Panat in postcardThe Ranums'

Panat Times

Volume 1, redone Dec. 2014

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/361/ De Paris du 3 febvrier 1651

Le 25 du passé la Reyne nomma les 4 barons qui serviront d'ostage pour la sainte Ampoule à la ceremonie du sacre, dont le premier sera le marquis de Richelieu, le 2 le petit Manciny, le 3 le marquis de Vardes, le 4 le marquis d'Illiers, filz du comte de Lude. On trouve fort à redire à la nomination du second.

L'archevesque de Rouen ayant commencé son concile et y ayant desja arresté 3 canons, les depputtés des esglises cathedrales ont esté obligés de le quitter, à cause que le Parlement de Rouen avoit fait saisir leur revenu en vertu de son arrest, qui deffend la tenue de ce concile, lequel a esté remis au 15 novembre prochain; et l'evesque d'Evreux, qui estoit le seul prelat qui y assistoit, est venu icy et en a faict son rapport à l'Assemblée du clergé, laquelle n'a rien faict là dessus. Elle a chargé l'archevesque d'Ambrun de prier M. Le Maistre, docteur de Sorbonne, de respondre au libelle qu'elle censeura la semaine passée. Elle est encor à desliberer si les 600 mille livres qu'elle a donné au Roy seront payés franc et quitte sans aucune restriction, ou si les non valeurs y seront comprises.

L'ambassadeur de Catalougne ayant eu audiance la semaine passée, la Reyne luy promit d'envoyer au mois de mars 8 mille hommes effectifs en Catalougne et de les y entretenir conformement au traitté. Le bruit ayant fort couru la semaine passée que les Espagnolz, en recognoissant la republique d'Angleterre, en avoit tiré parolle d'une ligue offensive et deffensive contre la France, il feut proposé au Conseil de recognoistre aussy cette republique pour destourner ce desseing; mais on en a remis la desliberation jusques à ce qu'on en pourra avoir des plus grandes lumieres. Le marquis d'Ormond, viceroy en Irlande, et le milord Inchequin sont icy puis 7 ou 8 jours.

MM. les depputtés de Bourdeaux et les juratz firent leurs remonstrances à la Reyne et luy demanderent l'execution de la paix et un prince de sang pour leur gouverneur. Sa M. leur promit de leur rendre response dans 3 ou 4 jours.

Le lendemain M. le Cardinal envoya le brevet du gouvernement d'Auvergne au duc de Candale, sans que celuy cy eut songé à le demander. Il en presta le serment le 30.

Le 31 M. d'Espernon arriva en cette ville en grande pompe, M. le Cardinal luy ayant envoyé des carrosse au devant et la pluspart des officiers des gardes y ayant aussy esté. On parle de luy donner le gouvernement de Metz, Toul, et Verdun, et celuy de Guyenne à M. d'Anjou, et la lieutenance au mareschal de Schomberg. Les propositions en ont esté faittes, mais ce mareschal n'en est pas content.

Le 30 le Prevost des Marchandz receut une lettre de cachet portant ordre de faire perquisistion dans touttes les maisons de Paris afin de sçavoir quelles personnes y sont logées et prevenir la rumeur qui pourroit arriver à la mauvaise conduitte de quantité de factieux arrivés despuis peu en cette ville; sur quoy le Conseil de ville s'estant assemblés, resolut de faire cette perquisition, à laquelle on a despuis travaillé.

/361v/ La dispute d'entre M. le Garde des Sceaux et le Premier President s'accommode par un moyen qu'on a trouvé de demander une abolition pour La Cour Chevalier par ses parens, qui sont en asses bon nombre au Parlement.

Le 30 le Parlement s'estant assemblé, l'evesque de Beauvais y feut receu comte et pair de France; et ensuitte on resolut tout d'une voix d'envoyer des depputtés vers M. le duc d'Orleans pour le supplier d'appuyer de son authorité la response que la Reyne devoit faire aux remonstrances sur la liberté de MM. les princes et de la leur procurer favorable. Ces depputtés partirent aussytost pour cest effect. M. d'Irval y porta la parolle, et S.A.R. leur dit qu'ilz avoint veu de quelle façon elle avoit agy par le passé dans cette affaire et leur promit de continuer.

L'apresdisnée du mesme jour le depputtés du Parlement estant allés au Palais Royal querir la response aux remonstrances, la Reyne leur dit par l'organe de M. le Garde des Sceaux qu'elle s'estonnoit fort de ce qu'ilz s'estoint chargés de requestes de Mme la Princesse et de Mlle de Longueville, et qu'apres la lettre de cachet envoyée au Parlement dans le temps qu'elles feurent presentées, elle eut creut que le Parlement les eut renvoyé au Roy, comme il a fait autrefois en pareilles rencontres, et notanment en 1562; qu'il renvoya le pacquet de M. le prince de Condé et celuy de M. le duc d'Orleans dans le regne passé, sans y vouloir desliberer; et qu'encore que Sa M. ne feut pas obligée de rendre conte de ses actions à personne qu'à Dieu, elle vouloit neamoings avoir esgard à leurs remonstrances; qu'à cette fin elle avoit resolu d'envoyer une declaration au Parlement par laquelle elle donneroit abolition generalle à tous ceux qui devant ou apres la detention des princes avoint fait des ligues et associations dans leur party avec les ennemis de l'Estat; et qu'aussytost qu'ilz s'en seroint detachés et qu'ilz auroint posé les armes et rendu entre les mains du Roy les places qu'ilz tiennent, elle travailleroit incessament à l'eslargissement de MM. les princes.

Le 30 l'assemblée continuant, le Premier President fit son rapport de cette response et remontra qu'avant qu'y desliberer, il seroit à propos d'avoir la declaration promise pour l'abolition de ceux qui sont dans le party de MM. les princes; sur quoy il feut resolu qu'on envoyeroit MM. les Gens du roy ches M. le Garde des Sceaux pour la demander, supposant qu'elle devoit estre expediée; et l'on remarqua que M. Coulon dit que puisque l'on n'imputtoit rien à MM. les princes, il falloit prononcer sur leur innocence.

Le premier du courant MM. les Gens du roy dirent à l'assemblée qu'ilz avoint esté ches M. le Garde des Sceaux et qu'il les avoit fait entrer dans son cabinet, où ilz avoint veu la declaration commencée et non achevée; et apres qu'on eut commencé d'opiner, MM. de Beaufort et le Coadjuteur protesterent qu'ilz n'avoint /362/ autre desseing que de travailler serieusement à la liberté de MM. les princes, et le dernier adjousta que M. le duc d'Orleans l'avoit chargé d'asseurer la Compagnie qu'il estoit d'advis qu'ilz feussent mis en liberté; sur quoy suivant leur advis il feut arresté qu'on envoyeroit des depputtés à S.A.R. pour l'invitter de venir prendre sa place aujourd'huy dans l'assemblée. Les depputtés ayant esté au palais d'Orleans à cette fin, S.A.R. leur promit de leur rendre response le lendemain. Cepandant l'advis estoit arrivé au Palais Royal que M. le Coadjuteur avoit asseuré le Parlement de la part de S.A.R. qu'elle estoit d'advis de la liberté de MM. les princes, M. Le Tellier luy alla demander si cela estoit vray qu'elle eut donné cette commission à M. le Coadjuteur, à quoy elle respondit qu'ouy.

L'apresdisnée du mesme jour la Reyne ayant prié Madame de l'aller veoir, elle y feut et eut une conference particuliere de deux heures avec Sa M., ce qui ne produisit rien. Le soir M. le duc d'Orleans estant allé au Palais Royal, M. le Cardinal, se plaignant de son proceddé, tient des discours dans la chambre de la Reyne qui fascherent S.A.R., entre autres que la pluspart des François n'aymoint point le Roy ny l'Estat, qu'ilz n'aymoint que les brouilleries, et que les princes mesmes estoint les premiers à cabaler; qu'il y avoit dans Paris des Fairfax et des Cromvelz, et que les desordres d'Angleterre avoint commencé de cette façon. S.A.R. luy respondit qu'il avoit grand tort de parler de la sorte, qu'elle cognoissoit mieux que luy les espritz des François, et qu'ilz aymoint et le Roy et l'Estat autant qu'il se pouvoit, mais qu'ilz hayssoint le ministere et ne le pouvoint souffrir; apres quoy S.A.R. sortit faschée.

Hier elle envoya querir quantité de conseillers du Parlement, à chacung desquelz elle donna un quart d'heure d'audiance en particulier, l'ung apres l'autre, et leur dit ce qui s'estoit passé le soir precedent, et les asseura derechef qu'il estoit d'advis de la liberté de MM. les princes et d'oster M. le Cardinal au ministere. Sur les 6 heures du soir elle manda M. le Garde des Sceaux, le mareschal de Villeroy, et Le Tellier, lesquelz estant arrivés en son palais, elle leur dit qu'elle estoit si lasse de la mauvaise conduitte de M. le Cardinal qu'elle ne le pouvoit plus souffrir; qu'elle les prioit de dire à la Reyne qu'il estoit d'advis qu'il se retirat; qu'elle ne vouloit plus se mesler des affaires d'Estat tant qu'il demeureroit dans le ministere; et qu'elle ne se trouveroit jamais où il seroit. Ces messieurs essayerent de l'appaiser, mais inutilement; et il dit à M. de Villeroy qu'il luy en respondroit de la personne du Roy, et rendit de mesmes le mareschal du Plessis responsable de la personne de M. le duc d'Anjou. En mêsme temps Sadite A. manda le Prevost des Marchand et le chargea de la tenir advertie promptement de ce qui ce [se] pourroit passer en cas qu'on voulut faire entrer ou sortir des gens de Paris; et parce qu'il avoit esté resolu au Conseil, le jour precedent, d'envoyer au Havre le mareschal de Granmont /362v/ avec M. de Lionne de la part de la Reyne, et Goulas de la part de S.A.R., pour traitter les conditions de la liberté de MM. les princes, il manda à ce mareschal qu'il ne devoit point attendre d'avantage de partir, ce qui l'obligea d'aller prendre congé de la Reyne et ensuitte de S.A.R. Ils sont partis ce matin, tous 3 ensemble, à la pointe du jour.

L'on remarqua que hier au soir le Premier President eut une longue conference d'une heure avec la Reyne, et que la cour estoit plus grosse au Palais Royal qu'à celuy d'Orleans; mais elle a tellement grossy aujourd'huy dans celuy cy qu'il a esté toutte la journée plain d'une foule incroyable de peuple. M. le Cardinal, pour tesmoigner qu'il n'avoit point de peur, feut hier au sermon dans l'esglise St Jacques de la Boucherie, mais ce feut avec le Roy, qui ne l'abandonna pas.

M. de Vendosme a esté veoir ce matin S.E. et luy dit que veritablement il avoit tousjours esté son serviteur, mais non pas à l'exclusion de M. le duc d'Orleans, à qui il avoit des obligations si etroictes qu'il estoit obligé de luy aller offrir ses services; et sur cela il s'est allé offrir à S.A.R.

