Panat in postcardThe Ranums'

Panat Times

Volume 1, redone Dec. 2014

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/327/ De Paris le 2 decembre 1650

Vous aves sceu que M. le Cardinal resigna l'année derniere l'abbaye de Charroux en Poictou à M. le comte de Laval, second filz de M. le duc de la Tremouille, lequel en a sollicitté les bulles en Cour de Rome. Elles luy ont esté refusées parce que S.E. jouyssoit de ce benefice sans en estre autrement pourveu que la resignation de M. l'evesque de Calcedoine, moyenant une pension de 5000 livres, et dont celuy cy n'ayant rien tousché, refuse maintenant d'en donner la resignation, laquelle est necessaire à ce comte à cause que S.E. n'en ayant pris des bulle, il n'a pas peu resigner cette abbaye.

MM. du clergé estant [repetition: estant] sur le point de finir leur assemblée, on les sollicitte puissanment d'octroyer quelque somme notable au Roy, en quoy il y a d'autant plus de difficulté qu'ilz ont resolu de ne rien donner que par les suffrages des deux tiers de l'Assemblée, et despuis 3 jours de ne rien desliberer sur cette affaire qu'apres avoir desliberé sur touttes les autres. M. le Cardinal ayant sceu que les evesques d'Agen et d'Orleans, tous deux de la Maison d'Elbene, estoint puissantz dans l'Assemblée et qu'ilz estoint d'advis de ne rien donner, les envoya prier le 28 au matin de prendre la peyne de le venir trouver, ce qu'ilz firent aussytost. S.E. les exhorta par des parolles fort douces de considerer les necessittés presentes de l'Estat, et de ne s'opposer aux bons desseings de ceux qui estoint d'advis d'octroyer quelque secours d'argent au Roy. Ces deux prelatz respondirent à S.E. qu'elle sçavoit bien les necessittés de l'Estat, mais non pas celles de leurs provinces; que s'ilz avoint peu donner quelque chose, ilz l'auroint faict à la priere de M. le duc d'Orleans; que d'allieurs elle n'avoit pas donné subject ny au clergé ny à la Maison d'Elbene en particulier de rien faire en sa faveur; que dans le different que le clergé eut il y a 2 ans avec M. d'Espernon, S.E. prit absolutement les interestz de celuy cy et abandonna le premier, quoy qu'elle feut du corps, donnant subject par ce moyen au clergé de ne se soucier point des interestz de S.E. lors qu'elle en auroit besoing; et qu'elle avoit empesché qu'on ne rendit justice à M. l'evesque d'Alby, leur oncle, qu'on avoit deposseddé injustement sur une simple sentence. S.E. leur dit là dessus que pour l'affaire de M. d'Espernon, la Reyne l'avoit voulu ainsy, et que pour celle de M. d'Elbene, elle leur promettroit de s'employer pour moyener un accommodement en sa faveur; à quoy ces prelatz ayant reparty que leur oncle ne vouloit point d'accommodement et qu'il demandoit seulement justice, M. le Cardinal leur replicqua qu'il n'avoit jamais empesché qu'on n'y rendit justice à M. d'Elbene, qu'il ne se mesloit point de la justice distributive, que c'estoit à M. le Garde des Sceaux qu'il falloit se plaindre de cela, quoy que celuy cy ne l'aye refusée qu'à la priere de S.E., qui porte entierement M. de Lude. Enfin, apres quelques autres parolles ilz prirent congé sans luy vouloir rien accorder.

On asseure qu'aussytost qui [qu'il] se parla de transferer MM. les princes au Havre, MM. de Beaufort et de Nemours commencerent de faire assembler leurs amis pour les sauver; mais quelques personnes leur ayant rapporté que c'estoit le moyen de perdre MM. les princes et que sans doute M. de Bar avoit ordre de les faire tuer en cas qu'on les luy voulu oster, ilz prirent un autre resolution, qui feut de presenter une requeste au Parlement /327v/ au nom de la noblesse pour demander la convocation des Estatz Generaulx, esperant de leur procurer la liberté plustost par ce moyen que par tout autre; sur quoy l'on dit qu'il avoit esté resolu d'arrester MM. de Beaufort et de Nemours contre le sentiment de M. le duc d'Orleans, qui sur la premiere proposition que l'on en fit au Conseil representa que c'estoit le moyen de remettre le feu dans tout l'Estat, et n'y voulu pas consentir; et on dit que cette requeste est desja signée de grand nombre de gentilhommes, et qu'elle doit estre portée au Parlement par ces messieurs à la premiere assemblée; et que cepandant la Reyne ayant envoyé querir ces jours passés M. de Beaufort, celuy cy s'en excusa de ne pouvoir venir au Palais Cardinal, ne s'y voyant pas en seurté tant que M. le Cardinal seroit son ennemy, mais que si Sa M. avoit quelque chose à luy commander, il en recevroit les ordres avec touttes sorte de respect ches luy, où il tient à present 20 ou 30 gardes avec des bons mousquetons pour se deffendre en cas qu'on le voulut arrester.

Le bruit qui avoit couru que la garnison du Havre refusoit de laisser entrer de Bar dans la place, s'est trouvée veritable; mais l'affaire a esté accommodée par un gentilhomme nommé du Plessis et le sieur de la Tivoliere, lieutenant des gardes de la reyne, qu'on y avoit envoyé à cette fin l'ung apres l'autres; en sorte qu'il feut arresté avec Ste Maure et les officiers de la garnison qu'il demeureroit avec 100 soldatz dans la citadelle, en prestant un nouveau serment à obeir à de Bar, qui y mettroit encor 200 hommes; et que Ste Maure viendroit en Cour, où il est attendu; et on asseure que pour le gaigner, on luy a faict esperer une charge de lieutenant des gardes pour son filz, sans ce qu'il pourroit recevoir d'effectif. Cest accommodement estant ainsy faict, de Bar fit entrer dès le 27 MM. les princes dans la citadelle par une petite bresche qu'on y fit dehors afin de n'estre pas obligé de les passer par la ville, où il auroit craint quelque nouveauté. Il y trouva les apartementz preparés et les fenesteres fermées de murailles en bas, en sorte qu'on n'y peut veoir que le ciel au lieu qu'auparavant on voyoit les champs, la ville, et la mer. Il commande en qualité de lieutenant soubz Mme d'Aigullion, à laquelle il a donné sa parolles; et la Reyne le luy a confiermé qu'on ne luy osteroit point cette place, laquelle neamoings elle aprehende tousjours de perdre.

L'ouverture des audiances ce [se] fit le 28 au passé, où M. le Premier President dans sa harangue loua fort le ministere et la conduitte de la Reyne, et blasma les factieux.

Le 29 M. Fouquet, maistre des requestes, feut receu dans sa charge de procureur general du Parlement, la Grande Chambre, l'Edit, et la Tournelle assemblées. Les chambres des Enquestes, qui pretendoint qu'on les y devoit appeller, en firent du bruit et le menacerent de l'obliger de rendre conte des intendances de justice qu'il a exercé en divers endroitz.

Mme la Princesse douairiere est retombée en sa fievre pour la 4e fois et est fort malade. /328/ Madame sa belle fille n'a pas peu partir de Monront pour la venir veoir, estant aussy malade. Mme de Guyse est guerie. La Reyne feut seignée le 28 pour la 8e fois despuis le commencement de sa maladie, qui feut à Bourg au retour de Bourdeaux. Elle se porte mieux despuis cette derniere saignée.

Les depputtés de Bourdeaux sollicitent fort icy la nomination d'ung nouveau gouverneur, mais les villes de Rhodes [Rodez], Montaubant, et deux ou trois autres de Guyenne demandent que M. d'Espernon leur soit continué; ce qui amuse les Bourdelois, qui tesmoignent tousjours grande resolution de se faire faire raison.

Le sieur de Fontanelle, regent de Catalougne, est arrivé en Cour. Le marquis de St Megrin passa le 19 du passé à Perpignan avec ses troupes, pour aller joindre le duc de Mercoeur pour tenter le secours de Tortose.

La Cour a tesmoigné grande satisfaction de ce que les Estatz de Languedoch ont osté au Parlement de Tholouse la cognoissance et le maniement des deniers du Roy; mais on croit qu'ilz n'accorderont que 600 mille livres cette année, quoy que la demande soit de 1500 mille livres, à cause de la revocation de l'edit de Beziers faict l'année passée.

M. de Marchin ayant envoyé icy un gentilhomme pour poursuivre sa liberté, et plusieurs personnes de condition ayant donné leurs parolles pour luy qu'il n'entreprendra rien contre le service du Roy, entre autres les mareschaux de Schomber et de l'Hospital, M. le Cardinal a faict response, apres plusieurs instances que ces messieurs luy ont faittes, qu'il falloit veoir plus clair dans cette affaire, et que cepandant on envoyeroit un ordre pour faire transferer M. de Marchin de Perpignan à Lyon ou en quelque autre lieu plus proche de Paris.

