Panat in postcardThe Ranums'

Panat Times

Volume 1, redone Dec. 2014

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/226/ De Paris le 3 juing 1650

Vous aves sceu le congé qui feut accordé aux Suisses le 27 du passé pour partir le lendemain, M. le Cardinal pretendant de faire venir des Italiens et des Allemans pour servir en la place des premiers, qui coustent plus qui ne feroint les autres; mais M. le duc d'Orleans, en ayant tesmoigné du mescontentement, voulut que les Suisses feussent satisfaictz, et le 28 au matin il envoya demander à cette fin 2 jours à leurs ambassadeurs, qui les luy accorderent. Pendant ce temps, Mademoiselle offrit d'engager ses pierreries et Mme d'Aigullion sa vaiselle d'argent pour ayder à trouver la somme qu'ilz demandoint; et enfin cest affaire feut accommodée l'aspresdisnée du 29 dans le conseil qui ce [se] tient pour cest effect ches M. le Garde des Sceaux, où les ambassadeurs des Suisses feurent appellés. Il leur estoit deubt en tout 4 millions 200 mille livres, dont il feut arresté qu'on leur payeroit à present un million: sçavoir, 400 mille livres en argent comptant et 600 mille livres en trois payements qui ce [se] feront de 2 en 2 mois à 200 mille livres chacung, avec 10 mille livres d'interest; et que cepandant on leur bailleroit les pierreries de la Coronne en gage pour cette derniere somme de 600 mille livres, lesquelles pierreries on retirera à mesure que les payements leurs en seront faictz; et quant au surplus montant à 3 millions 200 mille livres, que le Roy leur donneroit une declaration en forme de contract d'engagement qui sera veriffiée en Parlement, par laquelle il leur assignera cette somme sur les entrées de Paris, gabelles de Lyonnois, et doanne de Valence en Dauphiné, dont il leur sera payé 500 mille livres par an jusques à la fin de leur payement, qui sera parfaict dans six ans avec les interestz au denier 18; et pour ce qui leur sera deubt à l'advenir, ilz se sont contentés de la parolle qu'on leur a donné de les bien payer, mais ilz demandent encor qu'il leur soit permis de mettre dans touttes les receptes à eux affectées des receveurs et commis pour leur interestz; et outre ce million on leur donne en argent comptant ce qui leur est deubt despuis qu'ilz poursuivent leur payement, et ne s'estant pas souvenu de le demander lors que leur affaire a esté accommodée, et cette demande est cause qu'ilz n'ont pas encor receu les 400 mille livres qu'on leur donne à present. Le 31 du passé l'on prit 160 mille livres par ordre du Conseil dans la recepte du marc d'or affectée au payement des pensions que le Roy donne au chevaliers de l'Ordre du St Esprit, qui en on faict grand bruit, notanment à cause que le receveur du marc d'or ne s'estant pas trouvé ches luy, l'on rompit le coffre où estoit cest argent, dont M. Bouthilier, tresorier de l'Ordre, s'estant plaint à M. le duc d'Orleans, S.A.R. luy dit qu'on avoit esté obligé d'en user de la sorte pour la necessité qu'il y avoit de satisfaire les Suisses, mais qu'on replaceroit cette somme des premiers deniers qui viendroint à l'Espargne.

Le 28 le marquis de Nesle, chevalier de l'Ordre, estant tombé en descendant les degrés /226v/ de son logis, se cassa la teste; et ayant aussytost esté trepanné, mourut deux heures apres. Plusieurs pretendoint au gouvernement de La Fere en Picardie, qui apartenoit à ce marquis, mais la Reyne se l'est reservé.

Le mesme jour Mme d'Auroy gaigna son proces et nonobstant l'intervention du duc de Richelieu, son filz, l'on cassa l'arrest par lequel elle avoit esté interditte de l'administration de ses biens.
Le 29 Mlle de Chevreuse traitta M. le Cardinal à disner et apres eut une grande conference avec luy.
Le mesme jour M. de Vendosme accepta enfin les prouvisions de l'admirauté, lesquelles apres qu'il l'eut [qu'il eut] parlé un peu hautement à M. le Cardinal, luy feurent deslivrées avec les mesme prerogatives dont le feu duc de Brezé en jouyssoit, la Reyne ne s'estant reservée que les droitz des costes de Bretagne, lesquelles apartenoint au gouvernement de cette province. Ce duc en presta le serment le premier du courant, et M. de Beaufort aussy de la survivance, à cause de laquelle il prendra 10 mille escus tous les ans sur le droit d'ancrage.

Le comte d'Aubigeoux ayant donné parolle de signer l'edict d'union de la noblesse, M. le Cardinal obligea M. le duc d'Orleans d'escrire au comte de Bioules une lettre par laquelle il luy donnoit ordre de sçavoir en quel estat estoit la citadelle de Montpellier, d'empescher qu'on n'y mit aucune prouvision, et que le conte d'Aubigeoux, qui en est gouverneur, n'y entrat; dont M. de Bioules a envoyé response à S.A.R. par un courrier extraordinaire, mais cela n'a de rien servy, l'affaire ayant esté accommodée comme vous l'aves sceu. Il ne ce [se] parle plus d'union de la noblesse, et les dames qui avoint receu ordre de ce [se] retirer ont touttes obei, mais il n'est pas vray que la marquise de Montglas aye receu cest ordre.

Le partisan Marin a traitté d'une charge d'intendant des finances de nouvelle creation, moyennant 22 mille pistolles, et il feut receu le 17 du passé.

Le marquis des Marestz presta le serment de la charge de grand fauconnier de France le premier du courant, laquelle il a achepté.

Le 30 l'Assemblée generalle du clergé commencea dans le couvent des Augustins de cette ville, où M. l'archevesque de Sens y declama fort entre l'erection de l'evesché de Paris en archevesché; sur quoy M. le coadjuteur de Paris ayant faict une harangue contraire, l'Assemblée deslibere à present sur cette question.

M. le prince de Conty est malade, à cause de quoy on luy permet de se pourmener en chaise dans la basse cour du Bois de Vincennes; et M. le Prince, pretendant que M. de Bar eut eu ordre de le laisser aussy promener sur le donjon, l'a querellé de ce qu'il ne luy permettoit pas et l'a enfin obtenu.

/227/ Le 31 on eut advis de Bourdeaux du 26 du passé que le chevalier Todias, gouverneur du duché de Fronsac, avoit levé sur la terre dependante de ce duché 8 à 900 hommes, avec lesquelz il avoit assiegé Libourne, qui n'estant gardée que par les habitans asses mal affectionnés au duc d'Espernon a esté bientost pris, ce chevalier ayant esté favorisé en cette occasion par le duc de Bouillon, qui luy en avoit donné l'ordre et qui, peu auparavant s'estant avancé avec 5000 hommes qu'il a vers les postes de Limeil, avoit obligé le general de la Vallette, qui n'avoit que 2500 hommes, à quitter ce poste, que de duc à pris. Il attend à veoir quelle face prendront les affaires et si Mme la Princesse, qui par mesme moyen ayant trouvé le passage ouvert, est allé à Coutras, où elle a esté escortée par 800 chevaux commandés par le duc de la Rochefoucaud, pourroit estre receue à Bourdeaux suivant la demande qu'elle en a fait, et si elle pourroit attirer MM. de la Force à son party, à quoy elle travailloit; que le Parlement de Bourdeaux avoit donné arrest portant qu'il seroit informé à la diligence du Procureur General, tant contre ceux qui ont eu intelligence avec les Espagnolz et qui ont fait venir sur les costes de Guyenne l'envoyé d'Espagne nommé le baron de Oatteville, que contre ceux qui ont eu conference avec luy; que sur cela quelque menu peuple s'estant ramassé, et craignant qu'il y eut decret contre le marquis de Lusignan, luy alla offrir service en criant tout haut qu'il falloit aller brusler les maisons du jurat Constant, lequel n'a point osé rentrer dans Bourdeaux et prendre les armes pour la liberté des princes. Despuis on a sceu par un courrier extraordinaire qui arriva icy hier au soir, que M. de la Vie estant arrivé à Bourdeaux, avoit couru grand risque d'estre assommé par le peuple, qui avoit sceu qu'il avoit esté de concert avec le jurat Constant dans l'accommodement qui s'estoit faict icy sans les autres deputtés; et qu'outre cela il avoit esté fort maltraitté de parolle par la pluspart de ses confreres dans le Parlement, lors qu'il avoit voulu faire son raport de ce pretendu accommodement et exposer en mesme temps une declaration du Roy dont il estoit chargé pour la faire veriffier, par laquelle outre M. de Bouillon et Mme la Princesse, le marquis de Lusignan est declaré criminel de leze majesté. Il ne laissa pas de faire son rapport de tout ce qui concernoit son instruction; mais apres avoir esté fort blasmé tant de n'avoir point demandé l'exclusion de M. d'Espernon, que de ce qu'il n'avoit apporté aucune lettre des autres deputtés, ausquelz il avoit renvoyé celles dont ilz avoint [ilz l'avoint] chargé, apres les avoir couvertes en chemin, à cause qu'elle continuoint des plaintes de son proceddé, il ne peut rien obtenir et feut desadvoué. Ce courrier a adjousté que cela avoit si fort irritté le peuple que le Parlement n'en estoit plus le maistre, et qu'on avoit osé donner decret contre le marquis de Lusignan; qu'on crioit hautement que puis qu'à la Cour on ne vouloit pas accorder l'exclusion du /227v/ duc d'Espernon, il falloit le chasser de force et accepter à cette fin les offres de Mme la Princesse, du duc de Bouillon, et de tous ceux qui voudroint leur donner secours, mesmes des Espagnolz qui, dans l'esperance de veoir de rechef le feu dans cette province, ont faict avancer 5000 hommes à Fontarrabie en attendant la prise de Libourne, où ilz pretendent les desbarquer, n'ayant peu avoir Blaye; qu'enfin tous les espritz du Parlement estoint disposés à consentir à la reception de Mme la Princesse et se liguer avec elle, autant pour demander la liberté des princes que pour l'exclusion de M. d'Espernon; et que si on ne le rappelle promptement, il ne sera plus temps de le faire apres qu'on aura traitté avec cette princesse.

