmande demandoit à trautter avec luy à mesme condition; que Villeneufve tenoit encor pour M. le Prince, M. de Theobon s'y estant jetté avec 3 ou 400 hommes; que ce comte alloit attaquer Clermont et Duras, qui sont deux maisons apartenantes à Mme de Marchin, à 2 lieues d'Agen, l'une deça la riviere et l'autre dela, et qu'il parloit aussy d'aller assieger le chasteau de Nerac, dans lequel il y a 5 ou 600 hommes de M. le Prince; que les deputtés de la ville de Thoulouse avoint esté 8 jours à la suitte du comte d'Harcour, sans avoir eu audiance, et qu'ensuitte les ayant ouys, il leur fit entendre qu'il sçavoit bien que les villes de Beaumont et de Grenade estoint en leur disposition, et qu'ilz feroint bien de les porter à se soubmettre, et d'en chasser la garnison de M. le Prince, les menassantz de les en faire repentir s'ilz n'y travailloint tout de bon; mais que le greffier que le Parlement luy avoit envoyé, avoit esté plus mal traitté, n'ayant esté receu, apres beaucoup de difficultés, que comme un simple porteur de lettres. Il ne ce [se] confierme point que le vicomte d'Arpajou soit encor declaré pour l'ung ny pour l'autre party, et l'on mande seulement qu'il avoit envoyé un sien gentilhomme à Villemeur, pour avertir les habitans qu'il avoit cette ville là pour le lieu d'assemblée de ses troupes.

Les advis de la Cour continuent d'asseurer qu'elle devoit partir hier de Gien, pour s'en aller à Auxerre, et ensuitte à Sens, de là à St Germain en Laye, ayant trouvé ce chemin plus seur à cause qu'elle sera à couvert de la riviere d'Yonne, dont elle tient les passages; que tous les jours il y mouroit plus de 30 hommes; que M. de Turenne estoit d'advis que le Roy s'en vient avec sa suitte ordinaire seulement, et respondoit qu'en luy laissant l'armée vers la Loire, il empescheroit les desseins de MM. les princes; mais que ce cardinal, qui veut tousjours tout faire, estoit d'advis que l'armée suivit.

L'ambassadeur de Portugal ayant esté mandé à la Cour, n'y a demeuré q'ung jour, estant party le lendemain pour s'en retourner en Portugal; et l'on asseure qu'il est allé porter un traitté de ligue offensive et deffensive que le Roy son maistre avoit souhaitté, et luy donner parolle du mariage du Roy avec la princesse de Portugal; mais c'est à condition qu'il entreprendra promptement le secours de Catalougne, et donner quelque assistance d'argent au Roy presentement. L'on asseure aussy que le cardinal Mazarin n'a pas oublié de faire espreuve, dans cette conjoncture, de la generosité de la reyne de Suede, dont il se fait fort bientost d'un puissant secours.

/64v/ L'assemblée de l'Hostel de Ville estant differée de jour à autre, sur les difficultés qu'on y avoit fait naistre, S.A.R. s'en alla le 17, avec M. le Prince et M. de Beaufort, dans la Grande Chambre du Parlement, où elle surprit tous ceux qui y estoint, y estant entrée sans les faire advertir, et sans attendre qu'on y envoyat des deputtés pour le recevoir. Elle leur representa qu'il estoit necessaire de faire assembler le Parlement, pour desliberer promptement sur l'inexecution des arrestz du Parlement, et notanment du dernier. Aussytost on advertit MM. des Requestes et des Enquestes, lesquelz estant venus, S.A.R. remonstra la necessité qu'il y avoit de ne plus retarder l'execution de ses [ces] arrestz, les menées que les Mazarins faisoint pour empescher l'assemblée de l'Hostel de Ville, que le profit que les Espagnolz en tiroint estoit d'avoir assiegé Gravelines; à quoy le president de Novion, entre autres, dit qu'il seroit à souhaitter que les troupes de MM. les princes feussent employées à empescher les desseings des Espagnolz; que, contre la declaration de 1648, on levoit les tailles à main armée dans l'eslection de Meaux; et que mesme on y faisoit des levées de gens de guerre. M. le Prince ayant dit là dessus qu'il estoit vray que d'Igby estoit dans son chasteau de Danmartin [Dammartin], où il levoit les tailles et de gens de guerre, ce president repartit qu'il n'entendoit point parler de d'Igby, mais bien des tailles et des troupes qui ce [se] levent par ordre de S.A.R.; laquelle ayant prit la parolle, luy dit qu'il n'en [qu'il en?] estoit mal informé, que c'estoit le recepveur general Monnerot qui levoit les tailles sur l'ordre de la Cour, et que veritablement ses gardes estant assignées sur ce fondz, on se faisoit payer sur les lieux, à mesure que ce receveur avoit de l'argent, mais qu'ilz ne se meloint point de faire aucune levée. On demanda à MM. les Gens du roy s'ilz avoint fait imprimer, comme il avoit esté arresté, les discours de MM. de Bellievre et de Nesmond, faitz au Roy dans leur deputation, avec les remonstrances et la declaration de MM. les princes qu'on doit envoyer aux autres parlementz. Ilz respondirent qu'ilz y travaillioint, mais qu'il y avoit un mot dans la declaration de M. le Prince qui ne leur sembloit pas bien, et qui les avoit obligé de donner requeste, afin que la Compagnie vit s'il seroit à propos de le changer; que c'estoit le mot de liaison, que M. le Prince avoit dit n'avoir avec les Espagnolz que pour l'expulsion du cardinal Mazarin, et pour la paix generalle; ce qui obligea ce prince à repartir que la Compagnie ayant receu cette declaration de cette façon, il ne croyoit pas qu'il y eut a redire; que neamoings, si elle ne la trouvoit pas à propos, qu'elle pouvoit changer ces termes, et la mettre de telle sortes qu'elle voudroit. Sur quoy, on en demeura là, et il y eut une autre contestation sur la requeste des habitans d'Angers; de laquelle la Grande Chambre seulement assemblée, voulant prendre cognoissance sans MM. des Enquestes, ceux cy s'opiniastrerent fort au contraire; et l'affaire demeure indecise sur l'arrivée du Prevost des Marchandz, qui avoit esté maindé; auquel le president Le Bailleul, ayant demandé la raison pour laquelle il n'avoit fait tenir l'assemblée de Ville, il respondit que cela ne dependoit pas de luy seul; et parce qu'il ne parloit point du suject qu'il [qui] la retardoit, S.A.R. dit que le mareschal de l'Hospital et luy l'avoint fait avertir, et l'ayant voulu faire explicquer sur les difficultés qu'il y avoit, il biaisa pour n'estre pas obligé à dire que la Ville pretendoit que le Parlement n'avoit point de droit de luy commander de s'assembler; et dit seulement qu'il suplioit S.A.R. de se resouvenir /65/ qu'elle l'avoit asseuré d'avoir conservé l'honneur et l'interest de la Ville, qui avoit esté invitée, comme les compagnies souveraines, de s'assembler; et que neamoings, les termes de l'arrest n'estoint pas conformes à cela. MM. des Enquestes, voyant où cela alloit, soubtiendrent qu'il estoit enjoint à la Ville de s'assembler, et non pas conviée de s'assembler; sur quoy l'on fit lire l'arrest, et il ce [se] trouva qu'il enjoignoit l'assemblée, et la convioit de faire pareilles remonstrances. On luy demanda son sentiment là dessus, lequel il ne voulut pas dire, mais incista qu'on luy fit veoir que la Ville eut deferé à des semblables arrestz; et apres qu'on luy en eut raporté quelq'ungs, on se contenta de ce qu'il dit que la Ville s'assembleroit l'apresdisnée, et que le lendemain il en viendroit rendre response.

