Panat in postcardThe Ranums'

Panat Times

Volume 1, redone Dec. 2014

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/88/ De Paris le 4 juing 1652

Les advis de Madrid portent que M. de Guyse, ayant esté traitté et regalé à l’Escurial par Don Louys d’Arro, favory du roy d’Espagne, a esté conduit à Victoria [Vitoria], 8 lieues de St Sbastien, pour y attendre la nouvelle de l’accommodement qui ce [se] fait pour sa liberté avec M. le Prince, qui l’avoit demandée à la priere de M. le duc d’Orleans.

La semaine passée, un vaisseau anglois, chargé de vivres et escorté d’un autre vaisseau de mesme nation, entra dans le port de Duncherque, à la barbe des vaisseaux espagnolz qui tiennent ce port investy, et apres y avoir laissé tous les vivres, s’en retourna en Angleterre; ce qui a fort surpris tout le monde, qui croyoint que les Anglois estoint entierement pour les Espagnolz. Ceux cy, apres avoir donné l’alarme à toutte la frontiere de Picardie despuis la prise de Gravelines, sont allés vers La Bassée, qu’on dit qu’ilz ont assiegée; mais l’advis n’en est pas certain.

S.A.R. envoya, avant hier au matin, le sieur d’Hautefeuille, enseigne de ses gardes, pour porter une lettre au Roy, qu’on a dit estre escritte sur le suject de la venue de M. de Lorraine.

Le mesme jour, S.A.R. eut advis certain q’ung convoy de poudres et autres munitions qu’elle avoit envoyé à Estampes, y estoit entré sans peyne, avec une escorte de cavalerie commandé par le chevalier d’Escars; et hier elle eut nouvelle que le mareschal de Turenne y ayant pris, avant hier, une demy lune, en feut chassé par deux fois, et la reprit encor pour la 3e, apres de rudes combatz où il perdit 800 hommes, et les assiegés 200, lesquelz se preparoint pour la recouvrir; et que le comte de Guinçay, l’ung de ses lieutenantz generaux de ce mareschal, y avoit esté tué. L’on croit que celuy cy auroit desja levé ce siege, s’il pouvoit faire ramener toutte son artillerie, et s’il pouvoit empescher que son arriere garde ne feut chargée. On mene tous les jours à Corbeil des charrettes, chargées de malades ou blessés de son armée.

Les deputtés du Parlement qui estoint allées en Cour le 31, estant arrivés le mesme jour à Brie Comte Robert, envoyerent, devant que passer outre, un expres à la Cour, pour sçavoir s’ilz iroint à Melun suivant leur antien ordre, ou bien à Corbeil, puisque le Roy y estoit; à quoy l’on leur fit response qu’ilz allassent à Melun, où le Roy avoit resolut de les aller entendre. Il estoit neamoings encor hier à Corbeil.

M. de Bregy estant arrivé aupres du duc de Lorraine, et luy ayant fait des nouvelles propositions de la part de la Cour, que vous aves sceu, l’on remarqua que celuy cy luy respondit qu’il ne pouvoit pas aller conferer avec luy, estant obligé de faire marcher son armée, pour s’aprocher de Paris, mais qu’il luy donnoit rendevous pour cest effect au palais d’Orleans, à l’ung des jours de cette semaine. La Cour ayant sceu que ce duc avoit desseing de faire passer la Marne à son armée, sur le pont de Lagny, 6 lieues d’icy, y envoya 7 à 800 hommes dès le 21 du passé, pour s’emparer de ce passage; mais MM. les princes en ayant esté avertis, dès le mesme jour y firent marcher en diligence les troupes qu’ilz avoint envoyé au Port Langlois, lesquelles arriverent à Lagny, et s’en emparerent devant /88v/ que celles de la Cour en peussent aprocher; et ainsy ces dernieres feurent obligées de s’en retourner. Ce duc s’estant aproché, le 2 de ce mois, à Claye, proch de Lagny, S.A.R. luy alla au devant jusques au dela de Bouget [Bourget], 2 lieues d’icy, avec M. le Prince, M. de Beaufort, et plus de 800 gentilhommes. L’abord de Leurs A. ne feut que caresses extraordinaires; apres lesquelles, S.A.R. ayant fait entrer M. de Lorraine dans son carrosse, le mena à Paris, où il entra à 10 heures du soir, comme en triomphe, parmy des continuelles aclamations du peuple, dont la foule estoit extraordinaire, quoy qu’il feut si tard. L’on mit des chandelles allumées au fenestres dans touttes les rues où il passa, jusques au palais d’Orleans, où il tesmoigna sa joye, et y feut receu dans l’apartement du mareschal d’Estampes, qui a prit celuy qu’avoit autrefois l’abbé de la Riviere. Madame et Mademoiselle l’y acceuillierent fort bien, et l’on remarqua sa galanterie en ce que Mademoiselle, s’en retournant ches elle une heure apres, il ne se contenta pas de la mener dans son carrosse, mais la voulut mesmes suivre à pied, devant la portiere jusques au milieu de la rue Tournon, sans qu’elle le peut empescher, ny se deffendre de ses civilités. Il estoit vestu en simple cavalier, avec un colet de bufle tout simple. On luy fit, pendant la nuict, un habit de tabis noir, fort modeste, qui [qu’il] portoit hier. Il feut visitter hier la reyne d’Angleterre et Mademoiselle, avec laquelle il alla au Cours. Il visitta aussy Mme de Chevreuse; et le soir, Mme de Montbason estant venue au palais d’Orleans, il ne se contenta pas de la conduire dans son carrosse lors qu’elle s’en retourna, mais il y entra avec elle, sans aucune suitte, et la ramena dans sa maison. Il doit visitter aujourd’huy Mme de Guyse. Son armée passe aujourd’huy la Marne sur le pont de Lagny, et demain la Seine sur le pont de batteaux qu’on fit au Port Langlois. Il n’a point encor donné d’amploy au chevalier de Guyse, ny au comte de Rieux.

