[par Patricia M. Ranum]
À quelques exceptions de près, nous avons tenu compte des principes d'édition définis par les professeurs de l'École des Chartes. C'est-à -dire que ce récit étant autographe, nous avons respecté non seulement l'aspect général du manuscrit (1), mais aussi l'orthographe de l'auteur, qui confond plus tôt et plutôt, compter et conter, cœur et chœur, à l'entour et alentour, si tôt et sitôt, à jour et ajour — autant de bévues qui révèlent à quel point l'oralité pouvait emporter sur le bon usage chez un docteur érudit (2). Certains mots abrégés sont développés, 1er devenant premier, et S. voire St {41} devenant saint ; tout comme nous avons transformé en Mme ou M. les quelques Madame ou Monsieur que Le Maistre n'a pas abrégés. Ont été toutefois rectifiées quelques manifestes inattentions de notre auteur, notamment les e ou les s finaux qui donnent à un substantif masculin employé au pluriel, un adjectif soit féminin, soit au singulier.
Nous n'avons guère eu besoin de nous préoccuper d'une mise à jour de l'accentuation, car Charles Le Maistre marquait quasiment tous les accents requis. Il ne fallait donc qu'insérer tacitement les quelques accents qu'il a oubliés. L'ü que Le Maistre employait pour distinguer l'u manuscrit du v manuscrit est supprimé, et les "u consonnes" sont transformés en v : uiure devient donc vivre. De la même manière, tout i qui représente un "i consonne" (c'est-à-dire un j) est tacitement transformé en j : iniure devient donc injure. L'ï de Le Maistre est toutefois retenu. Cela permet d'entrevoir l'évolution orthographique de l'auteur, qui, vers 1660, commençait à abandonner l'ï en faveur d'un y, et qui dans un même paragraphe écrivit parfois voïage mais parfois voyage. Et puis, transformer ï en y aurait transformé voïyons en voyyons ! Mieux valait donc retenir non seulement l'orthographe originale, mais aussi le tréma que Le Maistre utilisait pour indiquer tout i qui se prononçait comme l'y de nos jours : moïen, voïons, voïage, et ainsi de suite.
Comme la plupart de ses contemporains, Le Maistre employait peu de majuscules. Nous en avons donc ajouté au manuscrit, selon les normes de notre époque. Pour ne pas trahir la façon de s'exprimer de notre auteur, nous avons préféré, en revanche, une ponctuation qui est parfois légèrement démodée. Le Maistre ne s'exprimait point en paragraphes composées de phrases indépendantes et relativement brèves. Au contraire, il s'exprimait en périodes, chacune composée d'une suite de phrases ou d'éléments plus ou moins entrelacés. Pour séparer les principales phrases qui forment cette période, Le Maistre employait un point-virgule. À l'intérieur d'une de ces longues phrases, il séparait des éléments, ici avec une virgule, là avec deux points ; parfois il ne mettait rien. Cette façon de s'exprimer convenait parfaitement à un docteur en Sorbonne des années 1660 ; mais elle ne se prête guère à la compréhension des lecteurs des années 2000. Donner à certaines de ces structures grammaticales si complexes la ponctuation assez dépouillée qu'on préfère au XXIe siècle aurait pour résultat d'obliger le lecteur à relire un grand nombre de phrases, afin de dégager les petits éléments qui se suivent comme les perles d'un collier. Pour cette raison, la ponctuation dans cette édition s'inspire à la fois de la ponctuation actuelle et de celle qu'on recontre dans les imprimés du XVIIe siècle. Chaque longue période est subdivisée ici, pour définir plusieurs phrases assez longues, voire une succession de petites phrases. À l'intérieur de ces phrases, figurent un nombre de virgules parfois considérable, afin de mieux isoler les différents éléments de la structure grammaticale. Grâce à ce procédé, nous espérons avoir rendu plus clair la structure de chaque paragraphe, sans trahir la pensée de notre auteur. Par ce même souci, nous nous référons à la traduction {42} de la Bible dite "de Port-Royal" commencée par Louis-Isaac Lemaître de Sacy († 1684) et continuée par Pierre Thomas du Fossé. Terminée en 1696, cette traduction est disponible dans une édition de Philippe Sellier (Paris : Laffont, 1990).
Les noms de personnes et de lieux posent une difficulté particulière, car l'orthographe de Le Maistre est souvent phonétique. Ayant pris le parti de ne pas toucher à son orthographe, et ne voulant point larder le récit de notes et de parenthèses, nous laissons le texte tel quel, et nous mettons la bonne orthographe dans l'index, avec les renvois nécessaires. Les noms des personne, des villages ou des ruisseaux que nous n'avons pas pu identifier paraissent entre guillemets : "Hisparch", "Porknik" et ainsi de suite. La longeur du manuscrit nous a poussé à réduire au minimum les notes explicatives : seules celles qui jettent du jour sur Le Maistre lui-même ont été retenues.
Notes:
Nous tenons à remercier Élisabeth Verry, directeur des Archives
départementales de Maine-et-Loire, d'avoir pris la peine de vérifier si
le fonds Brissac ne contient pas des documents qui auraient pu permettre
d'identifier les personnes dans la suite du Duc ; le professeur Georg
Luck et le professeur Jotham Parsons de nous avoir conseillé sur
quelques citations latines ; Olivier Chaline, qui a consulté sur place
le manuscrit 385 de la Bibliothèque du Havre (c'est la Relation
de 1681 édité par G. van de Louw) et a confirmé l'exactitude de notre
hypothèse que ce manuscrit n'est pas d'une copie du XIXe siècle mais une
œuvre autographe de Charles Le Maistre ; Valérie Guittienne et Fabien
Vandermarcq, bibliothécaires de la Bibliothèque de la Société de
Port-Royal, qui ont facilité nos recherches dans ces fonds si riche ;
Patricia Droulers, conservateur à la Bibliothèque municipale du Havre,
qui a facilité le travail d'O. Chaline ; et Jacques M. Gres-Gayet, qui
nous a fourni quelques renseignements précieux sur Charles Le Maistre.
1. Les alinéas sont ceux de Le Maistre. Les noms des villes d'étape,
que Le Maistre marque en haut de chaque page, sont toutefois déplacés et
figurent maintenant avant le paragraphe où notre autuer commence sa
description du lieu. Dans cette édition, les résumés de chaque
paragraphe — ajoutés plus tard, et en marge, par Le Maistre lui-même (d'où
l'orthographe parfois plus moderne) — précèdent le paragraphe en
question.
2. Pour preserver d'autres traces de l'oralité, certaines élisions
qui reviennent régulièrement dans le manuscrit sont respectées —
principalement à droit et à gauche, où nous ajoutons un apostrophe: à
droit' et à gauche. Loin d'être des bévues, ces élisions peuvent faire
figure d'indices de la suppression de la finale atone dans la
prononciation d'un docteur de la Faculté de Paris. Que faire pour les
quelques phrases où, pour une raison analogue, Le Maistre féminise le
numéro un devant un mot masculin, par exemple, homme ou
horologe ? Nous avons pris le parti de respecter son orthographe,
parce qu'elle permet de voir que, quand il parlait, Le Maistre ne
nasalisait point un devant une voyelle. Finalement, pour se rapprocher à
la prononciation italienne d'un nom de lieu qui se termine en e, Le
Maistre utilisait sporadiquement un é. Pour les différents villages et
villes italiens où notre auteur s'arrêta, nous avons donc "italianisé"
cet e final.