Cette assemblée de Ville ce [se] tient l'apresdisnée, où le mareschal de l'Hospital, apres avoir asseuré la Compagnie qu'il avoit escrit plusieurs fois à la Cour, pour demander l'exclusion du cardinal Mazarin, sans qu'on fit pareille deputation; que le Parlement voyant les malheurs qui en arrivoint tous les jours; et qu'on convoquat à l'assemblée de Ville non seulement 3 notables bourgeois de chasque quartier, mais 8; et qu'on y convoquat de plus M. l'Archevesque, l'Universitté, les curés, les six corps des marchandz, et touttes les communeautés, ce qui passa tout d'une voix; et il feut arresté que cette assemblée ce [se] tiendroit aujourd'huy, l'apresdisnée, où tous les corps ont deputté. Le Prevost des Marchandz vient, hier au matin, faire rapport au Parlement, où S.A.R. estant allée avec M. le Prince, et estant arrivé dans la Ste Chapelle, y receut cette nouvelle par les deputtés qui l'y viendrent recevoir, ce qui l'obligea à s'en retourner sans entrer au Parlement, n'en estant plus besoing. On dit que le mareschal de l'Hospital est mal satisfait de la Cour, à cause qu'on luy a escrit une lettre pleine de reprimandes de ce qu'il avoit souffert que M. le Prince soit entré dans Paris, sans se mettre en peyne de l'empescher.

Hier, l'apresdisnée, M. le Prince ayant fait battre le tambour dans Paris pour y faire des levées, MM. de Ville le trouverent fort mauvais. Ce matin S.A.R. a envoyé M. de Beaufort à la Chambre des comptes, pour y faire haster la deputation à l'assemblée de l'Hostel de Ville. Celuy cy y estant arrivé, a trouvé la Chambre en contestation, sur ce qu'on avoit desja deputté 2 auditeurs et 2 correcteurs pour y accompagner 2 presidentz et six maistres des comptes; et parce qu'on a representé que les auditeurs ny les correcteurs n'y pouvoint estre receu, on s'est contenté de deputter les 2 presidents et les 6 maistres des comptes.

Le 16 du courant on eut nouvelle du siege de Gravelines par l'armée espagnolle, qui n'est que de 6 à 7 mille hommes, et par quelques vaisseaux anglois du costé de la mer; ce qui a esté confiermé par les lettres de Calais du 17, qui adjoustent que le Fort Philippe et ceux de Hicque, d'Hoye [Oye], et de Beleveluse sont desja pris, et que les ennemis s'y fortiffient; qu'ilz sont attachés à la contrescarpe du costé d'une escluse, à main droitte en entrant; et que le mareschal d'Aumont ayant fait un effort avec 7 ou 800 chevaux du Boulonnois et 500 fantassins, pour y jetter 3 ou 400 hommes, ceux cy ont esté defaitz par les ennemis, sans que la cavalerie qui les escortoit aye tiré un seul coup. On asseure qu'il n'y a que 700 hommes dans la place, et qu'elle ne resistera pas 15 jours ou 3 semaines. On blasme fort le mareschal de Grancey, qui en est gouverneur.