Un cappitaine du regiment d’infanterie de S.A.R., arrivé ce matin d’Estampes, dont il est party à minuit, a raporté que la demy lune qui avoit esté si souvent prise et reprise, a esté enfin abandonnée des 2 partis, l’ung ny l’autre ne la pouvant conserver; et qu’elle a cousté 1000 hommes au mareschal de Turenne, dont il en a eu 400 tués sur la place, et le reste blessés ou prisonniers, et 3 ou 400 de MM. les princes, dont le plus considerable est le marquis de Landes, cappitaine lieutenant des gendarmes de S.A.R., lequel y feut tué hier au matin; que le canon de ce mareschal n’avoit plus tiré despuis 8 heures du matin, et qu’il avoit fait tenir, l’apresdisnée, 4 bataillons en ordre, sans faire d’autre attaque, ce qui fait croire ou qu’il vouloit retirer son artillerie, pour lever le siege, ou qu’il avoit dessain d’essayer s’il pourroit mieau reussir en attaquant la place par un autre endroit.

/90/ De Paris du 7 juing 1652

Le 4 du courant, le duc de Lorraine dina ches Mme de Chevreuse, et feut veoir, le mesme jour, Mme de Lorraine, sa femme. Le soir, il feut au Cours avec Mlle de Chevreuse, et ne revient qu’à 3 heures apres minuit, et ne laissa d’estre levé le lendemain à 6 heures du matin, n’ayant dormy que 2 ou 3 heures chasque nuit despuis qu’il est icy. Il n’estoit pas d’accord avec M. le Prince pour le commandement des 2 armées, parce qu’il ne veut que la sienne reçoive aucung ordre d’autre que luy; mais S.A.R. les ayant accommodé, en sorte qu’ilz commanderont chacung la sienne, il feut visitter M. le Prince le matin du 5, et ensuitte il alla disner ches le commandeur de Souvré. Son armée commencea à passer la Marne le 4 au soir, sur le pont de Lagny. Il est party ce matin à 6 heures, pour luy aller faire passer la Seine sur le pont de batteaux au Port Langlois. S.A.R. y est aussy allé avec M. le Prince, pour veoir passer cette armée, qui s’en va faire lever le siege d’Estampes. Sadite A. luy a fait cuire icy 30 mille rations de pain, et luy a achepté les armes pour les soldatz qui n’en avoint point, avec des poudres, mesches, et autres munitions qu’on fait partir aussy ce matin. L’on a remarqué que M. de Lorraine est party sans autre suitte que d’un valet de pied, et qu’il est allé en cette posture jusques à la porte St Anthoine, où le corps de garde l’a arresté; mais peu apres qu’il a fait le passeport de S.A.R., on l’a laissé passer, apres luy avoir tesmoigné qu’on ce [se] defioit qu’il ne feut pas pour MM. les princes, et qu’il s’en allat à leur inseu. Mademoiselle est aussy allée avec S.A.R., veoir passer cette armée, et a fait mener un cheval de main, en desseing de sortir de son carrosse, estant hors de Paris. Leur suitte a esté de plus de 4 mille chevaux, la carrosette y ayant mené quantité de personnes.

Quant à l’estat du siege d’Estampes, le mareschal de Turenne voyant qu’il ne pouvoit rien gaigner à l’attaque du costé de cette demy lune, ce [se] retira à 200 pas, dans l’estat que les assiegés estoint sur le point de faire une sortie de 800 cavaliers à pied, avec leurs pistolletz à la ceinture et des faux à la main, et fit faire un pont sur la riviere; où ayant fait passer la melieure partie de son armée, avec presque toutte son artillerie, il fit une autre attaque le 5, du costé du faubourg St Martin, dans lequel il se logea; et son canon ayant tiré toutte la journée, fit une grande bresche dans laquelle pourroit entrer 30 personnes de front; mais les assiegés firent en mesme temps un fossé devant cette breche, et une palissade et une redoutte, et envoyerent hier dire à ce mareschal que s’il vouloit donner l’assaut, ilz feroint la breche plus grande; à quoy le sieur de Montelon, mareschal des logis des gendarmes de S.A.R., qui luy a apporté cette nouvelle ce matin, adjouste que les assiegés n’ont pas besoing de secours encor de 13 jours, pendant lequel temps ilz auront asses d’avoine pour leurs chevaux, et qu’ilz ont de vivres pour 3 semaines, et sont à present aussy fortz en nombre d’homme que ceux qui les assiegent. Le comte de Quinçay n’est que blessé. Le comte de Grandpré, le marquis de Genlis ne sont pas mortz non plus. Le chevalier de la Vieuville estoit avant hier à l’extremitté, abandonné des medecins, et le marquis de Vardes estoit en grand danger aussy.

Le Parlement s’assembla le 5, mais il n’y eut aucune desliberation, ne s’y estant parlé que des moyens d’asseurer les rentes de l’Hostel de Ville, où il eut une assemblée aussy l’apresdisnée /90v/ du mesme jour, dans laquelle les eschevins proposerent de restablir les droitz d’entrée qui ne payent plus, et dirent que c’estoit pour facilitter le payement des rentes; mais il ne feut rien encor desliberé.

Les deputtés du Parlement qui estoint allés en Cour, y feurent ouys le 4. On leur donna response par escrit cachettée, et on leur dit de bouche que Sa M. demandoit derechef une conference avec le Parlement, et desiroit que S.A.R. et M. le Prince y envoyassent leurs deputtés, afin de tascher d’accommoder les affaires, ce qu’ilz ne sont pas d’advis de faire.