M. le mareschal de la Mesleraye a receu l'argent qu'on luy a envoyé à travaillé [sic] à lever des trouppes pour aller en Guyenne.

MM. le comte de Paluau et du Plessis Belliere doivent partir lundy prochain pour l'aller trouver; cepandant la garnison de Mourron continue ses courses jusques au portes de Bourges et desole toutte la province de Berri.

Les lettres de Provence de cette semaine portent que la peste continuoit tousjours dans Aix; et que M. de Monthoulieu ayant apporté à Marseille l'abolition que vous aves sceu, avec un mandement aux nouveaux consulz d'aller rendre visitte au comte d'Alais, et ayant ordre de la mettre entre les mains de M. de Varennes pour la faire executter, il n'avoit peu encor trouver celuy ci despuis la dernier esmeutte qui feut faitte contre luy; ce qui ayant differé l'execution de ceste affaire, les consulz avoint eu temps d'escrire à M. le Cardinal et le prier d'envoyer un[e] autre declaration qui les descharge de la visitte du comte d'Alais; qu'autrement ilz n'ont pas besoing de prendre abolition, pouvant s'accommoder avec ce compte quand ilz voudront.

Sur le bruit que faisoit le Parlement de Thoulouse par ses arrestz à cause des tailles [et] des foules des gens de guerre, le Conseil a donné arrest portant que la generalité de Montauban seroit deschargée de 200 mille escus sur ce qu'elle devoit des deux dernieres années pour compenser les desordres des gens de guerre.

Leurs M. partirent hier au matin en relais de carrosses et feurent coucher à Compiegne. Mademoiselle les y accompagna, et M. le duc d'Orleans demeure icy.

L'Archiduc estant venu avec son armée aux environs de La Chapelle [La Capelle] y a demeuré pres de 2 jours, faisant mine de la vouloir attaquer, apres lesquelz il s'est avancé dans le Rethelois, où il a joint le mareschal de Turenne, qui avoit passé la Meuse /228/ à Givers; et leurs armées apres s'estre jointes se sont trouvées fortes de 10 mille chevaux et 8 mille fantassins, ce qui a donné l'espouvante en ces quartiers là, dont la pluspart des habitans se sont refugiés dans Rheins, quoy que les ennemis ayent faict publier par tout ce pays là qu'il ne seroit faict aucung desplaisir à ceux qui voudroint demeurer dans leurs maisons, ce qu'ilz observent fort punctuellement; cepandant ilz marchent vers Sedan. L'on y a jetté deux regimentz que M. Faber, qui en est gouverneur, avoit demandé au marquis de la Ferté Seneterre. On a mis 800 hommes dans Rhetel et 600 dans Mesieres [Mézières], et autant dans Rocroy, ce qui a fort affoibly les corps d'armée commandés par ce marquis et par le lieutenant general Rose.

Nostre armée s'assemble à Rivemont [Ribemont], où le mareschal du Plessis arriva le 30; [il] a pris à La Fere 10 mille livres pour son esquipage et M. Tuboeuf luy a presté sa vaiselle d'argent. Les officiers de l'armée font grande difficulté d'y aller, n'estant pas payés. M. de Villequier s'est excusé d'y servir, et le comte de Grancey est party de Gravelines pour aller servir en sa place. M. de Castelnau Mauvisiere s'est excusé d'y servir de mareschal de camp, et M. d'Hocquincourt s'est plaint de ce qu'il y a 600 hommes qui estoint destinés pour son corps d'armée qui n'ont pas esté jointz. Les ennemis ont un autre petit corps d'armée de 3 mille hommes aupres d'Hermantieres [Armentières] sur la riviere du Lys, commandé par le gouverneur d'Herre [Aire?].

L'armée allemande vient servir en Champagne soubz MM. de la Ferté Seneterre et Rose.

Un courrier passant icy presentement pour aller en Cour a apporté nouvelle que les ennemis ont assiegé Porto Longone.

/230/ De Bourdeaux le 2 juing 1650

Lundy dernier les portes de cette ville feurent fermées à 7 heures du soir par ordre des juratz, sur l'advis qu'ilz avoint que Mme la Princesse devoit arriver, et le lendemain porterent la lettre du Roy au Parlement contenant cest ordre; sur quoy les chambres s'estant assemblées pour y desliberer, l'on [eut] advis que [le] peuple avoit levé les serrures des portes de Caillau et du Chapeau Rouge et contraint les juratz de se retirer, ce qui rompit l'assemblée.

Sur les 5 à 6 heures du mesme jour Mme la Princesse et M. le duc d'Anguien arriverent icy, conduitz par M. de Sauveboeuf, et feurent receus avec de grandes aclamations du peuple et logés en la maison du president de Lalane.

Le sieur d'Alvimar estant arrivé icy en mesme temps avec des ordres du Roy, feut pris par le peuple, fouillé, et mené à Mme la Princesse, qui se comporta avec generosité en son endroit et l'envoya à M. le president de la Treme par MM. de Sauveboeuf et de Lusignan. Ce president ne pouvant presenter le pacquet de la Cour à cause de son indisposition, pria ces messieurs d'amener M. d'Alvimar ches M. le president d'Afis, ce qu'ilz ne firent pas, mais le mirent, pour s'asseurer de sa personne, ches M. de Lusignan.

Le lendemain Mme la Princesse vient au Palais avec le duc d'Anguien implorer la justice et la protection du Parlement et presenta sa requeste tendant à deux fins: l'une d'estre authorisée par la justice pour pouvoir tenter touttes actions civiles et criminelles contre qui elle verroit bon estre, et l'autre pour la seurté de sa personne et de celle de Monsieur son filz.

En mesme temps M. l'advocat general du Saut [Dussault] porta la despesche du Roy qui luy avoit esté mise en main par M. d'Alvimar, de laquelle on fit lecture et de la requeste de Mme la Princesse, laquelle entrant dans la chambre du Conseil se jetta à genoux avec son filz et implora la justice de la cour avec des instances accompagnées de larmes. Elle feut relevée par le president Pichon et conduitte dans la chambre de l'audiance, apres quoy les Gens du roy ayant esté ouys, l'on vient à opiner et on luy envoya des commissaires pour sçavoir quelle estoit son intention, ausquelz elle respondit qu'elle protestoit n'avoir que respect et obeissance pour Leurs M., mais que la crainte qu'elle avoit de sa personne /230v/ et de Monsieur son filz l'avoit obligée de recourir à la protection de la cour; sur quoy il feut arresté q'il seroit envoyé copie de sa requeste au Roy; et cepandant, attendu les soubmissions et declarations, qu'elle seroit en toutte seurté en le ville de Bourdeaux soubz la protection et sauvegarde du Roy et de la cour; et que tres humbles remonstrances seroint factes à Leurs M. sur les maux que souffre la province de Guyenne et sur les partis qui s'y forment, et que tout cela ne procedde que de la mauvaise conduitte de M. d'Espernon et de la detention des princes; que Leurs M. seront suppliées de pourveoir à l'ung et à l'autre et de remettre les princes entre les mains de leurs juges naturelz pour leur proces leur estre faict et parfaict, conformement aux ordonnance et declaration du Roy.

