Source: Archives de l'évêché de Rodez, "Registre de Correspondance officielle" de Mgr Bourret" POUVOIR CIVIL. Minute no. 64. Cette minute n'est pas datée, mais elle est siguté entre une minuté datée le 19 août 1872 et une autre du 22 août 1872. Dans la marge de la minute: "Cette lettre n'a pas été lue au Conseil général"
Vers le mi-août 1872 - tout juste neuf mois après sa consécration comme évêque de Rodez -- Monseigneur Ernest Bourret a dicté une lettre où il n'a pas mâché ses mots. Il a surtout pris à partie les conseils municipaux de l'Aveyron qui, pensait-il, pouvaient montrer d'avantage de générosité envers les établissements religieux.
La franchise du prélat n'a manifestement pas plu aux conseillers, car la lettre "n'a pas été lue au Conseil général"!
Nous avons souligné en caractères gras une phrase qui est particulièrement révélatrice sur les difficultés que l'abbé Cayron allait rencontrer une décennie plus tard.
Monsieur le président
Bien que ce que je vais avoir l'honneur de
vous exposer soit plutôt du ressort administratif du département que du
vôtre, je veux cependant me donner l'honneur et la liberté de vous
signaler une tendance des conseils municipaux dans le départeent que
vous apprécierez dans votre sagesse et dont certainement que vous [illisible]
l'extension. Cette situation porte sur trois points principaux sur
lesquels vous me permettrez d'attirer votre attention bienveillante.
1o J'ai observé souvent dans mes tournées pastorales, et la correspondance administrative m'a souvent confirmé dans cette observation, que les conseils municipaux manquent d'un certain bon vouloir envers les églises et les édifices du culte. Non seulement ils se refusent de voter les subsides nécessaires pour la reconstruction ou la réparation des édifices religieux, ce qui dans les tristes temps où nous sommes peut se comprendre; mais souvent ils s'opposent sans raison à ce que ces reconstructions ou réparations aient lieu, alors même que les fabriques s'offrent à faire régulièrement les travaux au moyen de dons et de souscriptions volontaires. J'ai là-dessus des exemples qui vous étonneraient. Il y a telle paroisse dans le diocèse qui ne peut pas refaire ou restaurer son église avec ses propres ressources parce qu'il plaît au conseil municipal de refuser son autorisation, alors même que les plans et devis ont été approuvés par des architectes compétents, acceptés et subventionnés par l'État. Cela tient ordinairement à de petites rancunes locales, et à la rivalité des sections qui dans ce département sont beaucoup trop nombreuses dans la même commune. Il est rare que la paroisse sectionnaire où ne se trouve pas la résidence du maire ou de quelque notable de la commune, n'a pas à soutenir des résistances considérables, je dirai même quelquefois ridicules de la part des conseils municipaux. Il est clair pourtant que lorsque les fabriques ou particuliers s'offrent à refaire ou à réparer convenablement les églises, c'est un gain pour la commune, qui bénéficie de cette plus value et se décharge d'autant dans ce qu'elle pourrait être obligée de faire elle-même.
2o Je dirai la même chose pour les écoles et les presbytères. M. le Préfet, vous exposerez sans doute que la très-grosse part des dépenses qui sont faites pour loger le curé et l'instituteur sont supportées par l'État et je suis loin de m'en plaindre, puisque nous sommes ainsi déchargés d'autant par les libéralités du gouvernement; mais il arrive souvent que ces édifices sont manqués ou tronqués par suite d'un défaut complet de concours de la part des conseils municipaux. Il y a telle maison d'école et tel presbytère qui eussent été agréable à habiter et complet dans ses dépendances, si l'administration communale avait voulu concourir, même pour une part minime dans la reconstruction ou la réparation de ces édifices, et qui restera pour toujours incommode et même sans utilité, par suite de ces lesineries communales.
3o Un troisième point que je veux vous signaler, Messieurs, c'est le refus à peu près général sans ce département des conseils municipaux à voter le supplément de 250 francs offrent [lire: offert] au traitements des vicaires. Toutes les paroisses un peu considérables demandent des vicaires; toutes, et en cela elles ont raison, veulent avoir [des prêtres] capables, prêchant bien, chantant bien, ayant toutes les qualités, sans leur en manquer quelqu'une. M. le maire, le conseil municipal et les notables du lieu n'omettent pas de pétitionner et de re-pétitionner pour obtenir le changement de leur prêtres; mais s'il faut voter la moindre chose pour eux, aussitôt la commune est trop pauvre et elle n'a plus de ressources.