Le matin le Parlement estant assemblé, le Premier President a dit que la Reyne l'ayant mandé hier au soir, luy dit que la declaration d'abolition estoit preste et envoyoit au Havre le mareschal de Granmont pour la liberté des princes; à quoy il respondit que les conditions auxquelles on leur vouloit donner la liberté causoint des deffiances; et Sa M. luy repartit qu'elle avoit leue ces conditions et qu'il n'en devoit pas doubter, bien qu'elles feussent dans la declaration. Ensuitte la declaration ayant esté apportée, avec une lettre de cachet contenant à peu pres les mesmes choses que Sa M. avoit dites au Premier President, on a seulement leu la lettre; et lors qu'on commenceoit à opiner, M. d'Irval, qui avoit porté la parolle à M. le duc d'Orleans le premier du courant dans la deputation qui luy en feut faitte pour l'invitter de venir prendre sa place dans l'assemblée, a dit que S.A.R. remercioit la Compagnie et la prioit de l'excuser et de croire qu'elle continuoit dans son premier avis pour la liberté de MM. les princes; à quoy M. le Coadjuteur a adjousté que S.A.R. l'avoit chargé de dire à la Compagnie que le cardinal Mazarin avoit hier dit au Roy dans le Palais Royal des parolles injurieuses contre l'honneur du Parlement, lesquelles l'avoint obligé de declarer qu'elle n'entreroit plus au Conseil tandis qu'il y seroit; et plusieurs conseillers ont encor adjousté qu'il avoit dit aussy que le Parlement se declaroit contre le Roy et qu'il s'y trouvoit des Ferfax et des Cromvelz. Apres cela M. Delandes Payen a dit son advis, qui estoit de declarer MM. les princes innocentz, d'informer contre le Cardinal, et de supplier la Reyne de l'esloigner /363/ de ses conseilz. M. de Broussel a esté d'advis de cet esloignement et decretter adjournement personnel contre le Cardinal; M. Prevost de supplier la Reyne de donne[r] une declaration pure et simple pour la liberté de MM. les princes, pour la faire enregistrer partout; M. de Machaut d'ordonner que M. le Cardinal seroit ouy; et sur ce, quelq'ungs ont dit qu'il n'avoit point de sceance au Parlement. L'on a remarqué que M. Coulon a dit qu'on le mettroit sur la sellette. M. le Coadjuteur a remonstré l'importance qu'il y avoit d'oster le Cardinal au Conseil, puisque S.A.R. n'y vouloit pas assister tandis qu'il y seroit, et a suivy l'advis de M. Le Provost. Le president Viole a esté aussy de cet advis, et adjouste qu'il seroit informé contre le Cardinal et representé à la Reyne l'estat present de ce royaume, la perte de tant d'hommes qui ont esté tués dans les guerres qu'il a suscritte ou entretenues, et la rupture qu'il a fait du traitté de la paix generalle; que Sa M. en estoit responsable envers Dieu; qu'on ne doit pas faindre à luy dire cette verité: Meliora enim sunt vulnera diligentis, quam oscula blandientis. La pluspart des advis alloint aussy à deputter vers M. le duc d'Orleans pour sçavoir la verité des parolles que M. le Coadjuteur a dites de sa part, non pas qu'on doubtat de sa sincerité, mais afin d'avoir un moyen plus legitime pour decretter contre le Cardinal; mais apres qu'environ 40 ont opiné, on a remis la desliberation à demain.

Cest apresdisnée MM. de Vendosme et d'Elboeuf estant allé dire à M. le duc d'Orleans que la Reyne le prioit de trouver bon qu'elle l'allat veoir; à quoy il a respondu tout haut qu'elle n'en prit point la peyne, qu'il estoit tousjours dans le mesme sentiment, qu'il seroit fasché de se veoir obligé de luy refuser ce qu'elle luy pourroit demander, et que d'ailleurs si le peuple, qui est desja imbut de cette affaire, venoit à manquer de respect à son esgard lors qu'elle passeroit sur le Pont Neuf, on luy imputeroit d'en avoir esté la cause; ainsy Sa M. n'y est point allée mais y a envoyé la reyne d'Angleterre, et ensuitte Mme de Chevreuse, lesquelles n'y ont rien advancé.

S.A.R. a envoyé ce soir le mareschal d'Estampes au Palais Royal pour declarer dereschef aux mareschaux de Villeroy et du Plessis, au comte d'Harcour, et aux officiers des gardes du corps, qu'elle les rendoit responsables des personnes du Roy et de M. le duc d'Anjou; et que s'ilz les laissoint sortir de Paris, qu'on comenceroit dès demain à faire le proces à tous ceux qui y auroint consenty; à quoy M. de Villeroy a respondu que si l'on prenoit son conseil, il ne seroit pas d'advis que Sa M. sortit de Paris, mais qu'il n'avoit pas ouy dire encor qu'on y eut pensé. Les autres ont fait presque le mesme response.

/365/ [a note appended to the newsletter:] du x febvrier 1651

Despuis que S.A.R. print resolution d'esloigner M. le Cardinal et de le faire sortir du royaume et les princes de prison, cela a changé tout l'Estat. La Reyne fait son possible pour moyenner une entreveue entre elle et S.A.R., qui demeure ferme, ayant juré de n'entrer ny au Conseil ny au Palais Royal qu'il n'eut les princes avec luy et que M. le Cardinal feut hors de France. Cela a fait un bruit et des caballes incroyables, mais la fermetté de S.A.R. a tout vaincu. M. le Cardinal se retirat à St Germain, de là au Pont de l'Arche, et de là (dit-on) à Dieppe. La Cour a donné arrest par lequel il est ordonné que le Cardinal sortira du royaume, luy, son nepveu, et ses niepces, dans quinze jours, apres lesquelz ordre à tous gouverneurs des villes de luy courre sus. On travaille à la deslivrance des princes, et ce jourd'huy la Reyne et S.A.R. signent la lettre de cachet pour leur liberté; et l'on est à present dans le cabinet de S.A.R., avec M. le Garde des Sceaux, pour dresser la declaration de leur justiffication et innocence. Tout le party de Condé, Conty, et Longueville sont unis avec les serviteurs de S.A.R. L'on a dit que l'on taschera, quand les princes seront sortis, de les faire mettre du party du Cardinal, ce qui ne sera jamais; et M. le Prince ne peut estre qu'à S.A.R., et tous les serviteurs du prince ont juré que s'il s'estoit oublié jusques là, que [sic] de le quitter pour suivre S.A.R. Voila une grande fortune eschouée, mais la retraitte d'ung homme qu'on tient riche de 10 millions d'or et qui a cent mille escus de revenu en benefice n'est pas malheureuse; et son nom est si odieux que M. d'Espernon, pour estre son amy, a esté attaqué au mutin par le peuple, qui le nommoit "Mazarin," l'a voulu assommer s'il ne feut sauvé au Palais Royal. Son carrosse a esté pillée et deschiré en pieces. Le comte d'Harcour, qui avoit dit qu'il enleveroit le Roy hors de Paris malgré le peuple, a eu peyne d'eviter d'estre assommé ce soir et le contraint de mettre la main à l'espée pour se deffendre.