S.E. partit enfin hier au matin avec MM. Le Tellier et Gargan pour son voyage de Champagne, accompagnée de ses gardes et des gendarmes du roy et de la reyne qui servent en quartier, les autres n'estant pas encor de retour du Havre; mais M. Le Tellier doit revenir aujourd'huy et va droit à Chalons. On dit que son voyage ne sera que de 15 jours; qu'il n'y va que pour donner une monstre à l'armée, où il apporte à cette fin 1200 mille livres pour faire entrer un puissant convoy dans Sedan, où les vivres sont desja fort chers despuis la prise de Mouzon, et pour tascher de desunir le mareschal de Turenne d'avec les Espagnolz et pour empescher ceux cy de prendre leur quartier d'hyvert en France, plusieurs croyant qu'il assiegera Retel et qu'il s'abouchera avec les gens du duc de Lorraine pour traitter avec luy.

Avant son despart M. le Nonce feut veoir S.E., s'estant raccommodée avec elle par l'entremise de l'ambassadeur de Venise, à cause qu'ilz n'estoint pas en bonne intelligence ensemble despuis que le premier, apres avoir tesmoigné grand zele pour la paix, fit veoir qu'il n'avoit tenu qu'à S.E. qu'elle ne feut faitte.

/328v/ Ce matin le Parlement s'estant assemblé, MM. de Beaufort, de Brissac, le Coadjuteur, et de l'Hospital s'y estant trouvés, le Premier President et l'advocat general Talon ont harangué et ont exhorté l'assemblée de ne faire point de bruit dans les conjonctures presentes, afin que les ennemis de l'Estat n'en puissent pas proffiter; en suitte de quoy M. Deslandes Payen a prit la parolle: que hier à 9 heures du soir il feut chargé d'un requeste de la part de Mme la Princesse, dont on fit lecture. Elle contenoit en substance qu'ayant esté contrainte de se sauver avec M. le duc d'Anguien, son filz, de Chantilly à Mourron pour y chercher une seurté contre les persecutions violentes du cardinal Mazarin, elle [a] encor sceu qu'on avoit faict avancer les troupes pour la prendre là; ce qu'il l'avoit [ce qui l'avoit] obligé de se refugier dans Bourdeaux, où elle avoit esté receue soubz la protection du Parlement; qu'apres la paix elle avoit esté à Bourg se jetter aux piedz de la Reyne et luy demander la liberté de MM. les princes; que Sa M. luy avoit faict esperer qu'elle considereroit la priere qu'elle luy en faisoit, apres qu'elle se seroit mise en estat de recevoir cette grace; qu'ensuitte elle avoit obei; que despuis Sa M. a esté destournée de la bonne volonté qu'elle en pouvoit avoir par le cardinal Mazarin, qui avoit fait transferer MM. les princes au Havre, le lieu le plus incommode qu'il avoit peut imaginer, et les avoit soub[s]trait par ce moyen de la jurisdiction de MM. du Parlement de Paris, qui sont leurs juges naturelz; les supploit d'ordonner que le Roy seroit tres humblement supplié de les faire ramener à Paris dans le Louvre, pour estre jugés aussytost. Il a esté resolu tout d'une voix que cette requeste seroit communiquée à MM. les Gens du roy, et qu'en l'assemblée on en deslibereroit me[r]credy prochain.

Les officiers du regiment des gardes n'estant pas payés, resoleurent de s'en plaindre hautement et deputterent à cette fin avant hier le sieur de Chasturneau, lieutenant d'une compagnie de ce regiment, à M. le Cardinal. Ce lieutenant parla avec grande hardiesse à S.E. et fit si grand bruit qu'il obtient d'abord une assignation pour 8 montres entieres sur les entrées de Paris.

Nos trouppes on[t] investy Bar le Duc.

/329/ De Paris le 9 decembre 1650

Vous aures sceu de quelle façon le sieur de Chasteauregnaud, lieutenant aux gardes, parla à M. le Cardinal la veille de son despart; mais ce feut apres un escrit que tous les officiers du regiment avoint signé, par lequel il s'estoit ligués contre S.E., ayant resolu entre eux de contribuer tous ensemble à indemniser celuy qu'on pouvoit arrester dans cette conjoncture et de s'emparer des portes de la ville pour recevoir eux mesmes les droitz des entrées. Ce lieutenant ayant faict son discours à S.E., elle luy promit que le payement des 8 montres entieres luy seroint assigné sur les entrées de Paris, et que M. Le Tellier leur donneroit toutte la satisfaction qu'ilz pourroint souhaitter. Ensuitte celuy cy estant revenu le 3e de Meaux, où il avoit accompagné S.E., tous les officiers du regiment l'allarent veoir et leur promit qu'ilz auroint les assignations qu'on leur avoit fait esperer et une partie en argent comptant; mais ilz n'ont pas encor receu les effectz de ces promesses, et ilz feurent avant hier s'en plaindre à M. le duc d'Orleans, menés par le duc de Candale; et S.A.R. a despuis parlé de cette affaire à M. de Maisons, qui travaille à les contenter.

Les rentiers de la Ville font grand bruit despuis le despart de S.E., disant qu'il a emporté le fonds destiné pour le payement de leurs rentes.

M. Fouquet, nouveau procureur general, se trouvant fort empesché de donner ses conclusions sur la requeste de Mme la Princesse, feut le 3 au Palais Royal avec l'Advocat General pour en parler à la Reyne, qui les renvoyà à M. le Garde des Sceaux; et parce qu'on avoit sceu q'une autre requeste de cette nature devoit estre presentée à tous les parlementz de France pour les obliger à s'unir à demander l'execution de la declaration d'octobre 1648 à l'esgard des prisonniers, l'on avoit resolu au Conseil d'envoyer une nouvelle declaration du Roy au Parlement, par laquelle Sa M. leur declaroit qu'elle n'avoit jamais entendu comprendre les prisonniers d'Estat dans celle d'octobre, qu'elle avoit remis sa majoritté la desliberation sur l'affaire de MM. les princes, et qu'elle leur en interdisoit cepandant la cognoissance; mais cette declaration n'a point encor paru parce qu'on n'a pas veu les espritz disposés à y avoir esgard.

MM. de Beaufort et le Coadjuteur sont tousjours dans des grandes deffiances et ne veulent point d'accommodement avec M. le Cardinal; neamoings on a proposé des moyens despuis 3 jours, en donnant une place pour seurté au premier et la nomination au cardinalat au second.

Le testament de Mme la Princesse douairiere va jusques à un million. Elle a fait pour 100 mille livres de legs pieux et donné environ autant pour recompenser ses officiers. Elle a osté tout ce qu'elle a peut à M. le Prince et a fait tous les avantages à M. le prince de Conty, et a donné 100 mille escus à Mme de Longueville. Le dont qu'elle a fait à Mme de Chastillon de la terre de Marlou et de pierreries pour 100 mille livres est /329v/ contenu dans un codicille particulier. Elle a fait son executeur le president de Nesmond, auquel elle a donné un diamant de 600 livres. Son corps doit estre enterré dans l'esglise des Carmelites du faubourg St Jacques. On a trouvé le testament entre les mains d'une religieuse nommé Soeur Claude. L'on avoit resolu de ne point faire sçavoir cette mort à MM. les princes jusques à Noel, que le Pere Boucher, Jesuiste, leur porteroit cette nouvelle, ayant esté demandé par M. le Prince pour l'aller confesser en ce temps là; mais l'abbé de Crissac, grand amy de M. le prince de Conty, est allé expres au Havre pour la leur faire sçavoir, et en vient hier au soir avec un ordre de M. le Prince pour faire touttes les ceremonies qui ce [se] pourront faire aux funerailles de sa mere, quoy qu'elle eut ordonné par son testament que l'on n'en fit point.
Le mareschal de la Motte est revenu en cette ville aussytost qu'il a sceu que M. le Cardinal en estoit party. M. le duc d'Anjou est nommé pour gouverneur de Guyenne, mais le lieutenant general ne l'est pas encor.

Touttes les villes de Champagne ont receu ordre de se munir de bledz, et deffenses d'en amener à Paris, afin que la province n'en soit pas depourveue.

La ville de Bar le Duc ayant resolu de demander la neutralité du Barrois à la France et au duc de Lorraine, a envoyé pour cest effect un depputté à ce duc, qui a consenti d'abord, et en mesme temps chargé ce depputté d'offrir à la Cour de France qu'en ce cas, si elle vouloit, on cedderoit ce pais là au duc d'Iorch durant la neutralité. Le depputté est arrivé icy despuis 4 jours et en a fait la proposition, dont il attend la response; mais on croit qu'avant qu'on la luy rende, on fera un dernier effort pour venir à bout d'ung accommodement entier du duc de Lorraine, lequel est tousjours dans la pensée de marier sa fille naturelle au duc d'Iorch.