Pendant tout ce temps MM. de Bouillon et de la Rochefoucuat demeurerent aux Chartreux, où ilz ont esté visittés par la bourgeoisie, à laquelle ilz ont protesté n'avoir autre intention que de travailler à la liberté des princes et à la paix generalle. Il y vient de tous costés affluence de noblesse, et la cour de Mme la Princesse est aussy grosse qu'elle sçauroit desirer. L'on a faict dire à ces messieurs de se retirer, et il y a grande contestation sur l'enregistrement de la declaration contre le duc de Bouillon. L'armée de ce duc, composée de 2000 chevaux et 3000 hommes de pied, est dans les terres du duché de Fronsac; celle du chevalier de la Valette à Ste Million [Saint-Emilion] à deux lieues de là; l'on dit que c'est pour secourir Libourne s'il est attaqué, n'estant encor qu'investy. Ce chevalier n'a point esté defaict de la façon qu'on avoit publié. Il n'a perdu que quelque peu de bagage et 20 ou 30 cavaliers.

De Paris du 7 juing 1650

L'armée de l'Archiduc s'est avancée jusques à Cressy [Crécy] en Lanois, forte de 25 mille hommes par la jonction de l'armée lorraine, ce qui a obligé le mareschal du Plessis à reculer et à ramener son armée à La Fere, laquelle n'est que de 9000 hommes à cause qu'il a falut /231/ garnir touttes les places et faire plusieurs corps d'armée. Il y a peu d'officiers, point d'artillerie, et pas un sol; neamoings les ennemis n'ont encor faict aucune entreprise.

/232/ De Paris le 10 juing 1650

La semaine passée M. de Beaufort feut mal avec M. le Coadjuteur à cause de quelques faux rapportz qu'on avoit faict pour les diviser, mais Mlles de Montbazon et de Chevreuse les ont accommodés, et despuis ilz ont protesté l'ung et l'autre de ne croire jamais aucung raport que l'on pourroit faire pour les diviser.

Les cappitaines du regiment des gardes ayant demandé leur payement despuis quelque temps sans pouvoir rien obtenir, et voyant qu'à present on avoit donné satisfaction aux Suisses sans parler de leur interestz, s'assemblerent quelques jours devant le despart de la Cour et resoleurent de presenter requeste à la Reyne contenant des instances fort pressantes pour leur payement; et apres avoir faict serment entre eux de demeurer dans les mesmes interestz et de ne se desunir jamais, et en cas qu'on en voulut disgracier quelq'ungs, de contribuer tous ensemble pour rembourser celuy là la valeur de la charge et prendre querelle contre celuy qui l'accepteroit, ilz apporterent cette requeste signée de tous à M. de Candale, le priant comme leur colonnele general de la presenter à la Reyne; ce que [ce] duc ayant faict, M. le Cardinal luy donna parolle qu'ilz seroint satisfaictz des premiers deniers qu'ilz [qui] viendroint à l'Espargne; mais lors que ce duc leur apporta cette response, ilz dirent hautement qu'ilz ne vouloint point de la parole de S.E. et y adjousterent des parolles asses aigres; sur quoy l'affaire s'eschauffant, on trouva moyen de les appaiser par la promesse que leur fit le president de Maison de leur donner une montre en attendant le despart du Roy, et neamoings on ne croit pas qu'ilz l'ayent receu.

Le 3 du courant au soir les ambassadeurs suisses s'estant trouvés au Conseil, qui ce [se] tient ches M. le Garde des Sceaux, on acheva d'accommoder leur affaire, en leur baillant des assignations pour ce qui leur est deubt despuis le mois de janvier, qui ce [se] monte à plus de 300 mille livres en des pierreries en plus grand nombre.

Le mesme jour l'archevesque de Sens et le coadjuteur de Paris ayant fort contesté dans l'Assemblée generalle du clergé sur leurs differens, il feut ordonné que la province de Paris opineroit separement d'avec celle de Sens dans la presente assemblée; cepandant deffenses ayant esté faictes par M. le Coadjuteur à M. de Sens de dire ny faire dire la messe à Paris dans l'hostel de Sens soubs peyne d'excommunication, celuy cy s'en est si bien mocqué que despuis il a [il l'a] faict chanter en musique.

Le 4 au matin la mesme Assemblée estant sur le point d'eslire des presidens, l'archevesque de Reins feut esleu. Ensuitte l'archevesque d'Ambrun pretendoit aussy d'estre esleu et mesmes volut avancer à cette fin que M. le duc d'Orleans le souhaittoit; mais on luy dit que ce n'estoit pas un affaire où S.A.R. eut interest. Il y eut de si grandes contestations là dessus que l'Assemblée se leva sans rien resoudre. L'apresdisnée du mesme jour les deputtés du second ordre du clergé s'assemblerent ches l'abbé de la Marmiesse, agent general, et proposerent, quoy que cela n'eut jamais esté, de faire un president du second ordre et de nommer à cette fin l'abbé de Jumiege; mais cela n'a pas passé, et hier l'archevesque d'Ambrun et l'evesque de Mascon feurent esleus presidentz.

Le mesme jour la princesse de Tarente partit d'icy pour aller à Caselle veoir Mme la langrave, /232v/ sa mere, et tenir l'enfant de M. le Langrave, son frere; et quoy qu'on croye ce voyage misterieux, neamoings en passant par icy elle a veu Leurs M., Leurs A.R., et S.E., qui la receurent fort bien. Elle s'est embarqué à Calais pour passer par la Holande.

Le 5 on eut advis que le marquis de Noirmonstier a esté fort bien receu dans son gouvernement du Mont Olimpe et Charlesville, dont il a pris possession.

MM. de Cossé et de Biron ayant demandé à M. le Cardinal le brevet de mareschal de camp, S.E. le leur a refusé et en a accordé un à M. de Chemeraut.

Le mesme jour le mareschal de Rantsau feut mandé à la Cour. On luy a promis de luy rendre son gouvernement de Duncherque. En ce cas on croit que celuy de La Fere sera donné à M. de l'Estrade. Ce mareschal partit hier au matin pour cest effect, et la cause de sa prison a esté attribuée à M. le Prince.

M. de Villequier s'est enfin resolu d'aller servir cette campagne et est party pour cest effect apres avoir receu 10 mille livres.

Le soir du mesme jour 5 on trouva dans le jardin du palais d'Orleans une lettre addressée à S.A.R.; laquelle ayant esté donnée à Madame, elle la luy envoya à Limours où il estoit allé passer les festes. On dit que cette lettre contenoit quantité d'advis fort libres sur l'estat present des affaires.
Le 6 un courier extraordinaire arriva icy et porta nouvelle que 2500 Espagnolz ayant parus dans la vallée d'Aran pour secourir Castelleon [Castellon], M. de Nestier, mareschal de camp, qui assiege ce chasteau, leur alla au devant avec les regimentz de la reyne, de Guyenne, et de Candale pour les combattre; mais s'estant un peu tropt avancé, les ennemis, qui estoint plus fort, le firent d'abord prisonnier, deffirent le regiment de la reyne. Sur cela, les deux autres regimentz s'estant mis en desordre, les Espagnolz pousserent jusques aux lignes; ce qui ayant donné l'espouvante aux restes de nos trouppes qui estoint autour de la place, elles leverent le siege et laisserent presque tout le bagage avec une piece de canon de 4 qu'il y en avoit; cepandant M. de Nestier ayant trouvé moyen de s'eschaper, vient rallier ses trouppes et ne se trouvant pas asses fort, se retira. On attribue la faute de tout cela à M. de Merainville, lequel on asseure n'avoir pas voulu mesler les troupes de Catalougne avec les autres, qui estoint troupes de Guyenne.

