Panat in postcardThe Ranums'

Panat Times

Volume 1, redone Dec. 2014

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/104/ De Paris le 2 julliet 1652

Leurs M. estant arrivés, le 28 du passé, à St Denys avec le cardinal Mazarin, y logerent dans l’abbaye, et y sont encores avec toutte la Cour, s’estant aprochés jusques là sur la division qui est dans les espritz des Parisiens, pour tascher de faire pancher la balance du costé de ceux qui demandent la paix sans condition, lesquelz sont, la pluspart, des pauvres artisans qui ont grand peyne de vivre dans une conjoncture si malheureuse, et sont en partie gagé pour faire les cris dans touttes les assemblées qui ce [se] font. Quant aux bons bourgeois, il y en a peu qui ne veulent l’exclusion du cardinal Mazarin, mais la Cour travaille fort à gaigner les 6 corps des marchandz, dont ceux qui le sont desja, publient qu’il vaut mieux avoir la paix avec le Mazarin, que de demeurer d’avantage en guerre, quoy que les plus sensés advouent qu’il est fort difficile de demeurer en paix, tant que le Mazarin demeurera. Cette division tient encor les affaires en balance, et l’esperance que le cardinal Mazarin a eut, d’y trouver ses avantages, l’a obligé à faire rompre la negotiation qui ce [se] faisoit pour la paix, ayant seulement amusé S.A.R. et M. le Prince par des beaux semblantz de la vouloir faire, en attendant la jonction du mareschal de Seneterre, qui a grossy l’armée de la Cour, jusques à 20 mille hommes en tout. Il est vray que le bruit est fort grand que M. le Prince, estant menacé de veoir le cardinal de Retz dans le ministere, s’estoit disposé à consentir que le cardinal Mazarin se retirat à Sedan, pour 3 mois seulement, et qu’il revient apres, aymant mieux qu’il demeurat dans le ministere, que d’y veoir son plus grand ennemy; mais que M. le Prince a tousjours declairé à S.A.R. qu’il ne feroit rien contre sa volonté, et qu’il n’y s’y estoit disposé qu’en cas qu’elle s’y voulut resoudre. Aussytost qu’elle luy a declairé qu’elle aymoit mieux perir que de souffrir jamais de Mazarin, il est rentré dans tous ses sentiments, comme il est dans ses interestz, ne voulant pas se desunir d’avec elle. Cepandant, les Espagnolz ayant sceu la grande disposition qu’il y avoit à faire la paix, ont levé le blocus de Duncherque, et assemblent touttes les troupes qu’ilz ont en Flandres, pour les envoyer au secours de MM. les princes, dont le comte de Fuelsendagne les a envoyé advertir, par un courrier expres qui arriva hier icy; lequel asseura que ce comte doit, pour cest effect, passer demain la Somme, avec 10 mille chevaux; et en mesme temps, le duc de Lorraine a mandé à S.A.R. qu’il estoit prest de revenir pour son service, mais qu’il ne vouloit point avoir à faire du tout à M. le Prince, duquel il se plaint de ne luy avoir pas tenu parolle, n’ayant pas voulu mettre Clermont en despost, entre les mains de S.A.R.; laquelle n’a pas tesmoigné faire beaucoup d’estat de cette proposition, d’autant plus que les ostages de ce duc sont encores à la Cour, et ceux de la Cour aupres de luy. Il estoit encor, le 28 du passé, vers Ste Menehoud en Champagne, où le comte de Quinçay, l’ung des ostages de la Cour, a fort harangué les habitans, pour les obliger à recevoir pour gouverneur le sieur de Ste Maure, au lieu du marquis de la Force, qui est dans les interestz de MM. les princes; mais il n’y a encor rien gaigné.

/104v/ Pour revenir à l’attachement qu’on dit que M. le Prince a eu des Espagnolz, il est vray qu’il leur a promis de ne faire point de paix sans eux. Ce n’a esté qu’à condition qu’ilz luy tiendrent ce qui [qu’ilz] luy ont promis, et parce qui [qu’ilz] n’ont pas d’argent à luy fournir, et qu’ilz ont autant de peyne que nous d’en trouver, ilz ont pris resolution d’abandonner les conquestes qu’ilz pouroint esperer en Flandres, pour venir fortiffier le party des princes, lors qui [qu’ilz] les ont veu pressés de faire un accommodement. Cepandant, les deputtés du Parlement estant revenus de la maison de president de Nesmond à Charanton, feurent demander leur audiance à la Cour le 29, et on la leur promit le premier de ce mois; et parce que, dans ce posté, ilz s’estoint tropt esloignés de St Denys, ilz allerent loger le 30 à Argenteuil, et estant venus hier à la Cour, eurent leur audiance, dans laquelle le president de Nesmond ayant desduit ce qui c’estoit [s’estoit] passé par l’arrest du 25, on leur dit que le Roy leur donneroit sa response aujourd’huy. C’est encor un jour de gaigné. On dit qu’elle contiendra que la Cour esloignera le cardinal Mazarin par un employ honneste, lors que MM. les princes auroint satisfait aux seurtés que le Roy leur demande par la premiere response.

MM. de l’Hostel de Ville s’estant assemblés, dès le 28 du passé, à la priere du Parlement, pour aviser aux moyens d’empescher les desordres qui arrivoint au Palais pendant les assemblées, ordonnerent que toutte la colonnelle de l’isle du Palais s’y posteroit en armes, les jours d’assemblées, avec une compagnie de chacung des autres quartiers; sur quoy, hier, le Parlement s’estant assemblé, et le peuple n’ayant pas laissé de s’y ramasser en grand nombre, les ungs criant "Point de Mazarin," les autres "La paix sans condition," il feut arresté que MM. de l’Hostel de Ville seroint conviés de faire, sur ce subject, une assemblée plus nombreuse que celle qui ce [se] fit nagueres, lors qu’on resolut avec elle, et touttes les compagnies souveraines, de deputter au Roy pour demander l’exclusion du cardinal Mazarin, sans esperance de retour; et que cepandant, le Parlement surseoroit ses assemblées, jusques à ce qu’on eut pourvue sufisanment à sa seurté. Sur cela, MM. de la Ville resoleurent hier, de faire jeudy prochain cette assemblée generalle, et d’y admettre 12 notables bourgeois de chasque quarter, qui seront choisis parmy 30 autres, que le mesme quartier fera assembler aujourd’huy pour ce subject, avec d’autres deputtés de chasque corps. Dans cette assemblée de Ville, feurent leues 3 lettres presque de mesme substance: la premiere du Roy au mareschal de l’Hospital; la seconde aussy de Sa M. au Prevost des Marchandz, portant qu’elle avoit sceu les pernitieux desseings des rebelles, qui vouloint faire entrer dans Paris des troupes, qu’elle esperoit qu’il tiendroit la main avec les bons bourgeois, pour l’empescher, et qu’elle se preparoit à les charger, pour venir en seurté icy, et donner la paix; la 3e estoit de M. Le Tellier à ces messieurs, sur le mesme suject, et ne contenoit q’une longue suitte de raisons, pour les persuader à faire ce que Sa M. desiroit d’eux. La resolution qu’ilz avoint à prendre là dessus, feut remise à la grande assemblée de Ville qui ce [se] tiendra jeudy prochain.

/105/ Avant hier, le marquis de Renel, qui est guery de la blessure qu’il avoit receue au siege d’Estampes, ayant escorté avec 100 chevaux une 20e de charrettes jusques à Paris, dont il y en avoit 7 chargées de pain, et 8 chargées de marchandises qui venoint de Normandie, et le reste vuides, l’on remarqua qu’estant arrivées au corps de garde du faubourg St Denys, où estoit en garde le president Lamoignon, colonnel de ce quartier là, y fit une harangue pour laquelle il remonstra que le Roy luy avoit commandé d’asseurer MM. de Paris qu’il avoit des grandes tendresses pour eux, et grand desir de leur donner la paix, et de revenir à Paris, mais que Sa M. souhaittoit qu’ilz luy aydassent, en luy envoyant une deputation nombreuse pour l’en supplier, sans aucune condition.

Il y a nouvelle d’Alsace que Mme la comtesse d’Harcourt avoit receu ordre de faire marcher promptement touttes ses troupes en Provence, afin de s’opposer aux desseings du duc d’Angoulesme, qu’on asseure y avoir porté beaucoup d’argent, pour y faire un puissant party contre le duc de Mercoeur; et que M. de Marchin l’y suivoit, avec celles de M. le Prince, pour y fortiffier M. d’Angoulesme.

Hier, au matin, le cardinal de Retz feut mandé de la part du Roy, pour aller à St Denys, recevoir le bonnet de cardinal des mains de Sa M., suivant la coustume, dont il s’excusa, disant qu’il estoit indisposé; mais on croit que ce feut plustost par crainte de n’en revenir pas en seurté, que par indisposition effective. On asseure que le gentilhomme qui luy apporta cest ordre, luy adjousta que le Roy avoit des affaires importantes à luy communiquer, mais tout cela ne feut pas capable de le persuader d’y aller.