Le 7 du courant le Parlement estant assemblé et MM. de Beaufort, le Coadjuteur, le prince de Guymené, le duc de Brissac, et le mareschal de la Motte s'y estant trouvés, l'Advocat General fit un long discours sur la requeste de Mme la Princesse, representant l'importance qu'il y avoit de ne toucher point à cette affaire, et qu'on avoit [qu'on n'avoit] jamais veu que le Parlement eut pris cognoissance des affaires de cette nature; apres quoy il donna ses conclusions sur la requeste, et demanda qu'elle feut portée au Roy pour en ordonner comme il verroit bon estre. Ensuitte M. Deslandes Payen dit que M. des Roches, lieutenant des gardes de M. le Prince, avoit une lettre de son maistre adressée au Parlement, laquelle il desiroit rendre; sur quoy quelq'ungs estant d'abord d'advis qu'on le fit entrer, le president de Mesmes et quantité d'autres insisterent qu'il suivroit les formes et rendroit sa lettre à MM. les Gens du roy. Cepandant M. Ferrand, conseiller à la Grande Chambre, dit qu'il estoit chargé d'une /330/ requeste de Mlle de Longueville, dont on fit lecture. Elle contenoit en substance l'arrest fait de la personne de MM. les princes dans le Palais Royal; leur detention contre la declaration d'octobre 1648; leur translation de Vincennes à Marcoussy et de Marcoussy au Havre, lieu malsain et hors du ressort du Parlement; le mauvais traittement qu'ilz ont receu aussy bien que toutte leur Maison, et elle en son particulier, ayant esté contrainte de se retirer dans un cloistre; et demandoit qu'il feut ordonné qu'ilz seroint ramenés à Paris pour estre jugés. Apres cela MM. les Gens du roy estant rentrés, dirent que le sieur des Roches leur avoit fait entendre q'ung cavalier de ceux qui avoint assisté à la conduitte de MM. les princes au Havre luy avoit porté une lettre qui n'estoit point cachettée, laquelle MM. les princes escrivoint au Parlement; sur quoy il feut arresté qu'il la bailleroit au greffier pour en faire lecture, ce qu'il fit. L'on remarqua qu'elle estoit escritte de la main de MM. les princes, et il y avoit 3 sortes d'ancre: rouge, blanche, et grise. Elle estoit signée de leurs mains: "Louys de Bourbon, Armand de Bourbon, et Henry d'Orleans." Elle representoit que s'ilz eussent eu permission d'escrire, ilz se seroint plustost adressés au Parlement pour se plaindre des mauvais traittementz et violences que leurs ennemis exercent contre des personnes qui sont du sang royal et du corps du Parlement, lequel ilz supplient de vouloir considerer l'estat où l'on a mis 3 princes qui n'ont jamais respiré que le service du Roy, et qui ont resolu d'employer à l'advenir leurs biens et leurs vies pour le service du Parlement. La lecture estant faitte, MM. les Gens du roy prirent sur cette lettre et sur la requeste de Mlle de Longueville, les mesmes conclusions qu'ilz avoint prises sur la requeste de Mme la Princesse; et l'heure ayant sonné lors qu'ilz alloint commencer à opiner, messieurs se leverent et remirent l'assemblée à aujourd'huy.

Cepandant les amis de MM. les princes ayant representé à M. le duc d'Orleans qu'il estoit inouy que des princes du sang feussent detenus dans un lieu comme Le Havre, et qu'il les devoit mettre dans une maison royalle, il leur a respondu qu'on les a transferé sans son consentement et qu'il estoit d'advis qu'ilz feussent ramenés dans St Germain en Laye; et afin que personne ne peut doubter de la bonne intention que S.A.R. a de leur faire rendre justice, elle en a genereusement donné une declaration par escrit à ceux qui luy en avoint parlé.

Sur cela on tient Conseil hier au soir au Palais Royal, où il feut resolu que la Reyne manderoit ce matin le Parlement, comme elle a fait dès 9 heures, M. de Sainctot ayant apporté pour cest effect la lettre de cachet; laquelle ayant esté leue par les 3 chambres qui estoint desja assemblées, il a esté resolu qu'on l'envoyeroit aux Enquestes pour la lire et leur remonstrer qu'il n'estoit pas besoing de s'assembler jusques à ce qu'on auroit veu ce que la Reyne voudroit. Les chambres des /330v/ Enquestes se sont assemblées là dessus au cabinet de la premiere, où elles ont resolu d'envoyer dire au Premier President qu'elles estoint d'advis de s'assembler pour desliberer sur cette lettre de cachet, et que si on leur refusoit l'assemblée elles iroint prendre leurs places; ce qui obligea le Premier President à leur mander qu'elles pourroint venir, comme elles on[t] fait; et estant touttes entrées dans la Grande Chambre, on a resolu d'aller trouver la Reyne par des depputtés pour sçavoir ce qu'elle voudroit, et de continuer l'assemblée demain au matin pour desliberer sur le tout.

Le president de Bellievre doit partir le 20 de ce mois pour son ambassade en Holande. On dit qu'on l'y envoye plus pour oster son conseil aux Frondeurs que pour autre suject.

La Chambre des comptes a donné cette semaine un arrest sur lequel elle a accordé cette année 400 mille livres pour les gages des officiers de justice. Les Estatz de Languedoch on[t] envoyé icy le baron Jalinques pour porter la nouvelle qu'ilz n'avoint peu accorder au Roy que 600 mille livres pour cette année.

Avant hier MM. du clergé ayant mis en desliberation s'ilz devoint octroyer quelque [s]om[me] au Roy, l'archevesque de Reins voulu faire resoudre sa province à donner; mais M. de Lesseville, conseiller au Parlement et depputté dudit ordre, fit venir une procuration qu'il avoit de la province pour desadvouer cest archevesque en cas qu'il voulut donner; et ainsy elle demeura caduque. L'evesque de Mirepoix voulut aussy donner, mais il feut aussy desadvoué par une procuration de la province de Tholouse; et les autres provinces demeurerent partagées là dessus, en sorte qu'il en faut remettre la decision à un autre jour.

Le sieur de Ste More est arrivé icy despuis 3 jours, apres avoir fait sortir du Havre toutte sa garnison suivant l'ordre qu'il en avoit de Mme d'Aigullion.

Nos trouppes se sont avancés vers Retel pour l'investir, dont l'Archiduc estant averty est party de Bruxelles et a envoyé ordre à touttes ses trouppes de s'assembler; cepandant le mareschal de Turenne a jetté dans Retel des vivres et des munitions et a renforcé la garnison jusques à 1800 hommes. Les trouppes qui estoint dans Mourron s'y acheminent, et celles qui conduirent MM. les princes au Havre, et les gendarmes de S.A.R., sont party d'icy ce matin pour y aller aussy. Le duc de Bouillon s'en vient en Cour. L'on mit hier hors la Bastille le sieur Paris. S.E. est arrivé à Rheins despuis 3 jours et avoit mandé MM. de l'Estrade, qui commande dans Duncherque, et Broglio, gouverneur de La Bassé, pour venir [à] /331/ Rhetel; mais ayant despuis eu advis que les ennemis avoint quelque desseing du costé de la mer, elle les a renvoyé, ayant donné ordre à Broglio de passer à Dourlens pour contenter le gouverneur de cette place, laquelle, comme on croit, sera mise entre les mains de Ste More jusques à ce que du Bar luy aye rendu Le Havre.

Mme de Longueville est malade à Stenay. Le Roy a fait bastir un fort dans le jardin du Palais Royal, lequel par divertissement il doit assieger dimanche prochain par les formes militaires et mettre des gens dedans pour le deffendre. Il y aura 6 petites pieces de canon et des tranchées, et on s'y battra à coups de plottes.

La Reyne est tousjours malade. Mme de Guyse est retombée dans sa fievre depuis 4 jours.

/332/ De Paris le 16 decembre 1650

Vous aures sceu qu'apres la premiere guerre de Bourdeaux, M. de Sauveboeuf escrivit icy à M. de la Frette, cappitaine des gardes de S.A.R., et le supplia d'asseurer Sadite A. et mesmes de luy donner sa parolle qu'il ne s'engageroit plus dans aucune rebellion ny des Bourdelois ny d'autre, ce que M. de la Frette luy accorda aussytost. Nonobstant cela, Sauveboeuf ne laissa pas de s'engager dans les mouvementz de Bourdeaux et mesmes de passer en Espagne; dont M. de la Frette s'estant justement picqué, luy manda aussytost qu'il sceut son retour, qu'il le vouloit veoir l'espée à la main; à quoy Sauveboeuf fit response qu'encor qu'il n'eut jamais refusé le combat à personne, neamoings il estoit obligé de le luy refuser, tant à cause des obligations qu'il luy avoit que parce qu'il recognoissoit sa faute, et qu'il se mettroit devant luy en telle posture que ses amis luy ordonneroint; dont M. de la Frette n'estant pas encor satisfait, luy a mandé qu'il ne vouloit d'autre satisfaction que de se battre contre luy; ce qu'ayant esté descouvert, S.A.R. a commandé à un exempt de garder M. de la Frette et l'empescher de se battre.

Le 10 du courant le Parlement s'estant assemblé et le rapport ayant esté fait de ce qui s'estoit passé le jour precedent au Palais Royal, l'on commencea à desliberer si l'on deveoit surceoir les assemblées pour quelques jours ainsy que la Reyne l'avoit demandé, dont tout le monde estoit demeuré d'accord. Il y eut deux principaux avis sur le temps qu'on devoit accorder: le premier estoit de donner 8 hours, et l'autre jus[ques] au iii seulement. Le president de Mesmes y dit qu'on accorderoit non seulement 8 jours mais encor 15 à des parties dans le jugement d'ung proces, et qu'à plus forte raison on les devoit accorder à la Reyne. M. Crespin, doyen des conseillers, donne suject à plusieurs de rire, ayant exhorté la Compagnie de faire faire des prieres publiques pour la santé de la Reyne, en quoy il ne feut suivy que de 7 ou 8 voix. Il y en eut 55 qui alloint à donner 8 jours, et 105 à ne donner que jusques au 14, auquel jour l'assemblée feut remise sur les requettes et la lettre de MM. les princes.