/65v/ Le general Rose, qui estoit en Asace [Alsace] avec 1500 hommes pour s'opposer aux desseings du general Fauge, Lorrain, s'en vient devant luy en Champagne; et parce qu'ilz ne se font plus aucune hostilité l'ung à l'autre, l'on aprehende que le duc de Lorraine ne soit plus à la Cour qu'à S.A.R. M. de Longueville n'est pas encor declairé, mais on le croit gaigné pour la Cour, et il fit avant hier sa declaration dans le Parlement de Rouen.

S.A.R. estant arrivée à l'Hostel de Ville à 3 heures aprs midy avec M. le Prince, M. de Beaufort, et le mareschal d'Estampes, a fait un petit discours sur le suject de cette assemblée; et ensuitte elle a declaré que comme elle n'avoit pris les armes que pour chasser le cardinal Mazarin, elle estoit venu asseurer la Compagnie qu'elle les quitteroit aussytost qu'il seroit exclus sans esperance de retour; et M. le Prince ayant fait la mesme declaration, S.A.R. s'est levée, et a dit à ces messieurs qu'afin qu'ilz puissent opiner avec liberté sur un subject si important, elle alloit passer dans la sale voisine, comme elle a fait avec M. le Prince, M. de Beaufort, et le mareschal d'Estampes; apres quoy l'on a leu dans l'assemblée touttes les remonstrances et arrestz du Parlement donnés sur cette matiere, despuis le retour du cardinal Mazarin, ce qui a tenu deux heures. Ensuitte, le procureur du roy de la Ville a fait un beau discours, representant ce qu'on estoit obligé de faire pour le service du Roy, et ce que la ville de Paris pouvoit faire en donnant le bransle à touttes les autres, et l'interest qu'elle avoit de veoir bientost finir ces desordres, le tout authorisé par quantité d'exemple de l'histoire, notanment des assemblées de Ville tenus du temps du roy Henry 4, et des bons effectz qu'elles firent; et a conclut à ce qu'on envoyat au Roy des deputtés de tous les corps qui estoint dans cette assemblée, pour la supplier d'esloigner le cardinal Mazarin sans esperance de retour, et de donner la paix à son rouyaume; et parce qu'il ne finit qu'à 6 heures, il a falut remettre la desliberation à demain. Le mareschal de l'Hospital vouloit que ce feut à 3 heures apres midy, mais il a esté arresté à 2 heures precise. Pendant tout ce temps plusieurs ont passé dans la sale où estoit S.A.R., pour l'avertir de ce qu'il ce passoit [ce qui se passoit] dans l'assemblée; et un courrier y estant arrivé pour rendre des lettres de la Cour au mareschal de l'Hospital, a esté mené à S.A.R., qui l'ayant interrogé, il a dit que la Cour estoit partie dès avant hier de Gien, et avoit couché à St Fargeau, et hier au soir à Auxerre, où il a [il l'a] laissé en estat de venir coucher ce soir à Sens; que le cardinal Mazarin estoit party qu'hier au matin de Gien, d'où il estoit allé coucher à Auxerre; que l'armée de la Cour est demeurée entre Gien et St Fargeau; et que le Roy n'a avec luy que le regiment des gardes, les gendarmes, et les chevaux legers, et les gardes du cardinal Mazarin; et qu'on asseuroit qu'elle venoit à Mantes. Ce courrier a esté retenu jusques à la fin de l'assemblée, de peur qu'il n'aportat quelque expedition, pour la traverser.

/66/ De Paris du 23 avril 1652

Le courrier qui arriva de la Cour le 19, pendant que l'assemblée de Ville ce [se] tenoit, rendit au mareschal de l'Hospital une lettre de cachet portant deffense de tenir cette assemblée, et ordre à ce mareschal d'asseurer les Parisiens que le Roy s'en venoit à Paris, et qu'il vouloit desormais loger dans le Louvre. A cette fin, ce mareschal alla le 20, au matin, prier le roy et la reyne d'Angleterre, de la part du Roy, d'aller loger dans le Palais Royal; mais ilz ne s'y disposent pas encor, et l'on ne peut croire que cela arrive, quoy que le cardinal Mazarin, estant dans le Louvre, ne craindroit pas tant les barricades comme dans le Palais Royal.

Cette lettre feut suivie d'une autre de mesmes, et touttes deux obligerent S.A.R. d'aller le 20, avec M. le Prince, au Parlement, où elle entra sans attendre aucune ceremonie; et les chambres estant assemblées, elle remonstra qu'il ne falloit point qu'on s'amusat à ces lettres de cachet; et l'on resolut d'abord de mander le Prevost des Marchandz. Estant arrivé, on luy demanda s'il n'avoit point de lettre de cachet pour traverser l'assemblée de Ville. Il respondit qu'il y avoit une qui deffendoit de la tenir. S.A.R. luy dit qu'il y en avoit deux, mais il ne voulut pas avouer la seconde, parce que les termes en estoint tropt injurieux, et auroint peu produire quelque mauvais effect. Enfin, on luy fit veoir que dès q'une desliberation est commencée, on n'a plus d'esgard aux lettres de cachet; et ayant esté ordonné qu'on la continueroit sans s'y arrester, on le chargea de l'aller representer à l'Hostel de Ville, où l'on resolut, dans l'assemblée particuliere qui s'y tient devant midy, que la generalle seroit continuée, nonobstant la lettre de cachet.