Le mareschal de Senneterre passa la Seine, le 29, à Corbeil, avec ses troupes seulement, qui vont à 2 mille hommes, afin de se poster d’ung costé de cette riviere, pendant que le mareschal de Turenne s’avanceoit de l’autre costé, pour attaquer l’armée de MM. les princes; et pour cest effect, celuy cy ayant laissé piller toutte la valée de Montmorency, et fait avancer son armée aux environs de St Denys, la reveue en feut faitte le mesme jour, en presence du Roy. Aussytost, MM. les princes resoleurent de fortiffier les postes de Mont Valerien et de Surenne [Suresnes], et d’y mettre l’infanterie de S.A.R., mais parce qu’il auroit falut tropt de monde pour les garder, et qu’ilz n’avoint pas asses d’outilz prestz, pour faire travailler promptement, ilz resoluerent hier, apres l’arrivée du courrier d’Espagne, de decamper de St Cloud, et de s’aller poster à Charanton et à Vincennes, afin de pouvoir se joindre à eux. Pour cest effect, M. le Prince estant allé hier à St Cloud, avec MM. de Beaufort et de Nemours, le prince de Tarante, et autres chefs, en fit partir son armée sur le soir, forte de 4 mille fantassins et 200 chevaux effectifs, et la fit venir par le Bois de Boulougne; et elle a passé, toutte la nuit, le long des murailles /105v/ de Paris, par les fauxbourgs de Montmartre, St Denys, et St Anthoine, avec tout le canon et bagage qu’on avoit mis à l’avant garde; et le comte de Tavanes, ayant fait rompre le pont de St Cloud, pour faire remonter le pont de batteaux qu’il avoit, qui est le mesme qui a servy au duc de Lorraine, afin de la remettr[e] aupres de Charanton, en est party ce matin, au point du jour; et estant arrivés vers le faubourg St Denys, le mareschal de Turenne y est survenu dès 7 heures du matin; et ayant donné sur l’arriere garde de M. le Prince, le combat a continué jusques à 5 heures du soir, avec grand carnage de part et d’autre. L’on ne sçait pas encor les particularités, ny le nombre des mortz, mais il demeure pour constant qu’il est beaucoup plus grand du costé de la Cour que du costé des princes, qui ont gaigné 14 drapeaux, et n’en ont perdu que 3 et 5 charrettes de bagages, avec quelques chevaux. Ilz y ont perdu, neamoings, des braves gens, entre autres les marquis de Coigné et de Flammarins, le comte de Bossu, et le colonnel Sested, qui ont esté tués. M. le Prince y a fait merveilles. M. de Nemours y a esté blessé à la main, le baron de Clinchamp au bras, M. de Valon au costé, mais legerement, M. de la Rochefoucaut au visage, dont on croit qu’il perdra un oeil, M. de Guitaud sur les reins, le marquis de Jersé au bras, etc. Il est sorty quantité de bourgeois au secours de ceux cy; et parce qu’ilz estoint sans chefs, il se sont mis dans les compagnies d’infanterie, où ilz ont combattu comme les autres soldatz. S.A.R. est allé à la porte St Anthoine, donner les ordres, et a fait tirer le canon de la Bastille sur l’armée de la Cour. Elle avoit donné commission à M. du Coudray Montpensier, d’y conduire 2000 bourgeois choisis, mais ilz n’ont pas esté assez tost prestz. Le Roy estoit venu dans son armée, jusques à Charonne, d’où il a envoyé une lettre de cachet à MM. de l’Hostel de Ville, par laquelle Sa M. leur deffendoit de recevoir ny troupes ny chevaux ny bagages des rebelles; mais Mademoiselle ayant esté, ce matin à 10 heures, dans leur assemblée, et leur ayant porté une autre lettre de S.A.R. sur ce suject, elle les a si bien persuadés, qu’ilz ont resolut de laisser passer l’armée dans Paris, avec tout le bagage; comme elle a fait despuis 6 heures du soir jusques à 9, à la reserve d’une partie d’infanterie, parce que l’armée de la Cour s’estant posté au delà du faubourg St Anthoine, l’empeschoit de poursuivre sa marche vers Charanton et le Bois de Vincennes.

/106/ De Paris le 5 julliet 1652

Le mareschal de Turenne ayant attaqué l’arriere garde de M. le Prince le 2, à 7 heures du matin, la poursuivit dans le faubourg St Anthoine, où le combat continua jusques à 7 heures du soir, avec grande opiniastreté de part et d’autre. M. le Prince se fit admirer dans cette occasion, et fit avouer à tout le monde que jamais general d’armée n’a fait une si belle action, ny si bien conduitte. Tous les autres chefs et volontaires qui estoint pres de luy, y payerent si bien de leurs personne, à son exemple, qu’il en demeura 7 ou 8 des plus qualiffiés sur la place, entre autres les marquis de la Rocheffard [la Roche Giffard], et de Coigné et de Flammarins, le comte de Castres et le colonel Sested. M. le Prince y eut un cheval tué soubz luy, et M. le prince de Tarante aussy un autre, d’ung coup de canon à costé de M. le Prince, et y receut une mousquetade dans son chapeau, d’où il ne fut point blessé. M. de Nemours y feut blessé d’ung coup de pistollet à la main, et eut une contusion sur l’espaule; M. de la Rochefoucaut d’ung coup de mousquet au visage; le baron de Clinchamp d’ung coup de pistolet au bras, sans danger neamoings; M. de Valon au corps legerement; le marquis de Jersé au bras; et M. de Guitaud sur les reins. Ilz y perdirent, avec cela, 4 à 500 soldatz, et le mareschal de Turenne n’y en perdit qu’environ 200, quoy qu’on mande, de la Cour mesme, qu’il y en avoit perdu 2 mille. Pendant le combat, Mademoiselle alla, sur les xi du matin, à l’Hostel de Ville; et entré dans l’assemblée, où elle porta une lettre à S.A.R., qui prioit MM. de Ville d’envoyer promptement ordre à tous les cappitaines des compagnies bourgeoises, de choisir dans chacune un certain nombre de soldatz, pour aller fortiffier son armée; à quoy ces messieurs ayant fait d’abord difficulté de consentir, cette princesse leur remonstra que s’agissant de la cause commune, et que M. le Prince estant en peyne avec MM. de Beaufort et de Nemours, et tant d’autres personnes de coeur et de condition, pour l’interest de la Ville, l’on ne leur devoit pas refuser un secours pour les desgager, et que c’estoit une ingratitude sans exemple. Cette remonstrance ne faisant point d’effect sur les espritz du mareschal de l’Hospital et du Prevost des Marchandz; et Mademoiselle, voyant qu’elle ne pouvoit rien gaigner sur eux par les voyes de la douceur, elle se servit ce celle de la rigueur, et leur menacea d’y faire marcher, sans leur ordre, le peuple qui estoit ramassé devant cest hostel, et leur declaira qu’elle ne respondoit pas à la seurté de leur personnes, apres que le peuple seroit imbu de la nouvelle de ce refus; ce qui les obligea à luy accorder non seulement cette demande, mais encor le passage de toutte l’armée de MM. les princes dans Paris, nonobstant la lettre de cachet qu’ilz venoint de recevoir du Roy, qui leur deffendoit de ne recevoir ny troupes ny chevaux ny bagages des rebelles. Aussytost, 2000 bourgeois choisis sortirent, et s’allerent mettre dans les regimentz, regles dispersés, en certain nombre dans chasque /106v/ compagnie, où ilz combatirent fort bien, pendant que M. le Prince donna ordre à la retraitte; laquelle il disposa aussytost qu’il en receut ordre de S.A.R., qui s’en alla pour cest effect à la porte St Anthoine, pour faire entrer l’armée dans Paris, parce que le plus grand nombre des troupes de la Cour auroit peu enfin gaigner l’avantage avec M. de Beaufort, afin de tenir la main à faire entrer l’armée dans la ville, en cas de difficulté; mais il n’y s’y rencontra point, quoy qu’aussytost apres que le regiment d’infanterie de la Languedoch et de S.A.R. feurent entrés, touttes les troupes auxiliaires passerent, sans aucung tesmoignage de resistance, au travers de Paris, le long de la rue St Anthoine, jusques au bout du Pont Nostre Dame, et de là sur le Pont Neuf par le quay de la Megisserie, et ayant passé par la porte Daufine et derriere l’hostel de Condé, s’allerent poster au dela du faubourg St Marcel, sur une eminence qui est entre ce faubourg et le village de Gentilly, où elles sont encor, avec toutte l’armée. Cette retraitte commencea vers les 3 heures apres midy, en tres bon ordre. M. le prince de Tarante y fit celle de l’arriere garde, avec une conduitte merveilleuse. Il demeura 4 heures devant les ennemis, à la portée de mousquet, ayant fort bien couvert la marche de l’avant garde et de la bataille; et ayant recognu qu’on la vouloit couper par une petite rue du faubourg St Anthoine, il alla droit à ceux qui l’entreprenoint, et les chargea si bien qu’il en demeura plus de 60 sur la place. Enfin, il entra le dernier, avec 30 chevaux, dans la ville, vers les 8 heures du soir, en tres bon ordre. Mademoiselle ayant voulu veoir passer l’armée dans la rue St Anthoine, y distribua 4 à 500 pistolles aux blessés, et M. de Chavigny en fit de mesmes à son exemple. Elle leur fit aussy defoncer quelques tonneaux de vin, et ensuitte entra dans la Bastille, où elle obligea le sieur de la Louviere, qui en est gouverneur, à faire tirer le canon sur l’armée du mareschal de Turenne, à quoy M. de Broussel, son pere, le fit aussy resoudre, avec asses de peyne neamoings. Ainsy, la prudence de S.A.R., et le credit de Mademoiselle, et la valeur de M. le Prince mirent, par ce coup d’Estat, les affaires du cardinal Mazarin en plus mauvaises postures qu’elles n’ont esté jusques icy. La Cour y perdit, entre autres personnes de condition, les marquis de St Maigrin et de Nantouillet, qui feurent tués; le petit Manciny y feut blessé dangereusement d’ung coup de mousquet dans la cuisse, le vicomte de Mepas au genouil, le comte d’Estrées au bras; M. le Grand Maistre de l’artillerie et M. de Villequier y eurent chascung un cheval tué soubz eux. MM. d’Esclinvillier, mareschal de camp, et Boyer, cappitaine aux gardes, y feurent faits prisonniers. MM. les princes y gaignerent 13 drapeaux, et en perdirent 3 des leurs, et 5 charrettes de bagage, /107/ avec quelques chevaux. Le Roy estoit venu dans son armée jusques à Charonne, une lieue de la porte St Anthoine, où l’on remarqua qu’il feut tres sensiblement tousché, lors qu’il aprit la mort de M. de St Maigrin, dont il visitta hier la vefve, pour la consoler; et que le cardinal Mazarin se fascha fort contre celuy qui avoit apporté cette nouvelle à Sa M. Il se plaignit fort contre les officiers du regiment des gardes, de n’avoir pas bien fait leur devoir dans cette occasion; mais ceux cy ne feignirent point de dire qu’ilz ne s’estoint que tropt exposés au peril de faire vaquer leurs charges, desquelles il auroit esté bien ayse d’en profitter; neamoings, les 10 compagnies des gardes qui [qui y] estoint, y feurent fort maltraittés, et le regiment de la marine y feut presque tout defait. Despuis, M. de Turenne tient ses troupes à Espinay [Epinay], La Chevrette, et aux environs de St Denys, où la Cour est encor. Les marques qui distinguerent les deux armées estoint du papier à celle de la Cour, et de la paille à celles de MM. les princes.