Le 5 le [sieur] d’Hautefeuille revient de la Cour, et raporta la response que le Roy avoit faitte à la lettre de S.A.R.; mais Sa M. n’en fit point à M. le Prince, qui luy avoit escrit sur le mesme suject. Il rapporte que le cardinal Mazarin estoit mesprisé, plus que jamais, de tous ceux qui suivent la Cour; que le marquis de Genlis et le sieur de Villiers, cappitaines aux gardes, avoint eu des grosses parolles avec luy, et l’avoint traitté d’injures, sur ce que le Reyne leur ayant acordé une charge d’enseigne aux gardes, pour un parent du dernier qui avoit esté receu par le corps, il ne laissa pas de la leur refuser, mais ilz luy dirent qu’ilz l’auroint malgré luy; que la nuict du 4, le comte de Ligneville avoit donné l’alarme à toutte la Cour, estant allé avec 2 mille chevaux dans un petit poste proche de Melun, où estoint les gendarmes et chevaux legers du roy, qui en delogerent, sans trompette, et se retirerent à Melun, maudissantz le cardinal Mazarin. Ilz estoint revenus d’Estampes avec le Roy, et n’y ont point voulu retourner despuis, quelque ordre qu’ilz en ayent receus, disantz qu’ilz ne sont que pour estre aupres de la personne du Roy. Ilz feurent hier employés de venir, avec 3 ou 4 escadrons d’autres cavalerie de la Cour, pour escarmoucher 300 chevaux qui avoint escorté les batteaux destinés pour faire le pont au dessus le Port Langlois; mais estant arrivés tropt tard, ilz n’eurent pas le loisir que de les poursuivre à leur retour, jusques à un quart de lieue d’icy, sans les pouvoir attraper.

La Cour a mandé les troupes qui estoint devant Mourron. L’on croit tousjours qu’elle va en Bourgoigne.

Depuis la prise de Gravelines, les ennemis ont envoyé 3 mille hommes aux environs de Duncherque, pour empescher qu’on n’y puisse faire entrer de vivres par terre, et leurs vaisseaux se tiennent à la radde, pour les empescher aussy par mer. L’admiral qui les commande a esté cité par l’Archiduc, pour rendre raison, en personne, du suject pour lequel il ne s’est pas opposé à l’entrée du vaisseau anglois qui a revituaillé cette place; laquelle le cardinal Mazarin a fait offrir en engagement à la respublique d’Angleterre, comme il l’avoit offerte l’année passée aux Holandois, et a envoyé un expres à Londres pour en traitter. Les Espagnolz envoyent encore icy au duc de Lorraine 3 mille chevaux, qui sont desja arrivés à Cambray.

Le Parlement s’est assemblé ce matin, pour entendre le raport de ses deputtés, qui reviendrent de la Cour le 5 au soir, et veoir la response qu’ilz avoint eue; mais S.A.R. ne s’y estant pas trouvé, on luy a d’abord envoyé des deputtés pour la convier d’y aller ce matin; à quoy elle a respondu qu’elle avoit resolu d’aller veoir l’armée du duc /91/ de Lorraine, qui estoit venue pour le service du Roy, afin d’ayder à chasser le cardinal Mazarin; qu’il faisoit vivre ses soldatz avec plus de retenue qu’il ce [se] pouvoit, et que cette armée ne seroit à charge à personne. Ces deputtés estantz de retour au Palais, l’assemblée a esté remise au lendemain. Le president de Nesmond s’y est plaint de ce que les Lorrains ont pillé sa maison; et M. Coulon y a presenté requeste, pour demander justice de ce que les troupes de la Cour ont pillé et ruyné la sienne du Menil Cornuel. Il s’est fait une assemblée de noblesse fort nombreuse a La Roche Guyon, pour desliberer sur les moyens de faire tenir les Estatz Generaux, afin de remedier aux desordres presentz.

/92/ De Paris du xi juing 1652

Le 8 du courant, le Parlement s’estant assemblé, S.A.R. y envoya M. de Fromont, pour dire à la Compagnie que la nouvelle qu’elle avoit receu de la levée du siege d’Estampes l’occupoit cette matinée là, et l’empescheoit de se trouver à l’assemblée, laquelle elle prioit messieurs de remettre au 10. Sur cela, l’on parla d’ouvrir la response du Roy faitte aux deputtés, et d’y desliberer; mais les Frondeurs feurent si fortz qu’ilz l’empescherent, disans qu’il falloit attendre au x, et qu’on ne devoit rien faire sans S.A.R. Il y en eut quelq’ungs, entre autres le president Le Coigneux, qui representerent que le duc de Lorraine estoit ennemy de l’Estat, que ceux qui l’avoint fait venir estoit criminelz, et que ses troupes estant aux portes de Paris, le mal pressoit si fort qu’on ne pouvoit plus tarder à desliberer; à quoy M. Charpentier, conseiller des Requestes, respondit qu’on ne s’empescheoit pas de faire desliberer sur ce que les Alemandz du mareschal de Turenne estoint à Palaiseau, et que c’estoit à tort que les Lorrains passoint pour ennemis, puisqu’ilz n’estoint venus que comme amis, pour fortiffier le bon party; ce qui feut appuyé par plusieurs des insignes Frondeurs, et entre autres par le president de Thou, qui dit que c’estoit le cardinal Mazarin qui avoit fait venir le duc de Lorraine, et mesmes luy avoit fait fournir l’estape dans tous les lieux où il a passé dans la Champagne, mais que S.A.R. avoit eu la bonté de le gaigner, et de le faire venir contre ce cardinal. M. Dorat y dit que les deputtés avoint conferé à la Cour avec Milord Montaigu (qui est accordé avec le cardinal Mazarin), dont le president de Nesmond se picqua fort et s’en justiffia, n’y ayant eu, de tous les deputtés, que le president de Maisons qui aye parlé avec ce milord; apres quoy, pour se venger de M. Daurat, il dit, entendant parler de luy, qu’il y avoit des personnes dans la Compagnie qui n’estoint pas de condition à y estre admis, et qui n’y seroint pas, si on les avoit bien examinés à leur reception. Le gentilhomme de la reyne de Suede y rendit la lettre par laquelle cette reyne offre la mediation pour la paix particuliere et generalle, et on luy donna sceance entre deux conseillers qui estoint sur le barreau. On leut la lettre, qui estoit en latin; et apres, le president Le Bailleul luy dit que la Compagnie remertioit la reyne de Suede, et luy feroit respons, mais que ce seroit en françois, le Parlement ayant accoustumé de ne se servir point d’autre langue. L’on remit à hier pour desliberer, aussy bien que sur la response faitte aux deputtés.

