Panat in postcardThe Ranums'

Panat Times

Volume 1, redone Dec. 2014

Contents

Volume 1

Panat

Orest's Pages

Patricia's Musings

Marc-Antoine

Charpentier

Musical Rhetoric

Transcribed Sources


 

 

Présentation du Journal de Charles Le Maistre 1

L'Homme

[par Patricia M. Ranum]

"Il y avoit mesme de trois sortes de jansénistes, les uns pour vivre, les aultres de passion sans connoissance mais par un zèle bourgeois, d'aultres qui soustenoient le parti avec force, esprit et vigueur sans aucune affectation ni de charges, ni de biens, ni de bénéfices." Philippe Gourreau de La Proustière, ancien étudiant au Collège de Navarre et chanoine de l'abbaye de Saint-Victor de Paris (2).

"Nostre nation a changé de goust pour les lectures et, au lieu des romans qui sont tombés avec la Calprenède, les voyages sont venus en crédit et tiennent le haut bout dans la cour et dans la ville." Jean Chapelain, 15 décembre 1663 (3).

Vers 1619 à 1655 : la jeunesse et les études

Charles Le Maistre naquit vers 1619 (4), vraisemblablement à Paris, où ses aïeux maternels s'étaient établis depuis plusieurs générations dans le monde marchand et artisanal (5). Il était le fils de Charles Le Maistre, maître chirurgien, et de Magdeleine De La {8} Place (6). (Notre Le Maistre n'était pas le parent des "grands" Le Maistre dont l'histoire est inséparable de celle de Port-Royal.) Tout se passe comme si, ayant perdu ses parents au cours des années 1630, Charles avait été élévé par son oncle maternel, Louis Du Tassé, marchand de vin et bourgeois de Paris de la rue Mouffetard. En 1649, Charles demeurait lui aussi rue Mouffetard, peut-être dans la maison qui portait pour enseigne "la Fontaine de Jouvence" et où son oncle Du Tassé tenait son commerce de vin.

Les sources restent muettes sur les premières études de Charles Le Maistre, mais on peut supposer que Du Tassé, un septuagénaire sans progéniture, fit de lui un pensionnaire dans l'un des collèges de la rive gauche. Le neveu reconnaîtra lui être "obligé de toutes les pensions qu'il a payées pour luy", pensions auxquelles venait s'ajouter une rente viagère de 200 livres par an, créée en sa faveur par Du Tassé en 1647 (7).

La création de cette rente coïnciderait avec le début des études théologiques de Le Maistre à la Faculté de Paris, et plus particulièrement au collège de Navarre. Autrement dit, en constituant cette rente et en mettant aussi, sans doute, à la disposition de son neveu une chambre dans la maison de la rue Mouffetard, Louis Du Tassé lui permettait de poursuivre ses études théologiques sans se soucier de son pain quotidien. Charles Le Maistre ne décut point le vieux marchand de vin : dès l'été 1649, il put se dire "bachelier en théologie de la faculté de Paris", et le 19 juillet 1652 il prit le bonnet de docteur (8).

Dès le début de ces études, et "en plusieurs fois", Du Tassé aida son neveu à amasser une bibliothèque personnelle qui, en 1649, comprenait une centaine de volumes, la plupart sur des sujets théologiques (la liste est publiée en annexe (9)). Ce document {9} est sans doute révélateur des cours que Le Maistre suivit au collège de Navarre. À titre d'exemple, en 1638 Richelieu avait fondé une chaire de théologie "pour enseigner les controverses" (10) ; et dans la bibliothèque de notre bachelier se trouvait "toutes les controverses du Cardinal Bellarmin divisé en 3 tomes imprimés à Venise". Surtout, l'inventaire de ces livres que Le Maistre dressa en 1649 permet d'affirmer qu'il s'informait à fond sur la théologie de son époque, y compris celle des Jansénistes. C'est à dire que son oncle lui avait offert les œuvres complètes de saint Augustin ainsi que des éditions particulières des Confessions et des écrits du saint touchant la Grâce ; les œuvres de Jansénius ; et des écrits d'Antoine Arnauld, plus précisément ses deux Apologies pour Jansénius et son De la Fréquente Communion.

Or Le Maistre était censé ne pas discuter l'Augustinus de Jansénius. Ayant jugé suspectes les propositions renfermées dans ce livre, la Faculté défendit "aux bacheliers, licenciés et étudiants de les proposer dans leurs thèses et dans leurs disputes, aussi bien qu'aux docteurs et au syndic de les approuver dans leurs réponses, thèses, livres, prédications, ou leçons, sous peine de privation" (11). On ne prêta pas toujours attention à cette défense, car en juillet 1649 — quelques semaines à peine avant la confection de l'inventaire de la bibliothèque de Le Maistre — le grand maître du collège de Navarre exprima son mécontentement envers les bacheliers qui avaient passé leurs examens en mai 1649 (dont, vraisemblablement, Charles Le Maistre lui-même) : ils ne tenaient pas compte des corrections qu'on faisait à leurs thèses, selon l'esprit de la Faculté ; et non seulement y avait-il au collège de Navarre "une certaine démangeaison [...] de glisser des opinions nouvelles dans l'école", mais certains bacheliers osaient faire imprimer leur thèse sans tenir compte des corrections apportées par le syndic (12). Le grand maître visait-il Charles Le Maistre, parmi d'autres ? Le nouveau bachelier était-il déjà, en août 1649, un fervant Janséniste ?

On sait que, avant 1665, Le Maistre forgea une amitié de longue durée avec Matthieu Feydeau, vicaire de l'église de Saint-Merri. Or, à partir de 1645, Feydeau y organisait des conférences "qui devinrent bientôt célèbres, et où plusieurs docteurs {10} distingués, et d'autres personnes d'un grand mérite se trouvèrent avec plaisir" (13). Notre étudiant en théologie se rendait-il regulièrement à Saint-Merri, pour y côtoyer ces "docteurs distingués" et ces "personnes de mérite" ?

On peut aussi se demander si l'oncle Du Tassé était l'ami des Singlin, eux aussi marchands de vin (14). Du Tassé avait-il des sympathies pour le mouvement janséniste dont faisait partie Antoine Singlin, dans l'entourage duquel Charles Le Maistre allait bientôt entrer ? La disparition du testament de Du Tassé, passé devant le notaire parisien Chalons en avril 1652, nous laisse sur notre faim au sujet des dévotions de l'oncle. Il est néanmoins évident que Du Tassé avait bien voulu offrir à son neveu des ouvrages qui suscitaient déjà de grandes controverses.

Charles Le Maistre s'attacha-t-il à Port-Royal principalement par suite de débats entre ses maîtres et ses confrères étudiants au collège de Navarre ? Ou à cause du quartier de Saint-Marcel où il habitait et où demeuraient, entre autres amis de Port-Royal, Singlin, Akakia du Mont (le confesseur de Port-Royal), Antoine Arnauld ? Ou bien ces liens avec Port-Royal se firent-ils aux côtés de trois jeunes parents ? Par sa mère, Charles Le Maistre était apparenté à Jean Burlugai, prêtre et bachelier en théologie (reçu docteur en théologie du collège de Navarre en octobre 1654) ; à Nicolas Burlugai, son frère, solitaire à Port-Royal ; et à leur sœur utérine, Marguerite de Sainte Irène Hucqueville, religieuse à Port-Royal-des-Champs (15).

Par une coïncidence due sûrement au hasard, le nom de Jean Burlugai (mieux connu des historiens du Jansénisme que son parent de la rue Mouffetard) paraît aux côtés de celui de "Le Maître, docteur de Sorbonne", sur une liste de "vertueux ecclésiastiques" {11} cités dans les "journaux de Port-Royal depuis 1669" (16). Né environ cinq ans après Charles Le Maistre, Burlugai fut d'abord curé de Saint-Jean-des-Troux et ensuite de Magny, l'un et l'autre situés aux environs de Port-Royal-des-Champs. Exécuteur testamentaire de son oncle Du Tassé, qui disparut en août 1652, Charles Le Maistre — maintenant "prêtre, docteur en théologie de la Faculté de Paris" et demeurant toujours rue Mouffetard — hérita de la moitié des biens meubles du défunt (évalué à environ 600 livres) et de la moitié des 11.590 livres en pièces d'or et d'argent que Du Tassé avait cachées chez un chanoine de Saint-Jacques-de-l'Hôpital pour les garantir des pillages de la Fronde. La bienveillance de l'oncle permit donc au noveau docteur de disposer d'environ 6.000 livres en argent comptant, plus sa belle bibliotheque et sa rente annuelle de 200 livres. L'avenir était prometteur.

Grâce à quelques aperçus sur lui-même que Le Maistre incorpora à ses relations de voyage, et grâce aussi à quelques renseignements sur la faculté au collège de Navarre, on peut esquisser son portrait à la fin de ses études en théologie. C'est un jeune homme vigoureux et infatiguable. Tout en étant enfant de Paris, il sait monter à cheval — ce qui fait croire que son oncle lui a offert des leçons d'équitation. Il a une fine bouche, aimant mieux s'abstenir que de manger un plat rustique ou une viande mal préparée. Contrairement à la majorité de ses contemporains, il est extrêmement soucieux d'hygiène (17). Son écriture lisible semble être le reflet de cet amour de la propreté. Il veille à ce que son orthographe soit des plus modernes (18). Il connaît bien la grammaire de sa langue maternelle et construit ses phrases avec une certain élégance. Il lit fort bien le latin et le parle avec aisance (19). Tout en "aimant un peu l'étude et la prière" (20), Le Maistre n'est pas un contemplatif : privé de la lecture, ou loin de la conversation, il s'ennuie (21). Amateur de livres, il hante les libraires et fait relier ses acquisitions si besoin en est. Surtout, il "aime" les ouvrages de saint Augustin (22). Cet amour pour {12} les livres ne s'étend toutefois ni aux antiquités ni aux médailles (23). Sans avoir apparemment étudié le dessin ou la musique, il est très sensible à ces deux arts. Pour être plus précis, il apprécie la musique, mais comme la majorité de ses contemporains, il est fier de ne pas aimer la musique italienne (24) ; et il juge favorablement un tableau, un décor d'église, ou une façade à condition que la symétrie, la proportion, et le bon travail manuel y règnent. En effet, il s'intéresse à l'architecture et connaît les "proportions" des différentes églises de la capitale et celles des châteaux de Fontainebleau et de Saint-Germain-en-Laye. Le Maistre est fasciné aussi par l'aspect visuel de la liturgie catholique : les parements d'autel, les chasubles, la couleur d'un habit de religieux, les belles étoffes, les gestes des officiants — bref, tous les détails qui ajoutent à la magnificence d'un office. Mais, ne sachant pas dessiner, il se contente de décrire verbalement un palais, une cathédrale, un paysage, un costume, ou un chasuble dont il veut garder le souvenir (25). Pour faire une description, il se place soigneusement, comme un peintre soucieux de perspective, dans l'endroit d'où il pourra le mieux contempler un panorama (26). Il trouve "honteuse", "détestable", "impure", la nudité dans un tableau ou dans une sculpture (27) ; et il a tendance à "déclamer" contre le luxe des religieux (28). Il est sans doute déjà imprégné d'un scepticisme à propos de l'authenticité de certaines {13} reliques (29). En dépit de son érudition, Charles Le Maistre a un bon sens de l'humour et veut bien participer à une plaisanterie, à une mocquerie ; et avec la même aisance il parle au Pape ou à un ancien bandit.

