Panat in postcardThe Ranums'

Panat Times

Volume 1, redone Dec. 2014

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/244/ De Paris le premier jullet 1650

L'evesque de Beauvais, premier aumosnier de la reyne, estant mort il y a dix jours, M. de Buzenval, son nepveu, luy a succeddé dans son evesché, dont il avoit eu la resignation despuis peu, le brevet de la coadjutorerie ne se trouvant pas bien faict; mais quand à la charge de premier aumosnier, quoy que M. le Cardinal l'eut faict esperer à plusieurs prelatz, entre autres à l'archevesque de Sens et à l'evesque du Puy, neamoings il a [il l'a] fait donner au cardinal François Barberin, auquel il a envoyé les prouvisions à Rome pour luy servir de protection aupres du Pape dans la persecution que souffre à present la Maison barberine, dont ces prelatz se sont fort picqués.

Le sieur Bertaud, qui faisoit les affaires du president Perraut, feut eslargy de la Bastille la semaine passée, à condition de se retirer hors de Paris dans 3 jours, à quoy il n'a point obey.

M. de Vigean, pere de Mme de Richelieu, ayant fort brigué dans le Parlement pour faire ordonner que nonobstant l'arrest du Conseil tenu dans le palais d'Orleans, le jour que M. de Richelieu seroit mis en depost entre les mains de M. de la Frette, ce duc seroit mis en toutte liberté, avoit enfin disposé les espritz de la Grande Chambre à l'ordonner ainsy et mesmes dit quelques parolles injurieuses contre M. le duc d'Orleans; lequel en estant averty le 26 par quelques conseillers, se mit en grand colere là dessus et ayant envoyé querir l'abbé Le Normand, que M. de Vigean avoit employé pour faire sa brigue, S.A.R. luy dit que celuy cy estoit un coquin, un petit filz de notaire, et qu'elle extermineroit toutte sa race. Neamoings elle envoya dire à M. de la Frette qu'il laissat aller le duc de Richelieu, dont sa femme celebra la feste [la Saint Jean] le 27 du passé, ayant faict couler une fontaine de vin devant sa porte et faict faire un feu de joye dans le jardin de son logis.

Le courrier de Bourdeaux qui arriva icy le 24 du passé est un conseiller de ce parlement là nommé Voisin, lequel a esté depputté pour venir faire instance à celuy de Paris de demander, conjoinctement avec celuy de Bourdeaux, l'execution de la declaration du Roy sur 2 principales contraventions qu'il pretend y avoir esté faittes: la premiere est l'intendance de justice exercée en Lymosin par M. Foulé, à qui ilz demandent que le proces soit fait pour les desordres qu'il a faict commettre aux gens de guerre dans cette province, dont ce depputté a apporté les informations que le Parlement de Bourdeaux a faict faire, aussy bien que celles qui ont esté faittes contre M. d'Espernon des violences commises en Guyenne par son ordre despuis la paix; la 2e, que MM. les princes soint mis entre les mains de leurs juges naturelz pour leur estre fait le proces; que cepandant Leurs M. seront tres humblement suppliées que Mme la Princesse puisse demeurer en seurté à Bourdeaux avec M. le /244v/ duc d'Anguien et leur maison. Ce nouveau depputté estant arrivé icy, et M. le duc d'Orleans ayant sceu le suject pour lequel il estoit venu, l'envoya prier de n'exposer point sa commission jusques apres le retour du Roy, ce qu'il declara ne pouvoir faire, ayant ordre precis de poursuivre incessament l'execution des ordres qu'il avoit aussytost qu'il seroit arrivé icy; mais quoy qu'il aye mesmes refusé à S.A.R. de l'aller trouver lors qu'il l'avoit mandé, neamoings il ne laissa pas de luy donner contentement là dessus, ne s'estant pas presenté le 27 au Parlement; lequel cepandant se devant assembler pour desliberer là dessus, MM. des Enquestes proposerent les moyens de facilitter cette assemblée. Pour cest effect la 3 chambre envoya le mesme jour par des depputtés au cabinet de la premiere, pour examiner les contraventions qui ont esté faictes à la declaration du Roy, et la 2e y envoya pour desliberer si on devoit s'assembler pour des plaintes qui avoint esté faictes d'un arrest du Conseil donné au rapport de M. Fouquet sur une requeste signée d'un avocat du Conseil pour un affaire d'ung particulier, dans laquelle ayant faict sa demande avec les termes sans avoir esgard à la declaration du Roy, il a esté ordonné que tout le contenu de la requeste seroit executté. Le lendemain 28 ce mesme depputté avoit apris que Leurs M. avoint differé leur retour, qui devoit estre dès le 27, s'en alla au Palais, et estant entré au parquet y exposa sa commission; mais y estant arrivé un peu tropt taret [tard], la Grand' Chambre le remit à aujourd'huy, et MM. des Enquestes resoleurent de s'assembler ce matin pour desliberer là dessus.

Le mesme jour 28 on eut advis de Thoulose que le Parlement de cette ville là ayant apris que M. Morant continuoit sa fonction d'intendant de justice en Guyenne et faisoit de son chef le proces à un certain espion accusé de crimes d'Estat en vertu d'une commission extraordinaire non veriffiée, qui est une contravention à la declaration du Roy, donna arrest le 20 du passé portant decret de prise de corps contre le sieur Morant et, à faute d'estre trouvé, ordonné qu'il sera crié à trois briefs jours; et a depputté 2 conseillers pour aller faire le proces à ce criminel, et cepandant deffenses à touttes personnes de le recognoistre en qualité d'intendant de justice ny deferer à ses ordres, à peyne d'estre declarés infracteurs de la declaration et perturbateur[s] du repos public. Ces 2 depputtés sont partis de Thoulose avec 200 chevaux pour aller à Lectoure pour executter cest arrest.

Les Huguenotz ont tenu un synode à Maran [Marans] proche La Rochelle, dans lequel ilz ont resolus d'estre fidelles au Roy et de n'espouser aucung party, dont /245/ ilz ont envoyé asseurer Leurs M. par 2 ministres qu'ilz ont deputtés pour cest effect; mais ceux de la ville ayant esleu tous les consulz de leur religion, au lieu qu'auparavant il y en avoit la moitié des Catholiques.

Le mareschal de Grammont a envoyé à la Cour un gentilhomme qui, estant arrivé icy le 27 au matin, feut veoir M. le duc d'Orleans; et apres l'avoir asseuré de la fidelité de ce mareschal, luy fit veoir en secret quelques lettres qu'on avoit escrittes à celuy cy pour l'engager dans le party des princes, entre autres une par laquelle Mme la Princesse le prioit du moings de laisser passer les courriers qu'iroint et viendroint d'Espagne à Bourdeaux, ce qui [qu'il] luy a refusé.

On eut advis hier que quelques trouppes estant sorties de Bourdeaux pour aller joindre celles du duc de Bouillon, le general de la Valette les avoit attaqué et defaittes entierement, et q'ung escuyer de Mme la Princesse, un filz du conseiller, un avocat, et le petit Guytaut y avoint esté tués; mais cette nouvelle n'est pas encor certain, n'estant venue que de la ville de Pons en Xaintonge, dont elle a esté envoyée par le jurat Constant, qui s'y est refugiée, n'osant retourner à Bourdeaux despuis qu'il s'est desuny d'avec les autres depputtés de Bourdeaux qui sont encor icy.

Le comte de St Aignan ayant eu intelligence dans le chasteau de Baugy en Berry, l'avoit surpris et tué la pluspart de la garnison qui y estoit pour MM. les princes, et le gouverneur mesmes, qui avoit receu plus de 30 coups. Le bruit ayant fort couru que le comte de St Geran, gouverneur de Molins [Moulins] estoit dans le party des princes et qu'il y avoit engagé quelque noblesse du Bourbonnois et laissoit passer journellement des trouppes dans Molins pour aller à Mourron. M. le duc d'Orleans luy envoya il y a 6 jours un gentilhomme pour sçavoir de luy quel party il tenoit, à quoy il fait response qu'il n'avoit jamais eu la pensée de faire aucune chose contre le service du Roy; et outre les asseurances qu'il en a donnée par ses lettres à S.A.R., il a envoyé icy un gentilhomme pour asseurer Leurs M. de sa fidelité.

Mme la Princesse douairiere est à Chastillon sur Loin [Loire] proche Montargis, où l'on remarque que quantité de courriers vont et viennent journellement; neamoings quelq'ungs veulent qu'elle soit arrivée en cette ville incognita, sur le bruit que le Parlement ce [se] devoit assembler aujourd'huy. M. le prince de Conty a tousjours son indisposition ordinaire, laquelle augmente si fort que les medecins n'esperent pas qu'il puissent vivre encor 2 mois. On asseure qu'il a esté resolu de donner apres sa mort tous les benefices à M. le duc d'Anjou.

/245v/ L'on brigue fort de tous costés pour l'eslection d'ung nouveau prevost des marchandz, quoy qu'elle ne se doive faire que le 15 du mois prochain. Le Premier President espere tousjours de faire nommer le president Molé, les Frondeurs portent fort M. Le Fevre, et l'antien pretend d'estre continué.

L'abbaye de la Trinitté de Caen, de 40 mille livres de rente, a esté donnée à Mme de Monbason pour une de ses filles, et outre cela l'on dit qu'on luy a donné cette semaine 60 mille livres d'argent comptant.

Mme la princesse de Tarante s'estant embarquée à Calais la semaine passée pour aller en Holande sans attendre son bagage, y est arrivée à bon port; mais elle a apris en mesme temps q'ung vaisseau anglois avoit prit celuy qui estoit chargé de son bagage, lequel neamoings luy a esté renvoyé par le cappitaine qui en a faict la prise, qui a gardé le vaisseau avec touttes les autres choses dont il estoit chargé, et retenu prisonniers les François qui le conduisoint.

Le chevalier de Fontenay Hotteman a pris en mesme temps dans le Pas de Calais une fregatte d'Ostende montée de 26 pieces de canon.

Le marquis de Jersay feut arresté prisonnier le 26 du passé dans Peronne avec un autre gentilhomme nommé Des Panniers, allant veoir le mareschal de Turenne. On l'a trouvé chargé des lettres, et on parle de luy faire le proces.

Leurs M. estoint attendues en cette ville le 28 du passé, les gardes et les bagages estant arrivées dès le 27; mais M. le Cardinal n'estant pas à Compiegne ledit jour 28, le retour feut differeé; dont M. le duc d'Orleans estant adverty, y envoya promptement un courrier pour dire à la Reyne qu'il estoit necessaire que le Roy vient au plus tost à cause de l'assemblée qu'on avoit resolu au Parlement; sur quoy la Reyne ayant envoyé avertir M. le Cardinal pour s'en revenir, S.E. partit de St Quentin le 29 à 4 heures du matin et estant arrivé à 8 heures à Compiegne, il s'en vient avec Leurs M. en relay de carrosse. M. le duc d'Orleans leur alla au devant au bourg de La Chapelle sur le chemin de St Denys; et Leurs M. arrivant à Paris, le peuple remarqua fort que S.A.R. et S.E. estoint dans une mesme portiere.

Le gros diamant de Mademoiselle n'a esté engagé que pour 60 mille livres.