Le mesme jour 10 on fit partir d'icy un courrier pour aller en Bearn porter ordre au mareschal de Grandmont de venir en Cour. On croit que c'est pour accommoder l'affaire des officiers des gardes, dont il est maistre de camp, laquelle est au mesme estat. Il y eut quantité de soldatz le x ches le president de Maisons pour avoir de l'argent, et d'autres sur le chemin de Gonnesse qui prirent quantité de pain aux boulengers qui en amenoint icy; ce qu'ayant voulu continuer le 14, le Prevost de l'Isle et autres feurent sur le chemin pour empescher ce desordre, desarmerent les soldatz, et escorterent les boulengiers dans Paris.

M. d'Argençon s'enferma la semaine passée dans le couvent de St Lazare pour s'y faire prestre de la Mission.

L'Assemblée du clergé est tousjours dans les contestations si on doit octroyer quelque somme au Roy. Il y a 7 provinces qui sont d'advis de donner, mais peu de chose, et encore, et ce à condition que /332v/ le Roy fera droit sur les remonstrances qu'on fera en faveur de M. le prince de Conty et de M. l'evesque d'Alby; mais deux de celles en sont desadvouées. Il y en a 6 autres qui sont d'advis de ne rien donner. Les 2 autres sont cadques ou miparties, sçavoir Sens, dont l'evesque d'Auxerre veut donner et le sieur Boucherat, depputté dudit ordre, ne veut rien donner; et Ambrun, dont l'Archevesque ne veut donner et le depputté veut donner. Cette assemblée fit faire le 12 un service solemnel aux Augustins à la memoire de feue Mme la Princesse douairiere. L'evesque d'Auxerre y officia, et celuy de Vabres fit l'oraison funebre. Toutz les evesques qui sont en cette ville y assisterent, exceptés ceux de Rhodes [Rodez] et de Dol, de Lavaur et d'Evreux, qui sont tropt amis de M. le Cardinal pour se trouver en une action dont la Cour n'est pas satisfaitte, à cause qu'autrefois le clergé n'en voulut pas faire autant à la memoire de la reyne Margueritte. Le corps de cette princesse arriva le xi à St Maur et doit estre apporté icy aussytost que le deuil sera fait.

Mademoiselle estant sur le point de jouyr de tout son bien, a pris un conseil pour ses affaires, dans lequel elle n'a voulu mettre aucung des officiers de son pere. Son intendant sera M. d'Erbigny, conseiller, nepveu du president de Mesmes.

Le xi le Roy estant allé entendre le sermon à St Nicolas des Champs, l'on remarqua que M. de Beaufort, qui y estoit, en sortit et s'en retourna ches luy aussytost qu'il sceut que Sa M. venoit. Le 12 le petit prince de Genevois, filz unique du duc de Nemours, mourut.

M. de Bar ayant escript icy que M. le prince de Conty estoit malade, on fit partir le mesme jour en poste son medecin et son apoticaire pour l'aller traitter.

Le chevalier de Sevigny, parent de M. le Coadjuteur, a achepté de M. de Mortemar le gouvernement de Fougeres en Bretagne et traitte avec M. d'Avaugar pour celuy de Rennes et de 4 eveschés. Il se marie avec la veuve du sieur d'Auvergne, gouverneur du duc de Brezé.

Le 14 les chambres estant assemblées au Parlement, on releut les requestes de Mme la Princesse et de Mme de Longueville, la lettre de MM. les princes, et les conclusions de MM. les Gens du roy, lesquelles contenoint que lesdites requestes seroint rendues auxdites princesses et que cepandant on informeroit Leurs M. pour y pourveoir. M. Delandes Payen commencea d'opiner et feut d'advis que tres humbles remonstrances seroint faittes au Roy et à la Reyne sur l'estat des affaires presentes, que cepandant il feut ordonné que MM. les princes seroint ramenés du Havre au Louvre, et que tous les parlementz feussent invitté de travailler avec correspondance pour le bien du rouyaume, troublé par la mauvaise conduitte de cest estranger; sur quoy l'on remarqua que le Premier President dit qu'il faudroit une clef bien grosse pour ouvrir la prison où sont MM. les princes. M. Le Nain dit qu'il /333/ jugeoit tres à propos d'invitter M. le duc d'Orleans de venir prendre sa place, que l'affaire estoit de si grande consequence qu'il ne pouvoit dire son avis au fond qu'en sa presence; sur quoy l'affaire ayant esté mise en desliberation si l'on continueroit d'opiner ou si l'on remettroit l'assemblée jusques à ce que S.A.R. feut presente, apres beaucoup de contestations et des crieries, l'on considera qu'il estoit tropt tarde pour achever cette desliberation; et ainsy il feut arrestée que S.A.R. feut invittée de venir le lendemain prendre sa place, et qu'en cas qu'elle n'y peut pas venir et qu'elle voulut remettre à un autre jour, l'on ne laisseroit pas de desliberer au fondz sans autre delay. En mesme temps on depputta MM. Doujat et Menardeau vers S.A.R., laquelle leur promit de leur rendre responce; et cepandant à la sortie il y eut grand bruit dans la salle du Palais, et l'on croioit "Point de Mazarin!" et il y eut des espées tirées.

Les avis qu'on a eu de Champagne cette semaine portent que nostre armée, estant forte de 11 mille fantassins et 7 mille chevaux, assiega Chasteau Porcien en mesme temps que Retel, et que la garnison ce [se] retira d'abord dans le chasteau, ayant abandonné le bourg, où les nostres s'estant logés attendent la capitulation de la garnison; cepandant la melieure partie de nostre armée ayant pris le faubourg de Retel, s'attacha [s'attaqua] à la porte de la ville et la somma en mesme temps de se rendre, ce qu'elle fit aussytost, en sorte que la garnison en sortit hier au matin. M. le Cardinal est logé dans le chasteau d'Arjon à une lieue de là. Le mareschal de Turenne estoit allé du costé de Langres avec 4 mille chevaux et quelque infanterie, ayant creu que nostre armée devoit aller droit à Bar le Duc, mais ayant apris le contraire, il e[s]t revenu proche Rheins à un lieu nommé Somphipe [Sommepy? Somme-Suippe? Sompuis?].

Un courrier arrivé hier icy au soir rapporta que Milord d'Igby ayant eu advis q'ung party des ennemis, s'estoit posté aux environs de Bapaume et y exigeoit des contributions, s'y avancea le 12 avec 300 chevaux des regimentz de Ruvigny et de la Villette, de sa compagnie d'ordonnance, et leur enleva un quartier où il y avoit 400 chevaux, qui feurent tous tués ou pris ou bruslés, les nostres ayant mis le feu au quartier. Entre les prisonniers qu'il y fit, il y en a deux de remarque: sçavoir, le comte d'Hanap et le baron d'Elst, auquel il prit le guidon ou drapeau d'une compagnie d'ordonnance du roy d'Espagne qu'il commandoit, et l'a envoyé icy par courrier; mais il a eschangé ce baron avec un de nos officiers, prisonniers des ennemis, et a retenu le Comte, duquel il pretend une grosse rançon à cause que c'est une personne de grande consideration parmy eux.

/333v/ Hier au matin M. le duc d'Orleans ayant mandé MM. Doujat et Menardeau pour leur donner response, ilz feurent à son palais à 9 heures du matin, où S.A.R. leur dit qu'elle ne pouvoit prendre sa sceance au Parlement à cause que les espritz tesmoignoint tant de passion que ce n'estoit plus q'une cohue, et qu'elle seroit obligée d'avoir prise avec quelq'ungs de l'assemblée qui avancent d'ordinaire des discours qu'elle ne pouvoit escoutter; mais sachant qu'ilz ne s'assembleroint que sur le suject de la translation de MM. les princes, elle estoit obligée de leur dire qu'ilz n'avoint pas raison de le faire, estant inouy que les parlementz ayent pris cognoissance de semblables affaires; qu'il ne devoint pas trouver estrange qu'on laissat le garde de MM. les princes à M. de Bar, puisque feu M. le Prince feut bien gardé pendant la Regence de la reyne Marie de Medicis par un lieutenant au regiment de Navarre; que pour leur translation au Havre, elle feut resolue au Conseil devant le voyage de Bourdeaux que les ennemis ayant passé la riviere d'Aisne, elle les fit mettre à Marcoussy en attendant qu'on les peut mener au Havre, où l'on resolut de les envoyer aussytost apres que la Reyne feut arrivée de Fontainebleau au retour de Bourdeaux; et que veritablement il n'estoit pas d'advis qu'on les y menat cy tost, prevoyant que quantité d'espritz en seroint mescontentz, et qu'il avoit demandé qu'on differat ceste translation jusques à l'année prochaine afin de tascher d'appaiser auparavant ceux qui pourroint faire du bruit; mais que tous les ordres en estant desja donnés et qu'il alla à Fontainebleau au devant de Leurs M., il ne voulut pas faire recevoir un dementy à la Reyne en les faisant revoquer, d'autant plus qu'on luy dit que MM. les princes estoint desja partis de Marcoussy.