Les advis de Guyenne portent que le comte d’Harcourt a assiegé Villeneufve d’Agenois, et que le comte de Lislebonne, son nepeu et son lieutenant general, y a esté tué; que l’assemblée de l’Ormée de Bourdeaux ayant recommencé, sur le retour du president Pichon et des conseillers qu’elle avoit chassé, avoit pillé la maison de ce president, et deux autres de 2 conseillers suspects, et qu’ensuitte s’estant emparés du poste du Chapeau Rouge et de l’Hostel de Ville, elle avoit rouler 2 pieces de canon dans les rues; en sorte que le Parlement n’y avoit plus d’authorité, et que mesmes ce peuple, pour trouver mieux sa seurté dans cette occasion, avoit resolut de deslivrer au comte d’Harcourt une des portes de la ville, et de l’y faire entrer; mais M. le prince de Conty estant arrivé à Bourdeaux le lendemain, y avoit un peu adoucy les espritz, et esperoit accommoder ce different.

Les deputtés du Parlement n’ont encor peu avoir leur response de la Cour.

Hier, l’assemblée generalle de l’Hostel de Ville ayant commencé à 2 heures apres midy, le peuple, qui s’y estoit ramassé en grande foule, obligea d’abord tout le monde, mesmes tous les deputtés, à prendre de la paille à leurs chapeaux, pour distinguer le party des princes d’avec l’autre; et ceux qui n’avoint point cette marque, n’estoint point en seurté, ce qui ce [se] continue encore. Une compagnie de bourgeois s’estant postée à la porte, outre tous les archers et gardes de M. de l’Hospital, il s’y passa plus d’une heure sans rien faire, en attendant S.A.R., qui feut longtemps à consulter si elle s’y trouveroit ou non, ayant preveu ce qui arriva; et enfin elle y alla, et trouva que le Procureur du roy de l’Hostel de Ville venoit d’opiner le premier, et qu’ayant conclut à demander le retour du Roy, sans parler d’autres chose, il disputtoit encor sur ce suject avec le president Charretton, qui le vouloit obliger à parler du cardinal Mazarin. S.A.R. et MM. les princes y ayant exhorté l’assemblée à s’unir contre cest ennemy commung, un trompette habillé des couleurs du Roy, et qui ne feut recogneu que pour /107v/ n’estre q’ung palefrenier du mareschal de l’Hospital, entra avec une lettre de cachet qu’on dit avoir esté faitte par ce mareschal, par laquelle le Roy demandoit que l’assemblée surcit sa desliberation pour 8 jours; et aussytost la plus forte voix feut de la surceoir, et pria S.A.R. d’y consentir; ce qu’elle ne voulut faire, et sortit aussytost. Estant au bas, le peuple luy demanda si on n’avoit prit quelque bonne resolution. Elle fit response d’un ton qui fit cognoistre qu’elle estoit fort malsatisfaitte du proceddé de l’assemblée. Aussytost, ce peuple luy ayant demandé ce qu’elle desiroit qu’il fit, elle respondit, en s’en allant, "Faittes ce que vous voudres." En mesme temps, la pluspart du peuple ayant mis l’espée à la main, la compagnie bourgeoise qui estoit sur la porte de l’Hostel de Ville, se retira; et s’estant meslé parmy ce peuple, l’on ferma les portes, contres lesquelles, et les fenestres, l’on commencea à tirer quantité de mousquetades; et s’estant ensuitte aprochés de la porte, pour l’enfoncer, criant qu’il falloit qu’on leur livrat le mareschal de l’Hospital et le Prevost des Marchandz, ceux cy firent aussytost tirer sur ces peuples, par une grille qui est au milieu de la porte; ce qui les obligea d’aporter quantité de fagotz tout contre cette porte, et d’y mettre le feu; dont la fumée ne feut pas plus tost montée en haut, que l’assemblée fit arborer un estandart blanc aux fenestres; sur lequel, ces peuples ne laissant pas de tirer, et ne voulant pas entendre aucune raison, on feut obligé de se retirer. Un peu apres, les prestres de la paroisse St Jehan y vindrent en procession, avec le St Sacrement; mais tout cela ne les ayant point arresté, tous les deputtés de l’assemblée, ne voyant point de salut, s’exposerent à la fuitte. Le mareschal de l’Hospital jetta son cordon de l’Ordre dans une cave, pour n’estre pas recognu, et le Prevost des Marchandz sa robe. Ilz signerent d’abord tous l’union de la Ville avec MM. les princes, dans la melieure forme qui ce [se] pouvoit faire; et apres en avoir fait des copies, l’envoyerent à S.A.R., et jetterent les copies par les fenestres au peuple, qui ne les voulut pas ramasser, ny en faire aucune consideration. M. de Beaufort n’y peut apporter remede, et il y eut des honnestes gens tués, entre autres M. de Gendry, M. Miron, M. Yon; M. Le Gras y feut blessé; et outre la porte de Ville, on brusla quantité de drogues q’ung espicier voisin avoit dans la cave de cest hostel. L’on y enfoncea environ 200 tonneaux de vin, qui feut tout beu. S.A.R. y ayant envoyé Mademoiselle, sur les x heures du soir, mais les espritz estoint si desraisonnables qu’elle ne peut aborder, et feut contrainte de s’en retourner; dont ayant rendu conte à S.A.R., elle y retourna, menant avec elle un trompete et quelques gardes de S.A.R.; et entra dans cest hostel, où elle trouva que la pluspart des deputtés s’estoint sauvés, /108/ mais le mareschal de l’Hospital et le Prevost de Marchandz s’estoint enfermés, chascung dans une chambre, pour s’y deffendre. Mademoiselle ayant demandé à leur parler, ce mareschal le refusa, ne pouvant plus se fier à personne. Le Prevost des Marchandz luy dit qui [qu’il] voyoit bien qu’il n’y avoit plus de seurté pour luy, qu’elle estoit venue là pour tascher de luy sauver la vie, mais qu’il ne pouvoit pas esperer ny de pouvoir faire d’avantage la fonction de sa charge, ny mesmes paroistre dans Paris, et qu’il falloit qu’il se retirat; à quoy il adjousta qu’il estoit bien obligé à la bonté de Son A. Sur cela, elle le fit sortir par une porte de derriere, et [il] est sorty ce matin de Paris, apres avoir envoyé à S.A.R. la demission de sa charge de prevost des marchandz. Elle promit au peuple de luy faire donner un gouverneur et un prevost des marchandz qui ne luy seroint pas suspectz; et parce qu’on luy demandoit M. de Beaufort pour gouverneur, et M. de Broussel pour prevost des marchandz, elle feut obligée de les leur promettre aussy; en suitte de quoy, s’en estant allé, le mareschal de l’Hospital est sorty de cest hostel, desguisé, vers les 4 heures du matin, par la mesme porte de derriere, et puis de la ville, estant allé droit à St Denys.

Le Parlement se doit assembler demain là dessus.

/110/ De Paris le 9 julliet 1652

La semaine passée, M. de Longueville envoya 100 mille escus à la Cour, où il n’y avoit plus rien dans les coffres du Roy, en quoy il fit beaucoup plus de tort au party de MM. les princes, que s’il se feut declairé contre eux.

Le 6 du courant, on mit en prison, dans la Conciergerie du Palais, deux des principaux seditieux qui avoint tué M. de Janvry et autres, à l’assemblée de Ville tenue le 4.

L’apresdisnée du mesme jour, l’assemblée de Ville s’estant tenue pour l’eslection d’un nouveau prevost des marchandz, M. Broussel feut esleu tout d’une voix, tous les deputtés ayant recognu, avec S.A.R., de qui la pluspart avoit pris langue auparavant sur ce suject, que l’on ne pouvoit faire un melieur choix pour restablir la confiance dans les espritz du peuple, et oster les pretextes de desordre; et une partie ayant esté visittée pour ce subject par M. le Prince, ensuitte de cette eslection, les eschevins accompagnerent M. de Broussel dans un carrosse de S.A.R. au palais d’Orleans, où il presta le serment entre les mains de Sadite A., comme representant le Roy. Il feut aussy ordonné, dans cette assemblée, que M. Le Fevre, antien prevost des marchandz, sortiroit de Paris, comme il fit dès le lendemain.

Le mareschal de l’Hospital ne sortit de Paris que le 7 au matin, dans un carrosse de S.A.R., avec un passeport, et une escorte de quelques gardes de Sadite A. Mme de Chevreuse prit cette occasion pour sortir aussy. M. le cardinal de Retz n’est point sorty, mais il ne paroit point du tout. Les lieutenantz civil et criminel sortirent le mesme jour.

Tous les presidentz au mortier, excepté M. de Bellievre, qui est indisposé despuis longtemps, sont sortis despuis le 8, et quelques conseillers les ont suivis. On asseure que la Cour en fait sortir le plus qu’elle peut, pour en faire un autre parlement qui puisse contercarrer celuy cy. Cependant, les deputtés sont encor retenus à St Denys, où on leur promet tous les jours leur response, et jamais on ne la leur donne. Le president de Nesmond en eut quelques parolles, le 7, avec le Garde des Sceaux, qui luy representoit qu’il ne falloit point violenter les volontés du Roy, particulierement dans une conjoncture si facheuse; et parce qu’ilz luy avoint declairé qu’ilz ne pouvoint plus attendre, et qu’ilz prenoint congé, pour s’en revenir. M. Le Tellier les feut visitter de la part du Roy, pour les adoucir; et despuis, on les retient autant de force que de gré.