L'apresdisnée, le mareschal de l'Hospital n'y arriva qu'à 3 heures et demy, et ce retardement feut cause qu'on ne peut achever la desliberation, laquelle feut commencée par un beau discours du president Aubry, doyen des conseillers de Ville; et de 230 personnes qui composoint l'assemblée, il n'y eut environ que 150 qui peussent opiner. L'on y ouvrit 7 ou 8 advis differentz, mais il n'y en eut que deux qui feurent bien suivis; dont l'ung alloit à envoyer au Roy des deputtés de tous les corps, pour demander l'esloignement du cardinal Mazarin hors du royaume, et supplier Sa M. de retourner à Paris; et l'autre, qui feut ouvert par un conseiller de Ville nommé Desnos, apoticaire, qui alloit à convier touttes les bonnes villes de France de s'unir avec Paris, pour demander conjointement l'exclusion du cardinal Mazarin. L'on remarqua que M. Menardeau, l'ung des deputtés du Parlement, qui espere plus que jamais d'estre controlleur general des finances, invectiva fort contre M. le Prince; et representa qu'ayant fait cantonner Bourdeaux et toutte la Guyenne, et mis la guerre dans l'Estat, on devoit ordonner qu'il poseroit les armes, avant que deputter au Roy pour demander l'exclusion du cardinal Mazarin. S.A.R. n'y estant pas allé le 20, ny M. le Prince, M. Goulas y feut envoyé, et pria l'assemblée, de la part de Sadite A., de continuer avant hier la desliberation, afin de ne point perdre de temps; mais parce qu'il estoit dimanche, et qu'il y auroit eu tropt de peuple, on la remit à hier, à 3 heures apres midy.

On escrit de Geronne [Gerona], du 5 du courant, que les Espagnolz avoint pris deux barques chargées /66v/ de vivres, qui vouloint se jetter dans le port de Barcelonne, dont l'une estoit chargée de 1500 quartiers de bled, et l'autre de saline; que le mareschal de la Motte avoit fort perdu des troupes, mais que la province luy faisoit des recreues, et levoit de l'argent pour les faire subcister; que quelques vaisseaux anglois s'estoint jointz aux Espagnolz, et postés à la veue du port de Barcelonne, pour empescher qu'il n'y entrat aucune provision; que ce mareschal ayant envoyé quelque party dans la plaine de Terragone [Tarragona], pour y brusler des molins dont les Espagnolz se servent pour leur armée, ce dessaing ne luy avoit pas reussy, ce party en ayant esté repoussé avec perte; que le siege de Barcelonne estoit tousjours au mesme estat, que les habitans y estoint aussy resolus qu'auparavant de se deffendre jusques à l'extremitté, et qu'il y faisoint des frequentes sorties sur les enemis, avec divers succes.

Les lettres de Bourdeaux du 15 portent que le comte d'Harcourt s'estant rasseuré d'Agen, estoit venu à Marmande, et parloit de faire brusler Nerac, à cause des terres que le gouverneur de Bellegarde a fait brusler à Mme d'Elbeuf la douairiere; que les habitans de Bourdeaux se montroint tousjours fort resolus pour M. le Prince, et que les courses du comte d'Harcourt ne les estonnoit point; qu'il s'y estoit fait des grandes assemblées dans la place de l'Ormiere, où l'on avoit une liste des suspectz et mal affectionnés au party, laquelle avoit esté donné au Parlement, pour desliberer au moyen de les faire sortir; et comme cette assemblée pressoit extraordinairement la Compagnie là dessus, luy ayant declaré jusques là que si, dans 2 jours, elle ne donnoit arrest à cette fin, qu'elle se mettroit en devoir d'en faire eux mesmes l'execution, ce qui donna lieu à une assemblée du Parlement qui ce [se] tient le 13, laquelle dura despuis 77 heures du matin jusques à 5 heures du soir. Il y eut arrest que cette liste seroit suprimée, et qu'on feroit sortir sans bruit ceux qui estoint nommés.
M. l'abbé de la Riviere est arrivé en sa maison de Petit Bourg, ayant obtenu cette permission de S.A.R. à la priere de M. le Prince, qui travaille à l'obtenir pour le faire venir à Paris; mais S.A.R. ny Madame n'y veulent pas entendre.

M. le Prince a fait 2 mille hommes de recreues dans Paris, lesquelles il a envoyé pour la plupart à St Maur. Il en fit encor partir aujourd'huy 200 chevaux. Il doit partir ce soir pour retourner à son armée, qui est tout pres de Montargis, fort incommodée faute de vivres, aussy bien que celle de la Cour, qu'on dit estre avancée au poste de Chasteaurenard. Le comte de Grandpré et le vicomte de Monbas sont venus ce [se] poster à Melun avec 1000 chevaux, tant pour tascher d'attraper M. le Prince lors qu'il s'en retourne, que pour favoriser le passage de la Cour, laquelle devoit hier coucher à Melun, et aujourd'huy à Corbel [Corbeil], où elle envoya avant hier deux compagnies des gardes et deux de Suisses, pour y entrer; mais les habitans les repousserent fort bien, et se montrerent fort resolus de ne vouloir recevoir aucunes troupes, ny de l'ung ny de l'autre party. Le Prevost des Marchandz feut mandé avant hier par lettre de cachet, mais ce n'estoit qu'à desseing de retarder l'assemblée de l'Hostel de Ville, et qu'on n'auroit pas laissé /67/ de la continuer. Il n'est pas encor party.

Il y a quelques negotiations qui se proposent de la part de la Cour à S.A.R., et l'on asseure que Mme de Chevreuse et Mme d'Aigullion s'y employent fort, mais elles n'y avancent encor rien.