1656 à 1664 : défenseur de la "vérité"

Charles Le Maistre fut l'un de ces Jansénistes décrits par Gourreau de La Proustière : ils étaient des Jansénistes "pour vivre", ils étaient des Jansénistes "qui soustenoient le parti avec force, esprit et vigueur". Effectivement, il était l'un des "soixante et dix docteurs qui soutinrent M. Arnauld en Sorbonne, et qui aimèrent mieux souffrir l'exclusion de la Faculté et la privation des droits, etc., que de manquer à la défense de l'innocence et de la justice en la personne de leur confrère persécuté" (30).

Renvoyant le lecteur aux travaux de Jacques M. Gres-Gayer pour le détail ainsi que pour l'ensemble de la question, résumons brièvement la position où Le Maistre se trouve en janvier 1656, quand la Faculté de théologie, assemblée, délibère sur la censure de leur confrère Antoine Arnauld. Ce dernier fut convoqué, comme un coupable, pour reconnaître non seulement l'autorité du Pape et des évêques mais aussi l'hérésie de ses paroles. Vote après vote, Le Maistre fait cause commune avec l'accusé. Le 5 janvier, quand vient son tour d'opiner, il adresse son plaidoyer à cet "ange de paix", le chancelier Séguier, qui assistait aux séances et qui devait, selon Le Maistre, "apaiser des divisions par des conférences paisibles" (31). Il n'y eut toutefois point de paix, ce jour-là. Le syndic de la Faculté ayant interrompu Le Maistre, Matthieu Feydeau se leva pour le lui reprocher. Séguier fit taire le syndic, mais peu après il interrompit lui-même notre jeune docteur. Ayant examiné quelques-unes des propositions d'Arnauld, et ayant insisté sur le procédé abusif de la Faculté, Charles Le Maistre affirma son soutien pour Arnauld en disant que lui, Le Maistre, "ne craint point, non plus que S. Augustin, d'être imposteur en défendant la cause d'un innocent" ; et qu'il "serait volontiers du côté du plus grand nombre s'il n'avait point de compte à rendre devant Dieu". Ayant supplié les docteurs de songer à l'incorrection de leur procédé, Le Maistre parvient à sa {14} péroraison : "[Arnauld] est accusé, je le confesse. Il faut qu'il soit jugé, je ne m'y oppose pas, mais je demande que le jugement soit fait avec plus de sûreté, plus d'équité". Et il conclut en exprimant sa conviction que l'accusé ne mérite aucune censure.

Quelques semaines plus tard, le 27 janvier 1656, nous trouvons Le Maistre aux côtés de Burlugai et de Feydeau, qui eux aussi s'opposaient à la censure. "La Faculté étant allée, selon sa coutume, le jour de Saint Chrysostome, dire la messe en son honneur aux Bernardins, je mis un écrit sous le chef de ce saint, par lequel je déclarais que je n'avais nulle part à la condamnation qu'on voulait faire", se rappelle Feydeau dans ses mémoires (32). Nous possédons l'écho d'un autre récit du geste de Feydeau, un récit dressé quelques mois plus tard par Charles Le Maistre, à la demande de Sébastien du Cambout de Coislin, abbé de Pontchâteau. Ces quelques lignes permettent d'entrevoir l'état d'âme de notre auteur, quatre jours avant la condamnation d'Arnauld :

"Plusieurs d'entre eux voulurent dire la sainte messe à l'autel dédié à Dieu sous l'invocation de ce grand saint, entre lesquels furent MM. Marcan, Burlugai et Charles Le Maistre de Navarre, qui demandèrent tous à Dieu dans leur sacrifice, en faisant mémoire de S. Jean Chrysostome son serviteur, qu'il lui plût fortifier ceux qui entreprenaient la défense d'une vérité que M. Arnauld avait tirée de ses écrits. [Feydeau] s'en étant approché et plusieurs autres, il dit en mettant la main sur cette sainte relique qu'il protestait hautement que les Molinistes condamnaient d'hérésie, jusqu'à l'article de la mort, ce qu'il dit non seulement en son nom mais au nom de tous les docteurs disciples de S. Augustin qui étaient présents." (33)

Trois jours plus tard, seize docteurs — dont Charles Le Maistre — signèrent un acte notarié pour annoncer leur décision de ne plus assister à ces séances, car toutes les règles étant violées et les amis d'Arnauld ne pouvant s'exprimer librement, ils tiendraient toute censure pour nulle (34). Le lendemain la condamnation d'Arnauld fut votée. Le Maistre, Burlugai, Feydeau, Louis Gorin de Saint-Amour, et la plupart de leurs confrères jansénistes furent bientôt exclus de la Faculté (35).
Sans en savoir davantage sur l'activité religieuse et polémique de Charles Le Maistre pendant les années 1650 et le début des années 1660, il est possible d'entrevoir non seulement les personnes qu'il fréquentait pendant cette décennie, mais aussi d'esquisser son état d'esprit.

Étudions d'abord son entourage. Le jeune homme qui, vers 1647, s'était mis à étudier les écrits jansénistes est devenu un défenseur d'Arnauld, et cela au détriment de sa propre carrière. Pendant ces dix années, il entra en contact ou en {15} correspondance avec d'autres jansénistes non moins fervents. On peut nommer plusieurs docteurs de la Faculté : Matthieu Feydeau et Philippe Marcan, prêtres à Saint-Merri ; Louis Gorin de Saint-Amour ; et Jean Burlugai, le parent de notre auteur (36). On le voit en contact aussi avec plusieurs amis de Port-Royal : Jean Hamon, le médecin du monastère ; Antoine Singlin, le directeur spirituel de Port-Royal ; Pierre Thomas du Fossé et, sans doute, son collaborateur Sébastien Le Nain de Tillemont, qui logeaient tous deux à Troux, où Burlugai était curé ; et surtout l'abbé de Pontchâteau, qui vers 1651 choisit Singlin et Antoine de Rebours, le confesseur des religieuses de Port-Royal, pour être ses directeurs spirituels. Dès 1656, au plus tard, Le Maistre fréquentait aussi Philippe de Champaigne, et l'année même de la censure d'Arnauld, il put regarder ce grand peintre travailler à un tableau (37).

Quant à l'état d'esprit de Charles Le Maistre aux alentours de 1662, nous pouvons dire qu'il nourrissait une rancune envers les adversaires d'Arnaud par suite de leurs représailles contre les Jansénistes. En février 1656, son ami Jacques Grenet, lui aussi bachelier du collège de Navarre, fut exclu du collège à cause de ses relations avec Port-Royal. Puis, en mars de la même année, son ami Feydeau fut contraint d'abord d'abandonner Saint-Merri et ensuite de vivre clandestinement chez des particuliers. Quant à Le Maistre lui-même, il dut repenser sa façon de vivre, redéfinir ses aspirations. Il y a quelques faibles indices qu'il vivait désormais d'une manière ascétique, comme Pontchâteau (38) ; et on peut supposer qu'il se sentait parfois obligé de se cacher — tout comme son ami Feydeau, qui ayant reçu une lettre de cachet en janvier 1659, se décida de "[s]e renfermer dans [s]a chambre, changer [s]on nom, [...] et même ne [s]e laisser voir à qui que ce soit" (39).

{16} Rester en contact avec Feydeau fut, pour Le Maistre, un apprentissage de la clandestinité où il vivra lui aussi de temps à autre. Le salut de l'âme et la "sincérité" l'emportait toutefois pour lui sur la menace d'être embastillé. Prenons la conduite de Le Maistre face à la dangeureuse maladie de son ami Feydeau, qui se cachait dans le faubourg Saint-Germain en juillet 1661. Le Maistre lui rend visite et apprend que l'homme chez qui Feydeau se cache a permis au curé de Saint-Sulpice d'administrer les sacrements, mais ne l'a point informé que le malade est un docteur janséniste recherché par les autorités royales. Sidéré, Le Maistre quitte la maison et "rencontre dans le chemin M. Chérard [Copin] (40), prêtre, aussi docteur en théologie, demeurant au séminaire de Saint-Sulpice". Il lui avoue tout, disant que "comme les amis de M. Feydeau faisaient profession de sincérité aussi bien que lui, ils eussent mieux aimé qu'on en eût usé autrement". Copin fait ce que ni Le Maistre ni les autres amis du malade n'osent faire : il rompt le secret. Surgit donc le lendemain le vicaire de Saint-Sulpice qui, sans parvenir à contraindre Feydeau à signer le formulaire, lui administre les derniers sacrements. Surgit aussi le lieutenant civil, qui confisque les écrits de Feydeau. Quant à ce dernier, il guérit et se met à refaire les ouvrages confisqués, dont ses Méditations sur la Concorde (41).

Malgré ce geste que certains auraient pris pour une trahison, Feydeau n'en voulut pas à son ami, et ils restèrent en contact. Quelques années plus tard, l'un des ouvrages de Feydeau ayant été critiqué, Le Maistre avait préparé une réponse. (Est-ce une coïncidence qu'il s'agit des Méditations sur la Concorde dont la première version fut confisquée en 1661 par suite du geste de Le Maistre?) Mais Feydeau trouva le texte trop "plein de feu" et conseilla son ami de se taire. Autrement dit, si ses amis n'avaient pas retenu Le Maistre, tourmenté et exaspéré comme il était par les ennemis du Jansénisme, il aurait écrit toute une série de diatribes accusant ses différents adversaires de calomnie, d'injustice, de fausseté.

Un des écrits de Charles Le Maistre — il est effectivement plein de feu — est conservé à la Bibliothèque mazarine (42). C'est une polémique dans le style atticiste (43) et qui prend la forme d'une lettre ouverte aux Jésuites. {17} S'adressant à "mes Révérends Pères", Le Maistre fait allusion à la déclaration que, le 13 décembre 1660, le roi "alla porter luy-mesme [...] au Parlement contre ceux qui ne signent pas le dernier formulaire" -- déclaration obtenue "par vos impostures ordinaires [et] qui enchérit au-dessus de tout ce qui s'est fait depuis 15 ans". Comparant ce formulaire à un "idole", il peste contre l'injonction faite "à toutes sortes de gens, hommes et femmes, docteurs et maistres d'école de village, à toutes personnes instruites de la théologie et de la langue latine et à ceux qui ignorent tout à fait l'un et l'autre, de signer le formulaire qui dit que Jansénius, qui a escrit en une langue qui leur est inconnue, a mal entendu S. Augustin" (44).

 Pensant sûrement aux religieuses de Port-Royal — qui avaient vu leurs postulantes, leurs novices, et leurs pensionnaires chassées en avril 1661 — il établit un parallèle entre les procédés des Jésuites et l'histoire de Suzanne et les vieillards : "ces deux vieillards représentent parfaitement vos Pères Annat et Ferrier", insiste-t-il (45).