Le mesme jour un courrier vient porter nouvelle à S.A.R. que, le jour precedent, le mareschal de Turenne avoit levé le siege d’Estampes, ayant commencé, dès 2 heures apres midy, à faire defiler son armée avec ses plus grosses pieces de canon, se retirant par le mesme chemin qu’il avoit tenu lors qu’il y alla. Sa retraitte dura jusques à minuit; et il la fit si bien, que le comte de Bossu, qui poursuivoit son arriere garde jusques à Estrichy [Etréchy], ne peut trouver aucung moyen de le charger. Il alla camper le soir à La Ferté Alais, 10 lieues d’icy, pour pouvoir gaigner la riviere d’Yonne, sans qu’on l’en puisse empescher, et envoya ses plus grosses pieces de canon à Melan [Melun], où elles sont arrivées. Il attend la jonction des troupes de Monrront, de celles du comte d’Harcourt, et de celles du mareschal de Seneterre, lesquelles sont mandées.

S.A.R. et M. le Prince estant arrivés, le 7, à l’armée du duc de Lorraine, et l’ayant veue asses leste, et forte de 9 mille hommes, eurent une conference avec luy, dans laquelle il ne pouvoit s’accorder avec M. le Prince; mais S.A.R. fit si bien, qu’ilz en sortirent en bonne intelligence, /92v/ apres quoy MM. les princes s’en reviendrent, avec toutte cette belle suitte que la curiositté y avoit amené. L’on remarqua que Mademoiselle y estant arrivée, monta à cheval avec 10 ou 12 dames, et se promena partout le camp, où l’armée estoit rangée en bataille. M. de Lorraine demeura là encor toutte la journée du 8, jusques à l’apresdisnée du 9, visittant les postes qui sont aux environs, et faisant faire un fort au bout du pont, pour le garder. S.A.R. et M. le Prince s’estant preparés de l’y aller trouver le mesme jour, 9, pour conferer avec luy, ilz n’y allerent pas, parce qu’ilz aprirent qu’il revenoit icy, comme il fit, et alla mettre pied à terre ches Mademoiselle, où ilz l’allerent trouver aussytost, et y tiendrent conseil avec luy; apres quoy il vient au palais d’Orleans, et feut souper ches M. le prince de Guymené, et coucher ches les baigneurs. Hier, il fit des visittes, et s’en retourna le soir à son armée. La Cour a tesmoigné souhaitter qu’il y allat, pour negotier luy mesme la paix. Il a fait le chevalier de Guyse et le comte de Rieux ses lieutenant generaux. Mme d’Orleans est grosse.

Il ce [se] parle de revenir, renouer la negotiation pour la paix; et il ce [se] tient des conferences pour cest effect ches Mme d’Aigullion, où ce [se] trouve M. de Chavigny, Milord Montaigu, et autres; mais on asseure que MM. les princes veulent qu’on travaille à la paix generalle en mesme temps que la particuliere, et qu’on fasse le tout ensemble.

Hier, au matin, le Parlement s’estant assemblé, et S.A.R. s’y estant trouvé avec M. le Prince, sur le point qu’on alloit commencer à travailler, la Compagnie feut interrompue par quelques prisonniers de la Conciergerie, qui rompirent une porte pour se sauver; dont les plaintes estant venues à l’assemblée, et quelq’ungs ayant voulu dire que les gens de MM. les princes authorisoint ce desordre, M. le Prince et M. de Beaufort descendirent en bas, et ayant fait retirer le peuple qui s’estoit ramassé devant la porte de la prison, empescherent ces prisonniers de sortir; apres quoy, estant remontés dans la Grande Chambre, on leut la response par escrit que les deputtés raporterent de la Cour la semaine passée, par laquelle le Roy demande une conference avec le Parlement, et avec les depputtés de S.A.R. et de M. le Prince. On deslibera là dessus; et apres les protestations que Leurs A. firent derechef à la Compagnie, de poser les armes aussytost que le cardinal Mazarin seroit hors de France, sans qu’il y puisse revenir, il feut arresté que les mesmes deputtés retourneroint à la Cour presentement, pour dire que la Compagnie ne pouvoit avoir aucune conference, jusques à ce que le cardinal Mazarin seroit exclus entierement. Pendant ces contestations, plusieurs parlerent fort contre les troupes du duc de Lorraine, disant que c’estoit les ennemis de l’Estat, et qui [qu’il] falloit donner ordre à les faire retirer; mais S.A.R. les deffendit si bien, qu’on n’entra point en desliberation sur ce point.

Ce matin c’est [s’est] faitte la procession generalle pour la paix, où l’on a apporté la chasse de ste Geneviefve, et les autres reliques. S.A.R. l’a veue partir. Le Parlement y a assisté en robes rouges, et les autres compagnies souveraines, avec l’Hostel de Ville et une foule prodigieuse de monde.

/94/ De Paris du 14 juing 1652

La semaine passée, M. de Beaumont, maistre d’hostel du roy, estant entré dans la sale où est la table des chambellans de Sa M. à Melun, et les ayant trouvé en estat de commencer à disner, ilz le convierent de vouloir estre de la partie; à quoy il leur respondit qu’il ne vouloit pas disner, parce qu’il y avoit tropt de Mazarins. Ilz ne laisserent pas de le presser si fort qui [qu’ilz] l’obligerent de se mettre à table avec eux. Il commencea à boire à la santé du Roy, et sacre de M[azarin] et de tous ses adherens. La compagnie passa cela soubz silence, et personne ne luy en fit raison. Aussytost, la Reyne et le cardinal Mazarin en feurent advertis, et l’on asseure qu’il y eut resolution pris là dessus, de le faire arrester prisonnier. Pour cest effect, l’on commanda les gendarmes et chevaux legers du roy de se tenir prest à certaine heure; mais ceux cy ayant sceut le suject pour lequel cest ordre avoit esté donné, au lieu de ce [se] trouver au rendevous, s’en allerent en corps, offrir service à M. de Beaumont, pour empescher qu’il ne feut arresté, et pesterent fort contre ce cardinal, qui fit aussytost publier qu’on n’avoit pas songé d’arrester personne. Le marquis de St Maigrin a fort peu de credit dans sa compagnie de chevaux legers, despuis le different qu’il a eu avec Libet, qui en est premier cheval leger, et qui est fort aymé.