Hier, au matin, S.A.R. entra dans la Chambre des comptes, avec M. le Prince et M. de Beaufort; où, apres avoir pris sa sceance entre le premier et le second president, M. le Prince immediatement apres elle, elle exposa le suject pour lequel elle y estoit venue, et ilz firent la mesme declaration qu'ilz avoint fait au Parlement et à l'Hostel de Ville: de vouloir poser les armes aussytost apres l'exclusion du cardinal Mazarin. Ensuitte l'on opina; et pendant la desliberation il ne ce [se] passa autre chose de considerable, sinon que M. Perrochel, maistre des comptes, dit qu'il n'estoit pas moings important de s'asseurer de l'effect des promesses que faisoint MM. les princes, que d'esloigner le cardinal Mazarin; et qu'à cette fin il estoit d'advis d'establir un fondz pour lever des gens de guerre, afin de s'en servir pour les obliger de force de poser les armes, en cas qu'ilz ne vouleussent pas les poser de bon gré; mais cette opinion ne feut suivie que de 5 ou 6 voix, et il feut arresté, de l'advis de tous les autres, que la Compagnie envoyeroit au Roy 6 deputtés de chasque semestre, avec le premier president Nicolai, pour demander l'exclusion du cardinal Mazarin sans esperance de retour.

L'apres disnée S.A.R. s'en alla jouer au mail avec M. le Prince et M. de Beaufort, et passa devant l'Hostel de Ville, en allant dans le temps que l'assemblée estoit sur le point de commancer, et repasser à la fin de l'assemblée, laquelle acheva sa desliberation, ayant arresté qu'on envoyeroit au Roy des deputtés de tous les corps qui assistoint à cette assemblée, pour demander le retour de Leurs M. dans Paris, l'exclusion du cardinal Mazarin sans esperance de retour, et la paix. L'on commencea mesmes à nommer des deputtés, et l'on s'y assemblera encor cette apres disnée, pour achever de les nommer; et parce que la lettre de cachet que mandoit le Prevost des Marchandz et le mareschal de l'Hospital pour aller trouver le Roy à Melun, n'a peu empescher l'effect de cette assemblée, ilz ne parlent plus d'y aller. L'on remarqua que 5 ou 6 affectionnés pour le cardinal Mazarin, s'efforceront de faire adjouster à l'arresté que cette resolution ne pourroit obliger la ville de Paris à se declarer pour MM. les princes, ny à lever des gens de guerre, ny à contribuer aucune chose; mais cela ne passa point.

Le matin, S.A.R. est entrée avec M. le Prince à la Cour des aydes, où ayant fait leur declaration de vouloir poser les armes aussytost apres l'exclusion du cardinal Mazarin, MM. les Gens du roy, apres avoir parlé sur ce suject, ont conclut d'envoyer des deputtés au Roy pour la luy demander, sans esperance de retour. M. de Bragelonne ayant opiné, comme doyen, le premier, a adjousté aux conclusions qu'on escrivit une lettre circulaire à touttes les cours souveraines du rouyaume, pour les convier de faire la mesme deputation et les mesmes instances au Roy. M. Rouvillie a fait une apologie du cardinal Mazarin, ayant dit qu'il estoit bien estrange qu'on s'en prit à une personne qui avoit si bien gouverné, avec tant de douceur et de moderation, et qu'il estoit innocent de tout ce qu'on luy imputtoit. On l'a laissé parler /67v/ sans l'interrompre, et apres que chacung des autres a dit son advis, S.A.R. a dit qu'auparavant que dire le sien, il estoit à propos de detromper ceux qui ne croyent pas le cardinal Mazarin coupable; et apres avoir fait recit d'une partie des choses qui l'accusent le plus, entre autres de la rupture de la paix à Munster, de l'emprisonnement de MM. les princes, de la guerre de Bourdeaux, des pyrateries, etc., a prié la Compagnie de juger si tout cela n'estoit pas capable de la rendre criminel, et si ceux qui le veulent faire passer pour innocent, ne doivent pas estre ou bien Mazarins ou bien malicieux; apres quoy, elle conclut à l'advis de M. de Bragelonne, et tous les espritz ont aplaudy à ce qu'elle venoit de dire. Ensuitte, le Premier President estant venu à opiner, a voulu blasmer la conduitte presente de M. le Prince, ayant dit qu'il estoit bien estrange qu'on le vit paroistre dans Paris, dans touttes les compagnies souveraines, avec un visage riant, venant de tramper ses mains dans le sang des troupes du Roy, mais qu'on avoit encor à s'estonner d'avantage de luy veoir faire battre le tambour dans Paris, et y faire des levées avec l'argent des Espagnolz. Sur quoy M. le Prince, le feu sur le visage, l'a interrompu, et luy a dit que cela estoit faux, et qu'il demandoit s'il avoit ordre de la Compagnie de luy parler de la sorte. En mesme temps, S.A.R. voyant que M. le Prince s'eschaufoit, a porté les choses à la douceur, et la Compagnie a hué et desadvoué le Premier President, qui n'a pas laissé d'estre du bon advis, qui est celuy de M. de Bragelonne, suivant lequel il a esté arresté qu'on envoyeroit des deputtés au Roy, pour luy faire tres humbles suplications d'esloigner le cardinal Mazarin, sans esperance de retour; et qu'on escriroit à touttes les autres cours des aydes du rouyaume, pour les convier d'en faire autant.

M. de Nemours arriva icy avant hier, dans un bateau. Sa blessure commence à guerir.

/68/ De Paris le 26 avril 1652

Le 23, au matin, S.A.R. ayant eu advis que le comte de Grandpré et le vicomte de Montbas s'estoint avancés à Melun et à Corbeil avec 4 ou 500 chevaux, que la Cour s'avanceoit aussy de ce costé là, entra au Parlement, et y declara que le cardinal Mazarin ayant commencé à bloquer Paris par des troupes qu'il avoit mises dans 2 postes, il falloit songer à s'opposer à ses desseings, et qu'ainsy elle estoit obligée de retirer sa parolle qu'elle avoit donné, de ne laisser aprocher ses troupes plus pres de Paris que de 10 lieues, estant necessaire de les faire venir pour chasser celles du cardinal Mazarin.