On escrit de Nancy que le comte de Ligneville n'a point attaqué Dieuse [Dieuze], comme il avoit esté dit; et qu'il se preparoit pour aller avec ses 4000 joindre l'Archiduc en Picardie, suivant l'ordre qu'il en avoit receu du duc de Lorraine.

Le different qui estoit entre les lieutenantz generaux de nostre armée ne /246/ proceddoit que de ce que l'on leur avoit promis qu'ilz commanderoint chacun un corps d'armée separée, mais lors qu'ilz ont veu la necessitté qu'il y avoit de se joindre ensemble, ilz sont demeurés d'accord de commander chacun son jour; et en suitte de cest accord l'armée s'estant mis en campagne le 24 du passé, forte de 17 à 18000 hommes, alla premierement camper à Ribemont. Aussytost touttes les garnisons des places voisines l'allerent joindre, en sort qu'elle est maintenant de 22 mille hommes effectifs, sçavoir 13 mille fantassins et 9000 chevaux avec 20 pieces de canon. Les ennemis, plus fortz que nous de 2000 hommes seulement, ouvrirent la tranchée devant Guyse [Guise] le soir du 23, et apres y avoir dressé 4 batteries commencerent le lendemain à battre la place. Le 25 nostre armée s'alla poster despuis Vadancour [Vadencourt] jusques à Hanap [Hannapes], en sorte qu'elle n'est esloignée de l'armée ennemie que d'une portée de canon, n'y ayant que le ruisseau entre d'eux. Le soir du mesme jour M. le Cardinal arriva à St Quentin, d'où il partit le lendemain pour aller au camp; et y estant arrivé il marcha à la veue des ennemis et se monstra à la teste d'ung escadron de cavalerie, apres quoy il alla au quartier du Roy, qui est à Gragy [Grougis?], où il coucha 3 nuictz de suitte, donnant les ordres en qualité de generalissime. La garnison de Guyse est composée des regimentz de Clermont et de Guyse et de ce qui reste de celuy de Persan, outre un de Suisses et un de Polonnois. Nostre armée, n'ayant pas jugé à propos de forcer les lignes pour secourir la place, s'est contentée d'empescher les convois aux ennemis, qui ont grande disette de vivres, à cause de quoy leurs soldatz se desbandent en grand nombre. Ilz ne battent plus la ville mais le chasteau seulement, dont ayant pris le 28 la contrescarpe du fossé, ilz en feurent ensuitte chassés par la garnison, laquelle ne sçauroit plus tenir que 4 ou 5 jours; et l'on a commencé à croire que les ennemis la prendroint aussytost qu'on a sceu que M. le Cardinal avoit quitté l'armée, parce que s'il y eut aparence de la pouvoir secourir, il en eut voulu avoir la gloire.

Un courrier arrivé hier au matin du camp rapporta que nostre armée, qui a aussy besoin de vivres, faisant venir de St Quentin un petit convoy escorté par cent chevaux et 200 fantassins, un party de cavalerie ennemie l'attaqua et fit d'abord lascher le pied à nos cent chevaus; mais les 200 fantassins s'estant postés derriere les charrettes, escarmoucherent si longtemps les ennemis qu'ilz donnerent temps à nostre armée d'y envoyer un secours de 500 chevaux, qui sauva le convoy apres avoir obligé les ennemis de se retirer.

Un autre courrier arrivé ce matin a rapporté que les ennemis, voyantz qu'ilz ne pouvoint /246v/ point faire passer de convoy sur des charrettes, ont faict charger 100 chevaux de diverses sortes de vivres et de quelques munitions, escortés par autant de fantassins. Ce convoy estant passé à la portée du canon de La Capelle, la garnison, apres l'avoir salué d'une rude descharge de toutte la cavalerie, est sortie avec 400 chevaux et l'attaqua si vertement qu'elle a pris pres de 200 chevaux chargés et autant de prisonniers, parmy lesquelz il y a 20 officiers, et tués 150 soldatz; le reste, party se sont sauvés avec leurs chevaux seulz, apres avoir jetté à terre les prouvisions dont ilz estoint chargés, et partie ont eu loisir de passer dans leur camp avec leurs charges, cepandant que leur infanterie amusoit nostre cavalerie.

L'Archiduc est à Valentiennes indisposé d'une fievre lente, et le comte de Fuelsendagne luy estant suspect est retourné à Bruxelles, et l'on dit qu'il s'en va bientost en Espagne, ayant esté rappellé sur les plaintes que l'Archiduc a faittes de luy, qui [qu'il] n'est en Flandres que pour espier ses actions. Le duc d'Haurey, gouverneur de Luxembourg, est mort à Bruxelles apres 10 jours de maladie.

On publia hier à son de trompe un ordre à tous les officiers de guerre qui sont icy d'aller à l'armée dans 24 heures à peyne de privation de leurs charges, à quoy la pluspart ont obey.

La Cour se prepare pour partir lundy prochain pour le voyage de Guyenne, tous les ordres estant donnés à cette fin. Le Conseil suit.

Le matin, le Parlement se devant assembler, M. de Saintot, maistre des ceremonies, y a apporté une lettre de cachet du Roy portant ordre au Parlement de venir trouver Sa M. apres midy, sur quoy chasque chambre a depputté 2 conseillers pour y aller. Ceux qui sont depputtés pour examiner les contraventions de la declaration du Roy tirent cette affaire de long, et l'on croit qu'ilz le feront durer jusques aux vacations, ne pouvant donner satisfaction à ceux de Bourdeaux à cause que leurs interestz sont differentz, ceux cy n'ayant pas veriffié la declaration donnée contre le duc de Bouillon, au lieu que le Parlement de Paris l'a veriffié.

/248/ De Paris le 8 julliet 1650

Le 2 du courant MM. de l'Assemblée du clergé, tant du premier que du second ordre, s'estant trouvés au Palais Royal avec tous les autres evesques qui estoint en cette ville, eurent audiance dans la grande gallerie conduitz par M. de Saintot. L'on remarqua d'abord que M. le duc d'Orleans et M. le Cardinal ne s'y trouvernt pas, quoy qu'ilz feussent l'ung et l'autre dans le Palais Royal, et qu'il n'y avoit que le Roy, la Reyne, M. le Garde des Sceaux, MM. Servien et d'Avaux. L'archevesque d'Ambrun y porta la parolle et fit un discours qui feut admiré, par lequel il se plaignit au nom de tout le clergé des violences que M. d'Espernon a fait commettre par les gens de guerre contre les esclesiastiques et du mespris qu'il a tousjours faict des evesques, ne voulant pas permettre que ceux de Guyenne enterent dans les villes soubz le poisle, ny que l'on rendit aucun honneur public, suppliant Leurs M. d'y pourveoir afin de ne pas donner suject à MM. du clergé de procedder contre ce duc par les censures esclesiastiques. M. le Garde des Sceaux respondit que Leurs M. consideroint le clergé comme un des plus auguste corps du royaume, qu'elles estoint disposées de leur donner touttes les satisfactions qu'ilz pourroint esperer avec justice; qu'elles avoint mandé M. d'Espernon, qui les devoit venir trouver sur le chemin dans leur voyage de Guyenne, l'on assuere que c'est à Blois; et que cepandant ces messieurs n'avoint qu'à donner leurs cahiers contenant leur demande et qu'on leur feroit droit là dessus; apres quoy l'archevesque d'Ambrun s'estant aproché de la Reyne, luy fit compliment au nom de tout le clergé sur le despart du Roy, et chacung de MM. les evesques saluerent ensuitte Leurs M.

Le mesme jour au soir on sceut icy la nouvelle que les ennemis avoint esté obligés d'abandonner Guyse [Guise], dont la Cour feut d'autant plus resjouie qu'on desesperoit de pouvoir sauver cette place.

M. le marquis de Noirmonstier estant icy de retour sur la fin de la semaine passée, venant de son gouvernement du Mont Olimpe, et estant demeuré d'accord avec M. le Cardinal de luy bailler ce gouvernement pour celuy de La Fere, M. de Manicant, qui pretend que celuy cy a esté promis et qui a esté des premiers à le demander apres la mort de M. de Nesle, a faict appeller en duel ce marquis pour ce suject; mais leur desseing ayant esté descouvert, on leur a donné des gardes pour les empescher de se battre. Il a esté proposé au Conseil d'envoyer des commissaires à Peronne pour faire le proces au marquis de Jersey, mais cela n'a pas passé à cause que ce seroit une contravention à la declaration du Roy, et que cepandant l'on l'a faict interroger par M. de Bourdeaux, intendant de justice dans l'armée de Picardie, et le Prevost de l'Isle [Petit-Puis] partit d'icy il y a 3 ou 4 jours avec cent archers pour l'aller querir et l'amener icy.

Le 4 du courant Leurs M., Mademoiselle, et M. le Cardinal partirent d'icy à 4 heures du matin pour eviter la chaleur et arriverent à 7 heures à Essonne, d'où elle ne partirent qu'à 7 /248v/ heures du soir pour aller coucher à Fontainebleau. Elles se doivent partir lundy prochain pour aller à Orleans et à Blois, et de là en Guyenne. Le Conseil partira le mesme jour, et le duc d'Orleans demeure icy.
S.A.R. faict esperer à M. Le Fevre de le faire nommer prevost des marchandz, mais elle veut accommoder auparavant le different qu'il y a entre le Prevost des Marchandz et luy.

Le nouveau deputté de Bourdeaux s'estant presenté le 4 au Parlement, il feut arresté qu'on s'assembleroit le 6 pour desliberer sur la response qu'on luy devoit faire, et qu'on envoyeroit des depputtés à M. le duc d'Orleans pour le prier d'y vouloir assister; en suitte de quoy MM. Doujat et Mesnardeaux feurent l'apresdisnée du mesme jour au palais d'Orleans, et S.A.R. leur promit de s'y trouver.

Le 5 on eut advis de Tholouse du 30 du passé que les 2 commissaires du Parlement qui estoint allés à Lectoure pour y faire executter l'arrest donné contre M. Morant, ilz ont trouvé les portes de la ville fermée par ordre des 3 commandantz qu'il y a; lesquelz voyant que les habitans s'en plaignoint, firent entrer la nuict suivante 500 soldatz pour y garder M. Morant, lesquelz neamoings n'ont pas empesché que les commissaires ne l'ayent faict crier à son de trompe dans la ville mesme; dont le Parlement estant adverty a donné deux arrestz, chambres assemblées, l'ung portant que tres humbles remonstrances seroint faittes au Roy sur l'arrest du Conseil, en vertu duquel M. Morant en qualité d'intendant de justice faict le proces à un particulier convaincu de crime d'Estat et sur l'inexecution de la declaration du Roy, et que cepandant soubz le bon plaisir de Sa M. les arrestz du Parlement seront executtés. L'autre porte qu'il sera faict iteratif commandement, tant au 3 gentilhommes qui commandent dans la ville de Lectoure q'aux consulz d'icelle, d'ouvrir les portes aux commissaires pour leur livrer ce criminel sans avoir esgard à l'ordonnance esmanée de M. le duc d'Espernon, laquelle il a cassé avec deffenses d'en faire des semblables; et que les 3 commandantz seroint pris au corps et criés à son de trompe, enjoint à tous gentilhommes, magistratz, consulz, communeautés, et autres sujectz d'y tenir la main à peyne d'en respondre des inconvenientz qui en pourront suivre; sur quoy le bruit couru dans Thoulouse que M. de Fontrailles, qui est seneschal de Lectoure, armoit pour faire executter les arrestz de ce parlement là, mais ce bruit s'est trouvé faux.