/367/ De Paris du x febvrier 1651

Le 4e le Parlement estant assemblé, M. le duc d'Orleans y estant venu avec les ducs de Beaufort, de Joyeuse, et de Brissac, les mareschaux de la Motte et de l'Hospital, et M. le Coadjuteur, S.A.R. dit qu'il estoit venu expres pour representer à la Compagnie le mauvais gouvernement du cardinal Mazarin, qui pourroit causer mesmes la ruyne de l'Estat; que despuis 3 ou 4 mois l'on n'a peu rien resoudre au Conseil du Roy; qu'on ne met aucung ordre pour les finances; que tout le temps se passoit en querelles; qu'on n'agissoit que par interest particulier; que par complaisance qu'elle avoit pour la Reyne, elle avoit souffert ses fourberies jusques à ce qu'elle avoit creu de ne devoir plus dissimuler, pour ne sembler pas consentir à des actions si dangeureuses; que ces façons d'agir et ces mauvaises impressions que le cardinal Mazarin donnoit au Roy contre le Parlement et contre les autres subjects du Roy (jusques à dire qu'ilz se gouvernoint dans leur conduitte comme le Parlement d'Angleterre, et qu'en s'en prenant à luy, on s'en prenoit au Roy, comme l'on peu juger par l'exemple du comte de Staffort) l'avoit obligé de quitter le Palais Royal; non pas qu'il ne conservat tousjours ses respectz pour la Reyne, mais pour ce qu'il ne vouloit pas assister au Conseil tandis que le cardinal Mazarin y seroit; qu'il avoit donné charge à M. le Coadjuteur d'en advertir la Compagnie; qu'il estoit vray que le jour precedent la Reyne l'avoit envoyé prier par MM. de Vendosme, de Mercoeur, et le prince d'Harcourt, de continuer d'assister au Conseil, ou qu'elle iroit au palais d'Orleans; et qu'il s'estoit excusé d'aller au Palais Royal et avoit prié la Reyne de ne prendre pas la peyne d'y venir, qu'il ne sçauroit souffir le cardinal Mazarin; et que dans les resolutions qu'il avoit prises, il supplioit la Compagnie de luy dire de quelle façon elle estoit d'advis qu'il se gouvernat. Le Premier President ayant remertié S.A.R. de la bonne volonté qu'elle avoit pour la Compagnie, on leut une lettre de cachet par laquelle le Roy demandoit que le Parlement luy renvoyat les depputtés pour leur faire sçavoir ses volontés; sur quoy, apres beaucoup de contestations, on suivit l'advis de M. le duc d'Orleans, qui feut que cepandant le Parlement demeureroit assemblé pour veoir ensuitte ce qu'il y auroit à faire et achever la desliberation. Aussytost le Premier President rapporta que la Reyne luy avoit fait dire par M. le Garde des Sceaux qu'elle avoit une volonté scincere pour la liberté de MM. les princes, sans aucune condition; que pour ce subject elle avoit envoyé au Havre le mareschal de Granmont; que dans un jour ou deux on en verroit les effectz; et qu'il n'estoit pas besoing d'avancer les desliberations sur une affaire qu'elle avoit promise au Parlement et qui estoit desja faitte; qu'ensuitte la Reyne ayant prit la parolle, avoit dit qu'elle ne sçavoit pas pourquoy M. le duc d'Orleans s'abscentoit du Conseil et qu'elle avoit tousjours eu une tres forte amitié pour luy, et qu'il luy avoit promis sa protection; qu'elle n'attendoit pas de son bon naturel le traittement qu'on luy faisoit faire; que le Coadjuteur ayant prit la liberté de l'aprocher avec d'autres personnes mal affectionnées au service du Roy, luy persuadoint de l'esloigner du Conseil et suscitoint des sujectz de division entre elle et luy. Ensuitte M. de Brienne, ayant prit sa place, dit que la Reyne luy avoit commandé d'asseurer le Parlement de volontés et des promesses qu'elle avoit donné pour la liberté de MM. les princes, que les ordres en estoint donnés, et que le mareschal de Granmont estoit en chemin; qu'elle prioit la Compagnie de surceoir sa desliberation, attendu les effectz de sa parolle r[oyalle], qui ne pouvoit pas tarder deux jours; /376v/ et qu'elle luy avoit encor commandé de prier M. le duc d'Orleans de continuer d'enter au Conseil et de vouloir entretenir cette union d'esprit qui a tousjours esté entre Sa M. et S.A.R.; à quoy celle cy luy respondit qu'il ne pretendoit point estre mal avec la Reyne, mais qu'il ne vouloit pas estre d'intelligence avec le cardinal Mazarin. Le Premier President dit que le Parlement n'avoit commencé ses assemblées que pour procurer la liberté de MM. les princes; que c'estoit une affaire faitte; et faisant semblant de pleurer par des parolles entrecouppées de larmes, dit qu'on en verroit bientost les effectz sans pousser les affaires à cette extremitté, ce qui fit rire la Compagnie asses longtemps. S.A.R. repartit à cela qu'il estoit vray que le mareschal de Granmont estoit party, mais qu'il n'avoit emporté d'autres ordres que de negotier; sur quoy le Premier President ayant dit qu'il sçavoit bien qu'il y avoit ordre pour faire sortir les princes, S.A.R. replicqua: "Vous en sçaves donc plus que moy." Le Premier President, apres avoir demeuré quelque temps surpris, dit qu'il en sçavoit autant que luy, qu'elle en avoit signé les instructions, et que rien ne se faisoit au Conseil sans elle; à quoy elle repartit en ces termes: "S'il a esté fait comme M. le Premier President le dit, on me l'a celé; et pour faire veoir l'estat des affaires il le faut prendre de plus loing. Apres la bataille de Libourne, M. d'Espernon, au lieu de pacifier touttes choses dans la Guyenne, commencea des desordres plus dangereux par une interdiction contre le Parlement de Bourdeaux. Je suis obligé de le dire pour faire veoir comment le cardinal Mazarin s'est gouverné dans le Conseil. Lors que nous desliberasmes sur cette interdiction, le Conseil feut partagé et l'emporta contre mon sentiment. Ensuitte, lors que la declaration feut envoyée pour la paix de Bourdeaux, tout le monde sçait de quelle façon je me portay pour eux; et qu'au contraire le cardinal Mazarin, qui avoit tousjours des advis contre mes sentimentz, publioit hautement que les Bourdelois m'en eussent point d'obligation, et que je n'avois pas esté de cest advis. Enfin les affaires de Bourdeaux ayant obligé leurs deputtés de poursuivre le changement de M. d'Espernon, je ne sçay par quelle politique on les a amusé. Si on y eut pourveu de bonne heure, la province n'eut pas esté ruynée. La detention de MM. les princes ayant suivy, Mme la Princesse feut contrainte de se retirer à Bourdeaux. Ensuitte l'on fit faire ce beau voyage au Roy contre mon advis, exposant la santé de Sa M. Tout le monde sçait de quelle façon j'ay agy dans cette rencontre et les soings que j'ay apporté pour MM. de Bourdeaux, leur faisant accorder le changement du gouverneur; ce qui n'avoit pas esté au gré du cardinal Mazarin, qui ne m'en a jamais fait response par escrit. Il vouloit s'attribuer toutte l'authorité, ce que j'ay recognu particulierement lors qu'il vit Mme la Princesse, et MM. de Bouillon et de la Rochefoucaut, sans m'en avoir donné advis. Il a fait courir le bruit que je voulois avoir MM. les princes en mon pouvoir à cause que je les avois faict conduire du Bois de Vincennes à Marcoussy; mais tout le monde sçait bien que la crainte que nous avion que l'ennemy ne vint investir le Bois de Vincennes nous obligeaa d'en faire sortir les princes. Le Roy estant de retour à Fontainebleau, j'y feu; et le cardinal Mazarin y fit resoudre au Conseil contre mes sentiments la traduction des princes au Havre et l'a fit executter de mesmes. Despuis on n'a peut mettre ordre à aucune chose dans le Conseil, et cette mauvaise administration m'a donné suject de me plaindre des querelles quy s'y faisoint tous les jours par des interestz particuliers, et notament dans l'affaire de Bourdeaux, dans laquelle j'ay esté amusé aussy bien que les depputtés; auquelz neamoings je defferois de dire me sentimentz et les entretenois /368/ d'esperance jusques à ce que n'ayant plus [pu?] longtemps souffir les fourberies du cardinal Mazarin, je feu obligé de leur dire que je voyois bien qu'il n'y avoit pas beaucoup à esperer du Conseil, et que je ne manquerois pas pourtant de continuer mes soings pour leur faire donner les satisfactions que je leur avois promises; et je crains qu'il n'en fasce de mesmes dans l'affaire de MM. les princes. Je sçay bien, lors qu'il s'agit de negotier, comme le cardinal Mazarin s'y employe. J'ay protesté que je n'avois pas d'autres intentions que de leur procurer cette liberté presentement et sans condition, et je m'en rendz garand."

Ensuitte M. Talon, apres s'estre estendu sur la necessitté qu'il y a de conserver l'union dans la Maison Royalle, dit que la Reyne desiroit conserver l'amitié qu'elle avoit pour M. le duc d'Orleans, qui l'interrompit là dessus, disant qu'il ne se separeroit jamais des interestz de la Reyne, et qu'il conserveroit tousjours ses respectz. M. Talon continuant apres quelques discours sur le meseme subject, supplia S.A.R. de veoir la Reyne et d'assister au Conseil; sur quoy quelq'ungs ayant dit qu'il n'y avoit point de seurté pour Sadite A. si elle estoit au Palais Royal, elle respondit que dans cette extremitté le cardinal Mazarin estoit capable de tout entreprendre et qu'elle luy avoit ouy dire que pour regner on ne devoit point craindre de violer les loix. La desliberation ayant ensuitte esté commencée, tout le monde feut d'advis de supplier la Reyne de donner presentement un ordre, et sans aucune condition, pour faire mettre MM. les princes en liberté; et quant au cardinal Mazarin, il y eut divers advis: les ungs de supplier la Reyne de l'esloigner de ses conseilz et de sa personne, les autres d'informer contre luy, les autres de decretter adjournement personnel, les autres de donner un arrest semblable à celuy de 1617. Enfin il y eut arrest portant que la Reyne seroit suppliée de donner ordre expres et sans aucune condition pour faire mettre MM. les princes en liberté et d'esloigner le cardinal Mazarin de ses conseilz et de la personne du Roy. Il y eut 145 voix de cest advis et 37 de faire une conference là dessus. La desliberation durat despuis 8 heures de matin jusques à 4 et demy du soir, et à la sortie le peuple qui estoit dans la sale du Palais accompagna S.A.R. jusques dans son carrosse, avec grande aclamation de "Vive le Roy et S.A.R, et point de Mazarin!"

Le soir du 3e le Cardinal voyant que la Cour estoit grosse au Palais Royal, montat sur un rebord de la chambre de la Reyne affin d'estre veu de tous ceux qui y estoint et y fit cette harangue, qui feut receuillie de mot à mot: "Messieurs, vous voyez qu'on me veut faire faire mon proces. J'en suis bien ayse, ayant si bien gouverné que je rendray bon conte de mon ministere. C'est le Coadjuteur qui veut estre cardinal et dit qu'il renversera plustost tout le royaume qu'il ne le soit. M. Le Tellier, qui est homme d'honneur, vous le dira."

Le 4 M. de Mercoeur ayant envoyé un gentilhomme à M. de Beaufort pour l'appeller en duel, quelq'ungs ayant aperceu que ce gentilhomme luy donnoit un billiet, se deffierent de ce que c'estoit et en advertirent S.A.R., qui luy donna un enseigne de ses gardes pour le garder; et lors qu'il se retirat, donna sa parolle à S.A.R. de ne se battre point contre son frere.

Le mesme jour la Reyne ayant mandé le Prevost des Marchandz et les colonnels des quartiers, ilz feurent au Palais Royal, où Sa M. leur fit dire par M. le Garde des Sceaux que l'ambition du Coadjuteur l'avoit porté à faire des factions dans Paris et à donner des mauvais conseils à M. le duc d'Orleans pour exiter des rumeurs; mais que la Reyne leur deffendoit /368v/ d'y adherer et de recevoir aucung ordre que d'elle; ce que S.A.R. ayant aprit à la sortie du Parlement, envoya le marquis de Sourdis à l'Hostel de Ville pour leur dire ce qui s'estoit passé et leur donner ordre de la venir trouver le lendemain au matin avec les colonnelz.

Le 5 au matin le conseil de Ville estant assemblé là dessus, resolut d'aller trouver S.A.R, mais [pendant qu'ilz se disposoint à partir, la Reyne leur envoya ordre par un exempt des gardes de l'aller trouver, ce qu'ilz firent; et M. le Garde des Sceaux leur dit que Sa M. avoit sceu que M. le duc d'Orleans les avoit mandé de son chef. Elle leur permettoit de l'aller trouver pour cette foix, mais qu'elle leur deffendoit d'obeir à aucung ordre s'il n'estoit signé d'un secretaire d'Estat; à quoy M. le Prevost des Marchandz [dit] qu'il avoit creut devoir obeir à S.A.R. comme lieutenant general, et qu'ilz ne feroint rien contre le service du Roy et san[s] en donner part à la Reyne.

L'apresdisnée du mesme jour ilz feurent trouver S.A.R., à laquelle ayant dit le subject pour lequel ilz n'estoint pas venus le matin, S.A.R. leur respondit en ces termes: "Vous sçaves bien que je suis lieutenant general de l'Estat, sans qu'il faille autre aprobation; mais quand mesmes je n'aurois pas cette qualité, mon rang et ma naissance me donneroint bien le droit de vous mander. Vous ne devès point obeir aux ordres qui vous sont donnés par le conseil des estrangers, qui n'est rien en France et n'y sera jamais rien. C'est à moy à qui vous devès obeir. Je vous asseure que je ne vous commanderay jamais rien contre le service du Roy"; à quoy ces messieurs repartirent qu'ilz estoint tres affectionnés au service du Roy et de S.A.R. et tous prestez de luy obeir.

Le 5 M. Le Tellier feut proposer à S.A.R. de tenir une conference ches la reyne d'Angleterre, où [la] Reyne se seroit trouvée sans le Cardinal, ce qui [qu'il] refusa. L'apresdisnée du mesme jour MM. le Garde du Sceaux, de Villeroy, et Le Tellier feurent trouver S.A.R. pour l'asseurer qu'il n'estoit pas vray qu'on eut proposé aucune chose au Conseil contre la liberté de MM. les princes, quoy que M. le Premier President eut voulu incister contre Sadite A. dans l'assemblée du [jour] precedent; que l'ordre en estoit entierement donné et qu'ainsy il n'y avoit pas lieu de desliberer sur une chose faitte.