L'allusion à Jean Ferrier, Jésuite à Toulouse et connu pour être dans le camp moliniste, permet de dater cette lettre avec une précision relative. En décembre 1662, Ferrier vint à Paris pour conférer avec Arnauld, Singlin, et deux autres disciples de saint Augustin, le roi ayant permis à ces messieurs de quitter brièvement leur cachette et de participer à ces conférences sur les Cinq propositions, sur la Grâce éfficace, et sur le "sens du Jansénisme". Tout en protestant de leur désir de faire la paix avec les Jansénistes, Ferrier et Annat insistaient que ces derniers devaient renoncer d'abord à la "lumière personnelle" qui leur servait de guide pour interpréter les textes sacrés. Les pourparlers continuèrent jusqu'aux derniers jours de février 1663, quand Arnauld se déclara malade et se retira brusquement (46). Vint ensuite une réunion du clergé en octobre 1663, suivie de la publication d'un pamphlet de Ferrier, puis d'un autre, publié vers février 1664, dans lequel les Jansénistes répondaient à Ferrier. Or, dans la missive de Le Maistre il n'y a aucune allusion à cette réunion du clergé, ni aucune allusion à cette réponse à l'écrit de Ferrier. Autrement dit, il composa sa Lettre aux Jésuites entre mars et septembre 1663. Qui plus est, le pamphlet janséniste de 1664 semble faire une allusion voilée à cet écrit de Le Maistre. Ferrier, insiste l'auteur, ne doit pas "tant chicanner sur ce terme de Jésuites en général" que nous employons : "On luy déclare que c'est luy qu'on a entendu par là", parce {18} que Ferrier représente tous les Jésuites. Car, poursuit l'auteur de ce pamphlet, "on a sujet de penser des Jésuites en général" quand Ferrier, "un Jésuite des plus entestez pour le Molinisme", prend position sur les articles de la doctrine (47).

Ce pamphlet de 1664 fut vraisemblablement composé de concert avec Le Maistre qui, quelques mois auparavant, s'était attribué, comme Pascal, le rôle de défenseur de la vérité. Dans sa Lettre aux Jésuites, il admet que les "défenseurs de la vérité" sont maintenant "réduits à un petit nombre" ; mais il affirme que :

"le peu de gens qui reste attachez aux intérêts de la vérité est résolu de soutenir jusqu'au bout les effets de votre vengeance. Cette vérité leur a donné un homme incomparable [Arnauld] pour estre à leur teste, lequel sera toujours, tandis qu'il plaira à Dieu de luy conserver la vie, au milieu de vous autres Jésuites pour vous tourmenter par la force et la beauté de ses écrits. [...] La vérité, mes Pères, se servira incessament de lui pendant sa vie pour sa deffence et votre accablement. [...] [Le coûteau] de la vérité n'est que la plume, l'éloquence, et la doctrine de ce sçavant personnage : ce couteau est éguisé pour couper. [...] Ce coûteau est encore poly, afin de faire éclat par son brillant ; c'est à dire que l'éloquence de ce grand homme est lumineuse pour confondre ce fatras de livres que vous faites, qui ne sont recomendables que par la bassesse du style, par la pauvreté des raisonnemens, et par la grandeur énorme de vos calomnies." (48)

Après cette mise en scène, Le Maistre décrit le rôle qu'il avait l'intention de jouer désormais, en tant que disciple de saint Augustin ; et en ce faisant, il insiste sur l'importance de ces "lumières" auxquelles les Jésuites veulent faire renoncer les Jansénistes :

"Quant à nous [qui entourons Arnauld], mes Pères, nous ne ferons que l'accompager et le suivre dans ses victoires, comme nous le suivrons, Dieu aidant, dans ses persécutions : nous tâcherons de participer à son courage, puisque nous ne pouvons pas le faire à la sublimité de ses lumières, et nous animerons tous ensemble nos espérances, et dirons ces belles paroles à votre société qui prend tant de plaisir dans nostre humiliation : Ne læteris inimica mea super me quia cecidi, consurgam cum sedero in tenebris, Dominus lux mea est iram Domini portabo donec causam meam judicet, et faciat judicium meum, educet me, operietur confusione quæ dicit ad me, ubi est Deus tuus, oculi mei videbunt in eam, nunc erit in conculcationem ut lutum platearum (49). En attendant, mes Pères, ce jour, et ce temps où toute cette prophétie s'accomplira, nous persisterons toujours à maintenir fortement contre vous la {19} vérité que nous conserverons avec la grâce de Jésus Christ entière jusqu'au bout. Labium veritatis firmum erit in perpetuum (50). Nous demanderons cependant à Dieu qu'il nous soutienne dans la résolution où nous sommes. C'est, mes Pères, pour parler avec S. Augustin, que sub ipso percussoris ictu veritatem servabimus in testimonio, vitam contemnimus in mundo, vitam consequimur in cælo (S. Aug. hom 1o, inter 5o)." (51)

Il tint parole : non seulement il aurait participé à la rédaction du pamphlet de 1664, mais quelques années plus tard (entre 1665 et 1668) il écrivit ce pamphlet "plein de feu" que Feydeau dut jeter au rebut.

D'ailleurs, la Relation que nous publions ici permet d'évaluer le dédain qu'éprouvait Charles Le Maistre envers la Société de Jésus dans sa totalité. Partout où il allait, il cherchait les maisons jésuites, faisant son possible pour visiter les locaux et pour y s'entretenir avec un ou deux de ces pères — tout cela dans l'espoir de pouvoir repérer une inscription "impertinente" au-dessus d'une porte, un père qui ne savait pas s'exprimer en latin, une fausse relique, voire une manifestation de la fierté démesurée des Jésuites. Ce fut sans doute la même rancune qui le poussa, à Rome, à contempler les visages des cardinaux qui avaient le plus travaillé sur la bulle de 1653 contre les "disciples de saint Augustin" (52). Pour lui, une menace jésuite planait, comme un vautour, sur tout ecclésiastique qui osait lutter contre la corruption dans l'Église. S'étant renseigné sur les efforts purificateurs de Giovanni Battista de Dieci, évêque de Bragnato, il exprime son inquiétude :

"En mesme temps que j'admiray la force et le zèle de ce saint évêque pour arrester les crimes de tant de pécheurs, je craignis pour luy ; et je jugeay bien que si les Jésuites entendoient jamais parler de ce règlement, eux qui ne veullent que de la complaisance et de l'indulgence pour les plus scélérats et les plus abandonnez des pécheurs, ils ne manqueroient pas d'exciter et tous les peuples et tous les moines contre ce saint évêque, comme ils ont tasché de soulever toute la France contre l'illustre auteur du livre de La Fréquente Communion. Pour moy, je m'imaginois déjà les {20} entendre dire à tout le monde, contre ce prélat, ce qu'ils avoient dit autrefois contre l'auteur du livre de La Fréquente Communion et qu'ils parloient contre luy de la manière que firent autrefois ces Juifs [...] : Prestez main-forte, fidelles, voicy celui qui se mesle d'enseigner des choses nouvelles, contraires à la pratique commune et qui de cette manière va perdre l'Église de Dieu [Actes 21 : 28]." (53)

La Relation que nous publions ici révèle que tout en étant travaillé par cette amertume, cette angoisse, Le Maistre sut garder sa bonhommie, sa joie de vivre, sa curiosité.

Au moment où les Jansénistes préparaient la publication de leur réponse au Père Ferrier, deux annonces bien troublantes parurent dans la Gazette de France. Le 5 janvier 1664, un libelle intitulé Les desseins des Jésuites fut "lacéré et brûlé publiquement par l'éxécuteur de haute justice, pour ce qu'il contenoit plusieurs propositions contraires au respect de sa Sainteté, à l'authorité du roi et à l'honneur des prélats de France". Puis, le 2 février, un "libelle intitulé Journal du Sieur de S. Amour et un autre qui a pour titre Manuale catholicorum furent brûlés par l'éxécuteur de haute justice, en vertu d'un arrest du Conseil d'en haut, comme soutenans l'hérésie de Jansénius, et traitant les papes, les cardinaux, les évêques, et les docteurs, et les religieux avec un mépris et une impudence insupportable ; et [...] ont été publiés dans toutes les paroisses de cette ville pour en découvrir les auteurs, les imprimeurs, et ceux qui les débitent" (54).

Le titre exact du livre que le bourreau brûla le 2 février était Le Journal de M. de Saint Amour, docteur de Sorbonne, ouvrage de luxe "imprimé par les soins dudit Sieur de Saint Amour en la présente année mdclxii". L'auteur visé était, bien entendu, Louis Gorin de Saint-Amour. En mai, Saint-Amour partit pour la Hollande en compagnie de Pontchâteau, qui avait "beaucoup servi" à la distribution du livre condamné (55). Nous ignorons si Charles Le Maistre avait lui aussi participé à la distribution du Journal, mais il partageait l'opinion de Saint-Amour sur le grand mérite de cet ouvrage : "Monsieur de Saint-Amour a dit à M. Le Maistre qu'il croyoit son livre si nécessaire à l'Église que, dans son passage en Hollande, il eust plutôt hasardé sa personne dans la mer que son livre". Pour clore cette anecdote, Le Maistre avait observé que "c'est un grand bien qu'on fait à l'Église et presque l'unique" (56). Les agents du roi surveillaient-ils notre auteur au printemps de 1664 ? Cela semble probable, tant à cause de l'intimité entre Pontchâteau et Le Maistre sur laquelle nous nous pencherons bientôt, qu'à cause du défi que Le Maistre venait de lancer dans sa Lettre aux Jésuites (57).

{21} Les libelles brûlés et les poursuites lancées contre Saint-Amour et ses collaborateurs ne furent qu'un préambule aux troubles qui très vit se mirent à pleuvoir sur les disciples de saint Augustin. Le 16 avril, Claude Lancelot se disputa avec Péréfixe, le nouvel archevêque de Paris, à propos de Jansénius ; et le lendemain, Antoine Singlin mourut dans sa maison du faubourg Saint-Marcel. C'est dans ce climat de persécution, de résistance, de diatribe, de deuil, que s'insère le départ en voyage de Charles Le Maistre en mai 1664. Voici les circonstances de ce départ, telles que Le Maistre lui-même les raconte :

"Un de mes amis m'envoya un billet [...] par lequel il me priait de luy donner une heure le lendemain pour me communiquer une affaire qui devait être à mon avantage et pour ma satisfaction. [...] Comme je me préparais à l'aller voir, un autre de mes amis arriva dans ma chambre, qui me venait demander avis touchant une chose qu'on lui avoit proposée, qui estoit d'accompagner M. le duc de Brissac (58) en Hongrie." (59)

Le second ami ayant refusé cette invitation, "Je le quittay donc dans la résolution qu'il venoit de prendre de ne point aller en Hongrie", raconte Le Maistre :

"et je vins trouver cet ami qui m'avoit écrit le jour précédent. Jamais je ne fus plus surpris que quand j'entendis qu'il me proposa le mesme voïage pour moy. [...] Je luy demanday quelque peu de temps pour consulter d'autres de mes amis, lesquels connoissant que j'avois assez d'inclination pour les voïages, me portèrent à entreprendre celuy que l'on me proposoit." (60)

Comment interpréter la conduite des deux amis qui ne cessaient point d'invoquer des empêchements ? Connaissant non seulement le défi que Le Maistre avait envoyé aux nez des Jésuites mais aussi sa propensité à la polémique, montaient-ils cette petite comédie dans l'espoir d'induire Le Maistre à la tentation et de le convaincre de s'incorporer dans l'entourage de Brissac ? Nous sommes tentés de le croire, car le secret dans lequel Le Maistre enveloppa son départ (61) semble témoigner d'une certaine inquiétude de sa part, ou même de la crainte d'une arrestation.