Le duc de Lorraine estant icy, le 9 du courant, et ayant dit hautement qu’il avoit la paix entre les mains, dont il tesmoignoit vouloir estre le maistre, il y eut conference particuliere le lendemain sur ce suject, entre S.A.R., et luy, et M. de Chasteauneuf dans le palais d’Orleans, où ce duc asseura que si l’on vouloit rendre Arras aux Espagnolz, Casal au duc de Mantou, et à luy ses estatz, il n’y auroit point de difficulté pour le reste. M. de Chasteauneuf se passionna fort à contester là dessus, mais il n’y eut aucune resolution prise. Ce duc s’en retourna peu satisfait, le soir du 10, à son camp, qui est tousjours aupres de Choisy, 3 lieues d’icy, où S.A.R. l’alla trouver le 12 avec M. le Prince; et apres avoir longtemps conferé ensemble sur ses interests, celuy cy s’estant beaucoup relasché des siens, touchant la restitution des places de Stenay, Clermont, et Jametz, ilz signerent un nouveau traitté, ensuitte disnerent ensemble ches le comte de Ligneville, où ilz firent grande desbauche.

Le xi, au matin, la foule du peuple estant extraordinaire dans la rue où passa la procession generalle qui ce [se] fit pour la paix, S.A.R. l’ayant veue partir de Ste Geneviefve, s’en alla à Nostre Dame par un autre chemin; et y estant arrivée, trouva dans le coeur un exempt des gardes du corps du roy, nommé Riquetti, avec 4 gardes, lequel d’abord fit veoir à S.A.R. une commission qu’il avoit du Roy, pour accommoder le different qui est de tout temps entre la Chambre des comptes et la Cour des aydes, pour le rang et sceance dans des semblables ceremonies, et pour empescher le desordre qui pourroit arriver sur ce pretexte. Apres y avoir laissé entrer 4 personnes seulement, à la suitte de S.A.R., il ferma le coeur et en prit la clef, disant que, sans cela, il ne pouvoit pas respondre des desordres; que d’allieurs, les gardes de Sadite A. n’avoint point de fonction là où estoint ceux du Roy, et que c’estoit à luy à la garder, en l’abscence de Sa M. S.A.R. ne laissa pas de l’obliger à faire entrer ses gardes; et parce que cette contestation ne ce [se] pouvoit decider, à moings qu’elle fit sortir cest exempte et les 4 gardes du roy, elle ayma mieux /94v/ s’en aller, afin qu’on ne peut pas luy imputer d’avoir fait la moindre chose que doive choquer Sa M.

On escrit de Bretagne que le Parlement s’y est enfin accommodé avec le mareschal de la Mesleraye, et qu’en resoluant cest accommodement, il avoit arresté que le Premier President seroit remertié d’avoir porté les affaires en douceur, et qu’on enregistreroit les parolles civiles que ce mareschal luy avoit dites; qu’il estoit serviteur de tout le corps, en general et en particulier; et que tres humbles remonstrances seroint faittes à Sa M., sans dire sur quoy; et que cepandant, M. le Mareschal pourroit venir prendre sa place, et assister aux desliberations. Ce mot de "cependant" chocqua d’abord ce mareschal, en ce que le Parlement se reservoit de faire des remonstrances contre luy, sur le mespris qu’il avoit fait de ses arrestz; mais cela feut ajusté, en ce qu’on luy dit que ce mot ne ce [se] mettroit que pour la forme, pourveu qui [qu’il] voulut bien vivre, à l’advenir, avec le Parlement, on ne feroit point de remonstrances. Ensuitte, il y eut encor assemblée, où il feut arresté que M. le Mareschal, qui y assistoit, seroit prié d’envoyer un courrier à la Cour, pour asseurer le Roy de l’obeissance et fidelitté inviolable de la Compagnie; qu’on escriroit au Parlement de Paris, pour le prier de donner arrest, portant que touttes les troupes estrangeres qui sont entré dans le royaume, sans ordre du Roy, ce [se] retireroint, et faute de quoy, injoint de leur courir sus; et que les remonstrances qu’on avoit resolu de faire, seroint remises jusques à ce que touttes ses [ces] troupes estrangeres seroint sorties.

Les advis de Bourdeaux, du 6, portent que l’assemblée de l’Ormée ayant demandé l’esloignement de 18 conseillers et d’ung president du Parlement, qu’on avoit obligé d’en faire sortir 13 et le president Pichon, les 4 autres estant demeurés, à la priere de M. le prince de Conty; que M. de Marchin ayant tiré tout ce qu’il avoit peu des garnisons des places que M. le Prince tient en ce pays là, en a fait un petit corps d’armée, qui tient la campagne; que le comte d’Harcourt estoit encor vers Le Sauvetat, sans rien entreprendre; et que le colonnel Baltazard avoit achevé de defaire ce qui restoit des troupes de M. de Sauvebeuf, et luy avoit pris jusques à son dernier cheval, et tout son esquipage.

Le bagage de M. le Prince, qui estoit resté en Guyenne, arriva hier icy. Le president Viole en revient aussy, la semaine passée.

Suivant ce qui avoit esté arresté le x au Parlement, les deputtés partirent d’icy le 12, au matin, pour retourner à la Cour; et les filles d’honneur de la reyne trouverent moyen de ce [se] servir de cette occasion, et s’en allerent avec eux, aussy bien que beaucoup d’autres personnes qui sont dans les interestz de la Cour. Les deputtés allerent passer la Seine sur le pont de batteaux du duc de Lorraine, lequel on remarqua qu’ilz saluerent fort civilement, et luy firent grandz complimentz dans le temps que S.A.R. et M. le Prince y estoint. Ilz ont porté à la Cour la lettre de la reyne de Suede, escrite au Parlement, pour la communiquer au Roy; et à leur retour, on y desliberera, suivant ce que Sa M. aura dit.