Le mesme jour, le comte de Ligneville et le baron d’Agecourt, ostages du duc de Lorraine, partirent de la Cour, pour s’en retourner avec le sieur Rolin, secretaire de ce duc, qui estoit venu les desgager. Le comte de Quinçay et M. de Vaubecourt sont aussy desgagés d’aupres de luy; et despuis, on luy a envoyé 2 courriers, pour luy faire des nouvelles propositions.

Le mesme jour, 6, le general Rose arriva à Charanton, avec 400 chevaux qu’il a amené d’Alsace, et 1200 autres, tant chevaux que fantassins, que le marquis d’Uxelles a conduit de Bourgoigne, joint avec luy. Ces 1600 hommes sont encor postés à Charanton; et aussytost que S.A.R. eut advis qu’il y estoint, elle fit mettre un bon corps de garde /110v/ de son armée dans le fauxbourg St Victor de cette ville, et plus haut, pour prendre garde s’ilz voudroint entreprendre de mettre un pont de batteaux sur la Seine, et pour empescher les autres troupes, tant d’une part que d’autre, qui sont encor dans les mesmes postes, la riviere entre deux, sans rien entreprendre que leurs pilleries ordinaires. Celles de MM. les princes en font beaucoup moings que celles de la Cour, principallement à l’esgard des bledz, S.A.R. leur ayant reiteré les deffences, sur peyne de la vie, de touscher aux bledz, qui sont sur la terre à cause qu’elle avoint fauché et battu beaucoup de seigle, qu’ilz vendoint dans leur camp. M. le Prince fait souvent passer des partis de cavalerie, la nuict, dans Paris, pour aller surprendre ceux de la Cour. Il y en envoya un, la nuit du 6 au 7, qui prit les muletz de la Reyne au Bourget, à une lieue d’icy, et les mena dans Paris

Outre la poste de Charanton, le mareschal de Turenne s’est saisy des autres qui sont sur la Marne, ayant envoyé 1200 hommes pour garder celuy de Lagny.

Les advis de Bourdeaux confierment la mort du comte de Lislebonne, et adjoustent que le colonnel Baltazard ayant fait entrer 600 hommes dans Villeneufve d’Agenois, le comte d’Harcourt a esté obligé d’enlever le siege; et que M. le prince de Conty avoit derechef accommodé le different d’entre l’assemblée de l’Ormée et le Parlement, en sorte que le president Pichon et 4 conseillers qui avoint esté chassés et estoint revenus, s’estant de nouveau retirés comme de leur mouvement, le desordre a cessé, à la persuasion du marquis de Lusignan, qui en est le Beaufort de Bourdeaux, et qu’on accuse d’avoir adroittement suscitté cette derniere rumeur, pour chasser les personnes qui luy estoint suspectes, et à ce prince aussy.

Le 7, au matin, un canonier de M. le Prince ayant voulu essayer un mortier dans l’hostel de Condé, le chargea d’une grosse grenade; et l’ayant tiré, la grenade tomba dans le milieu de la nef des Cordeliers, où elle mit l’allarme, qui ce [se] respandit dans tout le quartier; mais elle ne fit aucung mal à personne, n’ayant point crevé, à cause qu’il n’y avoit que du sable dedans.

Hier, au matin, le Parlement s’assembla, et S.A.R. s’y trouva avec M. le Prince et M. de Beaufort. Il y eut environ 85 conseillers seulement, sans aucung president au mortier. Il s’y parla de plusieurs choses, touchant l’estat present des affaires, sur lesquelles on deslibera; et il y feut arresté que les deputtés qui sont encor en Cour, en revindroint dans 2 jours, sans attendre d’avantage leur response; deffenses à tous presidens et conseillers de s’emparer; qu’on establiroit une chambre de police, pour travailler aux choses necessaires pour establir un bon ordre dans Paris; qu’on feroit promptement des moulins publicz, qui demeureroint en propre, apres la paix, à ceux qui les auront fait faire; et que 2 commissaires, qui feurent nommés, travailleroint à faire le proces aux 2 seditieux qui sont en prison dans la Conciergerie.

Le cardinal Mazarin a fait donner au petit Mancini, son neveu, qui guerira de sa blessure, la charge de cappitaine lieutenant des chevaux legers du roy, qui a vacqué par la mort du marquis de St Maigrin, dont la vefve et sa soeur ont fait des grandes /111/ plainctes à Leurs M., et des grandz reproches à ce cardinal, d’avoir eu tant d’ingratitude pour la memoire d’un homme qui s’estoit si librement sacrifié pour luy, dans une cause si injuste; à quoy il ne leur a sceu faire autre response, sinon que le Roy l’avoit ainsy voulu, et s’estoit chargé de les recompenser; mais peu apres, un petit remord de conscience l’a porté à faire offrir une assignation de 100 mille livres à cette veufve affligée, au lieu de 459 milles livres que la charge avoit coustée au deffunct; ce qu’elle a refusé, apres luy avoir redoublé ses reproches. Cette ingratitude a tellement tousché toutte la noblesse qui suit la Cour, que ce cardinal n’y a presque plus d’amis, et l’on y crie plus hautement que jamais contre luy. Le comte d’Olonne, cornette de la mesme compagnie, avoit demandé la charge, et offert de payer entierement le pris qu’elle avoit cousté au deffunct; mais ce cardinal la luy ayant refusé, il luy dit hier des injures si hautes qu’on luy fit, peu apres, commandement de la part du Roy de se retirer de la Cour, et l’ordre luy en a esté porté par M. de Plessis Guenegaud. Il en partit aussytost, et s’en vient icy.

Un courrier arrivé hier, icy, à 10 heures du soir, porta nouvelles à S.A.R. que le comte de Fuelsendaigne estoit arrivé hier, au matin, à Beauvais, avec l’avant garde de son armée, qui est de 500 chevaux, et y attendoit le reste, qui [qu’il] juroit se monter à 7 mille chevaux, et 9 à 10 mille fantassins effectifz. Le mareschal de Turenne a detaché la moitié de son armée, pour luy aller disputter le passage, et MM. les gouverneurs des places de Picardie ont assemblé quelques paysans avec M. d’Elbeuf, pour s’y opposer aussy.

La nouvelle de l’aproche des Espagnolz a esté confiermé ce matin, par l’arrivée d’un autre courrier, qui en dit la mesme chose; et l’on a eu advis de la Cour qu’elle se disposoit à partir demain de St Denys, pour s’aller poster vers la riviere d’Oise; qu’elle estoit dans des conseils perpetuelz; et qu’elle avoit promis de donner aujourd’huy la response aux depputtés du Parlement.

M. de Broussel s’est trouvé, cette apresdisnée, au palais d’Orleans, avec MM. de la Ville, pour travailler aux ordres de la police, et changer les colonnelz et cappitaines suspectz; mais on n’a rien desliberé sur ce point. On a seulement arresté qu’on feroit travailler à quelques fortiffications autour de Paris, et l’on a parlé de quelques moyens de trouver de l’argent, qui seront proposés à la premiere assemblée du Parlement.

Le mareschal de l’Hospital a esté arresté ce matin, dans la maison de Besne, proche de St Germain en Laye, où il s’estoit retiré, par un exempt des gardes du corps du roy, qui le garde dans cette mesme maison. On dit que le suject de cette disgrace est pour avoir consenty que les troupes de MM. les princes soient passées dans Paris, quoy qu’il ne l’eut peu jamais empescher, et pour n’avoir pas fait arrester Mademoiselle dans l’Hostel de Ville, lors qu’elle y alla, pour l’y faire consentir de force.

M. le duc Damville a escrit ce matin à S.A.R. que le Roy luy avoit commandé de la venir trouver, pour luy faire quelques propositions, la priant, pour cest effect, de luy envoyer un passeport; et la reine d’Angleterre luy en a envoyé demander pour elle, voulant venir pour le mesme suject.

/112/ De Paris le 12 julliet 1652

Les presidens de Novion et Le Coigneux, estant sortis de Paris sur la fin de la semaine passée, allerent droit à la Cour; mais ilz y feurent fort mal receus, quoy qu’ilz eussent fait icy tout ce qu’ilz avoint peu, pour l’interest du cardinal Mazarin. Neamoings, on leur reprocha de n’y avoir pas fait leur devoir. M. le cardinal de Retz se tient clos et couvert, dans le cloistre Nostre Dame, où il a fait mettre des chaisnes, et s’y fait garder par 300 hommes.

Le bruit a fort couru que le mareschal de l’Hospital avoit esté arresté, par ordre du Roy, en sa maison de Besne, et que le suject de cette disgrace estoit pour avoir consenty que les troupes de MM. les princes passent dans Paris, quoy qu’il ne l’eut peut jamais empescher; mais il n’en est autre chose, sinon qu’il a esté mandé à la Cour, où il n’avoit point passé, en sortant de Paris, parce qu’effectivement on avoit ce mescontentement de luy. L’on a donné à M. Valot la charge de premier medecin du roy, qui a vacqué par la mort de M. Vauthier.

On escrit de St Denys que le sieur Rolin, secretaire du duc de Lorraine, y avoit declairé au cardinal Mazarin, devant son despart, que s’il n’achevoit son traitté avec luy dans 4 jours, il n’en falloit plus parler, et qu’il ne luy pouvoit donner que ce temps là; sur quoy on asseure que ce cardinal y fit signer le traitté par le Roy, et l’envoya à ce duc, s’estant reglé sur les premieres propositions, suivant lesquelles le Roy luy rend toutte la Lorraine presentement, à la reserve de la citadelle de Nancy, qui sera mise en despost entre les mains des Suisses, pour un an seulement; et apres rendue à ce duc, auquel on donne aussy Vich et Moyenvic en propre, et l’evesché de Toul en engagement pour 400 mille escus, qu’il baille au mareschal de Seneterre, pour le recompencer de ce gouvernement.

On avoit eu advis, par un courrier envoyé de Flandres, que 4000 chevaux de l’avant garde des Espagnolz, estoint arrivés, le mesme jour, aupres de Beauvais; que toutte leur armée suivoit en diligence, pour venir joindre celles de MM. les princes; et qu’elle estoit de 7 mille chevaux et 9 mille fantassins effectifz; mais les advis de Flandres, venus par l’ordinaire, ne portent pas qu’ilz soint encor entrés en France, mais bien qu’ilz assembloint 10 à 12 mille hommes pour cest effect, le plus diligenment qu’ilz pouvoint; ce qui a fait croire qu’ilz ont voulu donner esperance de bonne heure à MM les princes, afin qu’ilz ne fissent point d’accommodement avec la Cour.