Le bruit a fort couru que les Huguenotz avoint commencé de remuer en Languedoch, mais les avis que en viennent ne parlent pas qu'il y aye un party formé pour cela; et ce qui a fait naistre ce bruit est la nouvelle venue la semaine passée du different arrivé dans la ville de Nismes entre eux et les Catholiques sur ce que la garde y a esté redoublée à cause de la peste qui est dans quelques lieux circonvoisins. Ceux cy la vouleurent faire seulz; les Huguenotz estant les plus fortz dans cette ville là, se saisirent des portes, mais l'affaire feut accommodée, les partis estant demeurés d'accord que la garde seroit composée moitié de Catholiques et l'autre moitié d'Huguenotz. Sur cela neamoings le marquis de Cavison [Cauvisson], gouverneur de Peguais, se deffiant des derniers, a mis 300 hommes /233/ de renfort dans cette place; et parce que les amis de M. le Prince briguent dans cette province là pour y faire un party, ce marquis a envoyé avertir M. le duc d'Orleans par un courrier extraordinaire qui arriva icy le 8, qui dit qu'il y a quantité de gentilhommes dans la province qui demandent party pour s'opposer à cela; mais comme ilz ne font cette demande que pour se faire considerer et de se servir de ce pretexte pour faire leurs affaires, l'on ne croit pas qu'on le leur permette, si ce n'est en cas que les Huguenotz vouleussent remuer, le party des princes ne pouvant rien faire autrement.

Le vicomte d'Arpajou a levé quelques trouppes dont, ayant faict reveue dans sa terre de Severac en Rouergue, il s'est trouvé qu'il avoit 4 mille hommes. Il a ensuitte commandé à tous ses vassaux de tenir les armes prestes en cas qu'il arrivat quelque desordre, et à ceux qui n'en avoint point, d'en achepter; et quoy qu'il leur aye dit que c'estoit pour le service du Roy, neamoings on ne sçait pas son desseing; et comme il est mescontent, on n'en conjecture rien de bon.

Les lettres de Tholouse du 31 du passé portent que la nuict precedente 8 à 900 hommes de piedt avoint passé la riviere de l'Ariege sur le pont d'Hauterive [Auterive], sans qu'on sceu s'ilz alloint trouver ce comte ou le duc de Bouillon; et que cepandant le Parlement de Tholose avoit veriffié la declaration du Roy donné contre ce duc, le mareschal de Turenne, le prince de Marcillac, et autres, et donné arrest portant deffenses à touttes personnes de suivre ny adherer aux factions du duc de Bouillon, de faire aucunes levées de gens de guerre ny assemblées à cette fin.

Celles de Bourges portent que la garnison de Mourron estoit forte de 1200 hommes et celle du chasteau de Beaugy [Baugy] de 500, lesquelz ne font plus de desordres; que sur cela les Huguenotz de Senserre [Sancerre] avoint pris ce pretexte de faire des fortes pallissades dans leur ville; dont les Catholiques, ayant pris jalousie, ont envoyé leur curé à Bourges pour en donner advis à MM. du Chapitre, lesquelz ayant deputté vers le comte de St Aignan pour sçavoir si c'estoit par son ordre que les Huguenotz s'estoint fortiffiés, il a respondu que ce n'estoit point par son ordre, mais qu'il sçavoit bien que ce n'estoit que pour se garantir des courses de Mouron et de Baugy. Ce comte a eu quelque different avec les tresoriers de France de cette province là. Ceux cy avoint resolus de deputter vers M. le Garde des Sceaux pour le prier de se joindre à eux afin de faire des plaintes generales de la province contre luy, mais cest affaire est accommodée.

Le comte de Paluau et M. du Plessis Belliere, qui vont servir en Guyenne de lieutenantz generaux soubz le mareschal de la Mesleraye, n'ayant pas encor receu les 25 mille livres qu'on leur a promis à chacung, ont differé leur voyage pour quelques jours. Le premier ayant esté rencontré par le marquis d'Ortes [Ortès], sorty peu de jours auparavant de la Bastille où il avoit esté mis par l'intrigue de ce comte, l'appella en duel et voulut s'aller battre sur l'heure mesme à coup de pistollet; mais celuy cy ayant remis l'affaire au lendemain, elle feut evantée dans le temps que ce marquis l'attendoit pour aller au rendevous.

/233v/ Le 7 un conseiller du Parlement de Provence estant arrivé icy, presenta requeste au Conseil par laquelle il demandoit les dommages et interestz de l'embrasement d'une sienne maison que les troupes du comte d'Alais luy ont bruslé. Les deputtés du mesme parlement l'accompagnerent ches M. d'Orleans. Les consulz de Marseille ont escript par cette voye à MM. les ministres, ausquelz ils se plaignent des pirateries que les vaisseaux du roy exercent indifferenment contre tous ceux qui negotient sur la Mediterranée, et demandent que les marchandises prises sur mer soint du moin[g] portées et vendues à Thoulon.

Le mesme jour M. de Lyonne arriva icy incognito, venant de Compiegne, et feut descendre ches M. le Coadjuteur, on ne sçait à quel desseing.

L'armée allemande qui estoit en Lorraine est si fort desbandée que M. Hervart n'en a peu ramasser que 1200 hommes, lesquelz viennent joindre le mareschal du Plessis; et quoy que le reste eut promis de ne servir point contre le Roy cette campagne, neamoing il y en a plusieurs du debris de cette armée qui ont pris party pour le mareschal de Turenne.

On a advis de Bruxelles que le comte de Fuelsendagne y ayant apporté le traitté qu'il avoit faict avec Mme de Longueville et le mareschal de Turenne, le duc de Lorraine avoit demandé aux Espagnolz qu'ilz luy rendissent Stenay, qui luy appartient. On eut advis le 8 au matin que les troupes lorraines venoint joindre l'armée de l'Archiduc, laquelle se trouve forte de 18 à 20 mille hommes par la jonction du mareschal de Turenne. Elle s'avancea dès le commencement de cette semaine à Cressy [Crécy] et de là vient en Crespy [Crépy] en Laonois, et se posta entre Laon et Soissons; ce qui obligea le mareschal du Plessis de revenir à La Fere avec une petite partie de l'armée, ayant jetté le reste dans les villes et places, mais lors qu'on en a voulu mettre dans Laon, les bourgeois n'en ont point voulu recevoir. Sur cette nouvelle le mareschal d'Estré, qui en est gouverneur, partit d'icy avant hier au matin pour y aller. Despuis on a sceu que les ennemis ne peuvent subsister si avant dans la Picardie faute de vivres, ont esté contraintz de s'en retourner au delà de Guyse, et ont pris leur marche vers Arras sans avoir faict aucune entreprise; et hier M. de Saintout, lieutenant de l'artillerie, receut ordre de M. le Cardinal d'envoyer des munitions dans Arras, sur lequel on aprehende que les ennemis ayent desseing.

Le colonnel Roquely, Anglois, le regiment duquel est en garnison dans La Bassée, ayant obtenu congé pour aller servir le roy d'Angleterre, vendit son regiment au comte Broglio, d'où il partit ces jours passés pour s'en aller. Estant arrivé à Lisle [Lille], il traitta avec les Espagnolz pour leur mettre entre leurs mains La Bassée, où il envoya à cette fin son valet de chambre pour corrompre les officiers de ce regiment et leur donner le mot du guet (qui estoit Roquely) pour s'en servir /234/ lors qu'ilz seroint venus surprendre la place par l'endroit où ce regiment estoit en garde; mais cette conspiration ayant esté descouverte, le valet de chambre a esté mis en prison.

Un courrier envoyé de Bourdeaux aux deputtés qui sont icy arriva le 8, et rapporta que le 4 le Parlement s'estant assemblé pour desliberer sur la declaration du Roy contre le duc de Bouillon, etc., ce duc avoit presenté requeste par laquelle il demandoit d'estre receu opposant à l'enregistrement de cette declaration; et qu'il feut ordonné que la requeste seroit envoyée au Roy pour y faire droit, et cependant surcis pour 6 semaines à l'enregistrement.

Le baron des Ouches, cappitaine des gardes suisses de M. le duc d'Orleans, doit partir lundy prochain pour aller à Thoulouse negotier un accommodement dans l'affaire que Maistre Gargan vouloit faire touchant les tailles.

Hier au matin M. le duc d'Orleans partit d'icy en relais de carrosses pour aller à Compiegne. M. le Garde des Sceaux estoit party dès avant hier pour y aller avec le president de Maison et autre ministres. Ilz doivent tous revenir apres demain, apres avoir tenu conseil tant sur la marche des ennemis que pour l'affaire de Bourdeaux.