{22} L"homme de bien" auprès d'un jeune duc et pair

La remarque "Connoissant que j'avois assez d'inclination pour les voïages" serait une allusion au voyage de Bretagne fait en compagnie de l'abbé de Pontchâteau (62). Pour être exact, Singlin -- qui avait pris en charge la conversion de Pontchâteau — donna au jeune abbé un homme sûr, un "homme de bien". Et cet homme aurait été Charles Le Maistre (63). À en juger par les sources, ce voyage en Bretagne s'organisa selon une optique bien janséniste. Singlin rappella plus tard à Pontchâteau sa démarche — et la déception à laquelle la conduite de l'abbé donna lieu :

"Je m'étois persuadé que vous ayant donné un homme de bien pour être toujours à votre compagnie, sa présence vous retiendroit et vous empêcheroit de vous laisser aller dans les compagnies qui vous pourroient nuire, et dès que je vous vis séparé l'un de l'autre (64), je commencé de craindre {23} pour vous de vous savoir dans un païs très dangereux pour les faibles, et c'est en ces occasions que l'on peut dire væ soli. Il n'est pas nécessaire de vous représenter comme notre crainte étoit bien fondée, puisque vous l'avés si malheureusement expérimenté, le luxe, les dépences superflues, les curiosités où j'aprenois que vous dépensiés beaucoup [...]." (65)

Cette crainte à propos de la perte de la foi chez le jeune voyageur n'est pas strictement janséniste. La Bruyère en parle aussi : 

"Quelques-uns achèvent de se corrompre par de longs voyages, et perdent le peu de religion qui leur restait. Ils voient de jour à autre un nouveau culte, diverses mœurs, diverses cérémonies ; ils ressemblent à ceux qui entrent dans les magasins, indéterminés sur le choix des étoffes qu'ils veulent acheter : le grand nombre de celles qu'on leur montre les rend plus indifférents ; elles ont chacune leur agrément et leur bienséance : ils ne se fixent point, ils sortent sans emplette." (66)

La présence de Charles Le Maistre dans l'entourage du duc de Brissac devait remédier à cette tendance fâcheuse. À tout moment, notre docteur montrerait au jeune duc la supériorité du Jansénisme sur tous les autres cultes, sur toutes les autres interprétations des textes sacrés, sur toutes les autres mœurs.

En somme, au jeune voyageur susceptible Messieurs de Port-Royal donnaient un "homme de bien" qui avait pour mission de le retenir et de l'empêcher de se laisser aller s'il venait à fréquenter des compagnies qui pourraient faire ébranler sa foi. Dans le cas de Brissac, ces messieurs essayaient-ils d'intégrer à leur cercle un nouveau Luynes, un nouveau Liancourt ? Nous sommes tentés de le croire, car à en juger par quelques phrases que laissa tomber Charles Le Maistre, non seulement "toute nostre compagnie avait une singulière vénération" pour saint Augustin" (67), mais au cours du voyage le duc de Brissac apprit à donner des aumônes et à reprendre les fautes d'autrui en citant l'Écriture (68). Bref, on dirait que le Duc préparait sa "conversion" (69), une étape dévotionelle {24} que le bon exemple de son entourage rendrait plus facile. En effet, la Relation de Le Maistre fait croire que, heure après heure, journée après journée, marchant à pied ou secoué dans un carrosse, il expliquait pour ses compatriotes les positions théologiques des docteurs jansénistes (70).

Le Maistre avait devant lui un modèle de voyage auquel il était censé se conformer quand il dirigea ses pas vers la Hongrie en mai 1664. Être l'homme de bien auprès d'un jeune homme de qualité voulait non seulement dire être son directeur de conscience, cela voulait aussi dire cacher sa propre identité, adopter un pseudonyme (71). Charles Le Maistre devint donc Charles Du Parc (72) et le duc de Brissac se fit appeller M. du Bois. Voyager voulait aussi dire tenir un journal, à la manière du Journal de M. de Saint Amour qui venait d'être condamné, et à la manière de la "relation" que Pontchâteau avait dressée après son voyage à Rome en 1658-1659 (73). Surtout, être l'homme de bien auprès d'un jeune homme de qualité voulait dire être un pédagogue. On sait que Charles Le Maistre avait lu le Journal de Saint-Amour lors de sa publication clandestine. Non seulement parle-t-il de cet "excellent livre" dans sa propre Relation (74), mais en mai 1664 il prit pour sienne la mission que Saint-Amour s'était donnée quand il partit en direction de Rome en mai 1650 :

{25} "C'estoit un jeune Gentil-homme de tres illustre naissance pour lequel j'avois beaucoup d'estime ; & ce qui m'avoit entre autres choses fait resoudre à luy promettre de l'accompagner en ce voiage, estoit que dans quelques entretiens que nous en avons eus ensemble, j'avois veu qu'il l'entreprenoit non pas comme font la plus-part de ceux qui sy'engagent dans le jeune aage où il estoit alors, pour y voir des tableaux et des statues, mais pour y connoistre & pratiquer dans tous les lieux où il iroit le plus qu'il pouroit de gens de lettres & de condition, afin non seulement d'avoir des habitudes dans les Païs estrangers, mais aussi pour apprendre en leur conversation de la maniere la plus avantageuese la diversité des genies & des mœurs des differents peuples. C'est pourquoy il [le jeune gentilhomme] prit à Paris avant de partir un grand nombre de lettres de recommendations pour toutes les villes où il devoit passer." (75)

Le livre — et surtout l'optique — de Saint-Amour fut d'une telle utilité à Le Maistre que, de retour en France, il loua ce livre en disant qu'il peut "servir à conduire les estudes des jeunes gens, à voir ce qu'ils font" (76).

Au cours d'une relation -- et surtout dans sa propre correspondance -- le Janséniste était tenu à ne nommer personne. En 1652, bien avant les troubles et la persécution, Rebours expliqua ce procédé à Pontchâteau :

"Vous permettrez encore, Monsieur, de vous dire qu'il est à propos dans les lettres que vous nous écrivez, vous ne nommiez personne, comme vous pouvez voir que j'ai fait en celle-ci, afin que si par quelque mauvaise rencontre les lettres venoient à se perdre, ou à tomber en des mains ennemies, on ne pût pas avoir pleine lumière de ce qui s'y pourra traiter." (77) 

Finalement, quand le Janséniste comparait une culture étrangère — ou une pratique dévotionelle — avec celle de son pays natal, il devait réfracter ses observations à travers une lentille augustinienne. Ainsi Rebours conseilla-t-il l'abbé Pontchâteau de se fier en toutes choses aux écrits de ce grand saint :

"Vous pouvez dire nettement à cette personne que vous n'avez point tant de lâcheté ni si peu de conscience que de trahir vos sentimens que vous croyez être les seuls véritables ; et que soit dans un examen, soit en une autre occasion, vous êtes résolu de ne répondre jamais autre chose que ce que vous avez appris de S. Augustin, dont la doctrine est celle de l'Église." (78)

Dans la Relation de Charles Le Maistre, alias Charles Du Parc, tous ces éléments sont réunis : il cache son identité (et, le plus souvent son attachement au Jansénisme) ; il retient le duc de Brissac ; il pèse sans cesse les mérites ou les faiblesses d'une dévotion chez les étrangers, par rapport à la sienne ; il montre au Duc les génies et les mœurs des différents peuples ; il prend le plus grand soin de ne nommer ni les {26} voyageurs jansénistes (79), ni le couvent de femmes pour lequel il demande une indulgence du Pape, ni le nom de l'ami qui lui adresse en Italie une relation des tristes événements à Port-Royal.

Le voyage en Allemagne, en Hongrie, et en Italie

Le voyage aux côtés du duc de Brissac finit par être une espèce de grande tournée qui permit au jeune duc de voir des antiquités et des curiosités, et de connaître d'autres pays ; mais le motif principal était tout autre. C'est à dire que le Duc partait comme volontaire pour secourir l'armée impériale. D'où la précipitation de son départ. Effectivement, il n'y avait point de temps à perdre : passant à travers les pays et les villes germaniques — Strasbourg, Munich, Augsbourg, Ratisbonne, Vienne — nos Français arrivèrent en Hongrie le 27 juillet, quelques jours avant la grande bataille de la rivière Raab du premier août 1664. Pendant toute la campagne, Le Maistre resta près du Duc, mais sans combattre. "Je n'estois pas fort satisfait d'entendre siffler les boulets qui passoient plus près que je n'eusse voulu", avoua-t-il (80). Quand il vit arriver les Turcs sur l'autre rive du Raab, il se retira "dans un lieu hors de la portée du mousquet, [...] en disant agréablement que j'avois un bréviaire à dire et que je ne pouvois le dire si proche des Turcs sans distraction" (81) ; et pendant la bataille, il se trouvait "sur la montagne au pié de laquelle se donnoit le combat" — d'où il fut chassé quand on se mit à tirer sur le mur du château contre lequel il s'était adossé (82).

Depuis le début et jusqu'à la fin du voyage, Brissac fut entouré de sa "maison", qui comportait Charles Le Maistre (la conscience à la fois éloquent et tenace de tout un chacun), l'ancien gouverneur du Duc, plusieurs "gentilhommes", et un nombre indéterminé de "nos gens" — c'est à dire quelques domestiques indispensables (dont un cuisinier, un valet, un écuyer). On compte au minimum, neuf voyageurs ; au maximum, une quarantaine — car le Duc congédia ici un domestique malhonnête et là un gentilhomme grogneur ; et il accueilla à l'occasion un moine, un Français abandonné lors d'une maladie ou par suite d'une mauvaise "avanture", un banquier français qui rentrait en France avec sa famille, ou des volontaires qui se dirigeaient vers la Hongrie. En s'approchant de la Hongrie, le Duc et sa maison se joignirent à d'autres volontaires, et ensemble ces 50 personnes avancèrent de village en village.

{27} Quinze jours après la bataille, nos Français, dégoûtés par l'inaptitude des généraux impériaux, prirent la route de l'Italie. Très rapidement, l'expédition militaire se métamorphosa en voyage touristique (83). Quatre mois se passèrent à visiter les hauts lieux culturels et dévotionnels de la péninsule italienne — Venise, Milan, Lorette, Rome, Naples, Florence, Pise, Gênes, Turin. Puis, en janvier 1665, avec la neige "dans le nez", la petite bande traversa le Mont Cenis, rendit visite aux moines de la Grande Chartreuse, et par un temps exécrable parvint à descendre la Loire en dépit d'inondations. Le 4 mars 1665, ils rentrèrent sains et saufs à Paris.

Pendant ces dix mois, Brissac, le gouverneur, le prêtre, et les gentilhommes prirent le plus souvent place dans un véhicule loué (un carrosse, une calèche, une litière), tandis que les domestiques montaient à cheval. Or, au-delà de Strasbourg, ce véhicule ne portait aucune indication de la qualité de l'occupant principal : Brissac voyageait incognito. C'était la solution la plus économique, le Duc étant ainsi dispensé d'offrir des cadeaux aux notables et aux seigneurs qui, sans cette précaution, auraient dépensé des sommes considérables pour le recevoir. Mais c'était une solution parfois bien frustrante, surtout quand la porte d'une ville, d'un château, d'un palais, d'une galerie de curiosités ne voulut pas s'ouvrir devant un modeste jeune Français et ses compagnons de voyage crottés. Au fur et à mesure que nos voyageurs s'éloignaient de Vienne, Le Maistre prenait charge du quotidien, dont la recherche des hostelleries, et imposait à ses compagnons la visite d'une ville ou d'une chapelle. Surtout, il se manifestait aux habitants, permettant ainsi au Duc de rester dans l'ombre (84).