Le Duc vient hier icy, l’apresdisnée; mais n’ayant pas trouvé S.A.R. en son palais, il eut une conference de 3 heures avec Mademoiselle; et apres, il s’en retourna avec le chevalier de Guyse.

Le 12, quelques notables bourgeois, dont la pluspart sont dans les interestz de la Cour, feurent dans l’Hostel de Ville, trouver le Prevost des Marchandz, auquel ilz se /95/ plaignirent des desordres que font les troupes lorraines, et du peu de soing que la Ville avoit d’y remedier, et de faire ce qu’elle pourroit pour en obtenir l’esloignement. Sur quoy, il feut arresté que deux eschevins iroint avec eux, trouver S.A.R., pour luy en faire les mesmes plaintes, et la prierent de faire esloigner ces troupes de x lieues de Paris, aussy bien que les siennes et celles de la Cour, ce que ces messieurs firent hier, au matin; et S.A.R. leur fit response que lors que l’armée du mareschal de Turenne estoit à Palaiseau, et qu’elle ravageoit toutz les environs de Paris, ilz n’estoint pas venus s’en plaindre; qu’elle n’estoit pas la maistresse des troupes lorraines, pour les faire esloigner; et que si elles n’estoint venues pour ayder à chasser le cardinal Mazarin, il auroit falut se rendre à discretion.

Ce matin, le Parlement s’estant assemblé pour la reception de 2 nouveaux conseillers, ceux qui sont portés par la Cour ont fait leur effort pour se servir de cette occasion, et faire donner un arrest furieux contre les troupes lorraines, sur les instances de ces bourgeois; mais les Frondeurs y ont esté asses fortz pour l’empescher, quoy que S.A.R. et M. le Prince n’y feussent point, non plus que les deputtés qui sont en Cour, lesquelz sont presque tous Frondeurs; et il a esté seulement arresté qu’il seroit surcis à toutte desliberation sur ce sujet, jusques au retour des deputtés.

On escrit de Piedmont que le gouverneur de Milan a pris Trin à composition, et qu’on aprehendoit qu’il assiegeat Casal. Les advis de Calais, du 12, portent que les Espagnolz ont investy de plus pres Duncherque, et que leur cavalerie fait des courses continuelles vers Guines, Ardres, Bologne [Boulogne], et Calais, et y ravagent le pays.

/96/ De Paris du 18 juing 1652

Le duc de Lorraine s’estant campé au dessus de Villeneufve St George; et y ayant fait faire quelques redouttes, demy lune, et retranchementz, le mareschal de Turenne passa la Seine le 13, sur le pont de Corbeil; et s’estant avancé, le 16 au matin, vers ce duc, comme s’il eut voulu l’attaquer, M. de Beaufort, qui estoit aupres de luy despuis le soir du jour precedent, l’avertit que les ennemis venoint par un defilé, dans lequel il estoit fort aysé de les defaire; mais il n’en voulu pas tenir conte, quoy que M. de Beaufort s’opiniastra beaucoup à l’obliger, et luy offrit mesme de mettre le feu au canon. En mesme temps, le roy d’Angleterre y estant arrivé avec le duc d’Iorch, Milord[s] Montaigu et Germain presenterent à M. de Lorraine un traitté qu’ilz avoint fait pour la Cour, avec luy; lequel avoit esté commencé par M. de Beaujeu, qui y estoit aussy. Il signa ce traitté, et les ostages en feurent donnés de part et d’autre, pour 3 jours: sçavoir, de la part de la Cour, on luy donna M. de Vaubecourt et le comte de Guincé [Quincé], tous deux lieutenantz generaux, et luy ne donna de sa part, autre que le comte de Ligneville, qui est general de ses troupes. L’on ne sçait pas encor bien les conditions de ce traitté, mais l’on asseure que l’on luy rend presentement Marsal; et que pour ce qui est de Nancy, il s’est contenté de la parolle que le Roy luy donne par ce traitté, de la luy rendre en l’estat qu’elle est à present, apres la paix faitte avec les Espagnolz. Outre cela, on luy donne pour 500 mille livres de pierreries, et 100 mille escus d’argent comptant, qu’on a fait avancer aux sieurs Languet, Jacquieres, et Desbordes, sur le bail des cinq grosses fermes, qu’on leur a donné, despuis 6 jours, pour 9 années, au prix de 1900 mille livres par an, jusques à la paix avec MM. les princes, six mois apres laquelle ilz en donneront 2 millions 300 mille livres, et apres la paix generalle, 2 millions 500 mille livres, jusques à la fin de leur bail. Le duc de Lorraine decampa ensuitte, et se mit en marche pour s’en retourner, estant obligé de passer la Marne à Treilleport [Trilport] dans 3 jours, apres lesquelz les ostages seront rendus, et d’estre, dans 12 jours apres, hors du rouyaume. M. de Beaufort luy fit des reproches estranges de ce qu’il abandonnoit S.A.R., et le poussa presque à bout; aussy luy refusa-il, apres un sauf conduit pour s’en revenir icy, où il courut beaucoup de risque, ayant esté longtemps poursuivy. Ce duc rendit neamoings les troupes de M. le Prince qui estoint jointes aux siennes, sans leur faire tort. Elles feurent d’abord se poster à Charanton. Il rendit aussy le pont de batteaux, qui feut ramené icy aussytost apres qu’il l’eut [qu’il eut] decampé. Le mareschal de Turenne, qui l’avoit auparavant veu et embrassé, mit son armée dans le mesme poste qu’il avoit quitté, et elle y est encore. Cette nouvelle mit icy tous les espritz dans une grande consternation; et Mme d’Orleans en est encor si affligée, qu’elle ne s’en peut consoler. Cepandant, S.A.R. ayant envoyé ordre à Estampes, pour en faire partir son armée, et la faire venir en deça, sous le commandement du marquis de Boulé, et de M. de Valon, qui en ont est[é] tous deux fait lieutenantz generaux, et M. de Sommery mareschal de camp, elle ne voulut point obeir à ce marquis, qui s’en revient le 13. Neamongs, la cavalerie ne laissa pas de venir en toutte diligence jusques à Chilly, où M. le Prince la rencontra le 16, avec plus /96v/ de mille volontaires qui estoint partis le matin avec luy. L’infanterie partit d’Estampes le soir du mesme jour, avec le canon, le bagage, et du pain pour 8 jours; et ayant marché toutte la nuit, arriva hier icy, sur le point du jour, aux portes du faubourg St Jacques, où elle donna l’alarme. S.A.R. la feut veoir 3 heures apres, et la fit camper entre le Pont Antonin [Antony], et Le Bourg la Reyne, 3 lieues d’icy, où elle est encor l’allé veoir ce matin. On croit que c’est pour l’aller faire camper à St Clou, et occuper les postes de la Seine, du costé d’en bas. Elle est encor de force esgale à celle de la Cour, y comprenant les 2000 de M. le Prince qui estoint jointz avec l’armée lorraine.