M. de la Tivoliere est encor aupres du vicomte d'Arpajou pour l'observer, mais il ne luy a apporté que des promesses d'ung baston de mareschal de France aussytost apres qu'il auroit servy en Guyenne avec ses trouppes et aydé à remettre cette province dans l'obeissance du Roy, le persuadant cepandant /249/ à venir trouver Leurs M. dans le voyage de Guyenne, l'a respondu qu'il y avoit tropt longtemps qu'on le repaisoit de promesse et qu'il vouloit des effectz. Cepandant M. d'Elboeuf, le comte d'Harcour, et autres de ses amis luy ont escrit pour le persuader de suivre les intentions de la Cour, ont obtenu de luy un delay de quinze jours pour se declarer, lesquelz expirent aujourd'huy; de sorte que dans peu de jours en sçaura quel party il aura pris; cepandant il ne laisse pas de continuer à assembler des trouppes à telle fin que de raison. Quant au marquis de la Force, il n'y a point encor d'advis certain qu'il se soit declaré, et quelq'ungs veulent qu'il aye desseing de s'asseurer auparavant des Huguenotz.

La semaine passée un medicin de M. le prince de Conty nommé Guenault feut trouver M. le duc d'Orleans pour luy dire que ce prince estoit en danger evident de sa vie si on ne le mettoit promptement en liberté. S.A.R. en ayant parlé à la Reyne et à M. le Cardinal, l'on y envoya le sieur Vaultier, premier medecin du roy, lequel en estant revenu dit qu'il n'y avoit que les eaux de Bourbon qui le peussent savuer; sur quoy on proposa à Mme la Princesse douairiere que si elle vouloit faire remettre le chasteau de Mourron entre les mains du Roy, l'on permettroit au prince de Conty d'aller à Bourbon, mais autrement on ne pourroit pas luy permettre, parce que Bourbon estant proche de Mourron, ce prince se pourroit y jetter ou sa presence pourroit fortiffier; à quoy cette princesse respondit que le marquis de Persan, qui s'est emparé despuis peu de cette place, ne reççoit aucung ordre d'elle et ne veut recognoistre que Mme la Princesse, sa belle fille, à laquelle il faloit s'adresser pour cela; mais depuis il a esté resolu que la premiere saison de la prise des eaux de Bourbon estant passée, l'on attendroit la seconde, qui est au mois de septembre, auquel temps on promet à ce prince d'y aller; mais on doutte qu'il puisse vivre jusques là. M. le Prince et M. de Longueville ont eu permission despuis 4 jours de se promener sur la terrasse du donjon de Vincennes, l'ung apres l'autre, afin qu'ilz n'ayent point de communication ensemble, ce qu'il [qui] leur a esté accordé sur les instances de Mme la Douairiere, laquelle ayant sceu qu'on avoit donné advis à M. le duc d'Orleans qu'elle faisoit des assemblées à Chastillon sur Loing, où elle est à present, et prevoyant qu'à cause de cela qu'on luy envoyeroit ordre de s'en aller allieurs, a demandé permission à la Reyne de venir à l'abbaye de Ferriere, qui appartient à l'evesque de Challons, scituée entre Nemours et Montargis 8 lieues en deça de Chastillon, ce qui luy a esté accordé.

Le comte de St Geran n'a pas encor envoyé à la Cour le gentilhomme qu'il avoit promis d'envoyer pour asseurer de sa fidelitté, ce qui le rende plus suspect qu'auparavant.

Le six le Parlement s'estant assemblé et M. le duc d'Orelans s'y estant trouv avec le /249v/ duc de Beaufort, le mareschal de l'Hospital, et le coadjuteur de Paris, le nouveau deputté de Bourdeaux feut ouy et fit un long discours par lequel, apres avoir representé les Estatz de la province de Guyenne et de Lymosin, il demanda 3 choses: la premiere est la jonction du Parlement de Paris pour obtenir un nouveau gouverneur en Guyenne en la place de M. d'Espernon, disant que c'est le seul moyen d'y faire cesser les troubles; la seconde, qu'on fit le proces à M. Foulé sur les informations qu'il a apporté, tant des contraventions qu'il a faict à la declaration du Roy en faisant la fonction d'intendant de justice en Lymosin que des desordres qu'il a faict commettre par les gens de guerre en levant les tailles à main armée; et la troisiesme, que la mesme declaration feut executtée à l'esgard de MM. les princes et qu'ilz feussent mis entre les mains de leurs juges naturelz pour leur estre faict le proces. Ensuitte on commencea d'opiner et il y eut plusieurs differentz avis, dont les principaux alloint à faire des remonstrances pour obtenir le changement du duc d'Espernon, sur quoy S.A.R. dit que ce duc estoit mandé à la Cour, qu'elle en donnoit sa parolle, et que la Reyne ne le rameneroit point en Guyenne, ayant resolu de le changer. M. des Landes Payen voyant qu'on ne parloit point des interestz de MM. les princes, feut d'advis qu'on fit instance à ce qu'ilz feussent mis en liberté ou du moings entre les mains de leurs juges naturelz; et M. de Blanmesnil, qu'on pria Leurs M. de permettre au prince de Conty de se retirer en quelq'unes de ses terres comme estant en un danger evident de sa vie. M. de Bachaumont dit que dans cette difference d'advis on ne parloit que d'une partie de ce qu'il faloit faire, qu'on ne pouvoit faire cesser les troubles qu'on voyoit aujourd'huy dans le rouyaume si on n'alloit directement à la source, et qu'on pourroit ordonner que l'arrest qui feut donné contre M. le cardinal Mazarin le 8 janvier de l'année derniere seroit executté; mais afin de l'adoucir, il se contenta de conclurre à faire des remonstrances à la Reyne pour la prier d'esloigner d'aupres d'elle tous ses mauvais conseillers, et parce qu'apres l'heure sonnée il y avoit encor plus de 40 conseillers qui n'avoint pas opiné, l'assemblée feut remise au lendemain.

Le mesme jour 6, MM. du clergé s'estant assemblés ont receu une lettre de cachet du Roy portant que Sa M. estant obligée d'aller en Guyenne pour remettre le peuple en son devoir, avoit creu que les conseilz et assistances de cest auguste corps luy pourroint beaucoup servir dans cette conjoncture, et qu'ainsy elle leur ordonnoit de se trouver à Xaintes sur la fin de ce mois; apres quoy M. d'Haligre leur fit une harangue par laquelle, apres les avoir fort loués, il leur fit entendre que Sa M. attendoit d'eux dans le present besoing /250/ un secours de 6 millions; apres quoy l'archevesque d'Ambrun luy a respondu au nom de l'Assemblée qu'elle deslibereroit là dessus dans deux jours.

Hier M. le duc d'Orleans ayant pris sa place à l'assemblée du Parlement avec M. de Beaufort, le Coadjuteur, et de l'Hospital, la desliberation du jour precedent feut continuée. L'on remarqua premierement que plusieurs parlant de faire des remonstrances à Leurs M. pour MM. les princes, S.A.R. prit la parolle et remonstra l'importance de cest affaire, veu qu'il y avoit des provinces en France qui pourroint se brouiller d'avantage et prendre le party des princes si l'on parloit de faire des remonstrances en leur faveur, s'imaginant que le Parlement voudroit embrasser leur cause. Ensuitte elle protesta que c'estoit à regret qu'elle avoit consenty à la resolution que la Reyne avoit prise de les faire arrester, qu'elle n'avoit jamais receu aucun mescontentement d'eux en son particulier, mais que dans les conjonctures presentes, que les ennemis sont sur la frontiere, il y a des troubles en Guyenne et en Berry, sa qualité et le range qu'elle tenoit en France l'obligeoit d'avertir la Compagnie de prendre garde ce qu'elle feroit. Quant luy, si on desliberoit quelque chose sur ce subject, qu'il en protestoit de l'evenement et qu'il s'en lavoit les mains, qu'il s'en deschargeoit envers le Roy dès à present et lors qu'il seroit majeur, et que si [s'il] y faisoit quelque chose, qu'il ne pourroit pas l'esteindre. M. le president Viole luy replicqua que la lettre du Roy envoyée au Parlement sur le subject de la detention des princes ne tesmoignoit point qu'il y eut part dans cette resolution et qu'il avoit creu jusques icy qu'il n'y eut point du tout particippé. M. le president Molé adjousta à cela que la Compagnie devoit tousjours estre esgalle dans ses sentimentz, lesquelz elle devoit dire selon sa conscience; à quoy S.A.R. repartit qu'elle ne l'empescheoit point, mais qu'elle avoit creu estre obligé de donner cest advis. M. Le Coq insista là dessus que la Compagnie devoit dire tout ce qu'elle pensoit avec liberté et courageusement; apres quoy chacung opinant selon son rang, M. Aubry parla for[t] en faveur des princes et dit mesmes qu'il prioit Dieu que ceux que [qui] pour quelques interestz particuliers n'estoint pas d'advis qu'on fit des remonstrances pour eux, n'en eussent besoing quelques jours à venir; ce qui obligea S.A.R. à luy dire qu'il s'explicqua et qu'il dit ce qu'il entendoit par ces termes; sur quoy il protesta qu'il n'entendoit point parler de S.A.R., que sa naissance et sa qualité le tiroint hors du pair avec les autres, et qu'il sçavoit de quelle façon on en avoit usé du temps du feu cardinal de Richelieu. Enfin tous ayantz opinés, les advis feurent reduitz à 4 principaux; le premier de M. Crespin, suivy de 25 voix, qui alloint de depputer au Roy et envoyer la lettre du Parlement de Bourdeaux celuy de Paris; le second, de /250v/ M. de Broussel portant qu'on tiendroit registre de ce qu'avoit dit S.A.R. et qu'on deputteroit vers Leurs M. pour les supplier de pouveoir aux plaintes et remonstrances du Parlement de Bourdeaux; le 3, de M. Payen, qui estoit d'envoyer la lettre, faire registre de ce qu'avoit dit S.A.R., et depputter à Leurs M. pour les prier de pourveoir aux desordres de la Guyenne et à l'infraction de la declaration du Roy, tant aux faictz des tailles qu'à celuy des princes; le 4, de celuy de M. le president du Mesnil, à ce qu'on priat Leurs M. de permettre au prince de Conty, attendu le peril où il se trouve, de se retirer en quelq'unes de ses terres en liberté, et que M. le duc d'Orleans seroit prié d'escrire en sa faveur à la Reyne; sur quoy ce prince repartit que cela ce [se] pourroit faire, si Mme la Princesse vouloit faire sortir les trouppes qui sont dans le Berry et faire rendre Mourron au Roy. Enfin les advis estant reduitz à deux, celuy de M. de Broussel passa, estant de 115 voix, et celuy de M. Payen de 65 seulement, quoy qu'on remarqua que le Premier President et les presidentz Le Coigneux et de Nesmond estoint de l'advis de M. Payen. Ainsy l'arrest feut conceu en ces termes: qu'on enregisteroit les parolles qu'avoit dit M. le duc d'Orleans; que le depputté de Bourdeaux bailleroit sa creance; que la lettre et les arrestz du Parlement de Bourdeaux seroint portés au Roy par des depputtés, lesquelz feroint des remonstrances à Leurs M. pour les prier de pourveoir aux plaintes du Parlement de Bourdeaux et de donner la paix la Guyenne. Sur cela M. des Landes et quelques autres ayant prié M. de Broussel de s'explicquer sur ces motz de plaintes et remonstrances, il ne respondit rien; et sur ce que M. Foulé demandoit d'estre ouy, quelq'ungs et M. le duc d'Orleans mesmes ayant esté d'advis de deslivrer commission au Procureur General pour informer contre luy, l'on arresta qu'on l'entendroit aujourd'huy; et à la sortie de messieurs, le peuple cria dans la salle, "La paix! Point de Mazarin!"