De retour à Paris, Le Maistre se mit à écrire sa Relation, s'appuyant sur des notes et des descriptions qu'il avait faites sur le vif. Avant l'automne de 1667, il finit de transcrire les deux tomes qui se trouvent aujourd'hui à la British Library (85).

1665-1681 : Paris

Ses amis à Paris le tenaient au courant des événements qui secouaient le monde des Jansénistes pendant son absence. Par exemple, il avait été informé de la déportation de douze religieuses de Port-Royal en août 1664 : "s'entretenant le jour sur la belle terrasse qui est toute couverte de citronniers et d'orangers" et d'où il pouvait contempler la mer, on lui livra un gros paquet de pamphlets. Il se rappela de la douleur qu'il éprouva ce jour-là, dans ce beau cadre riant et ensoleillé :

{28} "Ce fut sur cette agréable terrasse que je lus le récit du traitement inhumain que l'on avoit fait aux religieuses de Port Roïal, et comme M. de Péréfixe, archevêque de Paris, avoit fait emprisonner séparément, en différens monastères, ces innocentes et courageuses filles, un de mes amis qui avoit la bonté de m'envoïer tout ce qui se faisoit contre ces filles, m'aïant addressé à Rome un gros paquet de ces pièces, [...] je les lus avec bien de la douleur, parce que j'étois touché de la cruauté avec laquelle on traittoit ces pauvres filles." (86)

De retour à Paris, Le Maistre put admirer de plus près l'obstination des religieuses qui refusaient de signer le formulaire. Ce fut dans ce climat répressif que notre auteur dressa son récit de voyage, se référant à des notes qu'il avait prises sur place. Avant la fin de 1667 il arriva au bout de la dernière des 1.353 pages qu'il avait tracées au fil des mois, et il les fit relier en deux tomes. L'été suivant vint la "paix de l'Église", une trève qui allait persister pendant une décénnie.

Ce n'est pas dire que Le Maistre resta enfermé dans sa chambre, voire qu'il se cacha. Peu après son retour en France (et certainement avant 1669, quand son ami Matthieu Feydeau quitta le Sud pour s'installer à Vitry-le-François), il fit un voyage en Roussillon. (Le récit de ce voyage a-t-il survécu ?) Il s'arrêta à Alet, où il rencontra Feydeau. Laissons celui-ci esquisser pour nous l'état d'esprit de Le Maistre après douze ans de persécution et de clandestinité :

"M. le Maître vint aussi en ce temps-là à Aleth. Il me fit voir un écrit qu'il avait contre M. Morel [député par le roi pour voir les livres] sur son procédé injuste et violent contre moi, au sujet du livre des Méditations sur la Concorde et de l'arrêt qu'il avait obtenu par un exposé faux et plein de calomnies. Cet écrit commençait ainsi : Quis consurgit adversus malignantes aut quis stabit adversus operantes iniquitatem ? (87) Mais comme il était plein de feu, je le condemnai à rester dans les ténèbres, n'estimant pas qu'il dût voir le jour dans les temps où nous étions." (88)

"Les temps où nous étions" : un temps où la paix de l'Église pointait à l'horizon. En somme, Feydeau craignait que la publication d'un tel écrit, ou sa circulation en manuscrit, ne rallumât les feux de la persécution.

Charles Le Maistre manifestait une méfiance instinctive envers la hiérarchie ecclésiastique, même un certain ressentiment qui était plus fort que lui. Il tendait à s'enfermer dans la "vérité" telle qu'il la connaissait et la pratiquait depuis les années passées au collège de Navarre. Il n'était pas seul à rester inébranlable dans ses convictions. En 1668 — quand la paix de l'Église devint une réalité — lui et quelques autres ecclésiastiques refusèrent, l'un après l'autre, d'accepter la cure de Vitry-le-François. Ce n'est que parce qu'il se sentait appellé de Dieu pour servir les fidèles que Feydeau accepta cette cure en mai 1669 (89).

{29} À partir de 1669, et pendant la décennie que dura la paix de l'Église, Le Maistre continua à fréquenter des milieux jansénistes. "Depuis l'année 1668", son ami Pontchâteau "a visité plusieurs fois [...] M. Le Maître, docteur en théologie, et d'autres personnes de grand mérite et de sainte vie" (90). Vers 1670-1671, on le trouve à l'hôtel de Liancourt ; en 1670, et encore en 1671, il prêche le carême à Paris (91) ; et en mars 1673 il est à Beauvais, tentant de régler un malentendu entre les ecclésiastiques de Beauvais et Mathurin Quéras, grand vicaire de l'archevêque de Sens et jadis expulsé de la Faculté de Paris, comme Le Maistre, pour avoir soutenu Arnauld. La dernière phrase de cette lettre révèle que Le Maistre est resté en contact avec son parent Burlugai ; mais surtout elle montre que, nonobstant la trève des années 1670, notre docteur est resté fidèle à son style plein de feu et d'hyperbole : "Obligez-moi d'assurer MM. Varet, le doyen [Jacques Boileau], le théologal [Jean Burlugai] et l'official de mes services. Si je vous en puis rendre ici quelqu'un, je prétends y séjourner encore dix jours ; après quoi j'irai m'exposer aux tempêtes de Noyon et me préparer à y essuyer les tonnerres qui y sont fort fréquents" (92).

En mai 1679, la trève se rompit : François Harlay de Champvallon, le nouvel archevêque de Paris, procéda à une expulsion des novices et pensionnaires de Port-Royal-des-Champs et interdit désormais toute nouvelle entrée en religion. En février 1681, le confesseur des religieuses fut expulsé du diocèse à cause de quelques liens d'amitié qu'il entretenait avec l'abbaye de Saint-Cyran et le séminaire d'Alet. (93)

Or, ce printemps-là, Charles Le Maistre montrait Paris et ses environs à un religieux flamand, le Père van Bont :

"L'attache que cet ecclésiastique avait à moy à cause des petits services que je luy rendois, faisoit qu'il me voyoit quelquefois, et surtout quand il avoit reçu quelsques nouvelles particulières de son païs, lesquelles étoient de pur divertissement, dont il me faisoit part ; je conversois d'autant plus volontiers avec luy, que je suis porté à témoigner de l'honnesteté aux étrangers, et que d'ailleurs je ne sçavois pas qu'il eust habitude avec d'autres personnes que moy." (94)

Hélas, Le Maistre ignorait que van Bont "avoit commerce avec les personnes que l'on a soupçonné d'écrire ou de distribuer des écrits contre la réputation de M. de Paris" (c'est-à-dire l'archevêque) ; et que non seulement le Flamand {30} tenait un "journal exact de tout ce qu'il avoit vu et entendu dire à Paris", mais qu'il pensait honorer Le Maistre en lui attribuant des phrases "heureuses" et "spirituelles" qu'il n'avait pas prononcées !

1681 : la fuite vers la Hollande

Informé de l'imprudence de van Bont, Le Maistre prépara immédiatement sa fuite, "ne jugeant pas à propos de m'exposer à porter la peine des fâcheuses et injustes préventions que M. de Paris a eues de tout temps contre moy, sans que j'en aye jamais pu sçavoir la véritable cause" — ceci nonobstant le fait que Le Maistre lui avait jadis rendu service "en brûlant une méchante pièce qui avoit été faite contre sa réputation" (95).

Ayant échappé à l'arrestation le 13 mai, grâce à un "miracle des plus visibles", Le Maistre se cacha chez des amis pendant quelques jours. Un témoignage de son état d'esprit a survécu : c'est un petit billet anonyme qu'il fit transmettre à la Mère Angélique de Saint-Jean Arnauld :

"Le 18 de may 1681

Je n'ay que faire, ma chère Mère, de vous raconter mon histoire de laquelle je crois que l'on vous a déjà instruit. Il ne me reste qu'à me recommander à vos prières dans le voïage que je dois faire. J'espère cette charité de vous, afin que je puisse dire véritablement toutes les paroles suivantes : Ego Joannes frater vester et particeps in tribulatione et regno et patientia in Christo Jesu (fugi) propter verbum Dei et testimonium Jesu." (96)

Ce fut donc en "frère" des religieuses de Port-Royal, et en "participant" à leurs tribulations et à leur patience, que "Monsieur Le Meusnier" fit son chemin jusqu'à Bruxelles, Anvers, Amsterdam. Pour tout bagage, il n'avait qu'une chemise, quelques mouchoirs et menus linges et, dans sa poche, son bréviaire et son Nouveau Testament. Souvent saisi par une "terreur" viscérale, il se blottissait dans le fond des églises, dans les coins obscurs des hostelleries (97). Pendant cinq mois il erra d'ami en parent, de Janséniste en Janséniste, faisant bande avec divers voyageurs qu'il rencontrait sur le chemin et qui lui convenaient. À Bruxelles il salua son "ami", {31} Jean-Baptiste de Champaigne, le neveu du peintre, qui n'osa point l'héberger parce qu'il y avait chez lui un "espion des Jésuites" (98). À Mons il fut logé par Gaspard Migeot, "libraire de ma connaissance" (99). À Amsterdam il fut mal reçu par un parent qui y était marchand (100). À Ypres, il se recueillit près de l'endroit où Jansénius avait été inhumé et échangea avec le théologal des anecdotes sur les méfaits des Jésuites (101).

De retour à Paris en octobre 1681, Charles Le Maistre vécut caché jusqu'en mars 1682. C'est vraisemblablement au cours de cette période difficile qu'il écrivit la Relation de ses récentes épreuves. Dans le récit de ce sexagénaire, on reconnaît bien le voyageur des années 1660 : c'est la même curiosité, le même désir de comprendre d'autres sociétés que la sienne, les mêmes opinions sur la dévotion. Il constate lui-même cette constance :

"La manière avec laquelle j'ay vu faire le divin office en Flandres m'a confirmé dans la pensée que j'ay toujours eue au retour de mes voïages d'Allemagne, de Hongrie, d'Italie, et de Roussillon, qui est que si il y a de la religion dans l'Europe, elle est uniquement en France, quoy qu'elle n'y soit pas bien considérable parmi la pluspart des François." (102)

L'homme a toutefois changé, et profondément. Cette seconde Relation est faite par un homme sérieux et inquiet qui s'abandonne à Dieu et à sa Providence (103). Les "Méditations de M. le Maistre, in 12o, 5 vol." datent-elles aussi de cette période (104) ?