Le 20 S.A.R. alla traverser demy lieue derriere son palais, à cause qu’elle avoit eu advis de St Denys qu’on y avoit parlé de la venir attaquer par là; d’autre costé, l’on travaille à fortiffier St Denys; et parce que le mareschal de Turenne a fait achever le pont de batteaux qu’il avoit fait commencer sur la Seine à Espinay [Epinay], il y eut, le 9 à minuit, une allarme qu’il venoit attaquer le palais [le Palais? le palais d’Orleans?], mais elle se trouva fausse.

/112v/ L’on a conservé à Mlle de St Maigrin la compagnie des chevaux legers de la reyne que le feux Marquis, son frere, avoit encor, et qu’elle vendra 25 ou 30 mille escus. Le regiment de cavalerie de ce marquis a esté donné à M. de Bregy. On escrit de Berry que le comte de Palluau a fort avancé le siege de Mourron, et qu’il espere le prendre en peu de jours.

Le comte Broglio ayant payé 10 mille escus de rançon au comte d’Olach, qui l’avoit pris, eut hier son passeport, pour s’en retourner à l’armée du Roy. Le general Rose est arrivé à Cressy [Crécy], 2 lieues de Meaux, avec 500 chevaux qu’il mene d’Alsace à la Cour.

Les advis de Guyenne, du 4, portent qu’il n’est pas vray que le siege de Villeneufve St George soit levé, ny que le comte de Lislebonne soit mort, mais bien le sieur de Lamotte Vedel, mareschal de camp, qui commandoit le regiment de Champagne; et que M. de Theobon se deffendoit si bien, dans cette place, qu’on ne croyoit pas que le comte d’Harcourt la peut prendre, les habitans s’estant engagés à la deffense, à cause que ce comte en avoit promis le pillage à son armée, qui n’est pas de 4 mille hommes; et que MM. Marchin et Balthazard avoint passé la Dordogne avec leurs troupes, pour tenter le secours de cette place.

Hier un courrier envoyé par M. de Bridieu, gouverneur de Guyse, arriva à la Cour, et porta nouvelle que les Espagnolz avoint commencé d’entrer en Picardie, pour venir en diligence au secours de MM. les princes, et qu’ilz pourroint avoir environ 12 mille hommes, compris 4 mille que le duc de Lorraine leur en donne, commandé par le chevalier de Guyse; sur quoy l’on tient un Conseil, dans lequel cette nouvelle y contribua beaucoup à faire resoudre la response qu’on avoit à faire aux deputtés du Parlement; lesquelz ayant esté mandés par le Garde des Sceaux, la leur fit en ces termes: "Le Roy m’a commandé de vous dire que, quoy qu’il soit aysé de connoistre, et que l’on voye clairement que la demande à laquelle on inciste, pour l’esloignement de M. le Cardinal, ne soit q’ung pretexte, neamoings Sa M. n’a pas laissé de prendre resolution de luy permettre de se retirer, sur les pressantes instances qu’il luy en a faittes, lors que les ordres necessaires auront esté donnés pour l’execution de ce qui doit estre fait pour l’establissement du calme dans ce rouyaume; et pour cest effect, Sa M. entend que vous fascies sçavoir ses intentions à M. le duc d’Orleans et à M. le Prince, afin qu’ilz envoyent icy leurs deputtés; et cepandant, que vous demeureres icy pres de sa personne." Sur quoy, MM. les deputtés ont escrit à Leurs A. qui [qu’ilz] doivent porter demain leurs lettres au Parlement, afin d’y prendre la resolution que la Compagnie trouvera à propos. Cepandant, la Cour a laissé passer /113/ 9 grandz batteaux chargés de bled, qui arriverent icy hier, au grand contentement de tout le monde, à cause de la charté du pain, qui vaut 8 sols la livre.

Le bruit ayant fort couru, hier au soir, que quelque cavalerie de l’armée de la Cour avoit passé la Seine, pour venir allarmer le fauxbourg St Germain, S.A.R. est allé ce matin à son camp, avec M. de Beaufort, où elle a pris 7 ou 800 chevaux, et s’en est allé vers St Cloud et Seve [Sevres], d’où elle a envoyé des partis aux environs, lesquelz n’ont trouvé aucunes troupes. Elle en est revenue un peu apres midy, et a envoyé dire aux corps de garde qui sont aux portes, qu’ilz n’avoint rien à craindre.

Le roy et la reyne d’Angleterre sont partis aujourd’huy, pour se retirer à St Germain en Laye; et parce qu’ilz sont en fort mauvaise odeur dans l’esprit du peuple, Mademoiselle les a accompagnés hors de Paris, afin qu’ilz feussent en seurté.

/114/ De Paris du 16 julliet 1652

Le 13 du courant, l’apresdisnée, S.A.R. et M. le Prince escrivirent aux deputtés qui sont à St Denys, conformement à ce qui avoit esté arresté dans l’assemblée du Parlement, et mirent leurs lettres entre les mains du filz du president de Nesmond, pour les rendre à son pere, comme chef de la deputation.

Le mesme jour, une bonne partie de la cavalerie de M. de Turenne ayant passé la Seine, S.A.R. fit mettre des corps de garde aux portes de son palais, et aux environs, où elle posta le regiment de Languedoch; et envoye tous les jours, despuis, des partis à la guerre, dont un, commandé par le lieutenant du comte d’Olach, prit, le 14 au matin, 20 gendarmes du roy prisonniers, mais S.A.R. les renvoya le mesme jour à Sa M.; et afin d’eviter un combat general, elle fit decamper son armée, dès l’apresdisnée du 13, et la fit loger dans les fauxbourg St Victor et St Marcel, où elle est encor, en attendant la response que la Cour fera aux lettres de Sadite A. et de M. le Prince, qu’ilz escrivirent le mesme jour aux deputtés du Parlement qui sont à St Denys.

La Cour, voyant que son approche n’a peu faire declarer Paris pour elle, resolut, le mesme jour, de partir de St Denys, pour retourner à Melun, et de là à Sens. Quelq’uns ont creu qu’elle iroit à Troyes en Champagne, et d’autres à Pontoise; mais cette derniere opinion est fort peut suivie, à cause qu’il y a des deputtés de Normandie arrivés à St Denys, qui sont venus suplier Leurs M. de n’aller point dans cette province là, qu’avec sa maison, sans aucunes troupes, à cause qu’elles interromproint, comme elles font desja, le commerce avec Paris, ce qui ruyneroit la province, outre qu’elle demande l’execution du traité qu’elle a fait avec la Cour, pour s’exempter de tous logementz de gens de guerre pendant cette année, moyenant 100 mille escus qu’elle a donnés. Le depart de la Cour a esté despuis differé jusques à jeudy, à cause que le sieur Manciny est si malade de sa blesseure qu’il a receu l’extreme onction le 13, et les medecins n’esperent plus rien de sa guerison. Ilz disent seulement qu’il pourra vivre jusques à demain.

Le mareschal de l’Hospital s’est rendu à la Cour, suivant l’ordre qu’il en avoit receu. On asseure que MM. les princes ont renvoyé, puis 5 ou 6 jours, le sieur de St Estienne au comte de Fuelsendaigne, pour le faire haster de venir, luy faisant esperer de ne point faire de paix particulier, sans faire la generalle en mesme temps. Les Espagnolz sont avancés à Chauny, où on leur a fait des propositions de paix fort avantageuses, de la part de la Cour, pourveu qu’ilz vouleussent se joindre à elle, contre les princes; mais ilz les ont rejettés.

L’on a prit, à Rouen et à Orleans, la paille, qui est la marque du party des princes; et tout le monde continue à la porter dans Paris.

Les advis de Bourdeaux, du 8, portent que Villeneufve d’Agenois se deffendoit encor fort bien; que M. de Theobon y avoit repris une demy lune dont le comte d’Harcour /114v/ s’estoit rendu maistre, avec grosse perte de part et d’autre; que MM. Marchin et Baltazard estoint sur le point de tenter le secours de la place; et que cependant, ce comte ayant surpris Langon, qui est un poste fort avantageux sur la Garonne, au dessus de Bourdeaux, les Bourdelois, qui en sont beaucoup incommodés, et qui sont asses unis lors qu’il s’agist de leur interest commung, avoint pris resolution de sortir en nombre suffisant pour le reprendre.

Un courrier qui arriva icy, hier au soir, porte nouvelles que M. de Guyse avoit esté mis en liberté, sans rançon, et estoit arrivé à Bourg, proche Bordeaux, pour s’aboucher avec le baron de Batteville. Le mesme courrier ayant descendu ches M. le Prince, luy rendit une lettre que le roy d’Espagne luy escrit en françois sur ce suject, laquelle est conceue en termes fort obligeantz, dont la substance est qu’il fait tant d’estime de sa personne, qu’il a bien voulu luy accorder la liberté de M. de Guyse, à sa seule priere. Il le nomme son cousin. Aussytost que M. le Prince eut leu cette lettre, il envoya [il l’envoya] à S.A.R., qui tesmoigna grande joye de cette nouvelle.

Hier, au matin, le Parlement s’estant assemblé, M. de Rohan y feut receu duc et pair, nonobstant les oppositions que faisoint, à sa reception, plusieurs personnes qui ont des brevets de duc despuis longtemps, et qui pretendoint passer devant luy, entre autres les marquis de Vitry et de Mortemar.