M. le duc d'Orleans a envoyé M. Goulas, son secretaire, au Parlement pour avertir qu'il s'y trouveroit; mais dans ce temps S.A.R. ayant sceu que M. des Landes Payen et les autres de la brigue de MM. les princes avoint resoulu d'insister à faire explicquer M. de Broussel, tant sur les parolles de M. le duc d'Orleans qui doivent estre enregistrées que sur celles des plaintes et remonstrances du Parlement de Bourdeaux, y a envoyé M. Dalibert, son surintendant des finances, pour avertir M. Goulas de dire au Parlement qu'elle n'iroit point; mais n'ayant peu trouver M. Goulas, il s'en est retourné sans rien dire, dont la Grande /251/ Chambre estant avertie a envoyé le greffier Guyet au palais d'Orleans pour sçavoir si S.A. viendroit; et pendant ce temps M. Goulas est retourné dire au Parlement que Sadite A. estant montée en carrosse pour y aller, s'estoit trouvé mal, et qu'elle prioit la Compagnie de differer jusques à demain, ce qu'elle a faict.

Le Parlement receut ce matin une lettre de cachet par laquelle Sa M. luy mande que craignant que son voyage de Guyenne soit un peu long, elle a laissé à Paris M. le duc d'Orleans avec un conseil, auquel elle veut qu'on obeisse comme à elle mesme si elle estoit presente.

Apres la levée du siege de Guyse [Guise], le lieutenant general Rose ayant poursuivy les ennemis, attaqua leur arriere garde; mais n'ayant que six escadrons de cavalerie et les ennemis luy en ayant opposé douze, il feut obligé de se retirer. Ilz sont maintenant campés à Estreux proche Vervains [Vervins], où ilz se rafraischissent en attendant des recreues d'infanterie; cepandant le general Lamboy les a joint avec 4 mille hommes qu'il a amenés d'Alemagne.

Nostre armée est maintenant campée dans les lignes que les ennemis avoint faict autour de Guyse.
M. de Bellievre, doyen des conseillers d'Estat, est mort ce matin subitement.

/252/ De Paris le 15 julliet 1650

Le 8 du courant Leurs M. partirent de Fontainebleau pour le voyage de Guyenne, nonobstant l'indisposition de M. le Cardinal, qui partit dans la littiere de la Reyne. La premiere journée feut de Fontainebleau à Pluvier [Pithiviers?], où la Cour ne fit que coucher; la 2e feut de Pluviers à Orleans, où elle demeura toutte la journée du x, et l'on remarqua que tout le corps de ville y estant allé saluer Leurs M., conduitz par le marquis de Sourdis, qui en est gouverneur, celuy cy ne les voulut point conduire ches S.E.; la 3e feut le xi, d'Orleans à St Laurens des Eaux, d'où elle feut le lendemain disner à Chambost [Chambord] et coucherent le 12 à Blois et en partirent le lendemain pour aller à Amboise, et de là le 13 à Tours, d'où elles doivent aller à Poictiers et continuer leur voyage sans s'arrester qu'à Xaintes. M. le Garde des Sceaux n'est pas encor party d'icy, estant demeuré malade despuis le despart de Leurs M., et quoy que quelq'ungs croyent que c'est une maladie d'Estat, neamoings il a esté saigné pour la 5e fois. Leur M. ont pressé ce voyage sur l'advis qu'elles ont eu de M. de la Mesleraye que leur presence estoit fort necessaire à Bourdeaux, aussy bien q'une armée navalle, sans laquelle on ne pouvoit reduire la province de Guyenne.

Outre ce que vous verres dans la relation de Bourdeaux, ont [on] eu nouvelle avant hier pour aller querir l'argent du vaisseau anglois qui estoit entré en riviere, ont repris la fregatte espagnolle que le duc de St Simon leur avoit prise il y a quelque temps; et des plus [despuis? de plus?] l'ordinaire rencontra un courrier à Montrichard qui luy dit qui [qu'il] portoit un second ordre à M. d'Esperonon de venir trouver Leurs M.

En suitte de la lettre de cachet qui feut portée le 6 du courant à l'Assemblée du clergé, MM. les prelatz ayant mis en desliberation ce qu'ilz devoint faire là dessus, resoleurent d'aller achever leur assemblée à Xaintes, et pour les frais de ce voyage ont resolu de faire une imposition extraordinaire sur le clergé, laquelle ce [se] pourra monter à 200 mille livres.

Le 9 le mareschal de Rantsau revient icy de la Cour, où la Reyne luy avoit dit tout haut que le Roy luy avoit obligation de la levée du siege de Guyse [Guise], où ses conseilz avoint fort bien reussy. Leurs M. l'ont remis dans la jouyssance de son gouvernement de Duncherque, ayant commandé à M. Le Tellier de luy en donner l'expedition. Il n'attend pour en prendre possession q'une lettre que M. le Cardinal a promis d'escrire à M. de l'Estrade; cepandant il semble qu'on n'aye pas voulu que ce mareschal allat en personne dans ce gouvernement, puisque la Reyne et S.E. l'ont prié d'assister icy de ses conseilz M. le duc d'Orleans pandant leur abscences.

Le mesme jour M. le duc d'Orleans avant son despart pour Limours, d'où il revient le xi, accommoda la querelle qui estoit entre M. de Manican et le marquis de Noirmonster. Il receut la parolle de l'ung et de l'autre qu'ilz ne se battroint point d'ung mois, M. de Manican ne l'ayant pas voulu donner pour un accommodement entier, afin de ne s'exclurre point de la pretention qu'il a sur quelque autre recompense.

L'on remarqua que Leurs M. n'ont point envoyé des lettres patentes à S.A.R. pour luy attribuer le pouvoir contenu dans la lettre de cachet envoyée au Parlement pour luy obeir en leur abscence.

 /252v/ Le x le duc de Richelieu receut une lettre de cachet du Roy portant ordre de partir dans 3 jours pour aller commander l'armée navalle; à quoy il respondit qu'il estoit prest d'y aller, mais qu'il suploit Leurs M. de luy faire donner de l'argent. Touttefois le lendemain il envoya à 11 heures du soir ches Mme d'Aigullion un notaire avec 3 autres personnes pour la sommer à luy bailler 100 mille livres sur son bien, attendu les ordres qu'il avoit receu de partir, et pour faire en cas de refus une protestation de ce qui en pourroit arriver; neamoings on ne permit pas à ce notaire de parler à elle, et ainsy il feut obligé de s'en retourner sans faire son acte; et despuis ce duc a presenté requeste au Parlement pour contraindre Mme d'Aigullion à luy bailler ces 100 mille livres, pour aller faire les despenses qu'il faut pour l'armée navalle.

Le xi un courrier extraordinaire arriva, envoyé de Tholose par le marquis de Termes, premier gentilhomme de la chambre de S.A.R., à laquelle il porta nouvelle que le Parlement y avoit resolu de lever des trouppes pour faire executter l'arrest donné contre M. Morant, et qu'en suitte de cette resolution il avoit pris 30 mille livres et arresté pareille somme entre les mains du receveur des entrées de la ville sur le fondz destiné pour achever le Pont Neuf, afin d'employer cette somme à la levée de 2000 fantassins, qu'on estimoit suffisant pour venir à bout de cette affaire avec l'assistance des communeautés, ausquelles il est ordonné d'y tenir la main. En mesme temps ces messieurs avoint deslivrés des commissions à cette fin au marquis de Montespan pour en faire la levée. Cepandant le comte de Roquelaure, frere du marquis de ce nom, s'estant jetté dans Leytoure [Lectoure], les habitans s'y sont barricadés, les ungs contre les autres, ceux cy tenant le party du Roy et ceux là celuy du Parlement; ce qui obligea M. Morans à se retirer dans le chasteau, où sa femme, qui estoit grosse, y est morte de peur, et il n'a osé assister à son enterrement. Les commissaires du Parlement se sont retirés au bourg de Florence [Fleurance] pour laisser couler le temps des defautz, et le presidial de Leytoure a esté transferé par arrest du Parlement de Tholouse, auquel l'on croit que les officiers obeiront, d'autant plus que M. Morant en avoit menacé quelq'ungs.

Il y a quantité de noblesse qui arme dans le Bourbonnois et dans le Berry, mais les villes sont touttes pour le Roy, et le comte de St Geran estant sorty de Molins [Moulins] pour s'aller aboucher avec le marquis de Levy, lieutenant du roy en Bourbonnois, qui remue aussy la ville de Molins, refusa les portes à ce comte lors qu'il y revient; mais le xi au soir l'abbé de Maigrigny feut veoir M. le duc d'Orleans de la part de ce comte pour luy dire ce qui se passoit en Bourbonnois, et l'on asseure que cest abbé luy respondit de sa fidelité.

La garnison de Mourron est à present de 2 mille hommes, et le marquis de Persan, qui commande, a faict publier un ordre à tous receveurs et collecteurs des tailles de les luy apporter dans Mourron, à peyne de payer deux fois; mais personne ne luy a encor rien apporté, quoy qu'il aye promis de donner quittance de tout en payant seulement la moitié. Il prent qualité de lieutenant general du roy soubz le duc d'Anguyen et commence à faire des ravages dans la province, ayant emmené plus de 900 bettes à corne qu'il prit dans les villages d'alentour Mourron.

/253/ Mme la Princesse est revenue de Chastillon à Ferrieres, d'où l'on croit qu'elle viendra bientost à Paris pour sollicitter au Parlement la liberté des princes pandant l'abscence de Leurs M.
M. le Prince faict bastir un petit cabinet en forme de lanterne sur le donjon de Vincennes. M. le prince de Conty se porte mieux et se promene en chaise dans la basse court.

Le 12 M. le duc d'Orleans donna audiance au nouveau depputté de Bourdeaux, lequel ne se contente pas du changement de M. d'Espernon, percistant encor à demander que MM. les princes soint mis entre les mains de leurs juges naturels.

Le brevet de nomination de la charge de prevost des marchandz devoit estre hier deslivré à M. Le Fevre, lequel en reçoit desja les complimentz; d'où le President President en tesmoigne estre fort fasché à cause de la promesse qu'on luy avoit fait de nommer le president Molé, et l'on croit que c'est le subject pour lequel il a favorisé la brique de MM. les princes dans les dernieres assemblées du Parlement.