1682-1688 : les dernières années

Les sources semblent rares sur les activités de Charles Le Maistre au cours des huit années qui lui restaient à vivre. On sait toutefois qu'il était en contact avec Eustoquie de Flexelles de Brégy, une des grandes "captives" des années 1660. En 1684, cette religieuse — qui "ne fut occupée tout le reste de sa vie que du soin d'achever de purifier par la pénitence et par l'exacte observation de sa Règle ce qui pouvoit rester imparfait en elle", et qui appréhendait la destruction de l'abbaye — lui adressa ces {32} paroles imagées qui mettent en opposition la "fuite" de Le Maistre quelques années auparavant et le "poste arrêté" où les religieuses de Port-Royal doivent attendre leur "immolation" :

"Les enfans de Babylone ont crié, M[onsieur], Exinanite,exinanite (105). Le fondement de Dieu devient ferme, et le temple de sa gloire se bâtit de tous les coups du marteau qui démolissent les maisons visibles. [...] Confions-nous donc, M[onsieur], en celui qui a vaincu le monde. [...] Ce sont les vues et les sentimens de mon esprit, et j'ose dire de mon cœur. Mais je sais, et je sens, que si l'esprit est prompt, la chair est infirme. Et c'est ce qui m'oblige, Monsieur, à vous conjurer de tout mon cœur de prier Jésus Christ qu'il me couvre de ses ailes jusqu'à ce que l'iniquité soit passée, et de lui dire pour moi, comme je ferai pour vous : Pone me juxta te, et cujusvis manus pugnet contra me (106). [...] Nous [les religieuses de Port-Royal] avons encore ce bonheur par-dessus vous : c'est que nous sommes dans un poste si ferme et si nécessairement arrêté, que nous pouvons toujours être prises et immolées sans pouvoir échapper. Nous sommes dans les mains de ceux qui ne nous aiment pas : nous ne pouvons nous sauver par la fuite ; mais la charité seule peut nous sauver, en nous faisant consentir d'être immolées pour la vérité." (107)

La Mère Eustoquie disparut deux mois plus tard, le premier avril 1684. Charles Le Maistre la suivit au tombeau en 1688. Pontchâteau annonça sa disparution en ces termes : "Je ne sais si on vous a mandé la mort de M. Le Maistre, docteur de la Faculté, bon ami de M. Mathieu Feydeau et le nôtre". Et le Nécrologe de Port-Royal résume ainsi la vie de ce "célèbre défenseur de la vérité" :

"M. Le Maître [sic], prêtre. Monsieur Charles Le Maistre, prêtre, docteur de Navarre, menoit une vie pieuse et regulière, mais ses liaisons avec Port Royal le firent regarder par Louis XIV comme un grand Janséniste. Il mourut le 23 décembre 1688. Il fut enterré au pied de la croix du cimetière Saint Landri à Paris." (108)

Trois siècles après la confection de sa Relation des Voïages faites en Allemagne, Hongrie et Italie dans les années 1664 et 1665, un vœu que Charles Le Maistre ne cessait point d'exprimer — "pour ceux qui liront cette relation", disait-il à maintes reprises — est enfin exaucé.
 
Notes

1. Dans les notes qui suivent, l'année 1664 suivi d'infra et d'un numéro de page renvoie à une citation de la Relation présentée dans la suite [c'est-à-dire, dans les différentes parties de la Relation qu'on peut choisir dans cette version Internet]; l'année 1681 suivie d'un numéro de page renvoie à une citation extraite de l'autre récit de Le Maistre: Charles Lemaître [sic] Relation de mon voïage en Flandre, de Dollande et de Zélande fait en mil six cent quatre vint et un, Paris, éd. Gilbert van de Louw, 1978.

2. Philippe Gourreau de La Proustière, Mémoires, Paris, éd. Béatrix de Buffévent, Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l'Île-de-France, 1990, p. 518.

3. Lettres, Paris, éd. Tamizey de Larroque, 1883), t. II, pp. 340-41.

4. En proposant cette date, nous nous appuyons sur Jacques Gres-Gayer, qui affirme que le candidat au doctorat était "âgé de 30 ans au moins" quand il entreprit ses études de théologie, Le Jansénisme en Sorbonne, Paris, 1996, p. 12. Le fait que, dans un acte notarié du 4 août 1649 (A.N., M.C., XVIII, 280, reconnaissance), Le Maistre porte la qualité de "bachelier en théologie de la Faculté de Paris", donne donc à croire qu'il avait environ trente ans.

5. A.N., M.C., CV, 800, inventaire après le décès de Louis Du Tassé, 30 août 1652, surtout l'intitulé et le résumé des titres 1, 6, 14 et 15. Nous tenons à remercier Robert Descimon d'avoir attiré notre attention sur cet inventaire.

6. A.N., M.C., CV, 800, 30 août 1652, inventaire, titre 14, qui résume un acte signé par le couple en janvier 1629, à propos d'une maison sise au Mesnil Madame et dont Magdeleine De La Place était héritière. Il s'agit du Mesnil-Amelot, dans la commune de Dammartin-en-Goële, qu'on appellait aussi à l'époque "Mesnil Madame Rance". Le Maistre avait aussi une "parente" qui demeurait à Ussy-sur-Marne (1664, infra, p. 49), et un "parent" établi à Amsterdam mais qui avait un frère à Paris (1681, p. 294).

7. A.N., M.C., CV, 800, 4 août, 1649, reconnaissance (dernier paragraphe), et donation par Du Tassé d'une rente viagère de 200 livres, qui remplace celle de 200 livres qu'il avait constituée à son neveu le 16 mai 1647. Ayant fait allusion aux "pensions" pour lesquelles Le Maistre se sentait "obligé", le même notaire leur fit signer le document qui modifie les conditions de cette "rente viagère" (au singulier). Nous supposons donc que Du Tassé avait payé des pensions (au pluriel) avant de constituer la rente.

8. Abbé Drouyn, Histoire des Théologiens de Navarre, B.n.F., ms. fr. 22033-22860, XVI, fol. 66 : "Carolus Le Maistre, Parisinus, admissus 1648, post. Nic. Le Roy, Licentiatus 1652, 11o. Jansenianis partibus addictus. Doct. 19 junii 1652" ; et fol. 68 : "Charles le Maistre, parisien, reçu dans la Maison de Navarre vers 1648, le 5e après Bossuet depuis évêque de Meaux. Licencié 1652, même Licence que Bossuet, undecimo loco, Navarræ 3o" (renseignements fournis par Jacques Gres-Gayer).

9. A.N., M.C., 280, 4 août 1649, reconnaissance.

10. Jean de Lanoy, Academica Parisiensis illustrata, Paris, 1682, p. 391.

11. Cité par Jacques M. Gres-Gayer, En Sorbonne. Autour des Provinciales, Édition critique des mémoires de l'Abbé de Beaubrun, 1655-1656, Paris, 1997, p. 23.

12. Gres-Gayer, En Sorbonne, pp. 59-66. Citons aussi ces quelques lignes où Gres-Gayer esquisse le rôle du syndic et l'importance de son contrôle sur les gradués : "Le but des examens étant non seulement de vérifier les qualifications des candidats, mais de les intégrer précisément à un corps dont ils représentent l'avenir, on voit l'importance de ces actes académiques qui ne se comprennent que dans l'ensemble auquel ils participent. Soutenir des thèses, en effet, pour accéder au baccalauréat puis à la licence, est pour un jeune théologien non seulement faire preuve de ses qualités particulières d'exposition, d'argumentation et de défense, mais se situer dans la tradition vivante de cette École de Paris à laquelle il entend s'intégrer", Le Jansénisme en Sorbonne, p. 12.

13. À l'époque où Le Maistre était étudiant au collège de Navarre, "il y avait souvent avec M. Feydeau [...] de jeunes étudiants en philosophie et en théologie [...] pour faire quelques jours de retraite", Sainte-Beuve, Port-Royal, Paris, éd Maxime Leroy, 1955), t. III, p. 809. Feydeau publia le catéchisme en 1650, sous le titre, Eclaircissemens sur quelques difficultés touchant la Grâce, Louis Moréri, Grand Dictionnaire historique, Paris, 1759, t. V, p. 144, "Feydeau, Matthieu". C'est un sujet qui passionnait Le Maistre : selon une note manuscrite dans le Catalogue de Jacques Fouillou, en dépôt au Het Utrechts Archief, à Utrecht, il aurait dressé plus tard un catalogue des écrits consacrés à la Grâce.

14. Pour de plus amples informations, voyez Louis Cognet, "La Jeunesse d'Antoine Singlin", Bulletin de la Société des amis de Port-Royal, 4 (1953), pp. 3-23.

15. Jean Burlugai était sans doute le fils de Laurent Burlugai et d'Anne De La Place, son épouse, dont les noms figurent aux côtés de celui de la mère de notre auteur dans l'inventaire de Louis Du Tassé (titre 1, passé le 14 février 1602). De toute évidence, Anne De La Place était la sœur de Jean De La Place, époux en premières noces de la grand-mère maternelle de Charles Le Maistre. Selon le titre 6 du même inventaire, Jean Burlugai, "prêtre, bachelier en théologie", emprunta 200 livres à Du Tassé en 1652. Interdit par l'official de Paris en octobre 1666 sur le sujet du formulaire, Burlugai finit par s'insérer dans l'entourage de Louis-Henri de Gondrin, archevêque de Sens. Jean Le Saulnier, mentionne Nicolas Burlugai et sa sœur dans Port-Royal Insolite : Édition critique du "Recueil de choses diverses", Paris, 1992, p. 766.

16. Besoigne, Histoire de l'Abbaye de Port-Royal, Cologne, 1752, t. II, p. 485.

17. Il est dégoûté par la saleté ; et lors de sa fuite en Hollande en 1681 (comme en Allemagne en 1664), il ne veut pas boire "dans un mesme verre avec toutes ces personnes différentes" (1681, p. 240).

18. Par exemple, dans la bonne copie de son récit de voyage que nous présentons ici et qui date au plus tard de 1667, il écrivit "fonteines" et "eaues" ; mais plus tard il transforma "eaues" en "eaux", et "fonteines" en "fontaines".

19. À plusieurs reprises on le voit citer d'abord un verset de la Bible en latin et ensuite faire sa propre paraphrase en français, sans avoir recours à une traduction imprimée.

20. 1681, p. 202.

21. Lors de sa fuite vers la Hollande en 1681, il craint "l'ennui" quand il se trouve "dans un lieu fort resserré où on me mettoit sans compagnie et sans livres" (1681, p. 224, ainsi que les pp. 201 et 206).

22. Il parle de "l'amour que j'avois et que je conserve encore pour les ouvrages de ce saint docteur" (1664, infra, p. 472).

23. "Pour moi, qui ne me connais point en ces sortes de pièces", c'est-à-dire les "médailles anciennes" (1664, infra, p. 416).

24. "Cette musique ne fut pas pour moi un grand régal, car outre qu'elle étoit italienne et que naturellement je ne l'aime pas, c'est que d'ailleurs elle étoit très pitoyable" (1664, infra, pp. 477-478).

25. "J'ay souvent fait réflexion sur les avantages qu'il y a de sçavoir le crayon dans les voyages, dira-t-il de retour d'Italie, parce que cela en fait le plus beau, et qu'étant chez soy, on voïage encore tous les jours en feuilletant ses crayons" (1664, infra, p. 382).

26. Ayant interrompu sa description de Saint Pierre de Rome pour louer la nouvelle place devant la basilique, Le Maistre écrira : "Quoy que je sois sorty assez viste de l'église de Saint Pierre pour faire la description de la belle et magnifique place qui est au-devant, mon dessein n'a point été de ne plus rien dire de ce temple tout singulier en beauté [...]" (1664, infra, p. 436). Autrement dit, ayant fait rapidement le tour de l'intérieur, il sortit pour apprécier la beauté de cette place, et ensuite il rentra dans l'église pour décrire plus longuement les sculptures et les offices.

27. Bien entendu, les précieuses parlaient de la même façon, mais on voit aussi la très dévote Mlle de Guise chercher un tableau italien pour sa galerie et se soucier surtout de la modestie du sujet. Elle voudrait acquérir "deux tableaux d'anciens maîtres agréables à la veue, et de sujets de dévotion s'il se peut, ou du moins très modestes", Florence, Archivio di Stato, Med. del Prin. 4783, lettre à Gondi, 15 décembre 1684. Notons que Le Maistre est édifié par la statue de sainte Thérèse d'Avila en extase sculptée par le Bernin, qu'il trouve "parfaitement belle" (1664, infra, p. 457).