A la reste il n'est pas vray que SA.R. aye fait aucune declaration ny de bouche ny par escrit aux Frondeurs, lesquelz on[t] fait courir ce bruit dans l'esperance qu'ilz avoint de l'obtenir d'elle. Ces deux depputtés n'estant arrivés à l'assemblée qu'à 10 heures, tout le monde demeura d'accord, à cause qu'il estoit tropt tard, de remettre la desliberation à demain à cause qu'on avoit arresté que l'abbé de Ste Croix, filz du Premier President, seroit receu aujourd'huy conseiller, comme il a esté.
Les derniers avis de Lisbonne portent qu'il y avoit grand bruit à cause que les marchandz ce cette ville là se plaignoint et menaceoint mesmes de retourner soubz la domination d'Espagne si on continuoit à proteger /334/ le prince Robert; ce qui a fait resoudre le roy de Portugal d'envoyer bientost un ambassadeur au Parlement d'Angleterre pour luy tesmoigner qu'il ne prenoit aucung part aux pirateries.

/336/ De Paris ce 23 decembre 1650

Le 17 du courant le Parlement estant assemblé, continua la desliberation du 15. M. de Landes Payen redit que remonstrances seroint faites à Leurs M. en faveur de MM. les princes, afin qu'ilz feussent ramenés du Havre au Louvre, attendu les maux que causent le gouvernement de cet estranger; et que les autres parlements seroint invités de travailler avec correspondance pour le bien de l'Estat. Apres cela M. de Broussel feut de mesme advis et s'estendit sur le mauvais gouvernement de cest estranger, parlant de l'or et de l'argent qu'il a enlevé et des subsides qu'on continue de lever pour la subsistance de l'armée, sans que pour cela les soldatz reçoivent aucung payement, qui est la cause de touttes les pilleries; et qu'il ne falloit chercher l'autheur de tous ses [ces] maux qu'en la personne de cest estranger, qui [qu'il] disoit estre la honte et l'oprobre de toutte la France, et alligua le quadrain de Pibrac:

A l'estranger soit humain et propice,
Et s'il se plaint, incline à la raison;
Mais luy donner le bien de la maison,
C'est faire aux siens honte et injustice.

M. de Champrond feut de mesme advis et parla de l'innocence de MM. les princes, disant que l'accusation qui est contre eux ne marque q'une ambition demessurée dans l'esprit de M. le Prince, en ce qu'il demande continuellement des nouvelles recompenses. Le cardinal Mazarin s'estoit bien attribué le droict d'enlever l'argent de toutte la France et se saisir des principales places, sans qu'il eut creu estre subject à aucung reproche; à quoy M. de Refuge adjousta que cest estranger se servoit de ces avantages pour ruiner la France, laquelle ne devoit estre gouvernée que par un François, lequel quand bien son gouvernement seroit aussy mauvais que celuy d'ung estranger, ne causeroit neamoings tant de maux à cause que l'escu demeureroit dans la France; mais que l'argent que le cardinal Mazarin envoye en Italie estoit un esprit que s'en va et ne retourne plus; que le Parlement en devoit prendre cognoissance, sans qu'on peut alleguer ce qu'Auguste disoit dans le Senat de Rome, non licet senatoribus de republica loqui. Il y eut d'autres advis qu'on devoit se servir des prieres. Apres que 14 de messieurs eut opiné, 11 heures ayant sonné ilz se leverent et remirent la desliberation au 19.

Le 19 au matin les chambres estant assemblées pour continuer la desliberation du 17, on leut une lettre de cachet par laquelle Sa M. ordonnoit qu'on fit chanter le Te Deum pour le gain de la bataille sur le mareschal de Turenne, sur quoy il feut resolu que le Parlement se trouveroit le lendemain en corps dans l'esglise Nostre Dame. Ensuitte il y eut 15 ou 16 conseillers qui opinerent et feurent presque tous d'advis de faire des remonstrances à Leurs M. en faveur de MM. les princes pour les faire ramener du Havre en quelque lieu plus proche de Paris. M. le Coadjuteur s'estendit fort sur la necessitté qu'il y avoit de demander la liberté de MM. les princes, representantz les maux causés par le cardinal Mazarin. /336v/ M. de la Galissonnerie, maistre des requestes, deduisit en fort beaux termes la consideration qu'on devoit avoir de MM. les princes, qui devoint privativement à tous autres estre du Conseil du Roy; que cette violence de leur emprisonnement sans aucune cognoissance de cause estoit innouie dans la minorité des rois; et enfin conclut aux remonstrances. M Laisné dit qu'il estoit d'advis de ne faire ny remonstrances ny prieres, mais qu'il falloit que le Cardinal feut responsable de la personne de MM. les princes, et qu'il y eut un arrest particulier portant deffenses à touttes personnes de contracter aucune alliance avec le cardinal Mazarin que 6 mois apres la liberté de MM. les princes; sur quoy 11 heures ayant sonné, la desliberation feut remise à hier.

Le marquis de Crevan feut mis hors de la Bastille le 16. Le sieur Machon, qui y estoit aussy, accusé d'avoir contrefait les sceaux du temps de M. le chancellier Seguier, en feut aussy eslargy le 17; et le sieur de la Cour Chevalier, controlleur general de la chancellerie de France, y feut mis par ordre de M. le Garde des Sceaux, qui l'accuse de l'avoir surpris en beaucoup d'expeditions.

Le mesme jour 17 les boulangers arriverent aux marchés 3 heures plus tard qu'à l'ordinaire, à cause que les soldatz des gardes estoint sur les avenues avec le mousquet et la mesche allumée et avoint taxé chasque charrette à 30 sols pour s'exempter du pillage; ce qui causa un peu de rumeur, aussy bien que le descry des pieces de 58 sols de la fabrique du Perou; et il falut que M. de Candale y allat de la part de la Reyne pour faire retirer les soldatz.

Quant à la batailles que nostre armée a gaignée sur les ennemis, elle arriva le 15. Les ennemis, commandés par le mareschal de Turenne, Don Estienne de Gamara, et par le comte de Ligniville, tous trois jointz ensemble et faisant le nombre de 7 mille chevaux et 2900 fantassins, s'avancerent le 14 au matin vers Rhetel pour le secourir et apprirent à midi que Delli Ponti, qui commandoit dans cette place, en estoit sorty ledit jour au matin à composition avec sa garnison et avoit esté escorté à Avesnes, quoy qu'il eut peut resister encor plus de 8 jours; ce qui les obligea de reprendre les villages de Sommesippe [Sommes-Suippe], de Sompy [Sommepy], et de Maschaut [Machault], où ilz avoint laissé leur bagage. Nostre armée les suivit au nombre de 14 mille hommes, les 2 à 3000 estant demeurés dans Rhetel pour la garde de M. le Cardinal, pour chercher l'occasion de charger leur arriere garde; amsi comme ilz estoint obligés de retourner aux 3 villages, nostre armée les y suivit et se trouva le 15 au matin dans une plaine voisine, en sorte qu'ilz se virent si engagés que ne pouvant sortir sans passer un defillé, ilz se resoleurent de faire ferme. Les nostres s'estantz approchés d'eux avec ordre de ne tirer point jusques à ce qu'ilz auroint faict leur premier descharge, ilz la firent; et le combat dura pres de 4 heures avec grande opiniastreté de part et d'autre, jusques à ce que leur infanterie ayant esté defaitte, la cavalerie feut contrainte de plier apres un carnage asses esgal de part et d'autre. Toutte leur infanterie y demeura morte ou prisonniere, avec environ 1000 chevaux tant tués que prisonniers. /337/ Tout leur bagage, consistant en 120 chariotz chargés, y feut pris avec 8 de canon, tous leurs drapeaux ou estandartz, et 1200 grenades à main. Les prisonniers qu'on leur a pris montent jusques à 1300, mais il n'y a pas plus de 900 soldatz; les autres sont valetz ou vivandiers. Les principaux sont Don Estienne de Gamara et M. de Bouteville, qui est blessé. M. de Turenne ayant receu un coup de pistolet au bras, son cheval ayant esté tu soubz luy, se retira avec 4 ou 5000 chevaux. Despuis, le bruit a couru qu'il estoit mort, mais on eut hier nouvelle qu'il est dans Stenay et que ses blessures estoint fort legeres. De nostre costé il y eut 4 regimentz defaitz: sçavoir, celuy de S.A.R., de Crequy, de Paluau, et de Pardaillan, et ceux d'Anjou et du Plessis Praslin fort maltraittés, mais nous y perdismes autant d'officiers que de soldatz, dont les principaux sont le comte du Plessis, filz du mareschal de ce nom; le comte de l'Hospital; le sieur d'Alvimard, soubz gouverneur du duc d'Anjou; le collonel Rose, frere du lieuentant general de ce nom; Pins Poubal; et 2 autres. Les nostres auroint defait entierement les ennemis si nostre cavalerie n'eut esté descouragée, à cause qu'il y avoit 4 ou 5 jours que les chevaux n'avoint rien mangé que de la paille qu'on tiroit dessus les maisons. Au reste, quelque bruit qu'aye couru que M. le Cardinal eut porté beaucoup d'argent à l'armée, et quoy qu'il eut mené M. Gargan, intendant des finances, neamoings personne n'y a receu aucune chose, dont toutte l'armée murmure fort; mais on l'appaise par l'esperance de leur donner bientost des bons quartiers d'hivert.