L'on heut hier advis de Rouen que 3 vaisseaux estant allés en course commandés par M. du Quena, avoit pris aupres d'Ostende un vaisseau holandois qui portoit des thoiles et dentelles en Espagne, et ensuitte un autre vaisseau venant d'Espagne chargé de 800 mille livres pour payer l'armée de l'Archiduc; et qu'ilz avoint mené ces deux vaisseaux au port de Dieppe, mais cette [nouvelle] ne venant que de Rouen n'est pas encor tenue pour certaine.

Les advis qui sont venus cette semaine de l'armée portent que l'Archiduc est arrivé dans la sienne, laquelle est tousjours campée à Estreux, et qu'il y a mené 1200 fantassins et 800 chevaux tirés des garnisons, outre les 4000 hommes qu'on disoit estre du general Lamboy, à present gouverneur du Luxembourg, lesquelz viennent d'Holende et de Liege. Despuis cette jonction les ennemis ont envoyé quelque cavalerie vers La Bassée, dont on aprehende le siege à cause que les habitans de Lisle, qui sont incommodés par la garnison de cette place, pressent fort l'Archiduc de l'entreprendre, offrant de faire tous les frais. Les nostres, apres avoir comblé les lignes que les ennemis avoint fait autour de Guyse, sont revenus camper à Ribemont, ayant laissé les ennemis dans leur poste d'Estreux, lesquelz s'estant approché du poste d'Hanap, y ont fait commencer un fort pour incommoder la ville de Guyse, dont le gouverneur [Bridieu] craignant d'estre assiegé une 2e fois, y a faict entrer 80 charrettes de munitions et 60 de vivres. Les habitans y sont cepandant en grande desolation des maux qu'ilz ont souffert pendant le siege, touttes leurs maisons estant descouvertes par le feu des bombes, lesquelles ont mesme endommagés le chasteau. M. de Boutteville y ayant esté blessé est allé à Valentiennes se faire traitter, et le bruit court que Mme de Longueville est allée à Bruxelles pour reasseurer les Espagnolz sur les defiances qu'ilz ont conceues de M. de Turenne despuis la levée de ce siege.

/253v/ On a envoyé à Tholose la revocation qui a esté faitte au Conseil de M. Moran; et le baron des Ouches, qui partit d'icy la semaine passée pour y aller, doit accommoder cest affaire.

Le duc de Candale est party pour suivre la Cour en Guyenne, en ayant receut ordre avant hier de M. le duc d'Orleans, qui ce [se] plaignit à luy de ce que M. d'Espernon n'avoit pas encor obei aux ordres du Roy de venir au devant de Leurs M.

Le comte de Miossins est party pour aller en Guyenne servir en qualité de lieutenant general.
Les depputtés du Parlement qui doivent aller faire des remonstrances suivant l'arrest de la semaine passée, ont esté nommés, et le president de Bailleul en doit porter la parolle; mais on ne sçait encor quand ilz partiront, et quelq'ungs s'excusent d'y aller à cause de la longueur du chemin et des grandz frais qu'il leur faudroit faire, estant obligés d'aller trouver Leurs M. en Guyenne.

L'on a mis cette semaine hors de la Bastille le garde qui avoit laissé eschapper Mme de Bouillon, et neamoings M. de Carnavalet, lieutenant des gardes du corps du roy, qui ne s'en est point trouvé coulpable, n'a peu encor obtenir la liberté, quoy que tous ses amis ayent travaillé, parce que M. le Cardinal veut qu'il se defasce de sa charge.

Outre les 100 mille livres que le duc de Richelieu demande à Mme d'Aigullion par sa requeste, il en veut encor 80 mille livres qu'il pretend qu'elle a receu, tant pour ses appointements de general des galleres que pour l'entretien de 4 galleres qui luy apartiennent en propre.

Un courrier vient d'arriver de l'armée et porte seulement que l'armée des ennemis n'est que de 20 mille hommes; qu'elle a grande disette de vivres; qu'elle est tousjours au mesme poste aussy bien que la nostre, qui n'est que de 18 mille hommes; et qu'il ne s'y faict rien ny d'ung costé ny d'autre. Il ce [se] parle d'ung voyage que M. le duc d'Orleans y doit faire au commencement du mois prochain pour y apporter un demy monstre qu'ilz doivent recevoir en ce temps là.

De Bourdeaux le 4 juillet

Le chevalier de la Valette a repris Castelnau de Medoc de la mesme façon que le duc de Bouillon l'avoit pris. Il menace de venir prendre l'Isle St George, mais elle est maintenant si bien gardée qu'on ne le craint pas. Il s'en va avec ses trouppes à Cadillac aussy bien que M. d'Espernon, lequel s'est abbouché avec le mareschal de la Mesleraye dans une de ses maisons nommée Verteuil, où ilz ont eut une longue conference, apres laquelle ce mareschal est revenu dans son camp à St André. On attend icy en impatience la response que le Parlement de Paris fera au /254/ nouveau depputté que nostre parlement luy a envoyé, et cepandant tout demeure icy en mesme estat, c'est à dire en suspens. On a peyne à croire que le Roy vienne icy. On publie que Mme la Princesse a encor receu 100 mille livres que les Espagnolz luy ont envoyé; mais quant aux 500 mille livres qu'elle attendoit d'eux, ilz ne paroissent point encor, non plus que le marquis de la Force, duquel on ne peut pas dire qu'on soit encor asseuré, quoy qu'il ramasse quantité de trouppes.

Nous venons d'aprendre que le mareschal de la Mesleraye a passé la Dordogne avec ses troupes sur un pont de bateaux qu'il avoit faict faire aupres de Castres. Il est à present dans le Pays d'entre Deux Mers.

M. d'Espernon est party pour aller à la Cour suivant l'ordre qu'il en avoit receu, dont on a remarqué qu'il estoit fort triste.

De Bourdeaux du 7 julliet

Les partisans des princes pressant cette ville de leur fournir une somme de 400 mille livres pour en faire une levée de gens de guerre pour la deffendre, en firent la proposition aux juratz le 3 du courant et les vouleurent faire assembler pour cela; mais ceux cy respondirent qu'ilz ne s'assembleroint point sans ordre du Roy et du Parlement, lequel ayant faict assembler là dessus, ilz n'en peurent rien obtenir.

Le 4 on eut advis par un expres q'ung vaisseau estoit entré en riviere chargé de 600 mille livres. Cette nouvelle feut receue avec grande joye, et aussitost l'on se preparat si bien pour l'aller querir que le soir du mesme jour il partit d'icy à cette fin environ 800 hommes, tant soudoyés qu'autres, et plusieurs batteaux pour escorter ce vaisseau, lesquelz ne sont pas encor revenus; et despuis l'on a eu advis que le duc de St Simon y avoit envoyé 3 vaisseaux le jour precedent pour tascher de s'en saisir. Ceux qui croyent estre les mieux informés disent que cest argent ne vient pas d'Espagne, et qu'il est dans un navire anglois que l'on a fretté dans quelque port de France.

Sur la croyance qu'on a eu que le chevalier de la Valette attaqueroit l'Isle St Georges, l'on y a mis plus de 800 hommes, commandés par le comte de Mise. Le bruit avoit couru que M. d'Espernon faisoit bastir un fort à Portetz, où il avoit campé, mais l'on a sceu qu'il avoit quitté ce poste et avoit marché vers les Landes. On ne sçait pas encor au vray s'il ira trouver la Cour. M. de la Mesleray est dans le Pays d'entre Deux Mers, /254v/ quoy que plusieurs veulent qu'il soit allé attaquer le chasteau de Vayres sur la Dordogne, sans lequel il y a une garnison de 200 hommes de M. de Bouillon.

Quant au marquis de la Force, le party des princes ce [se] fait fort de l'avoir et publie qu'il n'attend que l'argent qu'on luy a promis, lequel on luy envoyera (dit on) aussytost que le vaisseau qui en est chargé sera arrivé, et que cepandant il a 4000 fantassins et 300 chevaux tout prestz; mais comme ces messieurs ont interest de nous en faire beaucoup à acroire, nous en attendons les effectz avant que d'y adjouster foy.

Le chevalier de Riviere, qui est arrivé icy despuis peu, estant venu de Flandres par mer, est allé avec plusieurs autres au devant du vaisseau qui apporte cest argent.

/256/ De Paris le 22 juilliet 1650

Le 16 du courant au matin un courrier venant de la frontiere de Champagne arriva icy et porta nouvelle à M. le duc d'Orleans que la garnison de Jametz, mal satisfaitte des violences de M. de Ste Maure, qui en est gouverneur, s'est soublevée contre luy et l'a arresté prisonnier, disant qu'elle ne vouloit pas estre commandé par un Mazarin; sur quoy l'on tient aussytost Conseil au palais d'Orleans, à l'issue duquel on renvoya le courrier sur le champ pour aller asseurer cette garnison qu'on luy donneroit tel gouverneur qu'elle voudroit, et qu'elle n'avoit qu'à le nommer.

M. le duc d'Orleans estant allé le mesme jour à Limours fort peu accompagné, Madame feut avertie le lendemain au soir que quelques personnes du party de MM. les princes ramassoint de la cavalerie dans Paris pour s'aller poster sur le chemin de Limours afin d'enlever S.A.R. lors qu'elle passeroit, dont Madame luy donna aussytost advis; et le 18 au matin toutte la maison monta à cheval pour luy aller au devant avec quantité de noblesse. M. de la Railliere y mena 60 fuseliers jusques à mi chemin; et lors grand nombre de personnes se preparoint pour y aller, l'on apprit que l'on n'avoit veu paroistre personne du party contraire sur le chemin ny aux environs.

La prise faitte par le cappitaine du Guesne aupres d'Ostende feut confiermée le mesme jour par un courrier venu à M. de Beaufort, mais l'ung des vaisseaux pris qu'on disoit estre chargé d'argent monnoyé l'estoit de barres et lingotz d'argent. Ilz feurent menés premierement à Duncherque et de là au Havre de Grace.

Le 18 Leurs M. partirent de Tours et feurent coucher à Richelieu, où le marquis de ce nom leur ayant esté au devant avec 3 ou 400 gentilhommes qu'il avoit ramassés à cette fin dans le Poictou, les traitta magnifiquement avec toutte la Cour.