28. Ironisant sur son proche penchant pour la rhétorique, il écrira : "Cela me donna lieu de déclamer [...] contre les bastimens magnifiques des monastères [en Italie], et principalement contre le luxe de la Chartreuse de Naples, [...] leur disant que cette superbe magnificence étoit à scandale à tout le monde" (1664, infra, p. 556).

29. Jean de Launoy, connu pour être un "dénicheur de saints", enseigna au collège de Navarre pendant une dizaine d'années avant d'en être exclu en 1648. Launoy fit le voyage à Rome, vraisemblablement vers la fin des années 1650, mais rien ne permet de supposer qu'il était un des "amis" auxquels Le Maistre fait allusion dans le récit de son propre voyage en Italie. Sur le scepticisme de Launoy, voyez Pierre E. Leroy, "Sainte Madeleine, au cœur du débat entre piété et érudition au XVIIe siècle," Actes du Colloque de Troyes des 13-15 avril 1998, éd. Marie-Madeleine Fragonard et Pierre E. Leroy, avec la collaboration d'Anne Ravit), pp. 145-159 ; ainsi que Louis Moréri, Grand Dictionnaire historique, 1759, Paris, t. VI, p. 197, art. "Launoi (Jean de)".

30. Germain Vuillart, cité par Sainte-Beuve, op. cit., t. III, p. 891.

31. Pour le discours de Le Maistre tel que Beaubrun l'a résumé, voyez Gres-Gayer, En Sorbonne, pp. 307-311. Son argument, sa rhétorique, son éloquence préfigurent ceux de sa Lettre aux Jésuites de 1663, Bibliothèque mazarine, ms. 2499 ; voir infra, pp. 16-19.

32. Matthieu Feydeau, Mémoires, Vitry-le-François, éd E. Jovy, 1905, pp. 65-66.

33. Gres-Gayer, En Sorbonne, pp. 617-618.

34. Pour la messe de Saint-Jean Chrysostome et la signature de cet acte, voir Bruno Neveu, Sébastien Joseph du Cambout de Pontchâteau ..., École française de Rome, Mélanges d'archéologie et d'histoire, no 7 (Paris, 1969), pp. 361-362.

35. Gres-Gayer, En Sorbonne, p. 635.

36. Le Maistre se rendit à Provins en 1663 (1664, infra, p. 136). Y aurait-il un rapport entre ce séjour et les liens qu'avait Burlugai avec les Cordeliers de Provins ? Voyez le factum écrit par Burlugai en 1669 pour soutenir ces religieux : La Toilette de M. l'archevêque de Sens, Bibliothèque mazarine, 25462.

37. "J'en reconnu une [peinture] à laquelle j'avois vu travailler en France par M. Champagne, qui l'avoit faite pour l'Archiduc Léopold lorsqu'il estoit gouverneur dans les Païs Bas" (1664, infra, p. 124). Ce tableau porte la date 1656. Cette amitié s'étendra à un parent du peintre qui demeurait à Bruxelles. Le Maistre rendit visite à cet "ami" en 1681 (1681, p. 223). Or cet "ami" bruxellois n'était ni Jean-Baptiste de Champaigne, le neveu peintre de Philippe, qui travaillait alors à Paris, ni un "fils" de Philippe, comme le propose G. van de Louw (Relation de mon voïage de Flandre ..., p. 223, note).

38. À trois reprises il parle de sa "chambre", plutôt que de son "appartement" : dans l'inventaire de sa bibliothèque, il précisa que ces livres "sont "dans [s]a chambre" de la rue Mouffetard ; il ouvre le récit que nous présentons ici, en disant qu'un "de [s]es amis arriva dans [s]a chambre" ; et en 1681 il reste "tranquillement dans [s]a chambre" avant de se sauver de Paris. Comparer cet emploi du mot "chambre" avec la description de la "chambre" (plus palier et grenier) de Pontchâteau aux Granges et celle qu'il occupait à Paris, Sainte-Beuve, III, pp. 862-863. Bruno Neveu présente Le Maistre comme "vivant obscurément à Port-Royal des Champs", p. 25. Lors de sa fuite en 1681, il demeurait néanmoins à Paris.

39. Feydeau, p. 93.

40. Godefroi Hermant, Mémoires, éd. A. Gazier (Paris, 1908), t. V, p. 170, où Gazier avoue que ce nom est difficilement lisible. Feydeau l'appelle "Copin" et l'identifie comme étant un "docteur de Navarre". Si Le Maistre parle si franchement avec Copin, c'est parce qu'il le connaît bien.

41. Feydeau, pp. 95-96, 100 ; et Hermant, t. V, p. 170. Sans faire allusion au rôle que Le Maistre a joué dans cette dénonciation, Feydeau blâme Copin, qui a informé MM. de Saint-Sulpice "sans penser à tout le mal qu'ils me feroient", Sainte-Beuve, t. III, p. 817.

42. Bibliothèque mazarine, ms 2499, document 1, "Lettre de 1663 aux RR.PP. Jésuites par M. Charles Le Maistre, Doct. de la maison de Navarre, mort en Xbre 1688. C'est le titre mis par M. Chertemps à un 2e exemplaire qu'il avoit de cette lettre". Le propriétaire de ce second exemplaire serait Pierre Chertemps, seigneur du Seuil, intendant de la Marine, fils de Pierre, avocat au Parlement, et de Marie Colbert du Terron son épouse. En 1663 ce parent du Grand Colbert était président au présidial de Marennes.

43. Voir Marc Fumaroli, L'Âge d'éloquence (Genève, 1980), pp. 661-706. À l'inverse de l'asianisme, qui cultive la suavité et le brio, l'ingéniosité et la couleur, l'atticisme célèbre le texte, le style pur et net. En France, à l'époque modèrne, l'atticisme chrétien était lié non seulement au gallicanisme mais au style sublime recommandé par saint Augustin ; tandisque "le courant majeur, celui des Jésuites de Cour, se rattache plus volontiers à l'asianisme italien, mieux accordé aux besoins de la prédication" (p. 676).

44. Bibliothèque mazarine, ms. 2499, document 1, pp. 15-16.

45. Bibliothèque mazarine, ms. 2499, document 1, p. 21.

46. Pour ces discussions, voir Sainte-Beuve, t. II, pp. 650-662 ; et Bibliothèque mazarine, A 15958 9//, surtout les dix-sept premières pièces, toutes publiées avant janvier-février 1664.

47. Bibliothèque mazarine, A 15958 9//, pièce 18, surtout p. 54.

48. Bibliothèque mazarine, ms. 2499, document 1, pp. 34-35.

49. "O mon ennemie, ne vous réjouissez point de ce que je suis suis tombée ; je me relèverai après que je me serai assise dans les ténèbres ; le Seigneur est ma lumière. Je porterai le poids de la colère du Seigneur, parce que j'ai péché contre lui, jusqu'à ce qu'il ait jugé ma cause, et qu'il se déclare pour moi contre ceux qui me persécutent. Il me fera passer des ténèbres à la lumière. [...] Mon ennemie [...] sera couverte de confusion, elle qui me dit maintenant : Où est le Seigneur votre Dieu ? Mes yeux la verront et elle sera foulée aux pieds comme la boue qui est dans les rues." (Michée 7 : 8-10).

50. "La bouche véritable sera toujours ferme" (Proverbes 12 : 19).

51. Bibliothèque mazarine, ms. 2499, pp. 34-35 : "Sous les coups du persécuteur, nous servons la vérité comme témoins, à ce que, contemnant la vie dans ce monde, nous poursuivons la vie au ciel." Dans les éditions du XXe siècle, ce passage se trouve dans le sermon 16, chapitre 3.

52. Il se rend exprès au Quirinal, assister aux vêpres, dans l'espoir de voire les cardinal Sforza Pallavicini, Jésuite, et le cardinal Francesco Albizzi, "parce qu'ils avoient davantage travaillé à la publication de la bulle d'Alexandre 7 contre les disciples de saint Augustin" (1664, infra, p. 343). Il est ravi de constater "le peu de modestie qu'ils gardoient dans la chappelle : de sorte que si on m'eust dit que les deux cardinaux qui causoient davantage estoient ceux que je cherchois, je n'aurois point du tout eu de peine à les distinguer des autres" (1664, infra, p. 343). Ravi également de pouvoir citer la "fierté orgueilleuse du Père Oliva, général des Jésuites" (1664, infra, p. 463), la "bassesse" et les "fautes" d'Alexandre VII (1664, infra, p. 361), et la "parole en colère" d'Albizzi, "un des meilleurs amis des Jésuites et luy qui a le plus travaillé à leur faire obtenir la bulle d'Innocent Xe au sujet des Cinq propositions" (1664, infra, p. 466).

53. 1664, infra, p. 527.

54. Gazette de France, 1664, pp. 47 et 119.

55. Sainte-Beuve, t. III, p. 841. S'étant séparé de Saint-Amour à Strasbourg, Pontchâteau osa rentrer en France en septembre 1664, pp. 842-843.

56. Port-Royal insolite, p. 473.

57. Rappellons qu'une copie manuscrite de sa Lettre aux Jésuites avait fait son chemin jusqu'au bureau d'un parent de Colbert.

58. Henri Albert de Cossé était le fils de Louis de Cossé, duc de Brissac, et de Marguerite Françoise de Gondi de Retz, la cousine du Cardinal comploteur. Ayant succédé à son père en 1661, il épousa deux ans plus tard Gabrielle Louise de Saint-Simon, la sœur du futur mémorialiste. En 1664, Brissac se fit volontaire pour participer à l'expédition que Louis XIV envoyait en Hongrie pour aider l'Empereur dans sa lutte contre les Turcs. Il avait alors vingt ans.

59. 1664, infra, p. 47.

60. 1664, infra, p. 47.

61. Il ne parle qu'à son médecin de ce "voyage que je tenois secret pour épargner les larmes de toute ma famille" ; et il donne des "ordres à toutes les choses nécessaires pour mon voyage, lesquelles je fis emballer secretement chez un de mes amis, afin de tenir plus caché le dessein que j'avais de partir" (1664, infra, p. 48). Ce n'est qu'en arrivant chez une parente en Brie qu'il laisse à cette personne "la commission d'en écrire à Paris pour en donner avis à nos parents" (1664, infra, p.49).

62. Louis Moréri (Le grand dictionnaire historique, éd. de 1759, t. VIII, pp. 464-465) parle d'une visite en Bretagne et dans le Maine ; mais pour lui ce voyage avait commencé le 12 octobre 1658 et s'est terminé le 4 novembre de la même année. Le Recueil de Pièces pour servir à l'Histoire de Port Royal (Utrecht, 1740) précise que le voyage où Singlin donna à Pontchâteau "un homme de bien pour lui tenir compagnie" eut lieu "au commencement de l'année 1663" ("Relation pour servir à l'histoire de la Vie de M. l'abbé de Pont-Château", p. 431). Cette datation s'accorde avec le contenu de la lettre de Singlin du 18 mai 1663 dont nous citons quelques phrases ici et où il parle de ce voyage comme d'un événement récemment vécu (Bibliothèque de Port-Royal, PR 47, p. 160). La Vie de M. l'abbé de Pontchâteau situe le voyage en 1657, Sainte-Beuve, t. III, pp. 836-837, mais cette datation s'appuie sur le contenu de la lettre de Singlin du 18 mai 1663.