La Cour estant arrivée le 22 à Melun, le cardinal Mazarin fit mettre en desliberation, dans ls Conseil, si [s'il] s'en iroit, ou s'il demeureroit, afin de se faire prier de demeurer, comme l'on fit. Cepandant, deux compagnies des gardes, l'une françoise et l'autre suisse, se presenterent à Corbeil pour y entrer; mais les habitans ne le vouleurent permettre que d'entrer dans les faubourgs, où s'estant postés, les habitans refuserent aussy l'entrée à des troupes que S.A.R. y envoyoit, conduittes par les sieurs Quentin et de Cimetiere.

Le 23 la Cour arriva à Corbeil, où elle est encor, et parle de venir à Paris avec le cardinal Mazarin; cepandant le roy d'Angleterre et le duc d'Iorch allerent, le mesme jour, pour veoir le Roy à Corbeil.

Le 24 M. de Congis, gouverneur des Tuilleries, receut une lettre de cachet portant ordre de faire oster tous les meubles qui sont dans l'apartement de Mademoiselle. Aussytost, il feut trouver Mme la comtesse de Fiesque, gouvernante de Mademoiselle, et luy fit veoir cette lettre de cachet; sur quoy elle vient avec luy au palais d'Orleans pour parler à S.A.R., qui dit à M. de Congis que c'est à elle à qui cest ordre devoit estre adressé, et que lors que le Roy luy en escriroit de sa main, elle verroit ce qu'elle auroit à faire; cependant, elle deffendit à cette comtesse d'obeir à cest ordre.

Le duc de Lorraine est à Vervins, et ses troupes aux environs, soubz la conduitte du comte de Ligniville. La Cour ayant resolu d'assieger Broage [Brouage], en avoit envoyé la commission au mareschal de la Mesleraye, lequel s'estoit mis en devoir d'esquiper une flotte de vaisseaux pour cette entreprise; mais M. de Vendosme a empesché l'armement de cette flotte, parce qu'il la vouloit commander comme admiral, et la Cour ne l'a pas aprouvé, de crainte qu'il eut retenu cette place pour luy, apres qu'il l'auroit prise. On asseure que M. de Mercoeur est allé en Provence, avec les prouvisions du gouvernement de cette province là. M. de Servien est à la Cour despuis 3 jours.

La nuict du 24 au 25, l'abbé Fouquet estant party d'icy pour aller à la Cour, feut pris aupres de Juvisy par des gens de M. le Prince, qui le trouverent chargé d'une lettre non signée, adressée au cardinal Mazarin; et apres s'estre saisis de 220 pistolles qu'il avoit, et d'un cheval qui n'en valoit pas moings, le menerent icy prisonnier dans l'hostel de Condé, où cette lettre feut leue sans qu'il voulut dire qui l'avoit escritte. Elle contenoit que les princes /68v/ estoint en jalousie l'ung contre l'autre; que le Roy pouvoit venir au plus tost à Paris, pourveu que S. E. entrat incognu dans le Louvre avec 200 chevaux, à l'heure indue et un jour ouvrier; qu'il n'y avoit point de peril, et la presence de Sa M. calmeroit tout.

Hier le roy d'Angleterre, estant de retour de la Cour, feut veoir S.A.R.; et luy dit qu'estant entré en discours avec la Reyne sur l'estat des affaires, il luy avoit proposé de considerer les malheurs que cette guerre pourroit aporter, et de tascher de porter les choses à un bon accommodement, luy representant mesmes l'exemple de son pere; que la Reyne luy avoit respondu qu'elle ne s'esloigneroit jamais de l'accommodement, et qu'elle le souhaittoit fort; que si S.A.R. luy vouloit envoyer des personnes de creance, avec un plein pouvoir, elle en deputeroit en mesme temps de sa part; dont le roy d'Angleterre se voulut charger de faire la proposition à S.A.R., laquelle luy respondit qu'elle souhaittoit la paix plus que le Reyne, mais qu'elle ne pouvoit faire aucung pas dans cette affaire sans le communiquer au Parlement, à la Ville de Paris, et à M. le Prince, qui estoint unis avec elle; et qu'aussytost qu'elle auroit peu prendre leurs advis là dessus, elle luy rendroit response.

L'armée de la Cour s'estant aproché par le mesme chemin que le Roy a tenu, celle de MM. les princes decampa de Montargis, et s'en vient à Estampes, d'où elle s'est aproché à Estrechy [Etrechy], et la premiere vers Chastres [Châtres] et Linas, 6 à 7 lieues d'icy, en sorte qu'elles ne sont qu'à 3 lieues l'une de l'autre. Cette aproche a obligé tous les lieux voisins d'apporter icy tous les meubles et denrées; et parce qu'hier les commis des entrées, assistés des archers de la Ville, vouleurent exiger aux portes les droitz d'entrée, il y eut grande rumeur à la porte St Anthoine, où le peuple s'estant mis dans les interestz des paysans, maltraitta des archers, dont il y eut un de tués, et 2 fort blessés, et leur chef auroit esté deschiré sans le secours d'ung bourgeois, qui le fit sauver, desguisé, par une porte de derriere de son logis. Le Prevost des Marchandz envoya à la Bastille, pour faire tirer sur le peuple, mais on respondit que le Gouverneur n'y estoit pas, et qu'on ne pouvoit tirer sans son ordre.