Le mesme jour au matin le marquis de Crevecoeur arriva icy venant de l'armée de Picardie, et n'ayant pas trouvé M. le duc d'Orleans, alla aussytost à Limours et luy porta nouvelle que nostre armée n'estoit plus que de 9000 fantassins et 6000 chevaux, tous bonnes trouppes, et que les officiers s'estant assemblés avoint declarés qu'ilz seroint contraintz d'habandonner l'armée si on ne leur donnoit de l'argent dans 8 jours; sur quoy l'on tient conseil le mesme jour au soir, aussytost apres que S.A.R. feut de retour de Limours, et l'on resolut de leur envoyer dire qu'ilz auroint la satisfaction qu'ilz demandoint et qu'on travailleoit à treuver de l'argent pour cest effect; ce que l'on fit hier dans le conseil qui ce [se] tient au palais d'Orleans, où MM. des finances assisterent avec MM. les mareschaux de France qui sont à Paris. Les nouvelles que ce marquis apporta des ennemis sont qu'ilz avoint fait coupper quantité de bois pour ce [se] faire jour d'Estreux à Laon, qu'ilz avoint resolu d'aller assieger; mais l'Archiduc ayant donné ses ordres pour cest effect, les troupes alemandes ne vouleurent point partir qu'on ne leur donnat auparavant de l'argent, ce qui retarda ce dessing; et l'Archiduc feut contraint d'en aller chercher dans les villes de Flandres, estant party à cette fin dès le 7 du courant pour Landroy, d'où il alla le 8 à Bruxelles, et le lendemain à Anvers pour y sollicitter les marchandz à contribuer /256v/ dans les presentes necessittés quelque somme considerable pour le payement de son armée, et fit tant que les lettres de ce pays là asseurent qu'il obtient un prest de 400 mille escus; laquelle somme il a envoyé à mesme temps à son armée et y est revenu luy mesme, l'ayant si bien renforcée par ce moyen qu'elle est à present de 10 mille fantassins et 14 mille chevaux effectifs; avec quoy neamoings il n'y a point de nouvelles qu'il est encor rien entrepris, ny mesmes qu'il aye marché pour cela.

M. de la Claviere, gouverneur de Philisbourg [Philippsbourg], a obtenu de la Cour que le lieutenant du roy et le major de cette place en sortiront, à cause que le premier y avoit esté mis par M. le Prince et l'autre par M. de Turenne.

Les advis de Metz portent que le comte de Ligneville a fait des grandz ravages aux environs de cette ville là, quoy qu'il eut receu les contributions qu'il avoit demandé.

Il y a dans le Dauphiné 9 regimentz de cavalerie et autant d'infanterie, lesquelz on eu ordre de passer en Piedmont pour y joindre le marquis d'Uxelles, qui y comme en qualité de lieutenant general, auquel se doibvent aussy joindre les trouppes du duc de Savoye, commandées par le marquis Ville, ce qui pourra monter au nombre de 7 mille hommes, qui entreront dans le Milanois pour y faire diversion à l'armée navale des Espagnolz.

Le 19 on eut advis de Tholouse que le Parlement y avoit fait pendre en efigie les 3 gentilhommes qui commandent à Lictoure pour le marquis de Roquelaure; d'où M. Morant, ayant trouvé moyen de se sauver, s'est retiré à Agen apres avoir faict mettre en liberté le criminel d'Estat à qui il faisoit le proces, afin que le Parlement de Tholouse ne s'en peut pas saisir. Le jour que l'ordinaire en est party, qui estoit le 13, deux depputtés de Bourdeaux y estant arrivés, ce [se] presenterent au Parlement pour estre ouys; sur quoy les chambres s'estant assemblées, il feut arresté qu'on les entendroit le lendemain. L'on ne sçavoit pas encor ce qu'ilz demandoint. Le baron des Ouches y estoit arrivé le jour precedent. Le presidial de Leytoure avoit esté transferé à Miradoux, 3 lieues de là.

On escript de Provence que les consulz de Marseille avoint escript à S.A.R. que quoy qu'ilz n'eussent pas tant faict de bruit que les Bourdelois, ilz n'avoint pas pourtant moings souffert, et que si on continuoit à les tourmenter, ilz souffriroint plustost la domination du Turc que la tyrannie du comte d'Alais.

Le mesme jour 19 un gentilhomme arriva icy envoyé de Bourbonnois par le comte de St Geran pour asseurer de nouveau S.A.R. de sa fidelité, luy demander sa protection, et offrir de prendre abolition pour un traitté qu'il avoit faict de ce costé là avec le party des princes, auquel il offroit mesmes de s'opposer et de l'empescher de remuer dans le Bourbonnois et d'empescher les courses que la garnison de Mourron y faict, pourveu qu'on luy permet à cette fin d'assembler des trouppes dans cette province là, où se [ce] mesme party oblige la noblesse à se declarer pour l'ung ou pour l'autre; et cepandant cette garnison faict des grandz desordres dans le Berry, ayant forcé une abbaye à 3 lieues de Montrond, où elle a tué 2 religieux, en suitte de quoy elle a sommé les habitans de Bourbon l'Archembaud de luy mettre le chasteau entre les mains, à quoy ilz ne luy ont point fait de response.

/257/ Mme la Princesse douairiere est tousjours à l'abbaye de Ferrieres. Les portes du parc de Vincennes sont fermées despuis 8 jours, et l'on ne permet pas à personne de s'y aller promener.

L'on asseure que le comte d'Alais est mandé à la Cour, aussy bien que M. d'Espernon, les depputtés de Provence sollicittant puissenment cest affaire.

On envoye en Bourgogne M. de la Marguerie, maistre des requestes, pour faire la fonction d'intendant de justice.

Ledit jour 29 [19] le Parlement decretta adjournement personnel contre Maistre Foulé. Le marquis de Chambaret, qui s'est rendu partie contre luy, poursuit vivement cest affaire.

M. le duc de Richelieu poursuit aussy la sienne pour l'argent qu'il demande à Mme d'Aigullion, mais le procureur de celle cy n'ayant pas voulu occuper pour elle, il feut dit qu'elle seroit derechef assignée à huictaine; ainsy l'on ne croit pas que ce duc puisse obtenir sa demande.

L'evesque du Mans estant venu icy pour sollicitter l'affaire du marquis de Jersey, son cousin germain, et quantité d'autres personnes de condition s'estant employés pour luy, l'affaire a esté surcise, ce qui fait esperer qu'on ne luy fera point le proces.

Les deputtés du Parlement qui doibvent aller faire des remonstrances à la Reyne sur les affaires de Bourdeaux partent demain au matin à cette fin. Ilz ont pris congé ce matin de S.A.R.

Le 20 l'on arresta Mme la presidente l'Escaloppier dans le faubourg St Denys, mais sa mere, qui est celle là qui la tient prisonniere, ne peut trouver aucune religion dans Paris qui l'aye voulu recevoir.

M. le Garde des Sceaux est guery de sa maladie, mais n'estant pas encor asses fort, il ne partira pour aller à la Cour que me[r]credy ou jeudy prochain.

La Cour devoit arriver hier à Poictiers, d'où elle doit partir demain pour aller en Angoulesme, où elle sejournera quelque temps. Mademoiselle a eu 3 acces de fievre en chemin, dont elle est guerie.

Le clergé ayant resolu d'obeir à la lettre de cachet portant ordre d'aller à Xaintes, a envoyé à la Cour l'abbé de Marmiesse, son agent, pour supplier Leurs M. d'approuver l'imposition de 200 mille livres pour les frais de ce voyage, et pour leur representer que ces messieurs ne pourront pas se trouver à Xaintes au dernier de ce mois comme il est porté par l'ordre qu'ilz en ont, attendu qu'il y a des affaires qui les pourront encor retarder pour quelque temps; mais quoy qu'ilz ayent resolus d'y aller, ilz souhaitteroint fort d'en estre dispensés, et c'est pour cette raison qu'ilz retardent leur despart.

Les Frondeurs sollicittent puissenment pour faire tomber l'archevesché de Rheins entre les mains de l'evesque de Chalons [sur Marne] en Champagne, qui par ce moyen baillera son evesché à l'abbé de Sillery, neveu de l'archevesque de Rheins, lequel consent de resigner son archevesché au premier; mais on fait difficulté à la Cour d'admettre ce traitté, à cause que le marquis de Sillery, frere de cest abbé, est dans le party des princes. On croit neamoings que cest affaire reeussira, ce qui faschera fort la Maison de Nemours, à cause que l'abbé d'Aumale pretendoit à cest archevesché. /257v/ Cepandant le duc de ce nom estant mescontent de n'avoir rien peu obtenir sur la demande qu'il faisoit du gouvernement d'Auvergne, s'est retiré en une de ses maisons à la campagne.

On avoit parlé de mettre un commandant dans la ville de Ste Menehoud, dont le marquis de Fors est gouverneur, mais le mareschal de l'Hospital a respondu pour le lieutenant du roy qui est dedans.

Le comte de Charost ayant faict sortir nagueres de Calais la femme du comte de Balmont, Anglois, celuy cy s'en offença si fort qu'apres en avoir fait grand bruit dans Calais, il partit pour venir icy afin de se battre contre luy; mais quelq'ungs s'en estant deffiés, envoyerent en diligence un expres à Amiens pour prier les gens du duc de Chaunes de l'arrester, ce qu'ilz firent. Cest Anglois se voyant prit, escrivit au comte de Charost que puisque il a esté si lasche que de le faire arrester, s'il a tant soit peu de courage il doit faire seulement semblant d'estre en bonne intelligence avec luy lors qu'on les accordera, afin de trouver apres cela moyen de luy faire raison; sur quoy M. le duc d'Orleans envoya ordre au duc de Chaunes de faire conduire icy le comte de Balmont, lequel arriva hier; et les mareschaux de France sont presentement assemblés au palais d'Orleans pour les accorder.

La ville de St Disier [Saint-Dizier] en Champagne a envoyé icy des depputtés, qui eurent hier audiance de S.A.R. et luy demanderent des trouppes pour empescher les ennemis de les troubler dans leur recolte, pandant laquelle ilz aprehendent d'estre assiegés à cause qu'ilz n'ont point de bled, dont la pluspart des villes de Picardie se plaignent aussy, disant que les munitionnaires de l'armée l'ont tout enlevé.

Le Conseil resolut hier au palais d'Orleans d'envoyer 500 mille livres à l'armée pour une demy monstre, dont on cherche les moyens en diligence. Il s'est parlé d'ung voyage que S.A.R. y devoit faire, mais cela ne continue pas.

Le mareschal de Rantsau ayant eu parolle de la restitution de son gouvernement de Duncherque, a envoyé à la Cour un gentilhomme pour en sollicitter les prouvisions. Ce gentilhomme vient hier avec un autre de M. le Cardinal, lequel apporta les ordres à M. le Tellier de les luy deslivrer et ces deux gentilhommes doivent aller ensemble Duncherque, sçavoir celuy de S.E. pour porter ordre à M. de l'Estrade de remettre la place entre les mains de ce mareschal, et l'autre pour en prendre possession.

/258/ De Bourdeaux le xi juillet 1650

L'argent que l'on attendoit est arrivé le 8 du courant au soir dans 2 fregattes espagnolles avec un envoyé d'Espagne nommé Don Josep ou Don George Osorio, qu'on dit n'estre pas homme d'importance; mais ce qui fait croire qui [qu'il] n'y a pas beaucoup d'argent est qu'il n'y a que ceux qui l'ont conté qui en sçavent le nombre. Les ungs veulent qu'il y aye 600 mille livres, et les autres 1300 mille livres. Cest envoyé d'Espagne feut receu dans un carrosse à six chevaux et conduict au logis de M. Laisné, conseiller de Mme la Princesse.