Avant hier, plusieurs bourgeois, esmeus de cette nouvelle, et prevenus du bruit qui couroit que le cardinal de Retz et Mme de Chevreuse eussent autant travaillé que Milord[s] Montaigu et Germain à desunir le duc de Lorraine d’avec S.A.R., feurent au palais d’Orleans, et la prierent de consentir qu’ilz les fissent sortir de Paris, ou qu’ilz les jetassent dans la riviere; à quoy elle repondit qu’il falloit veoir s’il estoit vray qu’ilz eussent travaillés.

M. le Prince revient hier, à midy, du camp, et y retourna le soir. Il avoit quelques troupes à Lagny, qui gardoint le pont, lesquelz en rompirent, hier, deux arches entierement, et apres en partirent, pour venir joindre celles qui estoint à Charanton, au grand regret des habitans, qui aprehendoint que les Lorrains y vinssent passer; mais hier, au soir, S.A.R. ayant eu advis que le mareschal de Turenne en devoit faire passer les siennes dans des batteaux, la nuit, pour attaquer celles de Charanton, leur envoya promptement ordre d’y rompre aussy le pont, et d’en desloger ensuitte, pour venir passer la Seine dans d’autres batteaux, entre Paris et St Cloud. Elles sont 1300 fantassins et 130 chevaux.

Les deputtés du Parlement sont revenus de la Cour cette nuit, ayant esté escortés par 40 gardes du corps du roy, avec un trompette et plus de cent autres personnes. Il y avoit quelques gens de la Cour qui venoint à leur compagnie, sans passeport, lesquelz feurent arrestés, hier au soir, bien tard, en passant à Charanton. La response qu’on a faitte à MM. les deputtés, est que le Roy veut que le Parlement et MM. les princes consentent que le cardinal Mazarin aille traitter la paix avec les Espagnolz, ou que MM. les princes mettent les armes bas presentement, apres quoy le Roy esloignera le cardinal Mazarin.

/98/ De Paris le 21 juing 1652

M. de Liancourt a esté envoyé, la semaine passée, de la part de la Court à l’assemblée de la noblesse qui ce [se] tenoit à La Roche Guyon, pour la faire separer, sans rien desliberer, sur la parolle qu’il a aportée que le Roy convoqueroit les Estatz Generaux, sans dire quand ny en quel lieu.

Les advis de Bourdeaux portent que MM. du Parlement s’estant unis avec les bons bourgeois, pour empescher les assemblées de l’Ormée, s’y estoint enfin rendus les maistres, et que par l’entremise de M. le prince de Conty, tous leurs differentz avoint esté ensuitte accommodés; que ces assemblées estant dissipées, l’on avoit mandé tous les conseillers qui avoint esté exilés, lesquelz estoint retournés à Bourdeaux, à la reserve de six qui n’avoint pas voulu y revenir encores; et que le comte d’Arcourt ne s’occupoit qu’à faire payer les contributions dans la Haute Guyenne, pendant que M. de Marchin, ayant joint ses troupes avec celles du colonnel Baltazard, estoit entré en Perigord, d’où il menaceoit de faire des courses dans l’Angoumois; ce qui avoit obligé le marquis de Montausier, qui en est gouverneur, de s’y en aller, avec quelque cavalerie qu’il a, et 300 gentilhommes de la province.

Le duc d’Angoulesme partit hier d’icy, pour s’en retourner en Provence.

La cavalerie de S.A.R. revenant d’Estampes le 16, le comte d’Aletz en detacha 40 maistres, qu’il envoya vers la forest de Fontainebleau, où le comte Broglio, qui s’en alloit de La Frette Alais [la Ferté-Alais] à la Cour, estant tombé dans leur embuscade, y feut fait prisonnier, avec 16 cavaliers qui l’escortoint. On les conduisit icy, dans l’hostel de Vendosme, d’où l’on a despuis relasché ce comte sur sa parolle, sans neamoings luy permettre de sortir de Paris, où il est encor.

Le marquis de Richelieu estant venu icy, le 19, de la Cour, sans passeport, alla veoir S.A.R., qui le fit arrester à la porte de son palais, lors qu’il en sortoit, estant faschée de le veoir, apres avoir sceu qu’il a servy contre elle dans l’armée du mareschal de Turenne, au siege d’Estampes; mais il a esté despuis relasché, en donnant sa parolle de ne plus servir contre Sadite A., à laquelle M. de Chavigny a fort parlé en sa faveur. Il feut mis à la garde de M. de Saugeon, cappitaine des gardes de S.A.R., qui est son amy.