On resolut hier, à l'Hostel de Ville, d'envoyer ce matin, comme l'on a fait, un expres à la Cour pour sçavoir quand il plairra au Roy d'entendre les deputtés de la Ville, lesquelz en attendent la response avant que partir.

Ce matin, le Parlement s'estant assemblé, et S.A.R. s'y estant trouvée avec M. le Prince, le Prevost des Marchandz s'est plaint tant des desordres que commettent les gens de guerre aux environs de Paris, que de la rumeur qui se fit hier à la porte St Anthoine, et adjousta que tous les pons estoint rompus, et que le Roy ne pouvoit venir à Paris; à quoy S.A.R. luy repartit que quand le Roy y voudroit venir, il les feroit restablir, mais qu'il les avoit fait rompre pour empescher que le cardinal Mazarin ne vient point, pour executter les desseings qu'il avoit de faire loger la Cour dans l'Arcenac et dans la Bastille, et d'obliger le peuple, à coups de canons, de bombes, et de grenade, /69/ de chasser le Parlement. Ensuitte, S.A.R. a dit que l'abbé Fouquet ayant esté pris, et trouvé chargé d'une lettre adressée au cardinal Mazarin, il estoit à propos que la Compagnie en eut la lecture, laquelle luy a esté faitte. Apres cela, S.A.R. a parlé de la proposition d'accommodement que luy fit le roy d'Angleterre, et a dit qu'elle n'y avoit voulu faire aucune response sans la communiquer à la Compagnie; qui d'abord a dit qu'il falloit bien y entendre, mais qu'avant touttes choses, il falloit que le cardinal Mazarin feut chassé entierement; neamoings, on n'a commencé aucune desliberation, et on a remis à demain.

Cette apresdisnée on a mis en desliberation, à l'Hostel de Ville, si l'on feroit garde ou non, et resolu de ne la point faire encor; cepandant S.A.R. a fait tendre les chaisnes, pendant ces 2 nuitz dernieres, dans le faubourg St Germain, et cest ordre continue ce soir, sans celuy de l'Hostel de Ville.

La Cour est attendu ce soir à Chilly, à 4 lieues d'icy.

/70/ De Paris du 30 avril 1652

Le 26 du courant M. le Prince, estant sur le point de sortir de l'assemblée du Parlement, eut des grosses parolles avec le president de Novion, auquel il reprocha qu'autrefois on l'avoit veu grand Frondeur, mais que despuis qu'on l'avoit interessé, il avoit abandonné ses amis. Ce president luy ayant respondu qu'il estoit homme d'honneur, M. le Prince luy repartit que ce n'estoit pas estre homme d'honneur que d'abandonner ses amis pour un interest particulier. Alors ce president luy dit, "Monseigneur, vous me traittes tropt mal, et je leveray ma voix pour me plaindre à la Compagnie"; à quoy M. le Prince repartit, "Et moy, quand je leverois ma voix sur vous, il y a asses de difference entre vous et moy pour qui il n'en feut autre chose."

Le mesme jour la Cour arriva à Chilly, d'où elle feut le lendemain coucher à St Germain en Laye, et manda au mareschal de l'Hospital qu'elle y alloit, en attendant que le Louvre feut preparé.

Sur la proposition d'accommodement faitte par le roy et la reyne d'Angleterre, S.A.R. et M. le Prince ayant creut qu'il y auroit à la Cour quelque disposition à l'esloignement du cardinal Mazarin, resoleurent le 26 d'envoyer des deputtés en Cour, pour convenir de la maniere dont on pourroit traitter, et choisirent à cette fin MM. de Rohan, Chavigny, et Goulas, qui partirent le 27 pour aller trouver la Cour à St Germain, avec ordre de tirer parolle de Leurs M. que le Cardinal seroit chassé sans esperance de retour. Cette resolution feut cause que le Parlement ne s'assembla pas ce jour là, ayant arresté qu'on attendroit le retour de ses [ces] deputtés.

Le 28 les eschevins de Paris estant venus au palais d'Orleans, dirent à S.A.R. qu'ilz avoint receu une lettre de cachet, par laquelle le Roy leur mandoit qu'il estoit tousjours dans la resolution de venir dans Paris; mais que tous les pons estant rompus, il leur enjoignoit de les faire restablir promptement, et de se faire assister par les bons bourgeois de Paris; apres quoy, ayant prié S.A.R. de trouver bon qu'ilz y fissent travailler, elle leur respondit qu'ilz estoint des Mazarins, et que les pons n'estoint rompus que pour empescher le retour du cardinal Mazarin, et que d'allieurs elle avoit envoyé des deputtés au Roy pour veoir s'il y auroit lieu d'accommodement, le retour desquelz il falloit attendre, avant de faire autre chose dans cette affaire.

MM. de Rohan, de Chavigny, et Goulas estant arrivés à St Germain le 27 au soir, y eurent audiance le 18, 2 heures apres midy; et ayant salué le Roy et la Reyne, le Roy leur commanda d'entrer dans la chambre de la Reyne, où estoit le cardinal Mazarin. Ilz firent effort d'empescher de veoir ce cardinal; mais leur ayant commandé absoluement, ilz feurent contraintz de le saluer, et demeurerent plus de 3 heures enfermés avec luy, sans pouvoir rien avancer; et le Roy leur declara qu'il ne vouloit point que le cardinal Mazarin se retirat de la Cour, ce qui les obligea à s'en revenir dès hier. La reyne d'Angleterre y est allée pour exhorter de nouveau la Reyne à l'accommodement.