Le bruit s'est repandu ce matin dans tout Paris que S.A.R., estant arrivée à Compiegne, avoit faict arrester le cardinal Mazarin et l'avoit faict conduire dans la citadelle d'Amiens, mais cela est faux.
M. de Vendosme se devoit faire recevoir dès hier au Parlement dans la charge de l'admirauté, mais cela feut remis à aujourd'huy et ce matin l'on l'a encor remis à mardy prochain, ce qu'on attribue à quelque mistere.

On parle du mariage du president Bellievre avec Mme de Leuville, niepce [soeur?] de M. de Chasteauneuf, dont quelq'ungs veulent conclurre que celuy cy se pourra demettre de la charge de garde des sceaux en faveur du premier.

/236/ De Paris le 17 juing 1650

Le 11 du courant Mme d'Aigullion ayant eu advis que le Duc s'estoit allé promener l'apresdisnée de ce jour là, fort peu accompagné, au bourg de La Chapelle sur le chemin de St Denys, où le curé du lieu luy donnoit la colation, y alla promptement elle mesme avec 10 ou 12 cavaliers resolus; et l'ayant enlevé, l'enmena au Petit Luxembourg où il est despuis estroittement gardé. Mme de Richelieu, apres en avoir fort crié, presenta une requeste au Parlement fort injurieuse contre Mme la duchesse d'Aigullion, par laquelle apres avoir fort declamé contre le proceddé dont elle avoit usé d'enlever le duc de Richelieu, elle demandat qu'il feut informé de cette action, tant contre cette duchesse que contre tous ceux qui s'y estoint trouvés à cest enlevement, et que le proces luy feut faict à elle et à ses adherens; qui [qu'il] feut permis à la suppliante de faire rompre les portes du Petit Luxembourg pour mettre ce duc en liberté; et qu'il feut faict deffenses à Mme d'Aigullion sur peyne de la vie de l'enlever hors de Paris. Celle cy et Mme d'Auroy, mere du Duc, presenterent en mesme temps une autre requeste par laquelle, apres avoir accusé Mme de Richelieu d'avoir desbausché ce duc, elles se justiffioint de sa detention, l'une en qualité de tutrice et l'autre en qualité de mere. Sur cela il feut ordonné que les requestes seroint communiquées au Procureur General, et que cepandant Mmes d'Aigullion et d'Auroy viendroint playder le 15 avec touttes les parties interessées dans cest affaire et representeroint le duc de Richelieu. MM. de Beaufort et le Coadjuteur, M. et Mme de Chevreuse ont sollicitté les juges en faveur de Mme d'Aigullion; mais Mme de Richelieu, voulant faire veoir qu'il n'y avoit point d'inegalité de condition entre elle et le Duc son mary, fit dresser une requeste au nom de quantité de personnes fort qualiffiées, qui l'on signé et demandent d'estre receus intervenantz dans la cause comme ses parens: se [ce] sont entre autres le marquis des St Germain Beaupré, le comte de Mislans et de Tresmes, le mareschal de l'Hospital, et M. de Liancourt, dont il n'y a que les deux premiers qui soint effectivement ses parens. Il n'a rien encor esté dict sur cette requeste, mais le 15 l'on commencea à playder cette cause, laquelle n'ayant peu estre achevée, l'on l'a remis au 18; auquel jour l'advocat Gautier, cellebre pour ses invectives, lequel playda pour Mme d'Auroy, parlant de la requeste des intervenantz, dict que pour faire veoir la condition de Mme de Pons (car Mme d'Aigullion ne la nomme pas Mme de Richelieu) il parleroit des grandz chapperons dont elle estoit issue. Cepandant il feut ordonné que le duc de Richelieu demeureroit en la garde de Mme d'Aigullion, laquelle le meneroit demain en /236v/ audiance; et parce qu'il ne s'estoit point trouvé au Palais à cause de son indisposition, l'on envoya un huissier au Petit Luxembourg pour veoir en quel estat il estoit, et cest huissier raporta au Parlement qu'il l'avoit trouvé au lict malade.

Le mesme jour 11 on eut advis de Compiegne que le Conseil s'i estant tenu le 10 sur le suject de l'affaire de Bourdeaux et sur la marche des ennemis en Picardie, l'on avoit resolu que Leurs M. iroint en Guyenne avec M. le Cardinal, M. le Garde des Sceaux, et le Conseil, qui neamoings ne seroit composé que de six conseillers d'Estat et 12 maistres des requestes, avec M. le Surintendant des Finances et quelques autres financiers; et que le duc d'Espernon seroit mandé pour venir trouver Leurs M. où elles seront. Pour cest effect on fit partir en mesme temps M. de la Tivoliere, lieutenant des gardes de la reyne, tant pour aller porter cest ordre au duc d'Espernon que pour porter des bastons de mareschaux de France au marquis de la Force et au vicomte d'Arpajou, pour leur faire perdre l'envie d'estre du party des princes, et pour faire sçavoir au marquis de Bourdeilles et au comte de Baraut le desseing que Leurs M. avoint prins de faire ce voyage, pandant lequel M. d'Orleans, apres avoir demeuré icy 15 jours ou 3 semaines pour y retenir les espritz remuantz, ira faire un voyage à Amiens afin de donner les ordres necessaires à l'armée. S.A.R. et M. le Garde des Sceaux revinrent de Compiegne le 12, et despuis toutte la Cour se prepare pour le voyage de Guyenne, quoy que plusieurs ne peuvent pas croire qu'on le fasce.

Outre ce que vous veres dans la relation de Bourdeaux, l'on asseure que Mme la Princesse a faict le duc de la Rochefoucaut gouverneur du duc d'Anguien, et que le mareschal de Granmont, qui est dans son gouvernement de Bearn, l'a envoyé complimenter; mais il n'est pas vray qu'il se soit declaré pour elle non plus que le vicomte d'Arpajou, qui n'a levé des trouppes que pour se faire considerer et pour porter la Cour à luy tenir ce qu'il luy feut promis lors qu'il l'alla [qu'il alla] faire son ambassade de Poulougne; ainsy ce [se] trouveront prestes pour estre employées au service du Roy, lors qu'il recevra l'offre que l'on luy est allé faire M. de la Tivoliere, qui luy a porté des commissions pour une levée de 4 mille hommes, qui est le nombre des trouppes qu'il la [qu'il a] levé. La ville d'Acqs [Dax] en Guyenne a envoyé icy un courrier au marquis de Poignane [Poyane], qui en est gouverneur, pour l'advertir que 5 à 6000 hommes s'avanceoint par la Basse Navarre pour assieger cette ville là, qui a esté confiermé par un autre courrier envoyé icy par le mareschal de Grandmont, lequel pour s'y oposer a faict assembler la noblesse. Despuis on a eut nouvelle par un autre courrier extraordinaire qui arriva icy le 14, venant de Bourdeaux, /237/ que sur les plainctes que Mme la Princesse y faisoit du proceddé de l'advocat general Lavie, lequel s'opposoit dans le Parlement à tout ce qu'elle pretendoit d'y obtenir, le marquis de Sauveboeuf y avoit faict ramasser de nuict quelque menu peuple et l'avoit conduit dans la maison de celuy cy, qui pour esviter le fureur de ce peuple se sauva dans le couvant des Feuillans et de là se retira à Blaye; et que sur cela le Parlement avoit despesché des commissaires pour en informer, lesquelz avoint faict mettre en prison 7 ou 8 de ces mutins, à qui l'on faisoit le proces.

Apres le retour de S.A.R., les deputtés de Bourdeaux l'ayant esté visitter, elle leur dit d'aller trouver M. le Garde des Sceaux, qui leur diroit la resolution qui avoit esté prise à Compiegne, ce qu'ilz firent; et le lendemain 14 Sadite A. leur confierma ce que M. le Garde des Sceaux leur avoit dit: sçavoir, qu'ilz pourroint s'en retourner pour aller disposer les esprits de Bourdeaux à bien recevoir le Roy, comme ilz avoint faict autrefois Louys 13 son pere, et Henry 4 son grandpere, et qu'ilz pouvoint asseurer toutte la Guyenne que Sa M. mettoit en oubly tout ce qui c'y [s'y] estoit passé et estoit disposé à faire ressentir des effectz de sa bonté aux Bourdelois s'ilz s'en rendoint dignes à sa reception. Ces depputés respondirent à cela qu'ilz estoint prestz de parler, mais qu'ilz suplioint S.A.R. de leur faire donner leur congé par escrit, ou du moings un certifficat de ce qu'elle leur avoit dit, ce qu'ilz attendent.