La noblesse s'estant offensée des parolles que le Cardinal avoit dittes contre elle, qu'il y avoit des Fairfax et des Cromvelz en France, demanda le mesme jour 5e, au matin, permission à M. le duc d'Orleans de s'assembler, comme elle fit l'apresdisnée ches le marquis de la Vieuville, où elle resolut de tenir ses assemblées ches le duc de Nemours (qui est malade) et de remertier sur [sic] la bonne volonté qu'elle avoit pour elle. Le comte de Montresor y ayant voulu haranguer, quelq'ungs luy firent piece, ayant dit qu'il ne falloit pas avoir des abbés dans leurs assemblées et qu'il falloit les renvoyer dans celle du clergé, voulant dire qu'il estoit suspect parce que l'année passée le Cardinal luy donna une abbaye. Cette assemblée ce [se] tient le 6 ches le duc de Nemours, où il y avoit 2 à 300 gentilhommes, qui esleurent 2 presidentz pour 15 jours: sçavoir les marquis de la Vieuville et de Sourdis, qui presideroint alternativement; et resoleurent de presenter une requeste au Parlement pour demander justice contre le cardinal Mazarin des parolles injurieuses qu'il a proferé, et la continuation de leurs privileges. Le duc de Joyeuse voulut estre le premier à signer [la] requeste, mais l'assemblée n'en feut pas d'advis, ny S.A.R. non plus, à cause qu'il n'[a] peu donner sa voix dans cette affaire au Parlement. S.A.R. a tesmoigné grande aygreur /369/ contre le duc d'Espernon, qui a esté hué dans les rues de Paris, 2 ou 3 fois à Bourdeaux d'Espernon [sic], et contre le conte de Palluau à cause qu'il faisoit assembler la noblesse de ches eux pour contrequarrer l'autre.

Le 8 la noblesse ayant envoyé 2 depputtés à MM. du clergé pour les prier de se vouloir joindre à elle dans un subject si juste que celuy pour lequel elle s'assembloit, ceux cy resoleurent de le faire, apres en avoir donné part à la Reine et à M. le duc d'Orleans pour en avoir leur aprobation. Pour cest effectz ilz envoyerent des depputtés à Sa M., qui ne leur deffendit pas cette jonction mais leur tesmoigna qu'elle auroit souhaitté qu'ilz en eussent rejetté la proposition de cette partie de noblesse; et ces deputtés feurent ensuitte ches S.A.R., à laquelle, apres avoir fait recit de leur desliberation et loué le desseing qu'elle avoit fait de travailler à la liberté de MM. le princes et à l'esloignement du cardinal Mazarin, ils adjousterent qu'ilz ne pouvoint entendre qu'avec une extreme douleur la desunion qu'il sembloit estre entre la Reine et Sadite A., qui leur fit cette response: "Messieurs, je vous suis obligé de la part que vous prenès à mes interestz et à ceux de la noblesse. Vostre resolution est louable, et je ne doubte point que vos prudences ne facent leur possible pour le bien de l'Estat; mais quand à la desunion que vous croyès estre entre la Reine et moy, je vous prie de croire que je ne pretendz pas qu'il y en aye, que je ne m'esloigneray jamais du respect que je luy doitz, et que j'en donneray tousjours des marques, et à vous, de mon affection."

Le 6 les chambres estant assemblées, MM. les Gens du roy dirent que le jour precedent ilz feurent ches la Reine et representerent à Leurs M. la necessitté qu'il y avoit d'esloigner le cardinal Mazarin de la personne du Roy et de ses conseilz, et alleguerent sur ce subjectz plusieurs exmeples, entre autres celuy du cardinal [blank], qui feut esloigné et exclus des conseilz de Philippes 2, roy d'Espagne, sur les plaintes que faisoint les peuples de sa conduitte; celuy de l'empereur Justinian, qui apres avoir gaingé la victoire contre les Vandales, esloigne la premiere personne de son conseil à cause des plaintes qu'on faisoit contre luy; et celuy du roy [a hole: Henri?] 3, qui esloigna le feu duc d'Espernon pour couper cours aux plantes que le peuple faisoit contre luy. La Reyne leur dit seulement qu'elle feroit response le lendemain à 4 heures du soir. M. le duc d'Orleans dit là dessus qu'il avoit creu qu'on avoit arresté, le 4, que les remonstrances seroint faittes par les deputtés et non par les Gens du roy, ce que toutte l'assemblée advoua estre veritable; et bien que la response eut esté promise, il feut neamoings arresté que de nouveau les mesmes remonstrances seroint faittes à la Reyne par deputtés. Ensuitte le Prevost des Marchandz ayant esté mandés à l'assemblée pour sçavoir de luy ce que la Reine desiroit de MM. de Ville, dit que Sa M. luy avoit fait dire par M. le Garde des Sceaux qu'il n'eut à recognoistre que les ordres du Roy signés d'ung secretaire d'Estat; sur quoy M. de la Galissonniere ayant dit qu'il estoit bien estrange que le cardinal Mazarin se mit en comparaison et en paralele avec M. le duc d'Orleans, M. de Machaut, maistre des requestes, prit occasion de dire que puisque du temps d'Henry 3 le pere du feu comte de Soissons maltraitta le cardinal de Liancourt pour luy avoir contredit avec trop d'hardiesse dans le Conseil, qu'à plus forte raison S.A.R. avoit un juste subject de maltraitter le cardinal Mazarin. S.A.R. s'estant plainte et dit qu'elle vouloit desormais /370v/ faire la fonction de sa charge et qu'il falloit que chacung fit la sienne, dit qu'il y avoit de certaines personnes de neant qui ne vouloint pas deferer à ses ordres, et mesmes quelques mareschaux de la nouvelle creation qui faisoint difficulté de luy obeir; mais qu'elle leur aprendroit bien leur devoir et que le premier qui refuseroit de luy obeir, elle le feroit arrester et le leur envoyeroit pour en faire justice; ce que messieurs aprouverent tous d'une voix; apres quoy le duc de la Rochefoucaut s'estant presenté, feut receu duc et pair, malgré le Premier President, apres avoir esté absout de tout le passé.

Le mesme jour le chevalier de Chaunes arriva icy de la part du duc son frere, qui envoyoit offrir ses services et sa place d'Amiens à S.A.R.

Le mesme jour 6, à 11 heures du soir, M. le Cardinal partit à la desrobée pour se retirer. Il sortit à pied du Palais Royal, luy 4, par la porte des escuyries et feurent monter à cheval proche son palais, et sortit par la porte de Richelieu accompagné de 30 ou 40 chevaux. Son bagage alla passer par la porte de la Conference escortée par d'autres cavaliers, qui feurent attaqués par des batteliers; lesquelz ayant mis l'allarme au quartier, feurent secondés par les gens de Mademoiselle, qui prirent MM. de l'Estrade et de Roncerolles et les amenerent ches elle, d'où elle envoya sçavoir de Monsieur son pere si on devoit les garder; à quoy il fit response qu'on les laissat aller; et ainsy ilz fuerent relaschés. Deux heures apres, cepandant, le bagage feut sauvé moyenant l'argent qu'on donnat à ceux qui l'avoint attaqué, et arriva au rendesvous, qui estoit au bout du Cours la reyne, d'où S.E. feut accompagnée par M. d'Elbeuf et ses enfans et par le comte d'Harcourt et d'autres, jusques à demy lieue de là, et par MM. Broglio, Palluau, Navailles, et autres jusques à St Germain, où elle arriva 3 heures apres minuict et coucha le lendemain à Meulant, et le 8 à Villarceaux, accompagné tousjours du marquis de Gevres et avec quelques gardes du roy. Plusieurs croyent qu'elle va au Havre.

Le 7 au matin la Reyne envoya au palais d'Orleans MM. le Garde des Sceaux, de Villeroy, et Le Tellier, lesquelz dirent à S.A.R. que Sa M. voyant que Sadite A. souhaittoit l'esloignement du cardinal Mazarin, elle l'avoit esloigné et prioit S.A.R. de n'aller point au Parlement et de retourner au Palais R[oyal]; à quoy Sadite A. respondit qu'il estoit necessaire pour le service du Roy qu'elle entrat ce jour là au Parlement, et qu'apres elle iroit veoir la Reine pour la remertier.

Sadite A. allat ensuitte au Parlement, où apres que plusieurs eurent incisté à ordonner qu'il feut informé contre S.E., tous suiverent entierement l'advis de S.A.R.; suivant lequel il y eut arrest portant que la Reyne seroit suppliée de mettre incessament les princes en liberté et d'en faire incessament expedier les ordres necessaires; que Sa M. seroit remertié de l'esloignement du cardinal Mazarin et supplié de le faire sortir tout à fait hors du rouyaume, et d'envoyer une declaration par laquelle tous les estrangers mesmes naturalisés et tous autres qui auront presté serment à d'autres qu'au Roy, seront entierement exclus à l'advenir du Conseil du Roy.

/371/ L'apresdisnée du 7 MM. le Garde des Sceaux, de Villeroy, et Le Tellier, qu'on nomme par derisions la "trinitté imparfaitte," retournerent au palais d'Orleans et prierent S.A.R. de retourner au Palais Royal pour y assister au Conseil, puisque le Cardinal n'y estoit plus; à quoy elle respondit qu'elle n'y pouvoit retourner jusques à ce qu'elle y pourroit mener MM. les princes et que le Cardinal ne feut entierement hors du royaume, mais que cepandant elle les prioit d'asseurer Sa M. de ses respectz.

Le 8 les chambres estant assemblées, le Premier President dit que, suivant la desliberation du jour precedent, il feut l'apresdisnée au Palais Royal avec les depputtés du Parlement et y fit le continu de ce qui avoit esté arresté; à quoy la Reyne leur respondit qu'elle eut souhaitté de pouvoir conferer avec M. le duc d'Orleans; qu'elle l'avoit envoyé prier d'aller au Palais Royal, ce qu'il avoit refusé, quoy qu'elle luy eut escrit une lettre par laquelle elle luy mandoit qu'il pouvoit venir en toutte seurté; que neamoings elle tiendroit Conseil, et que si S.A.R. ne s'y vouloit pas trouver, elle assembleroit les principaux du rouyaume et en feroit sçavoir la response au Parlement. MM. les Gens du roy ont pris ensuitte leurs conclusions, qui estoit de suplier S.A.R. de se treuver à cette conference; à quoy elle a respondu qu'il estoit vray qu'elle avoit refusé d'aller au Palais Royal; que si la Reyne vouloit mettre les princes en liberté sans condition, qu'il ne seroit pas besoing de conferer; et qu'elle en avoit desja fait sa declaration; qu'elle n'yroit point au Palais [Royal] jusques à ce qu'il auroit MM. les princes à son costé; et quand à ce qui concerne le cardinal Mazarin, qu'il n'estoit pas fort esloigné, n'estant qu'à St Germain dans la maison du Roy, où il faisoit encor la fonction de ministre; qu'elle ne pouvoit estre d'accord avec luy sans trahir sa conscience et l'Estat; qu'il estoit d'advis qu'il sortit du rouyaume, luy et tous ses parens. Sur quoy, l'affaire ayant esté mise en deliberation, la pluspart des voix alloint à donner arrest par lequel les princes feussent declarés innocens et ordonner que le cardinal Mazarin eut à sortir du royaume dans 8 jours, à peyne d'estre declaré perturbateur du repos public et ennemy de l'Estat; mais on revient à l'advis de S.A.R., qui n'a pas voulu qu'on allat si viste, et fit arrester que les Gens du roy iroint supplier la Reyne de donner response sans retardement sur l'execution de l'arrest d'hyer et de faire sortir du rouyaume les parens et domestiques estrangers du cardinal Mazarin, et l'assemblée remise au lendemain, 9.

L'on a remarqué que dans touttes les assemblées les beaux discours et raisonnementz de S.A.R., qui a tousjours rendu confus le Premier President, lequel faisoit tous ses effortz pour eluder les assemblées parce qu'il pretendoit estre le mediateur de tous les differens de MM. les princes et M. le Cardinal, lesquelz il vouloit unir pour s'opposer à S.A.R. et aux Frondeurs; et à cette fin M. de Champlastreux tenoit des conferences fort longues tous les jours avec S.E.