Avant ce combat MM. Gargan et La Ralliere allantz de Rheins à Retel avec 8 hommes d'escorte seulement, feurent attaqués par les Croattes, qui tuerent 5 de ses hommes sur la place et blesserent La Railliere, qui ayant fait le mort feut laissé là; et les Croattes se contenterent d'emmener M. Gargan avec leurs chevaux et ceux de leurs carrosses, apres avoir pris au dernier 200 pistolles qu'il avoit seulement; mais pendant qu'ilz le menoint à Bar le Duc, il feut recouru par un party de paysans qui s'estoint cantonnés, ausquelz il promit 400 pistolles apres qu'il auroit esté osté aux Croattes. La Railliere est encor malade à Rheins. M. le Cardinal s'en revient et est attendu icy demain.
Le 20 on chanta le Te Deum pour cette victoire, où l'on remarqua que les ambassadeurs et residentz y ayant esté invittés selon la coustume, s'y trouverent tous, à la reserve de M. le Nonce, qui n'y feut pas invitté; et l'on croit que ce feut à cause de la violence faitte à Rome despuis peu dans le palais de l'ambassadeur de France. On deschargea quantité de canons et boistes à l'Arsenac, mais il n'y eut point de feux devant les maisons.

Le corps de Mme la Princesse [douairiere] feut mené avant hier en grande pompe de St Maur icy dans l'esglise de St Louys des Jesuistes, où on luy fit hier un service. Il estoit escorté d'environ 200 officiers à cheval vestus de deuil et 20 carrosses de mesmes; le chariot qui le portoit et les chevaux couvertz de grandes housses /337v/ jusques à terre, avec des bandes de sattin blanc sur lesquelles on voyoit les armes de la defuncte. Ce corps feut hier mené des Jesuistes aux Carmelites, et ce matin on luy a faict par ordre de la Reyne un service solemnel aux Cordeliers, où les cours souveraines et l'universitté se sont trouvés en corps. L'evesque d'Auxerre y a officié, et celuy de Vabres y a fait dereschef l'oraison funebre.

La noblesse de Picardie s'est assemblé et a resolu de presenter requeste au Parlement pour demander que les trouppes n'y puissent plus prendre leurs quartiers d'hyvert, ny passer autrement dans cette province que par estappes qui sont delaissés sur les tailles. On y envoya M. d'Elbeuf pour accommoder cest affaire.

Hier au matin le Parlement estant assemblé, environ 26 conseillers et tous les presidentz des Enquestes opinerent, n'y ayant pas eu de temps pour avancer d'avantage, à cause que M. de Saintot y survient avec une lettre de cachet portant ordre à la Compagnie de se trouver aujourd'huy aux Cordeliers au service de Mme la Princesse. La pluspart des avis allerent à faire des remonstrances de bouche et par escript pour la liberté des princes et pour les faire, en attendant, ramener du Havre, et encor pour la reunion de la Maison royalle, sur l'estat present des affaires, et sur le mauvais gouvernement. Le president Viole ayant fait une longue deduction de l'affaire de MM. les princes, et traitté M. le Cardinal d'ennemy commung de la France, allegua le passage de l'Escriture qui conseille de ne recevoir pas les estrangers dans le gouvernement et de ne leur donner aucune cognoissance des affaires; et fit veoir que tous nos alliés nous abandonnoint; que ce qui nous reste en Italie couroit grande risque; que la Catalougne, qui avoit coutté 60 millions au Roy, s'alloit perdre; que les Anglois nous meanceoint; et ce qu'il y a de pire, que toutte la France estoit en combustion à cause du mauvais gouvernement; en suitte de quoy il conclut comme il a esté dit. Le president de Blanmenil fit remarquer les desordres qui sont arrivés pendant le gouvernement des estrangers, que les roys ont esté contraintz de condemner, et à ce suject leut la declaration que le feu Roy fit lors que feu M. le Prince feut mis en liberté, laquelle marque son injuste imprisonnement fait par l'ambition d'ung estranger, qui estoit le mareschal d'Ancre. M. Gilbert deduisit les violences des ministres exercées sur les principales personnes du rouyaume, et notenment sur quelq'ungs de MM. les presidentz au mortier et sur MM. de l'Hospital et de Vitry, sur MM. de Beaufort et le mareschal de la Mothe, qui estoint presentz. Ensuitte il dit que les maux doivent estre arrestés par les fortes desliberations du Parlement, qui a tousjours soubtenu l'authorité royalle, bien qu'on luy impose à present tous les desordres de l'Estat, comme on faisoit autrefois aux Chrestiens; sur quoy il remarqua /338/ que le roy Henry 4 dit au duc de Savoye qu'il devoit sa coronne à ses [ces] bonetz carrés. M. Lautin s'estendit sur le droit que le Parlement peut avoir de faire des remonstrances au Roy sur le gouvernement de l'Estat, et porta 5 ou 6 registres du Parlement des années 1415 et 1417 par lesquelles il fit veoir que le Parlement avoit nommé en presence mesmes du chancellier, qui estoit entré au Parlement, des commissaires pour faire les remonstrances au roy sur le gouvernement de l'Estat. M. Vedeau, apres avoir blasmé le gouvernement des estrangers, finit par le recit de ce qu'on veoit dans l'histoire d'ung lac qui est aux montagnes de Foix, lequel fait naistre et esmouvoir des grandes tempestes lors qu'on vient à quelques pierres, l'appliquant à la paix qui est dans l'Estat, laquelle est ordinairement troublée par l'ambition des estrangers. M. Le Coq parla fort des services rendus à la France par M. le Prince, son injuste emprisonnement fait par le cardinal Mazarin, qui [qu'il] traitta d'ingrat en ce qu'il doit sa vie et sa fortune aux princes; les desordres que sa detention a causé; et que ce ministre alleguoit par ses raisons que la bonne politique veut qu'on s'asseure des personnes des princes à cause que les François se font la guerre et s'entretuent à leur occasion, sans qu'il y contribuent; que ce sont des fausse aprehensions; et qu'il peut faire la mesme reflexion que faisoit Cassiodore: que Dieu n'oste pas le soleil de sa place pour esclairer ceux qui font du mal sur la terre. MM. des Enquestes insisterent fort pour continuer la desliberation d'apresdisnée à cause des festes, mais le Premier President n'y voulut pas consentir, et falut remettre à jeudy prochain.

Le matin on a trouvé des placardz et affaiches aux coins des rues pour exciter les Frondeurs à empescher que le Cardinal ne revienne à Paris.

Le v, Bonneau, procureur du roy au Chastelet, a fait banqueroute de 600 mille livres apres avoir fait demission de sa charge en faveur de son frere.

/340/ Les noms de ceux qui ont esté tués ou prisonniers tant des nostres que des ennemis dans cette dernier defaitte

Des nostres;
Le comte du Plessis, tué
d'Alvimar, soubz gouverneur de M. d'Anjou, tué des premiers
du Val, mareschal de camp, tué
St George, cappitaine de Montargis, tué
Commiac, cappitaine aux gardes, tué
Crimini, cappitaine des gardes, tué
Beausoleil, cappitaine de cavalerie d'Anjou, tué
le comte de la Feuilliade, commandant le regiment de S.A.R., tué
le regiment de S.A.R. et Paluau de cavalerie defait
le comte de l'Hospital, tué
St Martin Jambe de Bois, blessé à mort
Bricotté, mort
la Roque, blessé à mort
Vachette, perdu et quantité de bas officiers
le regiment de St André Montbrun defait et celuy de Pardaillan
de Roze, cappitaine, mort
de Sargne, cappitaine, mort, et 8 bas officiers
de Clinvilliers, blessé aux 2 cuisses
d'Espine, maistre de camp, blessé à mort
le comte d'Olacque, colonel de cavalerie, blessé à mort
le lieutenant des gendarmes escossois
le vicomte de Corval, general major de Rose, blessé et perdu
Pinti Collard, cappitaine dans Clinville
le marquis de Rothelin, blessé au bras et à l'espaule

/341/ Du costé de Turenne:
Don Sthephano de Gamara, cy devant gouverneur de Cambray, prisonnier
le comte de Ligniville, general des Lorrains, prisonnier
Bouteville, blessé, prisonnier
le marquis d'Anubre, mareschal de camp en Holande, prisonnier
Rosgavre, maistre de camp du regiment de la Coronne, prisonnier
Cappry, maistre de camp d'ung regiment d'infanterie, prisonnier
les deux freres du marquis de Bournonville, prisonniers
40 colonelz tant cavalerie qu'infanterie, prisonniers
2000 tués, 4000 prisonniers
8 pieces de canon dont il y en a 4 gros
tout le bagage des generaux et particuliers
tous les drapeaux, estandars, et timbales pris
4000 grenades en main qu'ilz avoint desseing de jetter dans Retel
quantité de vivres dont il y en a pour 15 jours pour nostre armée
1800 chariotz pris où il y a quantité de vaiselle d'argent
Chasteau Portien rendu.