Le mesme jour 11, MM. du Paluau et du Plessis Belliere partirent d'icy pour aller trouver M. le mareschal de la Mesleraye à Confolan [Confolens] en Poictou, où celuy cy asemble ses trouppes pour aller joindre le chevalier de la Valette et combattre l'armée du duc de Bouillon.
Ledit jour les Suisses receurent le reste de ce qu'il [qui] leur estoit deub des 400 mille livres qu'on leur a payé comptant, mais ilz se plaignent encor de ce que les pierreries qu'on leur a donné n'ont esté estimées que 220 mille livres. On a licentié encor 22 compagnies suisses, outre les 16 que vous aves sceu.

Le 13 le duc de Vendosme ayant pesenté les prouvisions de l'admirauté au Parlement, elles feurent enfin veriffiées de la mesme façon q'avoint esté celles du feu duc de Brezé avec les droictz d'ancrage, sans neamoings tirer à consequence à cause qu'ilz appartiennent au domaine du Roy. Cette veriffication avoit esté retardée sur ce que ce duc y avoit faict incerer deux clauses importantes, lesquelles le Parlement n'a jamais voulu aprouver: la premiere, qu'il pourroit establir un Grand Conseil de Marine comme avoit faict le cardinal de Richelieu, qui par ce moyen faisoit juger les proces des prises sur mer à sa fantaisie, à cause que ceux qui composoint ce conseil y estoint interessés et ainsy juges et parties tout ensemble; le 2, qu'il auroit le mesme pouvoir de commander sur mer /237v/ que les connestables ont eu sur terre, c'est à dire qu'il ne seroit pas obligé de prendre des commissions du Roy lors qu'il s'agiroit de quelque entreprise sur mer; à quoy neamoings l'a [sic] obligé par sa veriffication et s'est reservé à la cognoissance de touttes les prises qui se feroint sur mer. Ce duc s'en va en Bourgogne, où il n'est pas aymé à cause de certains droitz de peage qu'il y a establis sur la riviere de Saosne proche Mascon, sans aucune declaration du Roy ny arrest du Conseil, outre que quelques trouppes qu'il a encor dans la province vont d'ung village à l'autre et n'en sortent point qu'ilz imposent à leur volontés. Le comte de Chastelus s'est jetté dans un chasteau qu'il a proche Auxerre en desseing d'y tenir bon pour M. le Prince. Le marquis de Persan est arrivé despuis 7 ou 8 jours dans Mourron, où l'on croit que le comte de Tavanes l'est allé trouver, estant party d'icy il y a 4 ou 5 jours.

Le 14 on eut advis de Provence que M. de Varennes ayant receu l'abolition qu'on luy avoit envoyé d'icy pour MM. de Marseille touchant ce qui s'estoit passé lors que le cappitaine des gardes du comte d'Alais feut tué, manda à ces messieurs qu'il avoit ordre de leur bailler cette abolition et que le Roy vouloit qu'ilz envoyassent une deputation honnorable à ce comte, à laquelle assistassent les consulz, ou du moings l'ung d'iceux, pour luy demander pardon de ce qui s'estoit passé à la mort de son cappitaine des gardes; sur quoy ces messieurs s'estant assemblés en l'Hostel de Ville, resoleurent qu'aucung des consulz n'iroit à cette deputation, qu'on y envoyeroit des gentilhommes en nombre suffisant pour la rendre la plus honnorable qu'il ce [se] pouvoit, et qu'on ne ce [se] serviroit point du tout du mot de pardon, mais que si M. de Varennes avoit quelque terme plus doux on s'en serviroit en faisant excuse au comte de tout ce qu'il [qui] s'estoit passé; dont ilz envoyerent advertir M. de Varennes, qui les voyant dans cette resolution leur envoya l'abolition, disant qu'il ne se mesleroit plus du reste, et l'affaire en est demeuré là.

On esquippe à Toulon 15 ou 20 vaisseaux et 10 ou 12 galleres avec quoy les cappitaines se font fort de secourir Porto Longon, quoy qu'il n'y aye pas nouvelles qu'il soit encor assiegé. Les esmolumentz des prises qui ont esté faittes sur mer cette année doivent estre employés à cest esquipage apres qu'on les aura jugées. L'armée de l'Archiduc, qui s'estoit retiré vers Guise sur la fin de la semaine passée, feignant de marcher vers Arras, estoit allée recevoir un convoy de vivres qui venoit de Cambray et de Valentiennes, dont elle avoit si grand besoin q'ung pain de munition y valloit jusques à 25 solz. Apres avoir receu ce convoy, une partie de leur cavalerie /238/ vint aupres de Chauny et aux environs de Soissons, ce qui donna une telle espouvante aux lieux circonvoisins que les habitans de Noyon apporterent leurs meubles à Compiegne, et M. de Manican y fit aussy apporter les siens sur l'advis qu'il eut par une lettre qui luy avoit escritte de Barriere, qui est avec le mareschal de Turenne, qu'il escrit d'oster tout ce qui estoit dans sa maison et qu'il commanda à ses gens de ne faire aucune resistance aux ennemis lors qu'ilz se presenteroint, parce que l'Archiduc avoit commandé qu'on mit le feut [feu] partout où l'on feroit resistance, et au contraire deffendit de commettre aucung desordre dans les lieux où l'on ne resisteroit point. Leur armée se presenta ensuitte devant St Quentin, où elle fit alte pandant un jour et demy, apres quoy elle est allée assieger Le Castelet; ce qui obligea M. le Cardinal de partir de Compiegne bien accompagné, pour aller à La Fere porter de l'argent à l'armée que le mareschal du Plessis y assemble et resoudre si l'on doit tanter le secours de cette place, laquelle pourra tenir quelque temps, M. de Vendy l'ayant asses bien munie, ou si l'on doit faire diversion aux ennemis par l'attaque de quelques unes de leurs places. S.E. y a mené M. le mareschal de Ransau pour assister au Conseil, apres lequel elle retourna le 15 à 11 heures du soir à Compiegne pour venir icy lundy prochain avec Leurs M. et ce [se] disposer pour le voyage de Guyenne, quoy que plusieurs croyent qu'elle ne passeront pas dans Paris et qu'elles iront passer la Marne à Meaux et la Seine à Melun, pour sejourner deux ou 3 jours à Fontainebleau et de là prendre le chemin d'Orleans.

Il y a encor icy une partie des cappitaines du regiment des gardes qui ne veulent point aller servir si on ne les paye.

Le lieutenant general Rose est joint avec le marquis de la Ferté Seneterre, estant ensemble 5 à 6000 hommes, avec lesquelz il viennent joindre le mareschal du Plessis. Leurs M. ayant nommé le mareschal de l'Hospital, le president de Bellievre, et M. d'Aligre conseiller d'Estat, pour aller à l'Assemblée du clergé faire la demande de la somme que le Roy pretend de cette assemblée, ceux cy ont demandé six millions, dont on ne croit pas que le clergé en donne la moitié.

La nomination d'ung nouveau prevost des marchanz ce [se] devant faire au mois d'aoust prochain, l'on commencea à songer aux moyens de faire continuer celuy qui l'est à present, à quoy le mareschal de l'Hospital faict se possible; mais le Premier President pretend faire nommer le president Molé, son proche parent, parce que M. le Cardinal le luy a promis; et les Frondeurs veuillent faire eslire M. Le Fevre, conseiller. Le bruit continue qu'on donne le gouvernement de Guyenne à M. le duc d'Anjou, et que le mareschal de Schomberg y sera son lieutenant general et cedera par ce moyen celuy de Metz, Tout, et Verdun au duc d'Espernon.

/238v/ Ce matin la nouvelle est venue que M. de Vandy ayant resolu de resister dans Le Castelet jusques à l'extremité, à cause qu'il n'estoit assiegé que par 8000 hommes, sçavoir 4 mille du corps d'armée du marquis Sfrondati et 4000 Lorains qui l'avoint joint. La garnison de cette place, envers laquelle il n'avoit point eu encor du credit, n'ayant eu le gouvernement que despuis peu, il luy declara hautement qu'elle ne vouloit point ce [se] faire esgorger par les ennemis et que ne leur pouvant pas resister, il falloit qu'ilz fissent capitulation de bonne heure, autrement que la garnison la feroit sans luy; sur quoy il frappa quelques soldatz ce ceux qui avoint esté les plus hardis à luy parler de la sorte, n'y ayant que fort peu d'officiers; ce qu'ayant obligé les autres à mettre l'espée à la main contre luy, il en tua deux de sa main et feut blessé de deux coups d'espée et de quelques coups de crosse de mousquet sur le dos; et ce bruit s'estant un peu appaisé, il se fit porter sur les rempars tout blessé qu'il estoit et fit une capitulation honnorable, suivant laquelle il sortit le lendemain 15 au matin avec armes et bagages et feut escorté avec la garnison à St Quentin, aux environs duquel les ennemis sont revenus. Le duc Charles est entré luy mesme avec son armée dans la Lorraine, où apres avoir pris un poste advantageux il a assiegé la ville de Sabbru [Saarbrücken?].