Hier au soir, le bruit s'estant respandu que le Prevost des Marchandz avoit resolut de faire aller /70v/ à St Germain deux batteaux chargés de bled, qui sont au port de l'Escolle, avec quelques autres bateaux pour en faire un pont, il y eut des grandz bruitz là dessus, et S.A.R. donna aussytost ses ordres pour l'empescher

On escrit de Bourdeaux, du 22 du courant, que le 20 on en avoit chassé 35 personnes suspectes, avec leur famille; que le 21 le comte d'Harcourt s'estant venu presenter, avec 2 mille chevaux, à la porte [lire: portée?] du canon de la ville, les murailles feurent aussytost bordées de plus de 6 mille fantassins, 200 desquelz s'estant detachés, firent une sortie pour escarmoucher le long des haies et des avenues; qu'on salua cette cavalerie de 5 ou 6 volées de canon, dont les 2 premieres donnerent au milieu de deux escadrons, et tuerent plusieurs cavaliers, et les autres feurent contraintz de se retirer apres avoir demeuré là 4 heures; que M. Baltazard eut une conference avec MM. de Sauvebeuf, Villette, d'Abec, Gassion, et autres, pour renouveller leur amitié antienne; que cependant, un trompette du comte d'Harcourt estant venu dans Bourdeaux avec une lettre de son maistre aux juratz, feut fort maltraitté par les bourgeois, qui s'estant mis en devoir de le tuer, se contenterent de le renvoyer, avec sa lettre, sans le laisser parler aux juratz, lesquelz receurent en mesme temps une autre lettre du Roy, qui feut ouvert le 22 dans l'assemblée du Parlement, mais on n'en escrit pas la teneur, parce que l'ordinaire partit dans ce temps là; et que l'infanterie et le canon de ce comte estoint demeurés vers Nerac, dont le chasteau est en bonne deffence.

Le 26 l'evesque de Bellay mourut en cette ville, fort regretté.

Ce matin, S.A.R. estant entrée à l'assemblée du Parlement avec M. le Prince, y a fait recit de ce qui s'estoit passé à St Germain dans la conference que MM. de Rohan, etc., y ont eu avec Leurs M., et ensuitte a renouvellé ses protestations avec M. le Prince, de poser les armes aussytost que le cardinal Mazarin seroit chassé, mais aussy de ne faire point de paix sans cela; sur quoy il n'a esté pris autre resolution, sinon que le dernier arrest seroit executté, et que pour cest effect le Procureur General partiroit aujourd'huy, pour aller demander l'audiance pour les deputtés du Parlement.

Quelques troupes mazarines ayant voulu attaquer le chasteau de Limours, pour le piller, la garnison qui y est a fait une descharge, qui en a tué 5 ou 6, et fait retirer les autres. Les mesmes troupes continuent leur pilleries aux environs de Paris, et viennent jusques aux portes, ce qui a obligé, ce matin, un nombre de bourgeois d'aller s'en plaindre à S.A.R., et de luy demander instenment ses ordres, pour prendre les armes et faire gardes aux portes; à quoy S.A.R. ayant respondu qu'elle en feroit faire la proposition à l'Hostel de Ville, ilz luy ont reparty que cela ne seroit jamais fait, et qu'enfin, si elle ne donnoit point ses ordres, ilz prendroint les armes d'eux mesmes, sans attendre aucung ordre; sur quoy elle a mandé le Prevost des Marchandz, les quarteniers et dizeniers, lesquelz estant venus ce soir au palais d'Orleans, et S.A.R. leur ayant remonstré l'importance qu'il y avoit de faire la garde, le Prevost des Marchandz a dit qu'il y falloit desliberer à l'Hostel de Ville; /71/ et estant sorty de ce palais, il a esté attaqué au bas de la rue de Tournon par la populace, qui luy a crié "Au Mazarin!," luy reprochant qu'il avoit fait enlever, la nuit passée, 2 batteaux chargés de bled, pour les envoyer à St Germain; et enfin, ayant arresté son carrosse, le luy ont rompu en cent pieces, pris ses chevaux, que neamoings ont esté recouvertz et mis en seurté dans l'hostel de Condé; et quand à sa personne, elle s'est refugiée dans la maison d'un bourgeois, apres avoir esté fort maltraitté, et y a esté assiegé 3 heures durant; mais il a trouvé moyen de se sauver par une porte de derriere, à la faveur des gardes et Suisses de S.A.R., qui y ont esté envoyés aussytost qu'elle le sceut, et ont gardé cette maison jusques à ce que tout le monde s'est retiré. M. de Beaufort y a passé et repassé plus de 20 fois, sans pouvoir apaiser cette rumeur.

Les avis de Flandres portent que le fort de Mardic ayant esté abandonné par nos gens, qui y avoint fait des fourneaux pour le faire sauter, les ennemis, qui en feurent avertis de bon heure, y arriverent asses tost pour empescher l'effect, ayant eu le loisir de retirer la mesche avant qu'elle peut mettre le feu à la poudre; et s'en estant emparés, travaillent à le fortiffier, et mettent despuis leurs vaisseaux en seurté dans le canal de cette place; qu'ilz ont envoyé à Bourbourg le capitaine qui commandoit le quartier par où M. de Villiers a fait entrer le secours dans Gravelines; que l'Archiduc va et vient de Bourbourg au camp; que le 28 on devoit commancer à battre la ville avec 40 pieces de canon, et qu'ilz esperent d'avoir la place dans le 21 de mai.

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Fronde 1653