/342/ De Paris le 30 decembre 1650

Les lettres de Madrid du 30 du passé portent que m. de Guyse estoit eschappé du chasteau de Segovie où il estoit detenu; mais qu'aussytost on avoit envoyé en diligence, sur tous les passages des frontieres, des gens qui cognoissent son visage afin de le reprendre, en quoy on trouva d'autant plus de facilité qu'il n'avoit peu prendre la poste qu'à Lerme; et enfin il feut retrouvé à la Victoria [Vitoria], 8 lieues de St Sbastien, en habit de courrier, ayant monstré (afin qu'on le laissat poursuivre son chemin) un passeport du roy d'Espagne adressé au gouverneur de St Sbastien. Il avoit faict dresser ce passeport, avoit luy mesmes contrefait le seign du Roy et l'avoit scellé d'ung sceau qu'il avoit faict faire expres, et n'avoit q'ung jeune homme avec luy, lequel feut aussy pris, et on le garde fort estroittement.

Celles de Bruxelles portent que le duc d'Iorch en estoit party pour aller en Holande pour aller veoir la princesse d'Orange, sa soeur. Milord Germain l'y est allé trouver pour tascher de le ramener à Paris.
L'archevesque de Rouen ayant indit un concile de sa province au 18 du mois prochain, M. de la Vrilliere luy escrivit qu'il devoit la differer jusques à ce que la France feut plus calme; sur quoy cest archevesque escrivit icy à l'Assemblée du clergé, laquelle eu la lettre du 29 du courant, portant comme il avoit indit ce concile et que M. de la Vrilliere luy en avoit escrit et demandant avis à l'Assemblée de ce qu'il auroit à faire là dessus. L'Assemblée y desliberant trouva fort estrange qu'on ce [se] meslat de semblables choses, puisqu'on ne trouvoit pas à redire que les Huguenotz s'assemblassent tous les ans, et qu'on voulut empescher ce concile sy conforme aux ordonnances des roys et constitutions canoniques; et ainsy il feut arresté qu'on escriroit à cest archevesque qu'il fit tenir ce concile au jour indit, et qu'il invittat tous les evesques d'y assister. Le mesme jour 24 l'Assemblée arrestat que dans le 29 pour tout delay on resoudroit si on devroit octroyer au Roy quelque somme au Roy, ou non, et combien.

Le 25 le Roy estant allé entendre le sermon à St Sulpice, M. le duc d'Orleans y fit la harangue à Sa M. pour les marguilliers de cette parroisse là. Vous aves sceu la demande que M. le duc d'Orleans fit à la Reyne de la compagnie du feu sieur de Comiac, cappitaine aux gardes, tué en cette derniere bataille, pour le baron de Vautourneux. Il est vray que la Reyne ne la luy promit pas absoluement. Cepandant le sieur d'Orny, lieutenant aux gardes, ayant pris les lettres de faveur comme il avoit fait merveille en cette occasion, courut à Rhetel pour la demander à S.E., qui la luy accorda avec plus de facilité qu'il esperoit par ce moyen d'appaiser tous les officiers des gardes en leur donnant tousjours esperance de faire prevaloir le droit que les officiers subalternes ont de monter d'ung degré apres avoir dignement servy et d'en faire une reigle certaine pour l'avenir; mais S.E. ayant sceu que Monsieur l'avoit demandé, en escrivit à la Reyne et envoya icy le sieur d'Oriny, lequel voyant que S.A.R. portoit Vauxtourneux /342v/ avec fermetté, fit assembler tous les officiers des gardes; lesquelz furent menés avec luy le 26 au palais d'Orleans par M. de Candale leur collonell, qui representa à S.A.R. le droict du sieur d'Orny; à quoy elle respondit qu'elle sçavoit bien que d'Orny avoit dignement servy et qu'elle luy promettoit de faire tous ses effortz pour luy procurer la premiere compagnie qui vacqueroit; mais que pour celle icy, elle l'avoit promis à Vautourneux de la solliciter pour luy à l'exclusion de tous autres; à quoy ces messieurs ayant reparty que ce que S.A.R. promettoit à d'Orny n'estoit pas un bien present, elle replicqua qu'il seroit à souhaitter que les occasion ne ce [se] presentassent pas si souvent qu'elles font. Enfin il la priarent que les expeditions n'en feussent point delivrées à Vautourneux jusques à ce que S.E. seroit de retour; ce qu'elle leur refusa absoluement, disant que cela ne servoit de rien et qu'à la premiere occasion il leur tiendroit parolle de favoriser d'Orny, en suitte de quoy prouvisions en feurent avant hier deslivrées à Vautourneux.

Le 27 le Roy fit faire reveue generalle de tous ceux qui doivent attaquer et deffendre le fort qu'il a fait faire dans le jardin du Palais Royal, lequel ne sera attaqué qu'apres le retour de M. le Cardinal.
Le mesme jour les drapeaux et estandartz qui ont esté pris sur les ennemis à cette derniere bataille feurent apportés icy; et apres qu'on les eut fait veoir à S.A.R., on les porta au Palais Royal, où le Roy les ayant tous veus l'ung apres l'autre, l'on remarqua fort un qui estoit cornette de M. le prince de Conty, lequel feut desrobé; et une heure apres, Sa M. les voulant reveoir et ne trouvant plus celuy là, fit fermer touttes les portes du Palais Royal et y voulut faire fouiller tout le monde; mais on a pris tant de soing à le chercher qu'enfin on l'a retrouvé.

Les avis de Prouvence confierment que le comte d'Alais partit de Toulon le 19 du courant, non pour venir à la Cour comme on avoit escrit, mais pour se retirer pour quelque temps en sa maison d'Alais [Alès] en Languedoch. L'on remarque qu'en s'en allant il s'aboucha avec M. d'Aiguebonne à un lieu nommé Vernegais [Vernègues], entre Aix et Avignon, et qu'il luy recommenda tous ses amis. Aussytost qu'on sceut son despart à Aix, on y fit des feux de joye dans touttes les rues de la ville, où M. d'Aiguebonne fit son entrée le 18, les consulz et procureurs du pays ayant esté une lieue au devant; et touttes les compagnies luy ont harangué et receut avec grande joye; neamoings le regiment de ce comte est demeuré dans Toulon soubz le commandement de M. de la Varenne, qui entretient bonne correspondance avec le chevalier Pol. On croit que c'est pour conserver le gouvernement de Toulon à M. le Cardinal. Despuis le depart de ce comte, ceux qui avoint esté exilés de Marseille y sont retournés, ainsy qu'on leur avoit promis; mais les espritz y sont divisés à cause de la desunion qui est entre M. de Valbelle, lieutenant de l'admirauté, et le /343/ chevalier de Valbelle, son cousin. On croit neamoings que M. d'Aiguebonne les accommodera facilement, ayant resolu d'aller à Marseille pour cest effect; cepandant, ce chevalier ayant voulu aller à Toulon, M. de la Varenne n'a pas voulu l'y laisser enterer. M. de Scuderi a esté restably dans son gouvernement de Nostre Dame de la Garde, Mme d'Aigullion estant rendu caution pour luy, et la ville de Marseille n'ayant rien voulu fournir au sieur Bezanes, lieutenant des gardes de M. le Cardinal, pour la subsistance de la garnison de ce fort, dont on luy avoit donné le gouvernement.

Les lettres de Bourdeaux du 22 portent que le Parlement s'y assembloit pour aviser aux moyens de faire executter la paix en tous ses pointz; et que le mesme jour on y avoit porté des informations faittes à Agen sur ce que la nuict du 19 au 20 un lieutenant des gardes de M. d'Espernon, accompagné de 29 gardes, fit faire quelques cris pour esmouvoir le peuple en faveur de ce duc et menacer ceux qui seroint contre luy; ce qu'ayant esté continué le lendemain, on poursuivit ce lieutenant et l'on l'arresta prisonnier avec 6 de ses gardes; sur quoy il feut arresté que deux conseillers de la Grande Chambre iroint à Agen et se joindroint aux juges de ce lieu là pour leur faire leur proces; ce qui a fort surprit ce duc, lequel a fait faire instance au Conseil pour l'empescher. Ce parlement a encor envoyé icy le procureur scindic de Bourdeaux avec 2 juratz pour demander conjoinctement avec les autres deputtés qui sont icy la nomination d'un autre gouverneur.

L'evesché de Sees n'est pas encor donné, mais M. le duc d'Orleans a promis à l'abbé de Pontcarré de l'appuier puissenment dans la demande qu'il en faict.