/240/ De Paris le 24 juing 1650

Le 18 du courant le plaidoyé de l'enlevement du duc de Richelieu ce [se] devant continuer, et Mme d'Aigullion estant obligée d'y faire trouver ce duc en personne, où les parens et amis de Mme de Richelieu se trouverent dès les 6 heures du matin au Palais avec une suitte de plus de 200 personnes, en intention d'enlever ce duc lors qu'il en sortiroit; mais ce desseing ayant esté sceu dès le jour precedent, MM. de Beaufort et de Chevreuse et le marquis de Coaquen [Coetquen] en avoint offert plus grand nombre à Mme d'Aigullion pour s'y opposer, dont elle les remertia, disant que son nepveu n'iroit point au Palais à cause qu'elle avoit obtenu un arrest du Conseil par lequel l'affaire y est evoqué, avec deffenses au Parlement d'en prendre cognoissance. Cette evocation estoit fondée sur les parentées et alliances que Mme de Richelieu y avoit au degré de l'ordonnance, quoy que le vray suject pour lequel la premiere avoit eu recours au Conseil estoit parce que celle cy avoit plus d'amis qu'elle dans le Parlement, et qu'entre autres le Premier President et toutte sa faction estoit pour Mme de Richelieu, tant à cause de l'interest que M. le Prince a dans cest affaire que pour la bonne intelligence qui est entre le marquis de Fors, frere de celle cy, et M. de Champlastreux, filz aisné du Premier President. Cest arrest feut signiffié dès le 17 au soir à Mme de Richelieu, et [Gontier] l'avocat de Mme d'Aigullion ne s'estant pas presenté le lendemain au Parlement pour plaider, celuy de Mme de Richelieu demanda deffaut; et M. l'Advocat General ayant esté ouy, ce deffaut feut accordé et ordonné que les parties viendroint playder au premier jour; et que cepandant deux commissaires seroint depputtés pour informer de l'enlevement du duc de Richelieu, et l'iroint trouver au Petit Luxembourg pour sçavoir de luy en quel estat il estoit et de quelle façon il avoit esté enlevé. Suivant cela MM. Doujat et Menardeau estant allés l'apresdisnée du mesme jour au Petit Luxembourg, Mme d'Aigullion leur fit signiffier son arrest du Conseil et ne voulut pas souffrir qu'ilz interrogeassent le duc de Richelieu; sur quoy ilz firent leur proces verbail, et leur greffier escrivit sa response. Le 20 Mme de Richelieu presenta sa requeste, par laquelle apres avoir representé que Mme d'Aigullion continuoit ses violences et meprisoit l'authorité du Parlement, n'ayant pas voulu souffir que les commissaires executtassent l'arrest du 18, elle demandoit que cette duchesse feut contrainte par corps à representer la personne de ce duc et le mettre en liberté; mais il ne feut rien dit là dessus jusques au lendemain 21, qu'il feut arresté que Mme d'Aigullion mettroit en liberté le duc de Richelieu dans ce jour là, /240v/ à peyne de 100 mille livres d'amande, et que les mesmes commissaires qui avoint esté au Petit Luxembourg seroint depputtés à M. le duc d'Orleans pour luy donner part de cette resolution, laquelle ilz arresterent de ne point signer jusques à ce qu'ilz auroint response de S.A.R. là dessus. Mme d'Aigullion ayant esté advertie feut aussytost trouver Sadite A. avec qui elle eut conference particuliere; et ensuitte MM. Doujat et Menardeau y estant allé, S.A.R. leur dit qu'elle leur rendroit response à 4 heures apres midy. Cepandant le Conseil s'estant tenus dans le palais d'Orleans, il feut arresté que MM. du Parlement s'estant comportés dans cette conjoncture avec moderation, que les parties viendroint en personne au Conseil pour estre ouys, et que cepandant les choses demeureroint en estat qu'elles estoint. Sur cela Mme d'Aigullion ayant esté mandée la premiere dans ledit palais avec le duc de Richelieu, qu'elle fit passer par le jardin, et ayant esté ouy, Mme de Richelieu vient ensuitte accompagnée de quantité de braves parens et amis de sa maison; apres quoy il feut resolut par le Conseil que le duc de Richelieu seroit mis en despost entre les mains de M. de la Frete, cappitaine des gardes de S.A.R., à la maison duquel il feut mené, et MM. du Parlement l'y allerent interroger sur son enlevement; à quoy il respondit qu'il n'avoit point esté enlevé, et que Madame sa tante l'ayant esté trouver au bourg de La Chapelle, il luy avoit donné la main et il estoit entré en carrosse avec elle pour s'en revenir; et que despuis il n'avoit pas eu la liberté de sortir de la maison de sa tante; et que quant à son mariage, il le croyoit bon et qu'il vouloit sa femme. M. du Coudray Montpensier, parent de celle cy, l'estant allé veoir peu apres, il le pria d'asseurer sa femme qu'elle ne se mit point en peyne de cest affaire, et qu'il ne la repudieroit jamais. Despuis, elle et Mme d'Aigullion le vont veoir chacune à son tour quand bon leur semble, et MM. de Miossens, de Vigean, et de Fors disnerent avant hier avec luy. M. de la Frete le laissa promener hier au soir dans le jardin du palais d'Orleans, le faisant bien garder.

M. le duc d'Orleans estant allé à Limours le 16, feut veoir le lendemain Mme de Chevreuse à Dampierre, où il eut une longue conference avec elle, qui y est journellement visitté d'ung grand nombre de personnes de condition; et l'on remarqua que ce prince revenant icy le 18, elle le feut rencontrer en chemin et confera encor plus d'une heure avec luy dans son carrosse au milieu du chemin. Peu apres qu'elle s'en feut retournée, S.A.R. rencontra M. le Coadjuteur, et le marquis de Montresor, et autres au nombre de plus de 30 qui alloiont veoir cette duchesse, ce qui fit croire à plusieurs qu'il y avoit quelque /241/ grande intrigue et qu'elle estoit mescontente de M. le Cardinal, de qui MM. le Coadjuteur et de Montresor sont à present bons amis, celuy cy en ayant receu despuis peu une abbaye de 14 mille livres de rente; mais Mme de Chevreuse estant revenue icy et n'ayant faict paroistre aucung mescontentement, ce bruit est cessé.

Vous sçaves que les receveurs du clergé payent ordinairement 14 mille livres chasque semaine aux rentiers de la Ville, et qu'ilz n'ont pas voulu payer le 14 semaines qu'a duré la guerre de Paris, disant qu'ilz n'ont rien receu pandant ce temps là; mais les rentiers s'estant plaintz de ce refus, on[t] obtenu un arrest du Conseil par lequel il est ordonné qu'outre les 14 mille livres ordinaires, lesdits recepveurs payeront encor 4000 livres chasque semaine, jusques à ce que ce qui est deubt aux rentiers pour le 14 semaines de la guerre soint entierement payés. Le clergé estant adverty de cest arrest, s'en est plaint au Conseil, qui a respondu qu'il falloit rejetter cette somme sur les provinces qui n'avoint point esté foulées pandant la guerre, et leur faire contribuer ce que celles qui avoint esté foulées n'avoint peu payer; et l'Assemblée n'estant pas satisfaitte de cette response, a faict deffense à ses receveurs de payer les 14 mille livres jusques à ce que le Conseil les aye deschargé de 14 semaines de la guerre. L'on a remarqué que l'archevesque d'Ambrun a porté cest affaire fort haut, ayant dit dans l'Assemblée qu'il y avoit deux choses à considerer dans cette affaire, sçavoir le peuple et la Cour; que pour le premier on ne devoit pas s'en mettre en peyne, et qu'il ne se soucioit pas qu'on le fit passer pour autheur de cette resolution. Pour ce qui estoit de la Cour, il ne craignoit rien de tout ce qu'elle pouvoit faire, n'en attendant aucune chose. Les plaintes ayant esté faictes à l'Assemblée du clergé des violences que le duc d'Espernon exerce contre les evesques et curés de son gouvernement, l'Assemblée resolut d'aller en corps trouver le Roy en habit decent, et d'invitter les evesques qui sont en cette ville de les assister en ce rencontre, pour se plaindre à Leurs M. des volz et incendies et sacrileges qui se commettent en Guyenne par ordre de ce duc, et demandent justice, à faute de quoy ilz doivent asseurer le Roy qu'ilz procederont contre ce duc par les censures esclesiastiques.