L'apresdisnée du 8 la Reyne fit tenir une assemblée de notables dans le Palais Royal, où ce [se] trouverent la pluspart des ducs et pairs et mareschaux de France qui sont à Paris, lesquelz resoleurent d'envoyer des depputtés à M. le duc d'Orleans pour le prier de vouloir nommer un lieu tel qu'il luy plairroit pour tenir une conference, et que la /371v/ Reine s'y trouveroit puisqu'il ne vouloit pas aller au Palais Royal. Pour cest effect MM. de Vendosme, d'Elbeuf, d'Espernon, de Schomberg, et l'archevesque d'Ambrun feurent au palais d'Orleans. Le premier porta la parolle et dit ce qui avoit esté resolu; à quoy S.A.R. ayant respondu d'abord qu'il n'estoit point besoing de conference, ne s'aggisant que de mettre MM. les princes en liberté et de faire sortir du rouyaume le cardinal Mazarin, que dès le jour precedent il avoit fait response à cela, M. d'Elbeuf voulut dire à Sadite A. que si elle craignoit que sa personne ne feut pas en seurté au Palais Royal, il luy en seroit caution. Elle luy repartit en ces termes: "Vous, vous estes une bonne caution! C'est bien à vous qui je m'en voudrois fier, vous qui estes devenu Mazarin pour vous bander contre moy. Vous estes un ingrat. Je ne vous veux point parler; et sachès que c'est à ces messieurs à qui je faitz ma response et non à vous, et que n'estoit leur respect, je vous ferois chasser de ma maison. Retirès vous d'icy, que je ne vous voye jamais!" Ce qui le rendit si confus qu'il se retirat sans faire aucune response.

Le 8 au soir un courrier du mareschal de Granmont arriva icy et apporta à la Reyne un pacquet de ce mareschal, dans lequel il y avoit des lettres de MM. les princes pour Mme de Longueville et M. de Turenne, ausquelz ilz mandoint qu'ilz fissent cesser touttes hostilittés et qu'ilz quittassent entierement le party des Espagnolz; et apporta aussy une lettre de M. Goulas à M. le duc d'Orleans, par laquelle il mandoit que M. de Lyonne ayant dit à MM. les princes que M. le Cardinal travailloit de tout son pouvoir aupres de la Reyne pour leur procurer entierement leur liberté, ilz luy avoint respondu qu'ilz aymoint mieux estre en prison jusques au jour du Judgement que d'avoir la moindre obligation de leur liberté au Cardinal.

Le ix les chambres estant assemblées, M. le duc d'Orleans dit que MM. les depputtés des notables avoint esté ches luy; et l'on remarqua qui [qu'il] les nomma tous, excepté M. d'Elbeuf, et qu'il dit qu'il n'avoit pas jugé à propos de tenir la conference qui luy avoit esté proposée, afin d'oster le soubçon qu'on pouvoit avoir qu'il se voulut accommoder avec le cardinal Mazarin; et qu'il desiroit prendre advis de la Compagnie sur ce qu'il auroit à faire là dessus; à quoy il adjousta que la Reyne avoit envoyé au cardinal Mazarin le paquet qu'elle avoit receu du mareschal de Granmont le soir precedent, et que c'estoit une marque que le Cardinal recevoit et donnoit encor les ordres comme s'il eut esté dans le ministere. MM. les Gens du roy dirent ensuitte [que] le jour precedent ilz avoint esté au Palais Royal querir la response de la Reyne, suivant ce qui avoit esté arresté, et que Sa M. leur avoit dit qu'elle vouloit bien la liberté des princes, mais qu'elle desiroit terminer cest affaire avec M. le duc d'Orleans; que s'il ne vouloit pas conferer avec elle, elle luy envoyeroit M. le Garde des Sceaux pour en traitter avec luy; et quant au cardinal Mazarin, il s'estoit esloigné sans feinte et sans espoir de retour, mais qu'à la verité /372/ elle ne sçavoit pas quelle route il avoit prise; qu'on sçavoit bien qu'il ne pouvoit pas aller Rome pendant ce pontificat, que son nepveu estoit desja party, et que ses niepces partiroint le lendemain à 6 heures du matin pour se retirer aussy, comme elles firent; et qu'ainsy ilz pourroint asseurer le Parlement qu'ilz seroint desja partis. Et apres cela on opina; et pendant qu'on desliberoit, on remarqua surtout deux choses: la premiere, que sur l'advis d'ordonner que le Cardinal sortiroit hors du royaume dans 15 jours, M. Coulon dit que c'estoit tropt pour un postillon; et la seconde, q'un autre dit qu'il n'estoit pas besoing de retenir des rancunes contre le Cardinal et qu'il falloit plustost souhaitter qu'il gouvernat 8 autres années en Espagne avec le mesme succes qu'il avoit gouverné en France. Enfin, suivant l'advis de S.A.R., il y eut arrest portant que sur la declaration faitte par la Reyne aux Gens du roy, le cardinal Mazarin, ses parens, et domestiques estrangers sortiroint dans 15 jours hors des terres et places de l'obeissance du Roy, autrement permis à touttes personnes de luy courir sus, sans qu'il puisse revenir pour quelque pretexte, cause, employ, ou occasion que ce soit; et deffenses à tous gouverneurs des provinces et places et autres subjectz du Roy de le retirer ny recepvoir; que cest arrest seroit publié, comme il feut, à son de trompe et envoyé aux bailliages, senechaussées, et autres parlementz.

Hier MM. le Garde des Sceaux, de Villeroy, et Le Tellier travaillerent l'apresdisnée à resoudre de quelle façon l'on mettroit MM. les princes en liberté, apres avoir fort contesté sur les conditions, Sa M. ne voulant pas leur remettre entre les mains touttes les places et gouvernementz, et S.A.R. voulant qu'ilz sortissent sans condition et qu'apres on deslibereroit là dessus. On demeura d'accord de la maniere dont l'ordre seroit dressé, et M. le Garde des Sceaux dit qu'il le presenteroit à la Reyne pour le signer, apres quoy M. le Coadjuteur se retirat ches luy. S.A.R. le fit accompagner par ses gardes suisses à cause que les enfans de M. d'Elbeuf l'avoint menassé de l'attaquer dans les rues ou de le tuer.

Sur la minuit S.A.R. ayant eu plusieurs advis que le Roy alloit sortir, qu'à cette fin les gendarmes et chevaux legers estoint commandés, qu'on avoit veu paroistre quelque cavalerie vers le Cours de la reyne et vers la porte de Richelieu, se leva du lict et prent ses bottes pour monter à cheval et envoya promptement ordre à tous ses gens de se preparer pour l'empescher; en sort qu'à moings d'une heure il y eut 200 chevaux à la porte de son palais pour l'escorter; mais apres avoir envoyé diverses personnes à la desrobée pour y prendre garde, il commandat au mareschal de la Mothe, en cas que cela arrivat, de garder une porte, au comte de Tabanes un autre, à Chamboy une autre; elle envoya aussy le baron de Ouches à la Reyne pour luy dire que tout Paris /327v/ estoit desja allarmé de ce bruit et le venoit sollicitter d'empescher cette sortie; qu'elle la prioit de ne l'obliger pas de s'y opposer. Sa M. luy a respondu que c'estoit un faux bruit, qu'elle n'y avoit pas songé; et apres avoir parlé d'autres choses, a fait conduire M. des Ouches dans la chambre du Roy, où il l'a veut au lict; et apres est allé ches le Garde des Sceaux, qui luy a dit que si cela estoit, tout estoit perdu, voulant dire que le secret ne luy en ayant pas esté confié, il en conjecturoit sa disgrace.

Le matin le Parlement estant assemblé, M. le duc d'Orleans a dit qu'il avoit eu advis certain que la nuict passée on avoit voulu faire sortir le Roy; à quoy le Premier President a respondu que ce bruit ne pouvoit estre et que la Reyne n'y avoit pas pensé; apres quoy S.A.R. a dit que pour ce qui estoit de la liberté des princes, c'estoit enfin une affaire faitte. Ensuitte la lettre circulaire qui sera envoyé au parlementz ayant esté leue, l'on a chargé les Gens du roy d'aller remonster à la Reyne la crainte qu'on avoit de la sortie du Roy et les inconvenientz qui en arriveroint, et la suplier d'oster ce soubçon au peuple. L'on a aussy supplié S.A.R. de donner les ordres necessaires pour empescher la sortie de Sa M.; et l'assemblée remise à demain.

Le matin M d'Espernon allant de son hostel au Palais Royal, la populasse qui s'estoit ramassé autour de ce palais l'a attaqué et mis son carrosse à pieces, prit ses chevaux, et battu ses gens, et l'auroint deschiré luy mesmes s'il n'avoit trouvé moyen de se sauver sans chapeau dans l'esglise St Honoré, d'où il a esté escorté dans le Palais Royal.

Sur le midy l'on a aussy fait insulte au comte d'Harcourt, qui sortoit du Palais Royal à pied à cause que les chaisnes estoint tendues aux environs. L'on a d'abord crié que c'estoit luy qui s'estoit venté emmener le Roy; et apres que les valetz de pied qui l'accompagnoint ont blessé deux personnes, il est rentré dans le Palais Royal. Le soir l'ordre pour la liberté de MM. les princes a esté expedié et signé de la Reine et de M. le duc d'Orleans. On l'envoye porter au Havre par le duc de La Rochefoucaut, le sieur Arnaut, mareschal de camp, le president Violle, et M. de Vrilliere, secretaire d'Estat, lesquelz partiront demain au matin pour mener icy MM. les princes, qui pourront arriver à Paris mercredy prochain; et cepandant on fait garde aux portes du consentement de la Reyne.

/374/ De Paris le 17 febvrier 1651

Quelques jours devant le despart du Cardinal, MM. les Jesuistes luy ayant promis de prescher dans les esglises de Paris où le Roy iroit et d'exhorter le peuple à l'obeissance deue à Sa M., obtindrent dans ce tems là quelque lettre de cachet pour faire piece aux Jansenistes, entre autre une contre le Pere Dom Carrouge, Chartreux, portant ordre à son prieur de le mettre entre les mains d'ung exempt des gardes pour le conduire dans quelque province esloignée; dont M. le duc d'Orleans ayant esté adverty par les amis de Dom Carrouge, envoya deffendre au prieur d'envoyer executter cest ordre et à Dom Carrouge d'y obeir, à cause que la lettre de cachet portoit que c'estoit pour des assemblées de Jansenistes et des Frondeurs, qui se faisoint ches luy. Le prieur, qui n'ayme pas Dom Carrouge, avoit nié d'avoir receu cette lettre de cachet; mais Dom Carrouge receut quelques jours apres une lettre de son general, qui luy donna advis qu'on le vouloit exiler et que cela se faisoit par l'intrigue d'ung Jesuiste et d'un secretaire d'Estat, qui est M. Le Tellier.

Le cardinal Antonio Barbarin est icy puis 10 ou 12 jours incognito, logé au couvent des Peres Minimes.