Le lendemain 9 le Parlement s'estant assemblé, donna arrest portant que tous les Espagnolz qui estoint arrivés seroint pris au corps, et enjoint à touttes personnes de leur courre sus; mais la publication de cest arrest a esté surcise, et cela a fait grand bruit. Les Espagnolz l'ayant sceu en ont tesmoigné grand ressentiment, et le Parlement est contraint de les souffrir, le party des princes faisant crier les peuples pour cela, et pour chasser de la ville tous ceux qui luy sont suspectz pour estre de la Cour.

le 14 dudit

Le 12 du courant le Parlement s'assembla pour deliberer sur ce qu'il devoit faire dans la conjoncture de la venue des Espagnolz et sur l'union que le party des princes demandoit dans la poursuitte de leur liberté. En mesme temps le Palais se remplit de canaille, et 3 ou 400 mutins y firent grand bruit avec l'espée nue et le pistolet à la main, menaceant d'esgorger tout le Parlement s'ilz n'estoint dans tous les interestz de MM. les princes et s'il ne donnoit arrest d'union avec eux. Ce bruit dura jusques à 6 heures du soir, que le Parlement se voyant assiegé par cette canaille, envoya ordre aux juratz de faire mettre le bourgeois soubz les armes pour l'aller deslivrer. En mesme temps M. de Pontac Beautirant, premier jurat, assembla 200 hommes bien resolus, avec les archers du guet, et alla tambour battant au Palais; où estant arrivé il fit descharger le premier rang de ses mousquetaires, lesquelz tuerent d'abord 5 de ces seditieux sur la place, en blesserent plusieurs autres, et chasserent le reste; cepandant Mme la Princesse feut au Palais pour tascher de fleschir MM. du Parlement sur la demande qu'elle faisoit; mais au lieu d'escoutter ses prieres, ilz luy firent des grandes plainctes de la violence qu'elle leur faisoit faire, luy protestant qu'ilz ne deslibereroint jamais par force et que ce n'estoit pas le moyen d'obtenir ce qu'elle demandoit; sur quoy elle s'excusa fort, faisant des grandz serment qu'elle n'y avoit aucune part. Ainsy ilz se leverent sans rien desliberer touchant l'interest des princes, /258v/ ayant seulement donné l'arrest dont je vous ay parlé contre les Espagnolz, lesquelz se retirerent ensuitte. Ilz n'estoint que 12. Pandant ce tumulte M. de Bouillon, voulant faire accroire qu'il n'y avoit pas contribué, envoya offrir son service au Parlement, qui l'en remertierent et luy firent response qu'ilz avoint accoustumé de proteger les autres en qualité de depositaires souverains de la justice du Roy.

Le lendemain, qui estoit hier, ilz ne vouleurent point aller au Palais, mais quelq'ungs d'eux s'assemblerent ches le president d'Affis pour deliberer ce qu'on devoit faire touchant un pacquet du Roy qu'on venoit de recevoir. Ilz arresterent qu'estant obligés d'estre dans la maison du Roy pour l'ouvrir, ilz s'assembleroint au Palais à cest effect; mais ilz n'y firent rien, ne s'y estant treuvé que 20 ou 22 conseillers.

L'apresdisnée ilz s'y assemblerent tous; et bien loing d'accorder l'union avec le party des princes, il feut ordonné au contraire que M. de Lusignan, qui estoit logé à la Bourse, vis à vis du Palais, en deslogeroit; et que les cappitaines des quartiers de la ville seroint reformés pour avoir manqué à leur devoir et pour ne s'estre pas trouvés le 12 à la suitte de M. de Beautirant, afin de chasser les seditieux hors du Palais; et qu'on nommeroit des dizeniers par toutte la ville afin de faire mettre plus promptement les bourgeois soubz les armes en cas de besoing. Le subject pour lequel on a fait deloger M. de Lusignan devant le Palais est parce que c'estoit un poste dans lequel il donnoit jalousie au Parlement par le credit qu'il a parmy la canaille, et que luy et M. de Sauveboeuf estoint ceux qui la poussoint dans l'action du 12, M. de Bouillon et de la Rochefoucaut en ayant mesmes jetté la faute sur eux.

Sauveboeuf partit hier icy avec Don Josep Osorio pour s'en retourner en Espagne. L'on dit que c'est pour haster un secours de 4 mille hommes que les Espagnolz promettent et pour faire venir d'avantage d'argent, celluy qu'ilz ont envoyé cette derniere fois ne consistant qu'en 200 mille livres.

Le Parlement vient d'envoyer dire à Mme la Princesse par le president Pichon qu'elle ne devoit point s'allarmer de ce qui estoit arrivé, qu'il feroit tousjours ce qu'il pourroit pour la liberté de MM. les princes, et qu'elle pouvoit continuer se [ce] sejour en cette ville en toutte seurté; et pour en parler sainement, le Parlement n'a tenu ce proceddé qu'afin de demeurer le maistre et de ne se point laisser lier par le party des princes.

/260/ De Paris le 29 juillet 1650

La semaine passé le prince d'Harcourt envoya querir le president de Chevry, son bon amy, pour luy parler de quelque affaire particuliere, et dans ce temps sortit pour aller en ville. Ce president ayant esté voir ce qu'il vouloit et ne l'ayant pas trouvé, monta à la chambre de la princesse d'Harcour, sa femme, pour luy demander ce que desiroit son mary; et comme il ne le sçavoit pas il demanda un escritoire qui luy feut aussytost apporté par le Suisse, et il escrivit une lettre au prince, par laquelle il luy donnoit advis du lieu où il le trouveroit en cas qu'il eut besoing de luy. Ce prince estant de retour demanda au Suisse s'il y avoit quelq'ung qui le feut venu veoir; sur quoy le Suisse luy ayant nommé 5 ou 6 presidentz, et ayant oublié ce president, il luy demanda une escritoire pour escrire et l'envoyer querir derechef; à quoy le Suisse ayant respondu que l'escritoire estoit dans la chambre de Madame, où ce president avoit escript, ce prince prit jalousie de sa femme là dessus, et ayant crevé un oeil au Suisse apres l'avoir bien battu, monta à la chambre de sa femme, laquelle il blessa fort au menton avec un bus qu'il trouva sur la table, don[t] elle est fort malade, aussy bien son Suisse.

Vous avez sceu que Leurs M. passant à Orleans, le marquis de Sourdy n'avoit pas voulu visitter ny mener le Corps de Ville à M. le Cardinal, parce qu'il est son ennemy. Sur cela la Reyne a despuis escript à M. le duc d'Orleans pour le prier de le deposseder de son gouvernement, dont S.A.R. n'a encor rien faict.

La Cour estant à Tours, l'on remarqua qu'il y eut une entreveue de Mademoiselle et du petit Louyson, qui est censé filz naturel de M. le duc d'Orleans. Elle le fit dans une maison particuliere, où elle l'interrogea fort et le trouva fort joly par les responses qu'il luy fit, dont la plus remarquée feut lors qu'elle luy demanda s'il ne vouloit pas bien estre son page, à quoy il replicqua qu'il aymoit mieux en avoir que de l'estre. Elle le baisa souvent et le presenta au Roy et à la Reyne, qui le caresserent fort; et la Reyne ayant dit qu'il faloit luy donner de abbayes, pria Mademoiselle d'escrire à S.A.R. en sa faveur et la supplier de recognoistre pour son filz; ce que Mademoiselle ayant fait, l'on y trouver Monsieur asses disposé lors qu'il receut cette lettre, et l'on ne le croit pas esloigné de le recognoistre.

Le 22 du courant un courrier extraordinaire envoyé de [du] Parlement de Bordeaux à ses depputtés, arriva icy et leur apporta une lettre de ce parlement adressée à M. le duc d'Orleans et une autre au Parlement de Paris. Ilz rendirent celle de S.A.R. dès le soir du mesme jour, par laquelle MM. de Bordeaux luy faisoint cognoistre le suject de /260v/ deffiance qu'ilz avoint de l'aproche de M. le Cardinal, qu'ilz consideroint comme leu ennemy et le protecteur de M. d'Espernon, et comme l'object de l'aversion des peuples; que cette aproche leur faisoit aprehender avec raison de veoir continuer la guerre dans la Guyenne; ce qui les obligeoit de supplier S.A.R. de leur continuer sa protection et d'empescher que S.E. n'y allat, et de leur donner la paix; sur quoy S.A.R. se mit en colere, les traitta de seditieux et de mutins, et leur dit que le Roy ne seroit pas tousjours mineur et qu'on trouveroit un jour moyen de s'en venger; mais le lendemain au matin elle leur tesmoigna plus de douceur, leur ayant envoyé un gentilhomme pour leur faire cognoistre qu'elle vouloit leur continuer sa protection. Sur cela M. Guyonna [Guyonnet], l'ung des depputtés, estant allé au palais d'Orleans, S.A.R. et M. de Beaufort confererent avec luy sur les moyens d'accommoder l'affaire de Bourdeaux; et parce que les depputtées avoint à poursuivre l'assemblée du Parlement de Paris pour desliberer sur la lettre que celuy de Bourdeaux luy escrit pour luy donner part des deffiances qu'il a sujet d'avoir de l'entrée de M. le Cardinal en Guyenne, Sadite A. obtient qu'ilz attendroint 8 jours à presenter cette lettre au Parlement, apres leur avoir donné parolle que M. d'Epernon seroit non seulement rappellé en Cour mais changé, et qu'on leur donneroit un gouverneur qui ne leur seroit pas suspect; mais qu'en cette consideration elle entendoit qu'on fit sortir de Bourdeaux Mme la Princesse, le duc de Bouillon, et les autres de ce party. Pour cest effect elle envoya les 24 M. de Comminges à la Cour, et escrivit à la Reyne que pour accommoder l'affaire de Bourdeaux il ne suffisoit pas de mander M. d'Espernon, qu'il falloit absoluement le revoquer et mettre un autre gouverneur en sa place, ayant M. le duc d'Anjou à cette fin, et M. le mareschal de Schomberg pour son lieutenant general, comme estant fort acreditté dans cette province là; dont les depputtés attendent l'effect avant que presenter leur lettre au Parlement.

Outre ce que vous aves sceu par la relation de Bourdeaux, d'autres lettres portent qu'il y eut arrest portant confiermation de la seurté donné à Mme la Princesse et à toutte sa maison; que soubz le bon plaisir du Roy il luy seroit permis d'armer par mer et par terre pour sa deffense, et que cepandant le Procureur General escriroit à Sa M. de n'amener point le cardinal Mazarin en Guyenne. Les Bourdelois avoint pris aupres de Libourne un courrier que M. d'Espernon envoyoit à la Cour, lequel estoit chargé d'une lettre que celuy cy escrivoit à S.E. Cette lettre feut leue du Parlement et contenoit en substance qu'il estoit de retour de vers Bayonne, où il avoit esté obligé d'aller pour y empescher l'entrée aux Espagnolz et les partys qui s'y formoint; en suitte /261/ de quoy il s'excusa de ne pouvoir pas aller cy tost à la Cour, disant que sa presence estoit encor necessaire par delà pour y dissiper le party des Bouillionnistes; et que d'allieurs il estoit malade d'une fluxion qui luy estoit tombée sur l'espaule; à quoy il adjoustoit un recit de ce qui ce [se] passoit à Bourdeaux, où il disoit avoir des intelligences mesmes avec un conseiller qui luy avoit envoyé ce recit. Neamoings d'autres lettres plus fraisches asseurent qu'il estoit party d'Agen pour venir à la Cour, laquelle estoit partie de Richelieu le 20, feut coucher à Chastelleraut, et de là le lendemain à Poictiers, d'où elle partit le 24 pour poursuivre son chemin jusques à Libourne; mais M. de Cominges la devant joindre à Angoulesme, l'on croit qu'elle y sejournera pour desliberer sur la proposition d'accommodement faitte par M. d'Orleans touchant l'affaire de Bourdeaux.