On escrit de Tholose que le Premier President ayant receu le portrait du Roy que S.M. luy avoit envoyé, se gloriffia si fort d'avoir receu ce present, qu'il le fit porter dans le Parlement, où il fit une harangue pour ce subject; dans laquelle apres avoir fort loué Sa M., disant qu'il y avoit des personnes qui la vouloint detronner, à quoy le conseiller Papus repartit qu'il n'y avoit personne dans le royaume que le cardinal Mazarin qui feut capable d'en avoir la /241v/ pensée, puisqu'il avoit causé tous les desordres qu'on veoit à present dans le royaume et faict emprisonner les princes du sang qui avoint tant contribué à la grandeur de l'Estat; ce qui feut appuyé par d'autres, en sorte que ce president feut fort mocqué.

On tient pour certain que l'accommodement du vicomte d'Arpajou est faict avec la Cour par l'entremise de M. d'Elboeuf, qui fit veoir le 20 à S.A.R. les lettres qu'il avoit de luy. On le faict duc et pair, et non mareschal de France.

Quant à MM. de la Force, il n'y a point encor des nouvelles de ce que M. de la Tivoliere peut avoir faict avec eux; cepandant ilz levent des trouppes, et on les croit partisans de MM. les princes, quoy qu'ilz ne soint pas encor declarés ouvertement. On a eu nouvelle de ce costé là ce matin, par l'arrivée d'ung courrier extraordinaire, que M. de Bouillon avoit pris un lieu appartenant à M. d'Espernon nommé Castelnau, où il a trouvé quelque pieces de canon qu'il a prises. Il ne paroit point encor que ce dernier aye esté mandé en Cour comme le bruit en a fort couru. Le mareschal de la Mesleraye arriva le 17 à Perigeux, plus fort de 2000 hommes que M. de Bouillon; mais on asseure que celuy cy a nouvellement receu de l'argent et qu'il travaille à faire d'autres levées. Il n'est pas vray que M. de la Rochefoucaut aye esté faict gouverneur du duc d'Anguien, cette charge estant au dessous de luy. Les Huguenotz de Languedoch et des Sevenes [Cévennes] menacent de remuer, mais les autres ne font rien en aucung endroit du royaume.

On accorde aux depputtés de Bourdeaux une lettre de cachet par laquelle le Roy les advertir [sic] de s'en aller porter la nouvelle du voyage que Sa M. va faire et y disposer les espritz à l'y recevoir. Ilz sont sur leur despart, quoy qu'ilz ne soint pas fortz satisfaictz de cette lettre, à cause qu'elle ne porte point ordre de faire aucune response aux Bourdelois touchant la commission qu'ilz ont icy. Ilz ont faict leur possible pour faire reformer cette lettre à leur souhait, mais ilz ne l'ont peu obtenir.

Le marquis de Persan estant arrivé à Mourron, s'en est rendu le maistre et en a chassé le sieur de Mautour, qui commandoit. Il y a dans cette place 400 chevaux et mille fantassins, qui vivent encor fort discrettement, ne faisant aucung desordre. Le comte de St Geran faict des assemblées de noblesse ches luy dans le Bourbonnois pour l'engager dans le party de MM. le princes, et il y a desja plusieurs gentilhommes qui luy en ont donné parolle.

/242/ Le comte de Tavanes estant allé ces jours passés à Augerville pour veoir Mme la Princesse douairiere, elle ne le voulut pas veoir, estant faschée contre luy de ce qu'il n'avoit pas faict son devoir dans Bellegarde.

Ces jours passées la Reyne se plaignant à Mademoiselle d'avoir esté obligée d'engager touttes ses pierreries et de n'avoir plus de quoy trouver de l'argent au besoing, celle cy luy offrit d'abord un gros diamant qu'elle avoit estimé 100 mille escus et la pria de le donner pour gaiges aux Suisses; ce que ceux cy ayant sceu, feurent dire à Mademoiselle qu'ilz la remercioint bien fort de son diamant, et qu'ilz aymoint mieux qu'elle leur fit la grace de continuer à s'employer de leur faire obtenir leur payement à l'advenir que tous les gages les plus pretieux qu'elle leur sçauroit donner; de sorte que la Reyne ayant retiré ce diamant, l'a despuis employé à envoyer du secours à Porto Longone.

Apres la prise du Cattelet les ennemis feurent assieger Guyse [Guise] avec la pluspart de leur armée, ayant laissé un party de cavalerie vers La Cappelle, ce qui a obligé M. le Cardinal de partir de Compiegne le 19, afin d'accommoder le different qu'il y avoit pour le commandement entre les lieutenantz generaux, les ungs ne voulant pas ceder aux autres; et cest affaire ayant esté reglé en sorte qu'ilz doivent commender chacung à son tour, S.E. s'en revient avant hier à Compiegne; mais elle est retournée aujourd'huy à La Fere, voyant que cette mesintelligence continuoit et qu'ilz refusoint d'obeir au mareschal du Plessis, et que les troupes ne vouloint pas combattre si on ne leur donnoit une montrée, et que d'allieurs il n'y a pas encor asses d'officiers pour soubstenir l'armée, laquelle neamoing se devoit mettre en campagne forte de 20 mille hommes pour aller poster entre Guyse et Landrecy, soit pour donner bataille soit pour tenter le secours de Guyse, ou du moings pour empescher les convois qui viennent de Cambray aux ennemis. Cepandant M. de Pridieu, aussytost qu'il sceut qu'il estoit investy, il mit le feu dans la ville basse apres avoir obligé les habitans à se retirer partie dans la haute et partie dans le chasteau, où ilz se sont si bien retranchés qu'ilz se deffendent facilement, et les ennemis qui croyoint prendre cette place d'emblée ont esté obligé d'y faire des lignes de circonvallation; mais il n'y a point d'advis qu'ilz ayent encor ouvert la tranchée. Ilz ont cepandant grande disette de pain, dont ilz n'avoint point faict de prouvision, pensant en avoir grande /242v/ quantité. Il y en a de cuit dans la place, avec un magasin de bled que M. Tiran, intendant des vivres, y avoit mis pour nostre armée. Ilz doivent avoir recognu que cette entreprise n'est pas facile, puisqu'ilz ont renvoyé leur bagage et une partie de leur artillerie à Cambray et qu'ilz pestent fort contre le mareschal de Turenne, qui les a engagé en se [ce] siege, apres les avoir asseurés qu'il ne dureroit pas plus que celuy du Cattelet, où il n'y avoit que 200 hommes au lieu qu'il y a 4000 dans Guise.

M. de Lyonne arriva icy hier au soir et eut une conference particuliere avec M. le duc d'Orleans, sans qu'on aye encor peu rien penettrer; mais on croit que c'est pour tascher de persuader à S.A.R. d'aller commander l'armée, afin d'accommoder le different des lieutenantz generaux et d'invitter les officiers de s'y trouver; à quoy quelq'ung veulent qu'il s'y resoudroit si on luy bailloit de quoy payer demy montre que l'armée demande.

Leurs M. doivent arriver icy lundy prochain, quoy que quelq'ungs veulent que ce soit à St Germain. Les charrois ont esté commandés pour aller querir le bagage de la Cour.

Le mareschal de Ransau est à Compiegne en attendant qu'on luy rende le gouvernement de Duncherque, comme M. le Cardinal luy a promis.

Le comte de Ligneville, qui command la cavalerie du duc de Lorraine, est entré avec 4 mille hommes dans la Lorraine et y a pris les villes de Vaudrevange et Salbruch [Saarbrücken], ce qui a obligé M. de la Ferté Seneterre d'y aller pour s'opposer à ses desseings.

Consult other years:
Fronde 1648
Fronde 1649
Fronde 1650
Fronde 1651
Fronde 1652
Fronde 1653