L'on tient pour asseuré le desseing qui avoit esté pris de faire sortir le Roy la nuict du 9 au 10 et qu'il devoit sortir du Palais Royal luy sixiesme, ce qui ce [se] confierma le xi par l'advis apporté à M. le duc d'Orleans par Chamboy que le cardinal Mazarin avoit couché le 9 au Pont de l'Arche et le x dans le Vieux Palais de Rouen, où estant entré par la porte de derriere, il dit que le Roy y arriveroit dans 2 jours par des voyes si extraordinaires que tout le monde en seroit surpris. Aussy est-il vray que le Cardinal ne sortit d'icy que dans l'esperance que le Roy le suivroit dans un jour ou deux, ayant esté persuadé de cela par M. le Garde des Sceaux et par Mme d'Aigullion, lesquelz despuis n'ont pas esté d'advis de cette sortie, non plus que Mme de Chevreuse, contre laquelle la Reyne s'est plainte de ce qu'elle s'estoit remise dans le party des Frondeurs et de MM. les princes dans l'esperance qu'on luy avoit donné de marier le prince de Conty avec sa fille.

Mme d'Estrades partit d'icy la semaine passée pour se retirer dans Duncherque. Son mary est aupres du cardinal Mazarin, ce qui fait croire que celuy cy a desseing de se retirer dans Duncherque.

Le xi le Parlement estant assemblé, M. le Premier President dit qu'on avoit envoyé les ordres pour mettre MM. les princes en liberté, et nomma ceux qui estoint partis pour aller faire executter ces ordres au Havre; en suitte de quoy on parla de demander la declaration pour pour [sic] l'exclusion des estrangers hors du Conseil du Roy, mais il feut arresté qu'il s'en parleroit à [la] premiere assemblée. M. d'Orleans n'y feut pas.

Le mesme jour M. le president Perrot feut mis en liberté.

Ledit jour M. le duc d'Orleans, ayant envoyé dire à la Reyne qu'il iroit le soir au Palais Royal pour la visitter si sa santé le luy permettoit, receut des advis qui l'obligerent de n'y aller point et envoya le baron des Ouches à Sa M. pour s'en excuser et dire qu'il se trouvoit mal et que ses medecins avoint trouvé à propos qu'il feut saigné le lendemain, comme il le feut: ce que Sa M. ne laissa pas de trouver mauvais.

L'advis de [sic] M. le duc d'Orleans receut le mesme jour que le cardinal Mazarin briguoit dans le /374v/ Parlement de Rouen pour s'y faire recevoir, dans l'esperance qu'il donnoit de la venue [du] Roy et pour empescher qu'on n'y donnat arrest conforme à celuy de Paris, S.A.R. envoya le mareschal d'Estampes pour faire donner un arrest contre luy pour le chasser de la province en execution de celuy de Paris.

Le 12 on eut advis que le cardinal Mazarin avoit couché la nuict du x au 11 à Cally [Cailly], 6 lieux de Rouen; et que De Bar ayant receut une lettre de luy par laquelle il luy mandoit qu'il alloit au Havre, luy avoit fait response qu'il ne l'y pouvoit recevoir que luy 6 [?], ce qui feut enfin confiermé le lendemain à S.A.R. par Mme d'Aigullion, laquelle on dit s'estre accommodée avec M. le Prince par l'entremise de De Bar.

Le mesme jour 12 l'on avertit S.A.R. que Sa M. devoit sortir la nuict de ce jour là travestie, ce qui l'obligea de faire redoubler les gardes aux portes de la ville et aux environs du Palais Royal, et mesmes sur la riviere deça et delà. Sur la minuict il y eut allarme par tout Paris sur ce que les soldatz des gardes qui estoint devant le Palais Royal s'y estoint rangés en bataille, ayant voulu empescher ceux qui faisoint la ronde autour dudit palais d'y passer devant. L'on cria aux armes, et l'on feut sur le point de donner sur les soldatz des gardes, mais à la fin les officiers laisserent passer la ronde et tout demeura calme.

Le lendemain au matin les colonnelz feurent au palais d'Orleans recevoir ordre de S.A.R. de faire garde partout Paris nuict, jour, tambour battant.

Le mesme jour au soir Mme d'Aigullion feut au palais d'Orleans, où elle fit tous ses effortz pour persuader à S.A.R. d'aller le lendemain veoir la Reyne; ce que Sadite A. luy fit esperer avec la mesme condition qu'elle avoit fait auparavant, c'est à dire si sa santé le luy permettoit, et l'on croyoit le 13 qu'elle iroit; mais quelques advis qu'elle eut l'apresdisnée l'en detournerent, entre autres qu'on avoit mis 5 compagnies des gardes devant le Palais Royal, au lieu qu'auparavant il n'y en avoit que 3, ce qui l'obligea de mander à la Reyne qu'elle se trouvoit mal et la prioit de l'excuser; cepandant S.A.R. reprocha à Mme d'Aigullion qu'elle devoit sçavoir quelque chose de la sortie du Roy, puisqu'elle avoit fait faire des balotz de touttes ses hardes pour les enlever la nuict.

Le mesme jour la duchesse d'Amville mourut icy apres avoir laissé à son mary 40 mille livres de rente.

Le Parlement ne s'est point assemblé puis le xi jusques à aujourd'huy, tant à cause de l'indisposition de S.A.R. qu'à cause qu'on attendoit les nouvelles de la liberté de MM. les princes.

Les niepces Mazarin sortirent bien du Palais Royal dès la semaine passée, mais elles demeurerent enfermées dans le couvent des Ursulines jusques au 14, qu'elles partirent à la desrobée et prirent le chemin de Peronne, où Mme d'Hocquincourt s'est chargée de leur garde. Le despartement que leur oncle et elles avoint dans le Palais Royal ont esté donnés à divers officiers de Leurs M.

Le mesme jour M. le duc d'Orleans ayant esté adverty qu'on avoit desseing de faire sortir par une maison d'un sien prouvoyeur qui tient au jardin derriere le Palais Royal, envoya ordre au mareschal de la Motte d'y prendre garde et fit renforcer le corps de garde de la porte de Richelieu de 50 hommes.

/375/ Le Parlement de Rouen si [s'y] estant assemblé le 13, se leva sans donner aucung arrest, ayant seulement ordonné que la requeste de Mlle de Longueville seroit communiquée aux Gens du roy et que le marquis de Fourilles seroit mandé l'apresdisnée ches le Premier President pour y rendre conte du suject pour lequel il avoit mis 200 hommes de pied dans le Vieux Palais.

Le cardinal Mazarin voyant que De Bar luy avoit refusé de le laisser enterer le plus fort dans Le Havre et ayant sceu que MM. de la Rochefoucaut, la Vrilliere, le president Viole et Arnaud s'en aprochoint et qu'ilz y devoint arriver le soir du 13, y accourut promptement pour mettre luy seul MM. les princes en liberté. Pour cest effect il y arriva le mesme jour à xi du matin, où l'on remarqua que les bourgeois firent difficulté de le laisser enterer dans la ville jusques à ce qu'ilz sceurent le subject pour lequel il y venoit, et que mesme ilz refuserent d'abord des vivres à ses gens, afin qu'ilz feussent obligés par là de se retirer allieurs; mais apres, ilz leurs en donnerent à la priere des gens de MM. les princes. Le Cardinal feut receut luy 5e. Ceux qui entrerent avec luy sont le comte de Palluau, Champfleury, son capitaine des gardes, Masac, et un valet de chambre. Aussytost il presenta une lettre de cachet signée du Roy et de la Reyne seulement, portant ordre à luy de mettre MM. les princes en liberté aussytost qu'il y aura receu la lettre, dans laquelle il n'y avoit aucune condition; sur quoy De Bar dit que cela suffisoit et mena le Cardinal à M. le Prince, auquel ayant fait une profonde reverence et luy ayant dit qu'il estoit venu pour le mettre en liberté, ilz eurent une conference d'une heure. Ensuitte ilz disnerent ensemble, apres quoy MM. les princes partirent, le Cardinal y estant demeuré, et recontrerent en deça MM. de la Rochefoucaut, etc., lesquelz retournerent sur leurs pas et coucherent avec eux à Grosmenil, sept lieues en deça du Havre. L'ordre qu'ilz portoint estoit conditionné, au lieu que celuy du Cardinal ne l'estoit point, afin que MM. les princes eussent plustost choisy l'ung que l'autre. Les conditions estoint que les deux freres ne pourroint jouyr de leurs gouvernementz de Bourgoigne, Champagne, et Berry que dans 2 ans, qu'ilz feroint mettre Stenay entre les mains du Roy, et que Bellegarde demeureroit en l'estat qu'il est; et quant à M. de Longueville, qu'on luy donneroit presentement le gouvernement de Guyenne pour celuy de Normandie, à quoy S.A.R. feut contrainte de consentir lors qu'on expediat l'ordre de leur liberté; mais on asseure qu'en mesme temps il escrivit à M. le Prince qu'il signat tout ce qu'on luy presenteroit et qu'apres on verroit les remedes qu'on y pourroit apporter. M. le Prince recevoit aisement des lettres tous les jours despuis 4 mois de M. de Beaufort, le Coadjuteur, et autres, et en escrivoit de mesmes à l'insceu de De Bar, auquel mesmes il a [il l'a] declairé en sortant.

La nouvelle de leur liberté feut apportée icy le 13 par M. Veollar, escuyer de M. le Prince. La Reyne tesmoigna en estre bien ayse et dit que puisqu'elle leur avoit donné la liberté, elle esperoit qu'ilz luy donneroit la sienne; mais S.A.R. tesmoigna estre faché que Sa M. eut envoyé à son insceu un ordre particulier au Cardinal pour rendre ses effortz inutilles, et que De Bar y eut adheré apres la parolle solemnelle qu'il luy avoit donné, devant qu'on les transferat au Havre, de ne les mettre jamais en liberté que du consentement /375v/ de la Reyne et du sien; dont De Bar se justiffie, disant que M. Goulas estant au Havre pour ce subject et ayant mesmes apporté des lettres à M. le Prince de la part de S.A.R., il ne pouvoit pas doubter qu'elle n'y consentit.