63. Comment être sûr que Le Maistre était cet "homme de bien" ? Le Recueil de Pièces de 1740 parle d'un "homme de bien" sans l'identifier. C'est la Vie de l'abbé Pontchâteau qui remplace l'expression "homme de bien" par "M. Charles Le Maître, docteur en Sorbonne", Sainte-Beuve, t. III, p. 837. Charles Fierville, "Voyage anonyme et inédit d'un Janséniste en Flandre et en Hollande (1681), Revue de géographie, 12 (1888), p. 213, résume Sainte-Beuve et nomme donc Le Maistre. Dans la Relation que nous présentons ici, Le Maistre ne mentionne aucun séjour en Bretagne, se contenant de parler de son "inclination pour les voïages" (1664, infra, p. 47). Dans sa Relation de 1681, il mentionne le voyage de 1664-1665 ainsi que celui en Roussillon (entre 1665 et 1668), sans faire allusion à la Bretagne. En dépit des inexactitudes de la Vie de l'abbé Pontchâteau que nous avons relevé ici et dans les notes 61 et 63, nous continuons à supposer que l'homme de bien s'appellait Charles Le Maistre.

64. La "séparation" dont parle Singlin est diversement interprétée. Neveu présente Le Maistre comme regagnant Paris parce que "rassuré par le sérieux de son compagnon", p. 25. D'autres, en revanche, voient ce départ comme un geste d'exaspération de la part de Le Maistre. Voici comment la Vie de M. l'abbé de Pontchâteau décrit le retour de Le Maistre à Paris : "M. Le Maître, jugeant que le séjour de Bretagne seroit plus long qu'il n'avoit pensé, se résolut de quitter M. l'abbé de Pontchâteau et de s'en retourner à Paris. L'absence de ce docteur ne contribua pas peu à refroidir le zèle et la piété de l'abbé de Pontchâteau, et c'est à cette occasion qu'il dit depuis, en regrettant l'absence de ses amis de Port-Royal, Vae Soli, que c'étoit là le malheur d'être seul." (Sainte-Beuve, t. III, p. 837). Notez que non seulement cette source blâme Le Maistre, mais qu'elle met l'expression de Singlin — væ soli — dans la bouche de Pontchâteau ! Le Maistre se serait-il séparé de Pontchâteau sans l'autorisation de Singlin ? Sûrement pas, car on imagine mal les directeurs de conscience du duc de Brissac acceptant un homme si fantasque pour accompagner Brissac en Hongrie. Y aurait-il un rapport entre cette volte-face de Le Maistre et la rupture des négotations avec Ferrier en février 1663 ?

65. Lettre du 18 mai 1663, Bibliothèque de Port-Royal, PR 47, p. 160. Comparez ces paroles de Singlin avec Le Maistre, 1664, infra, pp. 193 et 265.

66. Les Caractères, "Des Esprits forts", § 4.

67. 1664, infra, p. 297. Voyez aussi : "sachant qu'on passe pour hérétique, nous [...]" (1664, infra, p. 298).

68. Tôt dans le voyage, Le Maistre dut lui parler de la nécessité de rembourser à un paysan hongrois le blé que nos Français venaient de donner à leurs chevaux (1664, infra, pp. 143), mais quelques mois plus tard, c'est Brissac qui "conclut qu'il falloit faire quelque aumosne" (1664, infra, p. 518-519). Voyez aussi comment le Duc répondait à un Capucin qui ne voulait pas ramer : il cita les paroles de saint Paul : "Celuy qui ne travaille pas, ne mange pas non plus" (1664, infra, p.567).

69. On a du mal à associer le portrait du jeune Brissac, tel que Charles Le Maistre le dessine dans son récit de voyage, avec celui esquissé plusieurs décennies plus tard par Saint-Simon, son beau-frère : "M. de Brissac savait beaucoup et avait infiniment d'esprit et des plus agréables, avec une figure de plat apothicaire, grosset, basset, et fort enluminé. C'était de ces hommes nés pour faire mépriser l'esprit et pour être le fléau de leurs maisons ; une vie obscure, honteuse, de la dernière et dela plus vilaine débauche, à quoi il se ruina radicalement à n'avoir pas de pain longtemps avant de mourir, sans table, sans équipage, sans rien jamais qui ait paru, sans cour, sans guerre, et sans avoir jamais vu homme ni femme qu'on pût nommer". (Saint-Simon, Mémoires, Paris, éd. Yves Coirault, 1983, t. I, p. 575.) Pire encore, "ce mariage [avec Mlle de Saint-Simon] ne fut jamais uni : le goût de M. de Brissac était trop Italien", observe le mémorialiste, qui parle aussi des "lieux" que son beau-frère fréquentait, des lieux "encore plus infames" que les cabarets and autres "mauvais lieux" de la capitale (t. I, p. 81 ; et t. II, p. 814). Voyez Jean-François Dubost, La France italienne (Paris, 1997), p. 320.

70. Le duc de Brissac "poussa rigoureusement" le Général des Chartreux à propos du Formulaire (1664, infra, p. 555). Voyez aussi 1664, infra, p. 463, où Brissac prépare un piège pour le Général des Jésuites ; et p. 552, où un des gentilhommes discute avec un Bénédictin "touchant les matières de la grâce".

71. Comparez ce geste avec la conduite de Pontchâteau, qui en 1679 "demeura une année entière à Rome sans y être connu que de ceux dont il avoit eu besoin de se faire connoître" (Sainte-Beuve, t. III, p. 849).

72. En choisissant ce pseudonyme, Le Maistre pensait-il au nom de plume adopté par Charles Sorel en 1633 pour son Francion  : "Nicolas De Moulinet, Sieur Du Parc, Gentilhomme Lorrain" ? La possibilité n'est pas à exclure, car à Rome Le Maistre prend simultanément et deux qualités qui en principe ne vont pas ensemble : celle de "Père" et celle de "gentilhomme français" (Beatissime padre Carlo du Parc, gentilhuomo franceze, 1664, infra, p. 363). Quoi qu'il en soit, notre auteur insiste souvent sur l'aspect picaresque des ses propres aventures.

73. Pour ce journal, voir Neveu, pp. 25-29. Le parcours est assez semblable à celui de nos voyageurs de 1664-1665. Une confrontation du journal de Pontchâteau avec celui de Le Maistre révèlerait-elle que l'abbé avait raconté à notre docteur les merveilleuses choses qu'il avait vues en Italie ?

74. 1664, infra, p. 199.

75. Saint-Amour, p. 46. Le "jeune gentilhomme" était vraisemblablement un Souvré, proche parent donc de Mme de Sablé, elle-même très liée à Port-Royal.

76. Port-Royal insolite, p. 473.

77. Recueil de Pièces, p. 424.

78. Recueil de Pièces, p. 415.

79. À part le banquier Bugy, qui rentre en France avec le Duc, Le Maistre ne nomme que deux membres du groupe : M. de Septfontaines, un gentilhomme breton, et le marquis de Manou d'Alègre, un volontaire qui se joignit au cercle de Brissac après la bataille de Saint-Gothard. Ose-t-il nommer ces deux personnes parce qu'elles ne sont pas des disciples de saint Augustin ?

80. 1664, infra, p. 158.

81. 1664, infra, p.153.

82. 1664, infra, pp.163-164.

83. Des indices nous laissent croire que, avant de quitter Paris, Brissac préparait déjà le voyage d'Italie (1664, infra, pp. 188 et 200).

84. "[Brissac] renvoïa [deux Capucins] à moi, comme au maistre de toute la compagnie, parce que cela servoit toujours à le cacher. Il me donna plein pouvoir d'ordonner de la chose comme je voudrois, et il laissa en ma disposition de les admetre dans le batteau, ou de les en exclure" (1664, infra, p. 565).

85. Le pape Alexandre VII, qui mourut le 22 mai 1667, vivait toujours (1664, infra, p. 439).

86. 1664, infra, p. 381.

87. Qui s'élève contre les malveillants, ou qui résiste à ceux qui travaillent contre l'iniquité ?

88. Mathieu Feydeau, op. cit., pp. 106, 118, 127. Le Maistre voyagea-t-il en compagnie de Pontchâteau ? Ce dernier fit un séjour à Alet en 1668 (Sainte-Beuve, t. III, p. 844).

89. Mathieu Feydeau, op. cit., pp. 126-129.

90. La Vie de l'abbé de Pontchâteau, Sainte-Beuve, t. III, p. 862.

91. "M. Le Maistre, Docteur en théologie de la Faculté de Paris, prêcha l'an 1670 à St Germain le vieil, à St Cosme, le Carême 1671 aux Hospitaliers de la miséricorde", Drouyn, XV, fol. 66. (Renseignement fourni par Jacques Gres-Gayer.)

92. Bibliothèque municipale de Troyes, ms. 1066, fols 121-122.

93. Gilbert, Mémoires historiques et chronologiques sur l'abbaye de Port Royal des Champs, Utrecht, 1755, t. II, pp. 433-439.

94. 1681, p. 189.

95. 1681, p. 190.

96. Het Utrechts Archief, fonds Port-Royal, 181. Ce petit billet autographe est très soigneusement écrit. Dans ces versets Le Maistre s'assimile à saint Jean sur l'île de Patmos : "Moi Jean, qui suis votre frère et qui ai part avec vous à la tribulation, au royaume et à la pénitence en Jésus-Christ, (je fuis) pour la parole du Seigneur, et pour le témoignage que j'ai rendu à Jésus", Apocalypse 1 : 9.

97. Citons à titre d'exemple : "Cette terreur, quoy que panique, et passée ne laissa pas de m'émouvoir beaucoup" (1681, p. 202) ; "J'entray là comme à la dérobée, et je me fouray dans un coin fort obscur, tant j'avois peur que quelqu'un me reconnust" (p. 203) ; et "je m'étudiay [...] dans nostre hostellerie, à tenir une contenance ferme, me moquant moy-mesme de la terreur qui me venoit de fois à autre" (p. 208).

98. 1681, p. 223.

99. 1681, p. 215. Ce choix de mots ne laisse-t-il pas supposer que Charles Le Maistre fut pour quelque chose dans à la dissemination en France du Nouveau Testament publié à Mons en 1667 ? Ce fut son ami Pontchâteau qui fit faire à ses dépenses par Elzevir le première édition du Nouveau Testament de Mons, et qui escorta jusqu'à Paris un chariot plein de livres. Sur la publication du Nouveau Testament, et Migeot et Pontchâteau, voir Neveu, op. cit., pp. 321-328.

100. Il ne nomme ni le marchant, "Parisien de naissance", ni son frère qui est resté à Paris, 1681, p. 294.

101. 1681, p. 377.

102. 1681, p. 226.

103. 1681, pp. 191, 200.

104. Drouyn, XV, fol. 68.

105. "Exterminez et abattez jusqu'à ses fondements" (Psaume 136 : 10).

106. "Délivrez-moi, Seigneur, et me mettez auprès de vous, et après cela que la main d'un homme s'arme contre moi" (Job 17 : 3).

107. Dom Clément, Histoire générale de Port Royal (Amsterdam, 1757), t. VIII, pp. 84-85.

108. Bibliothèque de Port-Royal, PR 419, Nécrologe des plus célèbres défenseurs et confesseurs de la vérité du dix-septième siècle (s. l., 1761), t. I, p. 243.