Les depputtés du Parlement de Bourdeaux qui venoint faire des remonstrances là dessus, partirent d'icy le 25 à cause que le president Le Bailleul estoit indisposé.

Les lettres de Tholouse du 20 confierment que le presidial de Lectoure a esté transferé à Miradoux par arrest du Parlement. Tous les officiers y avoint obei, excepté le juge criminel, auquel on avoit fait le proces; et on l'alloit pendre en effigie comme on avoit fait les commandantz à Lectoure, l'ung desquelz ayant une maison nommé Savaillan, à 5 lieues de Tholouse, de laquelle il porte le nom, les commissaires de ce parlement s'y estoint acheminés le mesme jour 20 pour la faire raser suivant l'arrest de condennation; dont on aprehende encor des suittes dangereuses, à cause que le marquis de Roquelaure avoit mandé à Savaillan que si on rasoit sa maison, qu'il fit raser celle d'ung conseiller de Tholouse nommé La Couppette, scitué dans Lectoure, et que le baron de Roquelaure avoit ramassé quelques trouppes pour empescher le rasement de la maison de Savaillan. Le baron des Ouches n'estoit pas encor entré en traitté avec MM. de Tholose parce qu'il pretendoit qu'on luy envoyat rendre la premiere visitte par 4 capitoux, comme on avoit fait à M. Gargan. Quant à l'union que le Parlement de Bourdeaux y demandoit, l'on n'y avoit pas encor desliberé, mais le conseiller Caumel y avoit fort parlé en faveur de MM. les princes.

M. Foulé, cappitaine aux gardes, a achepté du marquis de Fourilles la charge de grand mareschal des logis de la maison du roy, dont il en a donné 40 mille escus.

Le 23 l'accommodement de M. de Manicamp avec le marquis de Noirmonstier feut fait au palais d'Orleans, où S.A.R. les fit embrasser. Celuy du comte de Charrost avec le comte de Belmont ne feut faict que hier.

Le mesme jour Mme l'Escalopier feut enfin receue dans le couvent des filles penitentes de cette ville.

 L'on remarque qu'elle estoit amoureuse d'ung gentilhomme auvergnat nommé le marquis de Monthouson, fort jeune et fort /261v/ beau garson, et qu'elle estoit venue en poste de 12 lieues pour le veoir.

La nouvelle du siege de La Cappelle ayant esté confiermée le 24, l'on tient conseil là dessus, où se trouverent les mareschaux de France; et l'on resolut de faire passer nostre armée à Verveins [Vervins], comme le lieu le plus propre pour incommoder les ennemis à ce siege, lequel pourra durer quinze jours, la garnison estant de 1200 hommes effectifs, et les munitionnaires ayant asseuré que deux jours auparavant ilz y avoint mis 160 septiers de bled; et parce qu'on a sceu que les ennemis avoint resoulu de faire separer leur armée en deux corps apres la prise de cette place, et d'en envoyer un dans la Champagne afin d'enlever tous les bleds pour en faire un magasin dans Stenay, l'on a envoyé ordre au mareschal du Plessis de faire passer dans cette province 500 chevaux et 200 fantassins pour se joindre à 4 ou 500 autres qu'il y en a et favoriser les paysans à faire la recolte, et pour faire mettre tous les bleds dans les villes, lesquelles estant munies sont asses fortes d'allieurs. Despuis on a eu nouvelle que les ennemis ont ouvert les tranchées de La Capelle, où le lieutenant du gouverneur a esté tué. Les paisans des environs ont aydé aux ennemis à y faire leurs travaux à cause de la haine qu'ilz portent au gouverneur [Roquépine], de qui ilz n'ont pas receu des bons traittementz.

Les advis de Metz portent que le comte de Ligniville a passé la Moselle avec ses trouppes, et qu'il est entré dans le Luxembourg pour venir joindre l'Archiduc.

Le 27 le Parlement s'assembla pour deliberer sur l'affaire de Foulé, intendant, qui presenta requeste par laquelle il recusoit M. de Broussel, son raporteur; mais l'heure ayant sonné devant qu'on eut achevé d'opiner, l'assemblée feut remise à demain, et par mesme moyen on y parlera de l'affaire de Bourdeaux.

Le marquis de Richelieu arriva hier icy, venant de la Cour. On luy a donné commission de lever un regiment de cavalerie.

De Bourdeaux le 19 juillet

Vous aves sceu que le Parlement s'est accommoddé avec Mme la Princesse et que nonobstant ce qui estoit arrivé, il luy envoya le 14 asseurance qu'il poursuivroit tousjours sa pointe pour la favoriser autant qu'il se pourroit dans la poursuitte de la liberté des princes, et qu'elle pourroit continuer son sejour en cette ville en toutte seurté. Afin de luy confiermer encor cette asseurance, il a esté resolu que l'arrest donné en mesme temps subsisteroit.

/262/ Quant à la somme que cette princesse a receu des Espagnolz, elle est certainement de plus de 200 mille livres. Ceux qui la modirent [maudirent] le plus le font de 300 mille livres, mais le plus commung bruit est qu'il y a effectivement 700 mille livres; neamoings cela n'est pas encor fort certain. Plusieurs asseurent que de cette somme on a envoyé 200 mille livres au marquis de la Force et qu'il est attendu avec quantité de trouppes, mais il y a si longtemps qu'on en parle de cette façon qu'il y a apparence qui [qu'il] ne tiendra qu'à la Cour de le desunir d'avec nous.

On a deslivré 80 commissions pour une levé de 4 mille fantassins et 500 chevaux, et à mesme temps Mme la Prncesse a faict distribuer l'argent qu'il faloit pour cest effect; ce que le Parlement a aprouvé fort volontiers, s'agissant de sa deffense propre et de celle de la ville, dont les principaux bourgeois sont bien unis avec luy et mesmes avec le party des princes, tant qu'il ne se parlera point d'appeller les Espagnolz ny de forcer la liberté des suffrages du Parlement, qui veut demeurer le maistre. Cette nouvelle levée ce [se] fait en toutte diligence, et l'on asseure que les trouppes du duc de Bouillon sont à present de 4000 fantassins et 1200 chevaux, dont il y en a partie dans l'Isle St George, partie à la Bastide, et le reste dans le faubourg de cette ville.

MM. du Parlement se sont assemblés 3 ou 4 fois pour desliberer sur la lettre du Roy sans pouvoir rien resoudre, cette affaire estant de grande importance à cause qu'il s'agissoit de la reception de Leurs M. et de toutte la Cour, à quoy ny les espritz du Parlement ny ceux de la Ville ne sont en aucune façon disposés, à moings que M. le Cardinal n'y vienne point. C'est le pretexte, parce que tout le monde est persuadé que c'est luy seul qui maintient M. d'Espernon et qui luy a envoyé les ordres de ruyner toutte la province; et pour cette raison chacung dit hautement qu'il ayme mieux perir; mais enfin il feut hier arresté qu'avant que resoudre là dessus, on envoyeroit une lettre à M. le duc d'Orleans par laquelle, apres l'avoir remertié des bons sentimentz qu'il avoit eu pour le changement de M. d'Espernon et pour faire donner la paix à la Guyenne, on luy feroit cognoistre le subject qu'il a de se deffier de l'approche de M. le Cardinal, et on le supplieroit de faire en sorte qu'il n'entrat point dans la province. On escrit presentement cette lettre, qu'on va envoyer par un courrier extraordinaire:

De Bourdeaux le 21 juillet
Vous aures sceu le 18 du courant que Mme la Princesse presenta requeste au Parlement, par laquelle elle expose la persecution que M. le Cardinal faisoit à la Maison des princes; que MM. d'Espernon et de la Mesleray luy empeschant /262v/ sa subsistance, l'ung s'estant emparé de Coutras et de Fronsac, et l'autre du duché d'Albret, où ilz mettoint des impositions extraordinaires, à quoy elle demandoit qu'il pleut au Parlement de luy confiermer sa protection et sauvegarde dans la ville de Bourdeaux, de luy permettre sa legitime deffense, et de mettre pour cest effect des trouppes sur pied. Il y eut des grandes contestations sur la desliberation de cette requeste, mais enfin le plus fort advis feut d'assembler tous les Corps de Ville et d'y convoquer tous les principaux bourgeois pour sçavoir leurs sentimentz, à cause que toutte la ville voit un notable interest dans cette desliberation.

Ceste assemblée generale se fit hier dans l'Hostel de Ville et dura despuis 9 heures du matin jusques à 9 heures du soir, à cause des grandes contestations qu'il y eut à resoudre dessus la lettre du Roy, par laquelle Sa M. leur mandoit qu'elle venoit en cette ville pour y establir le repos et qu'ilz eussent à faire sortir Mme la Princesse, le duc d'Anguien, MM. de Bouillon et de Marcillac, et autres factieux, y feut longtemps examinée; et enfin plusieurs ayant soubtenu avec opiniastreté qu'elle ne pouvoit venir que de l'esprit du cardinal Mazarin, et qu'ainsy elle devoit estre suspecte puisque c'estoit le suport du duc d'Espernon et l'ennemy commung qui ne pouvoit venir qu'à mauvaise intention, que d'aillieurs on ne pouvoit obeir au contenu de cette lettre sans s'attirer un reproche eternel d'avoir abandonné les interestz d'ung prince du sang apres luy avoir donné protection, et qu'en la luy continuant nous pouvions esperer de l'avoir tousjours pour nostre protecteur et d'obtenir ce que nous demandions à la Cour. Enfin toutes ses [ces] raisons amplement desduittes, il passa tout d'une voix que la ville s'armeroit contre les oppressions du cardinal Mazarin comme protecteur du duc d'Espernon, le tout soubz le bon plaisir du Roy et pour son service; et ce matin les juratz et les commissaires du Parlement qui ont assisté à cette assemblée doivent rapporter au Parlement le resultat de cette desliberation, apres laquelle vous pouves juger où cela peut aller. Cepandant les levées se continuent sur les commissions deslivrées par Mme la Princesse, laquelle n'a receu que 100 mille escus des Espagnolz en deux fois; mais on asseure qu'elle a receu d'autre argent qu'on luy a envoyé des terres de M. le Prince, et q'ung courrier d'Espagne arrivé ce matin luy porte nouvelle q'il y a un vaisseau en mer qui en apporte d'avantage.

/263/ Poictiers le 24 juillet

La Cour arriva avant hier icy et partit hier pour poursuivre son voyage, n'ayant pas jugé à propos de sejourner icy à cause de la resoluton des Bourdelois. On a fait sortir de Blaye 24 pieces de canon, qu'on faict conduire vers Libourne dans l'armée du mareschal de la Mesleray, laquelle est de 7 à 8000 hommes.

Le comte d'Oignon continue à faire fortiffier la place de Brouage en diligence, y faisant travailler tous les jours 1500 hommes, dont la Cour s'estonne fort à cause qu'il n'en a point receu ordre.

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