Le 14 MM. les princes arriverent à Rouen, où 7 à 800 personnes à cheval et plus de 30 carrosses à 6 et 4 chevaux leur avoint esté au devant; et les bourgeois, qui estoint sortis de la ville en grand foule, faisoint à leur entrée des cries de "Vive le Roy, et point de Mazarin!" Ilz allerent descendre ches le president de Franquetot, où M. de Longueville s'estant mis à une fenestre, le peuple luy fit des complimentz asses plaisans chacungs à sa mode. Les 3 compagnies souveraines, la Ville, et le Bailliage les feurent complimenter, et l'on remarqua qu'à ces 2 derniers corps faisant pour cest effect leurs harangues, M. de Longueville leur dit qu'il prenoit part à leur joye comme leur gouverneur et leur bailif. Le mareschal d'Estampes les feut ensuitte saluer de la part de S.A.R. et feut reconduit malgré luy jusques au milieu de l'escalier, M. le Prince disant qu'il sçavoit bien le respect qu'il devoit à son maistre, parlant de S.A.R., et ayant prié ce mareschal de l'en assurer. Le soir il y eut grand feu de joye partout, et le lendemain ilz partirent à 5 heures du matin. Cepandant le 15, quoy que jour de feste, tout le Parlement, les chambres estant assemblées, et sur ce que MM. les princes s'estoint plaintz de ce qu'ilz n'avoint pas donné arrest contre le cardinal Mazarin, ilz commencerent à y desliberer, ayant rejetté la requeste de Mlle de Longueville, attendu la liberté de Monsieur son pere. Il y eut deux advis: le premier, de faire remonstrances sur l'esloignement du cardinal Mazarin, qui en feut suivy que du Premier President, du president de Marigny, et de 5 ou 6 autres conseillers; tout le reste des voix, apres des raisonnementz asses beaux, ayant esté du second advis, suivant lequel il feut ordonné que veu l'intention du Roy et de la Reyne, M. le duc d'Orleans, du Parlement de Paris justiffié par l'arrest qu'on leur en avoit envoyé et ce qui leur en avoit esté dit de leur part par le mareschal d'Estampes, que dans huictaine le cardinal Mazarin sortiroit du rouyaume et notenment du ressort du Parlement de Rouen, à faute de quoy permis aux communes de luy courre sus, et deffenses à tous gouverneurs des places, maires, et eschevins des villes de le retirer. On deputta ensuitte, pour envoyer remertier la Reyne, le president de Marigny avec 8 conseillers; et lors qu'on vient adresser l'arrest, le Premier President et le president de Marigny vouleurent faire adjouster ces motz: "Soub le bon plaisir du Roy," ce que les autres ne vouleurent jamais souffrir. Ilz envoyerent dès le mesme jour un huissier au Havre pour signiffier cest arrest à De Bar.

Le 15 M. le duc d'Orleans ayant sceu la nouvelle de la liberté de MM. les princes, resolut de luy mesmes d'aller veoir la Reyne pour la remertier, comme il fit; et apres l'avoir asseuré de ses respectz, il parla des choses indiferentes durant demy heure, laquelle ce [se] passat asses froidement. Il prent congé sans vouloir parler d'affaires et, se retirant, alla visitter la reyne d'Angleterre, qui avoit auparavant fort travaillé à le faire aller au Palais Royal, mais inutillement.

/376/ Le mesme jour MM. les princes vinrent coucher à Magny, où quantité de personnes leur allerent au devant. S.A.R. ayant sceu qu'ilz devoint venir descendre ches elle pour le prier de les aller presenter à la Reyne, resolut aussy de leur aller au devant pour les mener droit au Palais Royal. Pour cest effect elle feut les recevoir à deux portées de mousquet de St Denys, accompagnée de 2000 chevaux et des plus de cent carrosses et d'une foule de peuple. MM. les princes ayant aperceut le carrosse de S.A.R., mirent pied à terre, et elle aussy dès qu'on l'en eut avertie. Ilz la saluerent fort profondement, elle les embrassa tous; et leur ayant d'abord tesmoigné la joye qu'elle avoit de leur liberté, ilz luy respondirent qu'ilz ne la tenoint que d'elle, qui leur adjousta ces motz: "Messieurs, jusques icy l'on nous a fourbé tous, mais à l'advenir il faudra prendre garde à qui nous nous fierons." Ilz se mirent dans son carrosse; et entrant par la porte St Denys, le peuple les accompagna de "Vive le Roy, et point de Mazarin!" jusques au Palais Royal, où ilz feurent remertier Leurs M. de leur liberté. La reception que la Reyne leur fit feut mediocre, mais le Roy les embrassa et caressa fort. Ilz n'y feurent pas demy quart d'heure, et estant sortis feurent ches le baigneur Preudhomme, dont [d'où] ilz feurent souper au palais d'Orleans, où S.A.R. avoit fait preparer un festin tres magnifique. Ilz estoint 20 à table: sçavoir S.A.R., MM. les princes de Condé, Conty, et les ducs de Longueville, de Beaufort, de Joyeuse, d'Amville, de Brissac, de la Rochefoucaut, le chevalier de Guyse, le Coadjuteur, les mareschaux de Grammont, de la Motte, le president Viole, les marquis de Vitry et de Fosseuse, les comte de Bethune, de Tavanes, et le petit Guitaud; et parce que M. le Prince feut asses serieux pendant tout le souper, la compagnie demeura aussy dans la retenue, jusques à ce qu'apres avoir celebré plusieurs santés, M. de Beaufort commencea à boire "A la santé du Roy, foutre de Mazarin." Plusieurs le suiverent des mesmes, et d'autres se contenterent de dire "A la santé du Roy, et point de Mazarin." Apres souppé, S.A.R. convia M. le Prince de prendre le divertissement du bal, dont il s'excusa à cause du deuil qui [qu'il] porte de feue Mme la Princesse [douairiere], sa mere, et ayant mieux aymé se dievertier au jeu une heure, apres laquelle il se retirat.

Le cardinal Mazarin avant son despart avoit donné le gouvernement de La Fere à M. de Manicamp, avec le domaine qui en despent, lequel est de 12 mille livres de rente; mais lors qu'il en a voulu prendre possession, les espritz ce [se] sont trouvés partagés dans la ville, où ceux qui estoint pour luy l'ayant receu, les autres se sont jettés dans le chasteau avec quelque noblesse des environs, qui s'y est jointe pour l'empescher avec M. de la Neuville, qui la commande; ce qui a obligé M. de Manicamp d'avoir recours à la protection de S.A.R., qui a respondu qu'on tacheroit d'accommoder cest affaire.

/376v/ Ce matin MM. les princes sont allés joindre M. le duc d'Orleans et sont allés ensemble au Parlement, où S.A.R. a dit que Messieurs ses cousins estoint venus pour remertier la Compagnie des soings qu'elle avoit pris pour procurer leur liberté; sur quoy M. le Prince ayant pris la parolle, a dit qu'ilz avoint obligation à S.A.R. et à la Compagnie des empressementz qu'elle avoit fait pour l'obtenir de la Reyne, et qu'il leur en tesmoigneroit tousjours sa gratitude. M. le prince de Conty a dit à peu pres la mesme chose, apres que M. le Prince a dit que M. de Longueville l'avoit chargé de faire le mesme compliment pour luy, n'ayant peu s'y trouver à cause qu'il estoit indisposé; mais le Premier President a dit que ce que la Compagnie avoit fait en cest affaire n'estoit q'ung devoir envers les princes du sang royal, dont les grandz services rendus à l'Estat meritoint bien qu'on y travaillat avec affection; mais qu'ilz en avoint toutte l'obligation à la bonté de la Reyne et aux soings de S.A.R.; apres quoy M. Le Boutz a dit qu'il estoit à propos de faire sortir hors du royaume le cardinal Mazarin, puisqu'il se cantonnoit au Havre. Le Premier President a dit qu'il falloit laisser couler le temps qu'on luy avoit donné pour sortir, et l'on s'est levé là dessus.

On escrit du Havre du 15 que le mesme jour le cardinal Mazarin estoit sorty de la citadelle pour loger dans l'Hostel de Ville à cause que De Bar, qui est entierement à Mme d'Aigullion, ne vouloit pas permettre que personne l'allat veoir dans la citadelle; et que plusieurs personnes de condition, entre autres beaucoup des gouverneurs des places frontieres, le vont complimenter. Il y a 200 hommes considerables aupres de luy; et que le navire du Roy y est arrivé pour servir d'admiral à 6 autres vaisseaux qu'on esquippe à Brest et à Dunquerche, on ne sçait à quel desseing; mais l'on croit que c'est pour l'embarquer, avec ses gens. On fait tousjours bonne garde aux portes de la ville.

/378/ De Paris le 24 febvrier 1651

On assuere que quelques jours avant le despart du Cardinal, que la Reyne avoit envoyé offrir à M. le duc d'Orleans les comtés de Rossillon [Roussillon] et de Sardaigne en tiltre de souverainetté, pour l'obliger d'aller au Palais Royal et de se departir du desseing qu'il avoit fait de mettre MM. les princes en liberté; ce que S.A.R. ayant rejetté, Sa M. luy envoya offrir la carte blanche pour tout ce que Sadite A. vouloit; laquelle dit qu'elle ne vouloit que la liberté de MM. les princes et l'exclusion du cardinal Mazarin.

S.A.R. avec les Frondeurs avoint fait il y a quelques mois un traitté secret avec MM. les princes, et on asseure qu'ilz estoint demeurés d'accord entre autres de 2 mariages: le premier, du petit duc d'Anguien avec la petite Mlle de Valois, 2e fille de S.A.R., et l'autre, de M. le prince de Conty avec Mlle de Chevreuse; et quoy que Sadite A.R. aye declairé à M. le Prince, 2 jours apres son arrivée, qu'elle en remettoit l'execution à sa volonté, neamoings on asseure que celuy cy a fait prier S.A.R. de consentir que celuy du petit duc d'Anguien avec sa fille feut arresté dès à present. Quant à celuy de Mlle de Chevreuse, on croit qu'il s'executera dans quelque temps et que les articles sont sur le point d'estre accordés de part et d'autre.

MM. les princes ont esté extraordinairement visittés despuis leur retour, et ceux qui paroissoint leurs plus grandz ennemis n'ont pas laissé de les aller veoir; mais ilz ont esté mal receut pour la pluspart et n'en ont pas esté satisfaitz, entre autres M. d'Elbeuf, les comtes d'Olone, de St Aignan, et de Palluau, et M. Le Tellier, qui despuis sa premiere visitte receut une espece de dementy de M. le Prince; dont ne s'estant pas rebutté et cherché les moyens de se conserver dans sa charge qu'on luy veut oster, il n'a pas laissé de continuer ses visittes, dans lesquelles il a tousjours esté joué de M. le Prince; et l'on parle de donner sa charge au president Viole.

Le 17 du courant la Reyne envoya dire à M. le duc d'Orleans et à M. le Prince que le cardinal Mazarin demandoit 3 choses: la premier, une retraitte dans Philisbourg ou dans Pignerolles soubz la protection de France; la 2e, qu'on payat ses debtes d'environ 4 millions qu'il pretend luy estre deubtz, tant pour la despense qu'il a fait à la guerre de Bourdeaux qu'aux autres voyages faitz despuis la guerre de Paris; et la 3e, qu'on luy laissa la jouyssance de ses benefices; à quoy S.A.R. respondit que pour le premier article, qu'elle ne voyoit pas que le Parlement y voulut consentir, puisqu'il avoit ordonné que non seulement le cardinal Mazarin sortiroit du rouyaume, mais encor de touttes les places qui sont soubz l'obeissance du Roy; et qu'il voudroit aussy prendre cognoissance des 2 autres. Il se trouve que le Cardinal doit jusques à 1700 mille livres (il en a emprunté une partie quelques jours avant son despart) et qu'il a emporté 16 mille louys d'or qu'il a achepté 5 ou 6 solz plus qu'ilz ne valent. Ses creantiers ont desja fait saisir tout son bien. M. Tubeuf, à qui [il] doit 740 mille livres, a fait saisir sa maison et sa bibliotheque, et les autres les revenues de ses benefices; 2 jours avant son despart il joua un plaisant tour à M. de Sainctot entre autres, lequel ayant obtenu une ordonnance de 15 mille livres pour quantité de voyages qu'il avoit fait, /378v/ le Cardinal, apres l'avoir fort caressé, voulut se charger de cette ordonnance pour la luy faire payer, et en ayant tousché l'argent, s'en est allé sans rien dire à M. de Sainctot. Il a fait encor plusieurs autres banquerouttes qui seroint tropt longues à dire.