Ce matin, le Parlement ayant continué à s’assembler, S.A.R. et M. le Prince y ont presenté chacung une lettre du president de Nesmond, qu’ilz ont ce matin; lesquelles ont esté leues, aussy bien que celles que ce president a escrit au Parlement. Elles contenoint la mesme chose: sçavoir, qu’hier, à 8 heures du soir, les deputtés eurent audiance, dans laquelle ayant representé ce qui leur avoit esté mandé sabmedy dernier, le Roy leur respondit qu’il leur donneroit response sans retardement, mais qu’il vouloit auparavant communiquer cette affaire à son conseil, et que pour cest effect, ilz demeurassent, encor aujourd’huy, aupres de sa personne; à quoy les mesmes lettres adjoustent que Mancini estoit à l’extremitté, et abandonné des medecins, que la Cour doit partir demain ou apres demain pour Pontoise, et qu’elle envoye une partie de ses troupes le long de la riviere d’Oise, pour empescher le passage aux Espagnolz; sur quoy, il a esté arresté, conformement à ce que les deputtés avoint tesmoigné souhaitter, que l’on donneroit encor ce jour, et que demain, toutes choses cessantes, on deslibereroit pour passer outre; et parce qu’il n’y avoit qu’environ 50 conseillers, dont plusieurs se sont plaintz du peu de seurté qu’ilz trouvent à venir aux assemblées, S.A.R. leur ayant dit /115/ qu’ilz resoleussent eux mesmes les moyens d’y donner ordre, et qu’il le feroit executter, il a esté resolu que deux deputtés de chasque chambre se trouveroint cette apresdisnée au palais d’Orleans, pour concerter ses [ces] moyens avec S.A.R.

/116/ De Paris le 19 juillet 1652

Outre la lettre que M. le Prince a receu du roy d’Espagne, touchant la liberté de M. de Guyse, il en a receu une autre du mesme roy, par laquelle il luy remet entre les mains toutte la conduitte de la paix ou de la guerre, pour en faire tout ce qu’il jugera à propos, et le fait le chef et maistre absolu de touttes ses troupes en Flandres, ausquelles il a envoyé ordre de luy obeir auveuglement.

Le petit Manciny n’estant pas encor mort le 16, le Cour differa son despart de St Denys jusqu’au 17, auquel jour elle partit, dès 6 heures du matin; et le cardinal Mazarin fit emmener son nepveu sur un brancard, tout moribond qu’il estoit; et de fait, il mourut en chemin, de là, à Pontoise, où la Cour arriva le mesme jour, et devoit partir ce matin, pour aller à Mantes. Les mareschaux de Turenne et de Seneterre sont allés se poster à Compiegne, pour empescher le passage de la riviere d’Aisne aux Espagnolz.

Le 17, au matin, S.A.R. et M. le Prince estant entrés dans l’assemblée du Parlement, où il n’y avoit que 77 conseillers, l’on y proposa de desliberer sur touttes sortes de moyens pour chasser le cardinal Mazarin; à quoy quelq’ungs ayant respondu qu’il falloit encor attendre le lendemain, S.A.R. leur remonstra qu’ilz estoint cause, par tant de remises, que les environs de Paris s’achevoint de ruyner, que les affaires deperissoint, et qu’ainsy l’on ne devoit pas luy attribuer la faute, ny à M. le Prince. Aussytost apres, la despesche de MM. les deputtés arriva, et feut leue. Elle contenoit que le jour precedent, à minuict, le Roy leur avoit donné sa response par escrit, et que cepandant Sa M. vouloit que les deputtés demeurassent à la suitte de sa personne; à quoy les lettres de ceux cy adjoustent que, despuis, M. Servien estoit allé les trouver à 5 [heures] du matin, de la part du Roy, et leur avoit porté parolle que Sa M. offroit d’esloigner, dès à present, le cardinal Mazarin, sans attendre que MM. les princes eussent fait ce qu’elle souhaittoit d’eux, pourveu qu’ilz envoyassent un plain pouvoir de traitter du reste aux mesmes deputtés, sans en envoyer d’autres; et que, pour cest effect, elle consentoit qu’ilz demeurassant à St Denys, en donnant leur parolle de ne revenir point à Paris, jusques à nouveau ordre; dont ilz feurent obligés de convenir, parce qu’autrement on les auroit contrainz de suivre la Cour. Ensuitte, l’on commencea la desliberation sur le fondz de l’affaire, mais il ne feut suivy que de 27 voix; la seconde passa de 50 voix, à remettre au lendemain; et il feut arresté que les huissiers iroint avertir tous les conseillers de s’y trouver le lendemain, qu’on deslibereroit suivant l’ordre du tableau, sur lequel on marqueroit ceux qui seroint absens; que l’on inviteroit tous les ducs et pairs de s’y trouver aussy, et que M. le Chancellier seroit prié d’y venir presider, comme chef de la justice.

Hier, au matin, S.A.R. et M. le Prince se rendirent à l’assemblée du Parlement, avec M. de Beaufort et quelques autres; mais M. le Chancellier ne s’y trouva pas. Aussytost /116v/ qu’on eut commencé, un courrier y arriva avec une lettre de MM. les deputtés pour S.A.R., une pour M. le Prince, et une 3e pour le Parlement, par lesquelles ilz mandoint que M. de Sainctot venoit de leur rendre une lettre de cachet du Roy, portant que, despuis son despart, il luy estoit survenu des affaires importantes qui l’obligent à mander de se rendre aupres de sa personne, pour les leur communiquer; laquelle lettre estoit accompagnée d’une autre de M. du Plessis Guenegaud, qui leur mandoit que Sa M. luy avoit commandé de leur faire entendre que, si les conseillers deputtés vouloint retourner à Paris, elle ne leur en refusoit pas la permission, pourveu que les president suivissent la Cour, ce que les deputtés n’avoint pas faire [sic] response, sans prendre advis du Parlement, ausquel ilz tesmoignoint souhaitter de revenir, n’ayant donné parolle de demeurer à St Denys que jusques à 3 heures apres midy. Sur cela, il feut arresté, tout d’une voix, qu’ilz reviendroint; et S.A.R. ayant esté priée de leur envoyer une escorte, elle s’offrit de les aller querir elle mesme; ce que la Compagnie ayant accepté, Sadite A. partit pour cest effect à midy, accompagnée de M. le Prince et de M. de Beaufort, avec 5 à 600 chevaux, autant de fantassins, et 2 pieces de canon, et y amenerent, le soir, les deputtés, dont une partie eut peyne de se resoudre à revenir.

Ce matin, l’assemblée ayant continué, le president de Nesmond y a fait recit de tout ce qui s’estoit passé, dans tout le cours de la deputation; apres quoy l’on a commencé la desliberation. Il y a eut 45 qui ont opiné, dont la pluspart estoint d’advis de declarer le Roy prisonner, et M. le duc d’Orleans regent ou lieutenant general de l’Estat et Couronne de France, et de prier celuy cy de se servir de tous les moyens qu’il jugeroit à propos, pour deslivrer Sa M. et chasser le cardinal Mazarin. D’autres estoint d’advis de le supplier de prendre toutte l’authorité, et tout le pouvoir qu’il jugeroit necessaire, pour chasser ce cardinal, sans luy donner aucune qualité, et sans declarer le Roy prisonnier. La parolle en est demeuré à M. Tallemand [Lallemand], qui a esté hué, sur ce qu’il avoit dit que le Parlement ne pouvoit pas se mesler de donner aucune qualité ny pouvoir à S.A.R. Le president Charretton y a dit qu’il estoit d’advis de parfaire la somme de 50 mille escus, pour le pris de la teste du cardinal Mazarin, et que c’estoit le melieur moyen qu’il y avoit d’en venir à bout. L’assemblée remise à demain, pour continuer la desliberation.

Les advis de Picardie confierment que les Espagnolz ont pris Chauny, où le duc d’Elbeuf et M. de Manicamp, s’estant jettés avec 600 hommes, y ont esté contraintz de se rendre prisonniers de guerre.

/117/ M. le Prince a conduit, à midy, toutte l’infanterie de l’armée de S.A.R. à Charanton, avec 2 pieces de canon.

On escrit de Rouen que le comte de Quinçay y estoit arrivé, avec des lettres du Roy adressées aux Parlement et au duc de Longueville, portant advis que Sa M. y va, et qu’elle desire que la noblesse de cette province là s’assemble, et se mette en devoir d’aller repousser les ennemis de l’Estat qui sont entrés en France; sur quoy le Parlement avoit ordonné qu’il seroit fait une assemblée generalle de Ville sur ce suject.

/118/ De Paris le 23 julliet 1652

Le 20, au matin, le Parlement ayant continué sa desliberation du jour precedent, et S.A.R. y estant avec M. le Prince, MM. de Beaufort, de Sully, de Rohan, le mareschal d’Estampes, et autres, l’on donna l’arrest que je vous envoye imprimé, lequel passa de 8 voix seulement; et despuis, l’on y a adjousté, du consentement de la pluspart des conseillers, que l’on prendroit, par ordre de S.A.R., tous les deniers du Roy qui ce [se] trouveront entre les mains des recepveurs, et de leurs commis, qui seront contraintz, par touttes les voyes, au payement de touttes les sommes qu’il devront. Pour cest effect, l’on travaille icy à faire un conseil de finances, et S.A.R. feut avant hier, pour se subject, disner ches M. Tubeuf. L’on doit examiner aujourd’huy les autres moyens d’avoir de l’argent, en faisant contribuer Paris; et l’on doit bientost aviser aux moyens d’oster au cardinal Mazarin la distribution des benefices, et de touttes les autres graces que S.A.R. donnera.

La Cour n’est pas encor partie de Pontoise, pour aller à Mantes, et l’on asseure que les habitans ont refusé de recevoir le cardinal Mazarin. Ceux de Rouen ayant fait grand bruit, de ce que la Cour vouloit les aller visitter; et estant disposés à resoudre, dans leur assemblée generalle de Ville, et dans le Parlement mesmes, de supplier le Roy de n’y mener ny le cardinal Mazarin ny aucunes trouppes, M. de Longueville en donna promptement advis à la Cour, laquelle luy envoya aussytost un gentilhomme nommé Gouville, pour luy representer qu’ilz ne devoint point s’alarmer là dessus, et que la Cour n’avoit aucung desseing d’y aller avec des troupes, les ayant touttes envoyées au devant des Espagnolz; sur quoy M. de Longueville empescha que l’on ne prit aucune resolution; et parce qu’il ne pouvoit aussy empescher que l’on ne prit les armes, pour faire garde aux portes de la ville, il donna ses ordres pour y mettre 4 ou 5 hommes seulement, à chacune, mais on ne laissa pas d’y en mettre 3 ou 400. Despuis, la Cour parle de venir audjourd’huy à St Germain en Laye, et on asseure qu’elle a envoyé un gentilhomme à Tours, pour y pressentir les espritz, et veoir si elle y sera receue avec ce cardinal, la pluspart des villes estant resoluees de le refuser. Sinon, elle passera en Bretagne, où l’on croit que ce cardinal sera receu partout dans la province.