Il y a là, Messieurs, dans ces tendances quelque chose qui n'est ni généreux ni régulier. Je fais la part des choses; je dirai avec vous que les communes ne sont pas riches et qu'elles ont des charges, bien que cela soit moins vrai pour ce département que pour beaucoup d'autres; mais j'ajouterai, Messieurs, et vous ajouterez avec moi, que les intérêts moraux des populations méritent bien que l'on fasse pour eux quelques sacrifices.
Savez-vous, Messieurs, ce que le clergé et les maisons religieuses donnent directement aux populations, sans compter leur zèle et leurs aumônes personelles? J'ai fait faire des comptes, approximatifs il est vrai, mais je vais vous étonner par les chiffres que je vais mettre sous vos yeux.
Le diocèse de Rodez compte dans son sein dix grands établissements ecclésiastiques et trois ou quatre grands pensionnats de frères. L'ensemble de ces établissements donne l'instruction, l'éducation supérieure à plusieurs milliers d'enfants de ce pays, et tant en bourses qu'en réduction de pensions, dons et habillements faits à ces enfants, ils versent plus de deux cent mille francs dans l'épargne des familles. En ce qui concerne l'éducation des filles, c'est encore plus fort, et c'est par quatre ou cinq cent mille francs qu'il faudrait chiffrer la générosité que les nombreuses maisons de religieuses font à ces mêmes familles. Nulle part l'éducation religieuse et ecclésiastique n'est aussi nombreuses, ni à si bon marché.
Il me semble donc, Monsieur le Président, que les conseils municipaux du département de l'Aveyron devraient se montrer plus généreux pour les écoles, les églises, les presbytères et le traitement des vicaires. Ce défaut de concours de leur part amène une situation qui réduit les édifices de ce diocèse, qui est un des premiers par sa valeur morale, à un état d'infériorité que l'on ne trouve pas dans les diocèses les moins religieux de la France. Les ressources des fabriques étant absorbées complètement par les dépenses de première nécessité et les fabriques [fabrique est rayé et remplacé par un mot illisible] n'étant en rien soulagés par les conseils municipaux, il s'en suit que les églises, les presbytères, les écoles et les autres édifices servant à l'instruction et au culte sont souvent dans un état de délabrement et de malpropreté qui fait peine à voir.
Je ne doute pas, Monsieur le Président et Messieurs, que vous ne vous préoccupiez tous de la situation que je viens de vous signaler, et que par votre haute influence vous n'ameniez les conseils municipaux à se montrer un peu plus généreux pour le service des intérêts religieux et moraux des populations qu'ils représentent.
Veuillez ... [etc]
Post Scriptum
La combativité de Mgr Bourret se
voit aussi dans une lettre du 4 juin 1877, adressé au ministre des
cultes. Bourret demande la présence d’un inspecteur "dans un pays où les
ouvriers ne peuvent rien faire par eux-mêmes." Et il proteste à
plusieurs reprises du manque de crédits: "À l’heure présente, pourtant,
c’est nous, pauvres gens des montagnes qui faisons les majorités
politiques dont le gouvernement a besoin et, qui plus est, c’est nous
qui les organisons ... C’est dans mon cabinet que les candidatures de
l’Aveyron peuvent un peu plus facilement qu’ailleurs s’organiser." Le 20
octobre 1877 il critiquait le système de gestion du service: le fonds
d’entretien se montait à quatre ou cinq mille fr., somme minime qui
impliquait un architecte résidant à Paris aux appointements fixes de
1200 à 1500 fr., un inspecteur rémunéré 1000 fr., des honoraires de 2%,
des frais de voyage Paris-Rodez-Paris. En somme, l’emploi des 5000 fr.
entraînait des frais correspondant aux 2/3 ou aux 3/4 du montant alloué.
(Répertoire des architectes diocésains du XIXe siècle, direction
Jean-Michel Leniaud,
http://elec.enc.sorbonne.fr/architectes/6)
Cette critique du système jette du jour sur le choix de Henry Pons comme architecte et directeur des travaux à Panat: Pons était plus ou moins sur place et pouvait servir d’inspecteur "dans un pays où les ouvriers ne peuvent rien faire par eux-mêmes."
First published as http://ranumspanat.com/bourret_letter.htm