Hier les chambres estant assemblées au Parlement pour continuer la desliberation commencée avant les festes, la pluspart des advis allerent à faire des remonstrances sur les chefz mentionnés au precedentes assemblées. M. Le Clert feut d'advis d'ordonner que MM. les Gens du roy prendroint dans 3 jours leurs conclusions touchant l'emprisonnement de MM. les princes s'ilz ont quelque chose à dire qui les rende coupables. M. de Machau parla de la violence de leur detention, disant qu'elle avoit esté faitte par leurs ennemis et leur ennemie, Mme d'Aigullion et M. le Cardinal, dans une place qui a esté fortiffié et cimentée par le sang et la substance du peuple, qui causera à toutte la France des larmes de sang si la justice n'en previent les effectz; que la condition de MM. les princes seroit bien malheureuse s'il n'y avoit de justice que pour servir aux passions d'ung favory et non pour les absoudre s'ilz sont innocentz; que despuis un an qu'ilz sont detenus prisonniers il n'a parut aucune accusation contre eux, qui est une marque infallible du desseing qu'on a de ruiner l'Estat, que de vouloir se deffaire des princes qui ont /343v/ donné tant de marques de fidelités au service du Roy; et conclut aux remonstrances. M. Godart s'estendit à faire veoir le mauvais gouvernement du cardinal Mazarin, l'accusant d'avoir laissé perdre la Catalougne et laisser entrer les ennemis en France; son extreme ambition; l'enlevement des finances du Roy et de l'argent qui avoit esté destiné pour le payement des rentes pour entretenir dans l'armée deux cent covertz à sa table, en un temps auquel le Roy n'a pas de quoy fournir celles de sa maison. Un autre dit qu'on accusoit M. le Prince d'avoir voulu achepter des places, et que cepandant on sçavoit bien que le Cardinal estoit allé en Champagne pour achepter Charlesville des deniers destinés pour le payement de l'armée. M. Le Boulz fit remarquer que Le Havre, où sont MM. les princes, estoit à Mme d'Aigullion aussy bien que de Bar, qui les gardoit à M. le Cardinal; qu'on sçavoit bien que M. le Prince avoit proces avec Mme d'Aigullion; et qu'il estoit inouy qu'on mit des prisonniers entre les mains de leurs parties. Sur cela l'assemblée feut remise à aujourd'huy, où apres quelq'ung ont opiné conformement aux advis precedentz, M. de Beaufort a conclut à faire des remonstrances sur la liberté de MM. les princes, sur le mauvais gouvernement et les desordres causés par le cardinal Mazarin, et de supplier M. le duc d'Orleans de joindre son authorité aux remonstrances du Parlement; et sur la response que la Reyne feroit, le Parlement s'assembleroit pour resoudre ce qu'il y auroit à faire. M. le president de Nesmond a parlé de l'observation des loix ausquelles touttes sortes de personnes sont asseujetties, et que neamoings ceste sujection n'estoit que pour establir et maintenir la liberté des rouyaumes, que c'estoit l'enchaisneure d'Homere dans une certain subordination et dependance, et conclut conformement aux advis du jour precedent. M. le president Le Coigneux a repris un long discours de la justice et des loix, et dit que les roix estoint obligés de les observer comme font leurs subjectz, avec cette difference neamoings que le peuples le doivent faire par obligation naturelle et les roys par amour, comme font les peres envers leurs enfans, amor meus pondus meum; qu'à ce subject le sage commandoit, noli provocare filios tuos ad iram; que cette observance des loix conservoit la paix dans les estatz, laquelle n'estoit troublée dans le rouyaume que lors que l'on les vouloit aneantir et empescher qu'on ne fasce justice sur les plaintes que font les princes de leur detention contres les loix et la declaration; que les roys n'ont pas accoustumé d'agir contre les loix, mais bien proter leges, et encor ceci lors que c'est pour le bien de l'Estat; mais qu'en cette occasion on n'a veu que des desordres despuis l'emprisonnement des princes, lesquels ce [se] faumentent à cause que le Ministre, qui a toutte l'authorité et la personne /344/ du Roy, ne permet pas qu'il y aye de justice pour juger de leur innocence; qu'il sçavoit bien, par les exemples et par l'experiance, le danger qu'il y a de commettre l'authorité entre les mains d'ung favory, qu'on ne souffriroit pas dans un Estat bien policé ce que les Antiens avoint fort bien remarqué, ainsy que Lucullus le trouva escrit dans certaines tables d'airin que ceux du Pont avoint fait graver contenant les preceptes pour bien regner: dont le premier article portoit qu'on prit garde de ne se servir point de favoris qu'on eut rendu tropt puisantz, parce qu'il ne faut pas se servir de ceux qu'on ne voudroit pas avoir; qu'il estoit temps de penser à establir le repos, et que le Parlement ne devoit pas faire de difficulté d'en prendre cognoissance; et que si autrefois on eut habandonné les interestz des princes aux passions des ministres, la France n'auroit pas eu tant de grandz roys qu'elle a veu regner avec justice. M. Le Bailleul a dit que l'authorité royalle estoit tousjours majeure, bien que les roys feussent mineurs, et qui [qu'il] ne falloit rien faire qui peut deplaire à la Reyne. M. le Premier President a allegué plusieurs exemples pour faire veoir que le Parlement estoit en droit de prendre cognoissance de cette affaire; que les desordres causés par l'emprisonnement des princes estoit venu à un point qu'il n'en falloit plus differer le remedde; qu'il n'estoit point d'advis de parler dans les remonstrances de la traduction des princes; que c'estoit une espece d'amande honnorable de les faire promener dans tant de diverses prisons; qu'il falloit toucher au point et parler de leur liberté; qu'aussy bien apres un traduction il y faudroit venir et qu'on y trouveroit les mesmes difficultés; que son avis estoit de faire des remonstrances au Roy et à la Reyne de vive voix sur la liberté de MM. les princes et de depputter vers M. le duc d'Orleans pour le supplier de joindre son authorité aux remonstrances du Parlement, et aussy sur la seurté de Mlle de Longueville pour pouvoir demeurer dans Paris; et que sur response que la Reyne feroit, le Parlement s'assembleroit pour veoir ce qu'il y auroit à faire. Cet advis a esté suivy de toutte la Compagnie, et l'on a envoyé cette apresdisnée MM. les Gens du roy pour sçavoir quand on pourroit avoir audiance.

Le president de Mesmes mourut hier au soir, apres avoir resigné sa charge de president au mortier à M. d'Irval, son frere, pour l'exercer en attendant que le filz de celuy cy soit en aage, ce que la Cour a approuvé, M. Le Tellier en ayant esté porter la parolle à M. d'Irval de la part de la Reyne.

La Reyne commencea hier de se lever du lict et promena deux heures dans sa chambre.

M. le Cardinal est attendu icy demain. Il a disposé des quartiers d'hyvert pour /344v/ l'armée, à laquelle n'ayant peu ou voulu donner de l'argent, il a envoy dans les provinces, ayant fait esperer à tous les regimentz que lors qu'ilz seront aux lieux de leurs quartiers, on leur assignera quelques montres sur les tailles, qu'ilz se feront payer eux mesme. On envoye quelques trouppes en Lorraine à M. de la Fretté [sic] Seneterre. Le partisan La Ralliere est mort de ses blessures à Rheins.

L'Assemblée du clergé n'a pas encor resolu si elle devoit octroyer quelque chose au Roy.

/345/ Du 30 decembre

Je crois que dans peu nous verrons esclorre quelq'ungs de ces accidentz inopinés qui arrivent tous les jours à la Cour. Il se brusle d'estranges factions dans l'Estat, et l'on ne croit pas qu'il jouysse jamais d'une paix parfaitte tranquillitté tandis que cest emprisonnement pourra fournir un pretexte aux mescontentz pour former un party. Enfin, cette France victorieuse de ses voisines lors qu'elle estoit unie, aujourd'huy divisée et en mesintelligence, devient leur proye dans Porto Longon, dans Tortose, dans les frontieres de Champagne; et le combat donné au mareschal de Turenne n'empesche pas qu'on ne les porte les contributions de la Champagne. L'Anglois nous menace, et on dit que Cromvel a envoyé Trousville à l'Archiduc. On dit icy mesmes que Milord Montagu a le secret de la confidence de S.E., avec jalousie et desplaisir de MM. Le Tellier, Servient, et Lyonne. M. Sillon a imprimé un fort beau livre pour la justiffication de la politique de S.E. Il travaille pour son maistre et a raison. J'ay peur que ces espritz brouillons qui ont tant faict de libelles sur cette matiere, ne prennent ce pauvre homme à partie, qui se met sur les rangs contre une armée d'escrivains. On nous parle d'une ligue en Italie contre nous, et que Mme de Savoye demande la neutralité à l'Espagne. Si le sang royal se reunit ensemble, que les princes soint liberé et d'accord, et tous avec les bonnes graces du Roy, comme il faut souhaitter et esperer, la France ne craint ny guerres ny ligues ny ennemis, et est asses forte pour mettre tous ses rivaux à la raison; mais il faut que le dedans soit calme et uny. Les plus clairvoyans sont trompé en ce qui ce [se] fait et ce qui se dissemble. Icy nous ne voyons gueres bien les desseings de nos gouverneurs qu'alors qu'ilz sont esclos; mais la bonne foy, la justice, et la vertu se monstrent partout à face descouverte.

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