Le Grand Conseil ayant receu ordre de partir de Mantes, où il est, pour aller à Chartres, ceux cy ont refusé de l’y recevoir.

Le 19, à midy, M. le Prince s’en alla à Charanton, avec l’infanterie de S.A.R. et 2 pieces de canon, et pris ce poste, qui estoit encor gardé par 50 soldatz de la Cour; lesquelz, apres avoir souffert 6 coups de canon, se rendirent prisonniers de guerre. Toutte l’armée de MM. les princes est sur le point de decamper des fauxbourgs St Victor et St Marcel; mais elle a si fort depery, qu’elle n’est plus que de 3 mille hommes.

On escrit de Bourdeaux, du 15, que le comte d’Harcourt a esté obligé de lever le siege de Villeneufve d’Agenois, où il a perdu plus de 800 hommes, entre autres le comte de Vaillac, qui a esté tué; et que les Bourdelois ont repris le poste de Langon.

/118v/ La Cour approuva, la semaine passée, le mariage du marquis de Baden, prince de l’Empire, avec la princesse Louyse, fille du prince Thomas de Savoye.

L’on a fait des nouvelles offres, de la part de la Cour, aux Espagnolz. On dit qu’on leur a voulu rendre touttes les conquestes qui ont esté faittes sur eux pendant cette guerre, pourveu qu’ilz vouleussent contribuer à chastier MM. les princes; et qu’ilz l’ont refusé derechef. Les mesmes offres ont esté faittes de nouveau au duc de Lorraine, par M. du Plessis Bezançon, qui est encor aupres de luy.

M. le Prince receut, le 18, nouvelles de Picardie que le comte de Fuelsendaigne ayant assiegé Chauny, où MM. d’Elbeuf et de Manicamp s’y estoint jettés avec 400 chevaux, ceux cy y avoint esté contraintz de se rendre prisonniers de guerre; mais cette nouvelle ne s’est trouvée veritable qu’en partie. Il est vray que Chauny s’est rendu le 17, mais ces 2 chefs n’y feurent point faitz prisonniers. Lors qu’ilz feurent obligés de capituler, ilz demanderent 5 jours pour se rendre, s’ils n’estoint secourus; à quoy le comte de Fuelsendaigne leur fit response qu’il ne leur donneroit que 5 heures, et qu’il ne leur feroit autre condition que de les recevoir prisonniers de guerre. Neamoings, parce que les mareschaux de Turenne et de Seneterre, qui sont allés de ce costé là avec leur armée, s’aprochoint, et qu’ilz estoint attendus à Compiegne, ce comte accorda seulement que MM. d’Elbeuf et de Manicamp sortiroint avec 2 colonnelz seulement, et que le reste, qui consistoit en 200 gentilhommes de Picardie qui estoint à la suitte de MM. d’Elbeuf, 60 officiers, et 3 à 400 soldatz, demeureroint prisonniers de guerre; ce qui feut ainsy executté, et ilz feurent tous renvoyés sur leur parolle, et sur celle que M. d’Elbeuf donna, de payer leur rançon dans 4 mois, pour seurté de quoy il donna 2 mareschaux de camp en ostage; en suitte de quoy, il les mena à Compiegne, où les mareschaux de Turenne et de Seneterre n’arriverent que le 20, avec 7 à 8000 hommes ; et le comte de Fuelsendagne, ayant laissé bonne garnison dans Chauny, y marcha avec 12 mille fantassins et 6 mille chevaux effectifz, à Coussy; où ayant tenu conseil de guerre, il envoya prier M. de Lorraine, qui n’estoit qu’à 2 journées de là, de luy envoyer 3 mille chevaux, ce qu’il a fait, soubz la conduitte du chevalier de Guyse; et ce comte marcha vers Soissons, pour y passer la riviere d’Aisne, et venir en diligence joindre MM. les princes.

/120/ De Paris du 26 julliet 1652

L’arrest du 20 de ce mois, ayant esté donné avec une grande precipitation, feut asses mal digeré; et l’on y remarqua, d’abord, un endroit dans lequel il y a une implication manifeste, qui a obligé la pluspart des conseillers à donner leur consentment tacite de le corriger. Cest endroit est qu’apres avoir declairé le Roy detenu par le cardinal Mazarin, on suplie derechef Sa M. d’esloigner ce cardinal. Ceste suplication a esté despuis ostée.

Les avis de Guyenne, du 17, confierment que les Bourdelois ont repris Langon, et portent que le siege de Villeneufve d’Agenois n’est pas levé, et que la garnison et les habitans s’y deffendoint fort bien.

Le comte de Bioules ayant voulu faire des levées pour la Cour en Languedoch, les villes ne l’ont pas voulu souffrir, sans l’attache de S.A.R.

On escrit de Rouen, du 24, que le jour precedent le Procureur General apporta une lettre de cachet, portant deffenses de recevoir aucungs pacquetz de la Ville, ny du Parlement de Paris; et un arrest du Conseil du 18, qui casse l’eslection faitte de M. de Broussel pour estre prevost des marchandz, et luy deffend d’en faire l’exercice, sur peyne de la vie, et ordonne qu’il sera informé de l’attentat horrible fait à l’Hostel de Ville de Paris, sur quoy l’on n’avoit rien desliberé. Les mesmes lettres ont esté envoyés à touz les parlementz.

Milord Montaigu estant venu icy, le 21 de ce mois, de la part du cardinal Mazarin, pour tacher de renouer quelque negotiation, S.A.R. ne le voulut point escoutter, et luy fit dire qu’il se retirat promptement, ce qu’il fit le lendemain.

M. le Garde des Sceaux, voyant la face que prenoit les affaires, declara tout haut, le 23, en plein Conseil, en presence du Roy et de la Reyne, que puisqu’il n’y avoit pas moyen de maintenir le cardinal Mazarin, sans courir risque de veoir l’Estat bouleversé, il estoit d’advis que le Roy l’esloigna; et qu’apres en avoir dit son sentiment, si l’on ne le trouvois pas raisonnable, il supplioit Leurs M. de luy permettre de se retirer; mais cette declaration ne produisit aucung effect. Ce cardinal est un peu indisposé, et M. Servien est fort malade.

Les presidens de Novion, Le Coigneux, et le Procureur General sont à Mantes, où ilz attendent le president Le Bailleul; et l’on parle, à la Cour, d’y transferer le Parlement de Paris, qui n’y obeira pas, sans doute, et d’envoyer le Grand Conseil à Vernon.

Mme de Chevreuse, qui s’estoit retirée en sa maison de Dampierre, arriva avant hier à Mantes, et estoit attendue hier à Pontoise.

Le cardinal Mazarin a voulu marier sa 3e niepce avec le marquis de Richelieu, qui l’ayant /120v/ refusé, il luy a fait offrir la fille de Mme de Beauvais, qui [qu’il] n’a pas voulu non plus. Cette intrigue a fait croire que le Cardinal vouloit, par ce moyen, obliger Mme d’Aigullion à luy ceder le gouvernement du Havre. Il a fait ce qu’il a peu pour avoir celuy de Brissac; et quoy que Mme la comtesse d’Harcourt soit dans cette place, neamoins Charlevoix en est encor le maistre absolu.

Le 24, le Parlement estant assemblé, et S.A.R. s’y estant trouvée avec M. le Prince, l’on manda le sieur Le Comte, notable bourgeois de Paris et l’ung des principaux creantiers du cardinal Mazarin. Aussytost qu’il y feut arrivé, on luy demanda s’il avoit receu quelque somme du revenu de ce cardinal; à quoy il respondit que non, et que quelque diligence qu’il eut faitte pour se faire payer, il n’avoit peu rien tirer des fermiers de ses abbayes; qu’il avoit fait arrester celuy de l’abbaye de St Lucien de Beauvais, lequel estant dans la Conciergerie, en avoit esté eslargis par M. Menardeau Champré, de son authorité privée; mais on ne peut plus en demander raison à celuy cy, parce qu’il estoit absent. L’on ne considera point la donation que ce cardinal a fait de son palais, et de tous ses meubles, statues, et bustes qui y sont. L’on ordonna qu’il seroit proceddé à la vente de ce qui reste des meubles, et qu’on feroit rendre conte aux fermiers des benefices de ce cardinal, en presence de 6 conseillers; qu’il seroit fait une levée de deniers, sur le pied d’une année de ce qui ce [se] paye sur la taxe des 6 autres, sur les locataires des maisons de Paris, laquelle ce [se] monte à plus de 40 mille escus; et ce qui reste de la vente de la bibliotecque du ce cardinal, seroit mis entre les mains de 4 banquiers de Paris, pour le faire deslivrer, en tous lieux, à celuy ou ceux qui excecuteroint l’arrest; qu’il seroit fait une assemblée generalle à l’Hostel de Ville, pour aviser aux moyens d’avoir de l’argent; que tous les deniers des aydes, gabelles, douanes, tailles, et autres, seroint apportés, pour y estre employés au payement des rentes de la Ville; et que cest arrest seroit envoyé, avec celuy du 20, à tous les autres parlementz, qui seroint priés d’en donner des pareilz.