Il partit du Havre le 17 au matin accompagné d'environ 200 chevaux, dont la moitié l'a despuis abandonné, et de dix ou 11 gouverneurs des places frontieres, et feut coucher à Fescamp [Fécamp], d'où le lendemain il alla disner à Dieppe dans le chasteau et coucha à Griel [Criel], 6 lieues par delà. Le 19 il passa à la ville d'Eu et passa la riviere de Somme au Pont d'Ormy, d'où il est arrivé à Dourlans, où il a esté receu avec grande magnificence; et De Bar l'y est allé trouver apres avoir remis Le Havre entre les mains d'ung nommé La Touche, cappitaine au regiment du Havre, pour y commander en attendant que Mme d'Aigullion y aye envoyé un lieutenant en la place de Ste Maure, qui en a receu pour recompense 5000 livres de rente apres de sa maison en Poictou.
M. le Prince a envoyé querir Mme la Princesse à Montrond, où l'on dit que le petit duc d'Anguien demeurera encore quelque temps. Quant à Mme de Longueville et au mareschal de Turenne, ont est [on est] bien empesché pour les desunir avec les Espagnolz à cause que, par leur traitté, ilz se sont obligés de ne point quitter les armes jusques à ce que la paix generalle soit faitte; mais afin qu'il s'en puisse desgager, on en a resolut d'offrir la paix aux mesmes conditions qu'elle feut arrestée à Munster lors que le cardinal Mazarin envoya ordre à M. Servient d'en empescher la conclusion; et si les Espagnolz la refusent, Mme de Longueville et M. de Turenne auroint subject honneste de les quitter, et s'ilz l'acceptent ilz reviendront glorieux.

Le 18 on mit en liberté MM. de Boutteville et de Gerzay; et l'on envoya les ordres à Perpignan pour eslargir aussy M. de Marchin, qui est attendu icy, et M. le Prince luy donne un apartement dans l'hostel de Condé.

Le duc de Bouillon arriva icy le 21 et feut le lendemain visitter M. le duc d'Orleans, qui l'y fit grand acceuil, et y feut mené par M. le Prince.

Le 19 on tient Conseil de guerre au palais d'Orleans, où MM. les princes se trouverent avec MM. le Garde des Sceaux, de Villeroy, Servient, et Le Tellier, qui y firent venir M. de Bezançon, commissaire general des guerres, auquel on fit rendre conte de touttes les nouvelles trouppes faittes despuis la prison de MM. les princes, lesquelz y feurent touttes cassées, aussy bien que celles qui sont soubz le nom du cardinal Mazarin, ordonnant neamoings qu'elles seroint touttes mises dans d'autres corps ou soubz d'autres noms. L'on y cassa aussy le regiment de Poictou, à cause que M. du Plessis Belliere en est maistre de camp et qui [qu'il] a accepté le gouvernement de Dieppe. Le regiment de Baugy, creature du Cardinal, feut aussy cassé, et les trouppes de MM. de Vendosme, de la Tremouille, du prince de Tarante, du duc d'Amville, et du comte de St Aignan. M. le Prince a envoyé desja ses ordres dans les gouvernementz. Le mesme jour M. de Navailles espousa Mlle de Neuvillan, une des filles de la Reyne.

/379/ Le 20 les chambres estant assemblées, M. le duc d'Orleans s'y estant trouvé avec MM. les princes, on y leut la declaration que la Reyne y avoit envoyé pour exclurre les estrangers hors du Conseil du Roy; laquelle ne feut point veriffiée à cause du preambule qui y estoit, qui contenoit la justiffication du cardinal Mazarin, que le Roy traittoit de son "tres cher et bien amé cousin"; ce que la Compagnie ne trouva pas à son goust, non plus que les autres termes du preambule, qui portoint que les peuples s'estoint mutinés, que le Cardinal avoit esté contraint d'user des conseilz un peu violentz pour reprimer leur audace; outre qu'on n'y avoit pas compris les cardinaux, mesmes françois, que par l'arrest sont exclus du Conseil du Roy, aussy bien les estrangers. Ainsy, apres que MM. de la Galissonniere, le president de Nesmond, et le Premier President eurent fait des fort beaux discours, il feut arresté que la declaration seroit renvoyée pour estre corrigée, et ordonné purement et simplement conforme à l'arrest du Parlement, sans parler d'aucungs terms de justiffication du cardinal Mazarin, ny qu'il feut traitté de "cousin du Roy"; et l'assemblée remise au 23.

MM. les prelatz qui sont à Paris voyant que le Parlement s'opiniastroit à vouloir que tout ceux qui ont quelque serment à d'autres princes estrangers feussent exclus des Conseilz du Roy, et considerant qu'ilz ont le mesme serment au Pape que les cardinaux, qui n'ont que le bonnet, s'assemblerent sur ce subject l'apresdisnée du mesme jour et resoleurent de suplier la Reyne et S.A.R., comme ilz firent le lendemain, de faire oster cette clause de la declaration, et leur remonstrerent l'importance qu'il y a de n'exclurre pas des Conseils du Roy les cardinaux françois, disant par leurs remonstrances que si un prince du sang estoit fait cardinal, ce seroit luy faire injure de luy oster cette prerogative; à quoy il leur feut respondu qu'en ce cas on le pourroit admettre non en qualité de cardinal mais en celle de prince; et quant aux evesques qu'il falloit veoir si le Parlement avoit entendu les excepter; dont ces messieurs n'estant pas satisfaitz et craignant d'estre exclus des Conseilz du Roy si les termes de la declaration demeuroint conformes à l'arrest du Parlement, firent hier des remonstrances à la Reyne là dessus par la bouche de l'archevesque d'Ambrun, qui dans sa harangue s'emporta à dire des parolles injurieuses à M. le duc d'Orleans et au Parlement, entre autres q'une compagnie de gens auveuglés de leurs passions s'estoint tumultuairement assemblée pour faire des loix à leur fantaisie et choquer le premier corps du rouyaume, dont il est universellement blasmé; et le clergé s'est assemblé cest apresdisnée pour aviser aux moyens d'empescher que cest affaire n'esclatte à l'assemblée du Parlement. Ilz sont resolus cepandant de ne donner aucung rang aux cardinaux en France s'ilz ne soint evesques, auquelz cas mesmes ilz n'auront que le rang de leur promotion au pontificat.

On parle de faire le proces au cardinal Mazarin, et pour cest effect on recherche sa vie, dont les evesques ont averty M. le Nonce, qui demande à la Reyne, à S.A.R., et au Parlement que les procedures s'en fassent par devant luy, qui est son juge naturel, /379v/ et permit d'en faire bonne justice. Aussy croit-on que l'aversion qu'il a, aussy bien que la Cour du Pape, ne contribuera pas à luy faire grace.

Le mesme jour 21 la noblesse ayant continué ses assemblées, resolut d'envoyer une lettre circulaire à tous les gentilhommes des provinces pour les exhorter à s'unir avec eux afin d'obtenir la confiermation de leurs privileges, puisque la Reyne et M. le duc d'Orleans leur permettoint de s'assembler pour ce suject, celuy de MM. les princes ayant cessé, maintenant qu'on en a veu les effectz par les soings et la constance de S.A.R.

Don Estavan de Gamare, prisonner au Bois de Vincennes, ayant envoyé à M. le duc d'Orleans le prier de permettre qu'il vient à Paris pour y negotier sa liberté, S.A.R. luy en a envoyé la permission.
La garde qu'on faisoit en cette ville continue si rigoureusement qu'on a condemné ceux qui manquent à y envoyer des amandes, qu'on fait payer sur le champ. On en a fait payer une au conseiller Boisleve, grand Mazarin, et à M. de Here, maistre des requestes, et à M. le Coadjuteur, pour n'y avoir pas envoyé.

Le 21 le chevalier de Riviere arriva icy et porta nouvelle que le Parlement de Bourdeaux ayant sceu l'arrest que celuy de Paris avoit donné contre le cardinal Mazarin, s'assembla le 15 et en donna un semblable à celuy de Rouen, ce qui feut suivy de grandes resjouissances par toutte la ville; et l'on porta dans la rue au bout d'une picque une calotte route et une perruque qu'on nommoit "la calotte du Cardinal" et "la perruque de M. d'Espernon." M. le Prince a envoyé le sieur des Roches, lieutenant de ses gardes, à MM. de Bourdeaux pour les remertier, tant du bon traittement qu'ilz ont fait à Mme la Princesse que de la deputation qu'ilz ont fait icy pour remertier la Reyne de luy avoir donné sa liberté.

Le Parlement de Bretagne faisant difficulté de donner le mesme arrest contre le Cardinal et demandant une declaration pour cela, M. le duc d'Orleans a commandé à M. de Fromont, secretaire de ses commandementz, d'escrire à ce parlement et de luy representer le juste subject que celuy de Paris avoit eu de le donner, et de le prier de concourir avec touttes les autres compagnies souveraines pour faire sortir du rouyaume un estranger qui ruinoit tout.

On dit que M. le Coadjuteur declarat avant hier à M. le duc d'Orleans et à M. le Prince que jusques icy il ne s'estoit intrigué dans les affaires d'Estat que pour trouver moyen de chasser le cardinal Mazarin, parce qu'il avoit tousjours creu que c'estoit une chose necessaire pour le service du Roy et pour le bien de l'Estat; mais qu'à present il estoit satisfait de le veoir hors du ministere et avoit resolu de se retirer dans une maison aux champs pour satisfaire à la Reyne, sans pretendre aucune dignitté ny employ; et que neamoings si on le vouloit honnorer de la /380/ commission pour aller traitter de la paix generalle, il s'y employeroit avec tout le zele possible.

Le mesme jour on eut advis de Lorraine que le mareschal de Seneterre, n'ayant pas asses de trouppes pour prendre Espinal, avoit levé le siege.

Le lieutenant general Rose ayant receu des lettres du cardinal Mazarin, a marché avec ses troupes pour l'aller trouver à Dourlans; mais le colonel Flechenstein n'ayant pas voulu le suivre, est venu icy et feut hier trouver M. le duc d'Orleans, auquel il dit qu'ayant sceu que S.A.R. ne consentoit pas à la marche, il n'avoit pas voulu le suivre, ayant creu estre de son devoir de venir recevoir les ordres de S.A.R., qui en feut fort satisfaitte.

Hier le Parlement ne s'assembla pas à cause que la declaration n'estoit pas preste; mais les prouvisions d'admiral ou surintendant des navigations données à M. de Vendosme y feurent publiées. C'est à demain l'assemblée.

Ce matin M. de Beringham, premier escuyer du roy, partit d'icy pour aller trouver le cardinal Mazarin et luy declarer que le Roy et la Reyne entendent qu'il se retire tout à fait hors du rouyaume, afin que l'aversion qu'on a pour luy ne produise plus de desordres; à quoy on adjouste qu'il a ordre de luy faire rendre des pierreries de la Coronne qu'il a emporté et celles de la reyne d'Angleterre qu'il tient en gages pour la moitié de ce qu'elles valent.

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