Ce matin, S.A.R. estant allée au Parlement avec M. le Prince, et les chambres estant assemblées, elle a accepté la qualité de lieutenant general du roy, et en a remertié la Compagnie, à laquelle elle a demandé un Conseil, pour prendre advis de tout; sur quoy M. Bignon, advocat general, a fort loué toutte la conduitte du Parlement, et le choix qu’il a fait de la personne de S.A.R. pour lieutenant general, qui estoit plustost une continuation du pouvoir qu’elle /121/ avoit pendant la Minorité, qu’une nouvelle declaration; que veritablement le Parlement ne pouvoit pas faire des lieutenantz generaux, mais que les princes du sang estoint magistraz nés, et qu’ainsy il falloit laisser à S.A.R. la liberté de choisir telles personnes qu’il luy plairroit pour son conseil; ce qui a passé suivant les conclusions; et à la sortie, S.A.R. et M. le Prince sont allés trouver M. le Chancellier, qui accepta hier les sceaux, soubz l’authorité de S.A.R., et se servira du petit sceau, jusques à ce que les autres parlementz auront donné pareil arrest.

Hier Mme la princesse d’Harcourt, ayant voulu sortir dans un coche, sans passeport, feut arresté à la porte St Martin, et menée à l’hostel de Condé, où M. le Prince luy donna des gardes pour la retenir.

Les Espagnolz, ayant abandonné Chauny, sont allés camper aux environs de Laon.

/122/ De Paris le 30 julliet 1652

Le 27 du courant, S.A.R. fit choix, avec M. le Prince, de la pluspart des personnes qui doivent composer son conseil, dont M. le Chancellier est le chef. Les autres sont MM. de Beaufort, de Nemours; le comte de Rieux; le prince de Tarante; les ducs de Sully, de Rohan, et de Brissac; M. de Chavigny; les presidentz de Nesmond, de Maisons, de Thou, et Violle; MM. de Goulas et Fromont, qui feront la charge de secretaire d’Estat. Le president de Maisons accepta la commission de surintendant des finances, soubz l’authorité de S.A.R., qui donna aussy celle de tresorier de l’Espargne à M. Pinette, tresorier de sa maison; celle de controlleur des finances à M. Passart; et celle de grand maistre de l’artillerie au comte Fiesque.

Le 28, au soir, un gentilhomme feut envoyé de la Cour à M. le Chancellier, pour luy offrir des sceaux, et luy dire qu’on l’attendoit à Pontoise, pour les mettre entre les mains, à quoy il respondit qu’il avoit les sceaux, et qu’il estoit à la Cour. Sa response feut fort remarquée.

Hier, au matin, S.A.R. entra à la Chambre des comptes avec M. le Prince, où y [où il] representa que le Parlement l’ayant prié de prendre la qualité de lieutenant general du roy, et d’en faire la fonction, elle avoit creu le devoir accepter, suivant les sentimentz de ce corps, pour tascher de remedier aux desordres que cause le cardinal Mazarin; que comme elle desiroit un Conseil au Parlement, et qu’il estoit venu là pour prier MM. de la Chambre des comptes de luy donner aussy deux personnes de leur corps; sur quoy ces messieurs opinerent, et il ne s’en trouva q’ung qu’il voulut [qui voulut] retarder la desliberation, disant qu’il falloit que le Parlement eut nommé, de sa part, ceux qu’il voudroit mettre dans ce conseil. Sur cela, M. le Prince ayant pris la parolle, dit que c’estoit un affaire faitte, et que le Parlement ayant laissé à S.A.R. la liberté de choisir telles personnes qu’elle voudroit, elle avoit choisy, de sa part, MM. de Nesmond, de Maisons, de Thou, et Violle; ce qui feut confiermé par S.A.R., à laquelle il feut resolu que la Chambre laisseroit la mesme liberté de prendre ceux qu’elle voudroit dans la Compagnie, où elle choisit, en mesme temps, les presidens Aubry et Larcher.

S.A.R. estant sortie de là, s’en alla à la Cour des aydes avec M. le Prince; où ayant representé les mesmes chose, l’Advocat General y fit un fort beau discours à la louange de S.A.R.; et ayant remonstré qu’on ne pouvoit mettre les affaires du Roy entre les mains d’ung prince qui eut plus d’affection, de fidelité, ny d’interest au service du Roy, il conclut aussy à remettre à sa prudence la mesme liberté de choisir, dans cette compagnie là, telles personnes qui [qu’il] voudroit; ce qui feut ainsy resolut, et il choisit les presidentz Dorrieu et Le Noir.

/122v/ L’on a resolu de donner au president de Nesmond la commission de premier president; et quant à celle de procureur general, on croit qu’elle sera donnée à M. de Croissy.

Il y a eu arrest du Conseil, donné à Pontoise le 27, portant cassation de celuy du Parlement du 20, deffences à S.A.R. de prendre la qualité de lieutenant general du roy, et à touttes les personnes de le recognoistre, ny luy obeir en cette qualité, avec d’autres circonstances aussy inutiles que l’arrest.

La Cour parle d’aller en Bourgoigne, ne pouvant estre receu à Rouen; et pour cest effect, le mareschal de Turenne fait revenir son armée à Lagny, où la Cour doit passer la Marne, pour retourner passer à Melun.

Les Espagnolz, apres avoir abandonné Chauny, dont le mareschal de Seneterre s’est aussytost emparé, ont marché à costé de Laon, le long de la riviere d’Aisne, pour l’aller passer à Rhetel, n’ayant peu la passer à Soissons, à cause que le mareschal de Turenne y a jetté deux regimentz, pour deffendre ce passage. M. le Prince y receut, le 28, une lettre du comte de Fuelsendaigne, qui luy mande qu’il n’avoit pas peu faire toutte la diligence qu’il avoit promise à venir, à cause de la bizarrerie du duc de Lorraine, qui ne luy avoit pas voulu envoyer ses troupes; mais qu’il alloit luy mesmes les joindre, et tascher de les faire marcher avec les siennes. Neamoings, ce comte a esté obligé d’en renvoyer quelq’unes en Flandres, à cause que les garnisons d’Arras, La Bassée, et Bethunes s’estant jointes ensemble, dans une course qu’elles ont faite dans les lieux circonvoisins, y ont fait tous les ravages imaginables, et enlevé quantité de bestail et autre butin.

Hier, au matin, S.A.R. fit decamper son armeé des fauxbourgs St Victor et St Marcel, et la fit aller camper à Juvisy, et dans deux villages voisins nommés Ris et Viri [Viry]. L’on va travailler à faire les recreues pour la fortiffier, jusques au nombre de 10 mille hommes, en attendant qu’il y aye de l’argent prest, pour faire des nouvelles levées.

Hier, l’apresdisnée, il y eut assemblée generale à l’Hostel de Ville, où S.A.R. et M. le Prince se trouverent avec M. de Beaufort, qui y feut receu gouverneur de Paris, apres que l’assemblée eut prié S.A.R. de luy en donner la commission dans les formes ordinaires. L’on y deslibera sur les moyens de faire ouvrir les passages, pour faire venir les vivres en abondance dans Paris; et à cette fin, il feut arresté qu’on mettroit une taxe sur touttes les maisons de la ville et des fauxbourgs, sçavoir 25 escus sur chasque porte cochere, 10 escus sur chasque grande boutique, et 5 escus sur chasque petite porte, qui pourra ce [se] monter à plus d’ung million, qui sera employé aux recreues, et autres choses les plus pressantes pour l’entretien du passage, et la liberté du commerce.

Le cardinal Mazarin traitte avec M. de Metz de son evesché, et l’on asseure que le marché en est fait, /123/ et qu’il luy en donne 40 mille escus d’argent comptant, et 40 mille livres de rente en abbayes, dont la premiere est celle d’Orcan [Ourscamps]. Il traitte en mesme temps avec le mareschal de Schomberg du gouvernement de Metz, Toul, et Verdun, et luy en offre 400 mille livres; mais on ne croit pas que celuy cy soit encor fait.

Le duc de Lorraine a enfin consenty à la jonction de ses troupes avec celles des Espagnolz, lesquelz marcherent ensemble toutte la journée, et devoint passer, hier au soir, la riviere d’Aisne à Pontavere [Pontavert], pour s’en venir en diligence.

Le mareschal de Turenne est arrivé avec la pluspart de ses troupes à Treilleport [Trilport], ayant envoyé l’autre à Lagny, pour y empescher le passage aux Espagnolz.

S.A.R. ayant fait son Conseil, il y a eu different pour la presseance entre MM. de Beaufort et de Nemours, et de Rieux, dont pas un n’a voulu cedder à l’autre; et l’affaire s’est si fort eschauffée entre les deux premiers, que le ressentiment de la disputte qu’ilz eurent nagueres à Orleans, les a portés à se donner aujourd’huy le deffy. Pour cest effect, M. de Nemours a envoyé, cette apresdisnée, M. de Villars, de la maison de Chavaignac, à M. de Beaufort, pour l’appeller en duel, dont celuy cy s’estant deffendu honnestement, et se voyant neamoings fort pressé de se battre, s’y est enfin resolu; et ilz se sont battus ce soir, à 6 heures, dans le Marché aux chevaux, cinq contre cinq: sçavoir, du costé de M. de Nemours, Villars, Compans, le baron de la Chaise, et son cappitaine des gardes; et du costé de M. de Beaufort, le comte de Bury et ses 3 gentilhommes, nommés Brillet, Hericourt, et du Ris. Tous les secondz s’estant battus avec l’espée seulement, Brillet de de Rys y ont esté blessés; et MM. de Beaufort et de Nemours se sont battus, l’espée à une main et le pistollet à l’autre. M. de Nemours ayant tiré le premier son coup de pistollet, et ayant blessé M. de Beaufort à la main, celuy cy luy a dit qu’il luy demanda la vie, et qu’il ne l’obligeat pas de la tuer; ce que M. de Nemours n’ayant pas voulu faire, et ayant respondu qu’il falloit mourir, l’ung ou l’autre, M. de Beaufort luy a tiré son coup de pistolet dans le coeur, et l’a tué sur la place; apres quoy il a separé les secondz, qui n’ont pas eu loisir de se faire beaucoup de mal. Le corps de M. de Nemours a esté porté à l’hostel de Condé, où M. le Prince a tesmoigné un regret si grand qu’on ne l’en peut consoler, non plus que Mme de Nemours, qui est tombée esvanouyé, en aprenant cette nouvelle. Il est universellement regretté.

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