Il y avoit quelques troupes à Lagny, qui y gardoint le pont, lesquelles en rompirent, le mesme jour, 2 arches entierement, avec les pilliers qui les soubtenoint; et apres, en partirent, pour venir joindre celles qui estoint venues à Charanton apres le despart du duc de Lorraine, au grand regret des habitans, qui apprehendoint que les Lorrains y vinssent passer; mais le soir du mesme jour, S.A.R. ayant eu advis que le mareschal de Turenne en devoit faire passer les siennes dans des batteaux, la nuit, pour attaquer celles de Charanton, qui estoint 1500 fantassins et 150 chevaux, leur envoya promptement l’ordre d’y rompre aussy le pont, et d’en desloger ensuitte, pour venir (comme elles firent) passer la Seine dans d’autres batteaux, entre Paris /98v/ et St Cloud, où M. le Prince et M. de Beaufort vont et viennent tous les jours.

L’armée du mareschal de Turenne est encor à Villeneufve St George, à la reserve de 2000 hommes qu’il envoya, la nuict du 19, à Lagny, où il fait travailler à accommoder le pont. Il fit sommer, hier au matin, le cappitaine qui commande dans le chasteau du Bois de Vincennes, de se rendre; lequel respondit qu’il n’en avoit point d’ordre de M. de Chavigny, mais qu’il en avertiroit aussytost. S.A.R. et M. le Prince ayant resolut de le mettre à la garde des bourgeois de Paris, si le Cour en vouloit demeurer d’accord, afin d’eviter les desordres que pourroit faire les troupes si on estoit obligé d’y en mettre, et le consentement du Roy estant venu, on y envoya hier, au soir, 300 bourgeois, commandés par un advocat nommé Guerin, cappitaine d’ung quartier de la rue St Jacques.
Les troupes du duc [de] Vertemberg que l’Archiduc envoye à M. le Prince, soubs la conduitte du baron de Lanan, estoint encor à Verveins le 18. Celles qui luy viennent de Liege ne sont pas encor entrées.

Hier, au matin, S.A.R., M. le Prince, et M. de Beaufort s’estant trouvés à l’assemblée du Parlement, le president de Nesmond ayant fait recit de ce qui s’estoit passé dans la deputation, on y leut la response faitte aux deputtés, laquelle est imprimée; sur quoy, MM. les Gens du roy ayant conclut à accepter une conference du Parlement avec la Cour, M. le Doyen feut de leur advis, et M. de Broussel à envoyer les Gens du roy à la Cour, pour tesmoigner que la Compagnie ne peut entrer en conference qu’au prealable le cardinal Mazarin ne soit hors du rouyaume. Il y eut 2 ou 3 conseillers qui opinerent encor; mais S.A.R. s’estant trouvé mal, et ayant esté obligée de sortir, l’assemblée feut remise à aujourd’huy. Aussytost apres que S.A.R. feut sortie, M. Prevost, conseiller, incista fort à faire arrester que la desliberation seroit continuée à aujourd’huy, soit qu’elle s’y trouvat ou non; et M. Bitaud luy ayant respondu qu’on devoit attendre la commodité de S.A.R., il s’escria, "Qui me donnera du pain, en attendant?" A quoy M. Bitaud repartit qu’il avoit grand tort de se plaindre, luy qui avoit pris 200 mil escus à la Guerre de Paris; et il y eut beaucoup d’autres parolles fort picquantes entre eux, apres lesquelles la Compagnie se leva, n’ayant pas jugé à propos de suivre l’advis de M. Prevost.

Ce matin, le Parlement ayant continué son assemblée, M. le Prince et M. de Beaufort s’y sont trouvés sans S.A.R., qui est encor indisposée; à cause de quoy, l’on n’y a pas continué la desliberation, mais on y a parlé des moyens de faire subcister le grand nombre des pauvres qui se sont refugiés dans Paris; et apres des propositions qui ce [se] sont faittes, de les loger dans le palais du cardinal Mazarin, et ordonner que les revenus de ses benefices feussent aplicqués à leur nourriture, ce moyen ayant esté jugé inutile, tous les conseillers se sont cottisés à 100 livres chacung, et les presidentz 200 livres, ce qui pourra monter pres de 25 mille livres; mais cela ne durera guieres pour tant de monde. Il y a eu grande rumeur, à la sortie, dans /99/ la Grande Salle, où environ 40 personnes ayant crié, "La paix, de quelque façon que ce soit," on les a voulu obliger de dire "Sans Mazarin"; ce qu’ayant refusé, on a maltraitté quelq’ungs, et l’on leur a fait advouer qu’ilz avoint receu chacung 20 sols, pour faire ce cry. En mesme temps, ce peuple, eschaufé là dessus, a fort crié contre ceux du Parlement qui sont en predicament d’estre Mazarins; et il y a eut d’asses hardis pour pousser fort rudement les presidentz de Bailleul et de Novion, jusques à les traitter à coups de pointz [poings], et les menacer de les poignarder; mais peu apres, le president de Toré s’en allant par le quay des Orfevres, on luy a jetté des pierres dans son carrosse, qui l’ont obligé de se refugier ches un orfevre, où ayant esté assiegé, M. le Prince l’est allé desgager; en suitte de quoy, il s’est tenu une assemblée de peuple, toutte l’apresdisnée, dans la Place Royalle, pour aviser aux moyens de chasser de Paris tous les Mazarins, à l’exemple de l’Ormée de Bourdeaux.

Le comte de Rieux est revenu ce matin d’aupres le duc de Lorraine, où le chevalier de Guyse est demeuré. Il a apporté à S.A.R. une lettre de ce duc, qui luy mande qu’il n’a fait aucung traitté avec la Cour, et se justiffie du suject qui l’a obligé de se retirer, disant que l’armée d’Estampes n’ayant pas joint la sienne, et ne pouvant pas la joindre asses tost, il n’avoit pas crue devoir hazarder un combat avec le mareschal de Turenne, qui estoit plus fort que luy. Neamoings, le comte de Rieux demeure d’accord qu’il auroit facilement peu defaire ce mareschal dans le defilé, où il estoit obligé de faire passer son armée, et il est certain qu’on luy a donné des pierreries, et promis de l’argent, on dit 50 mille esucs, qu’il n’a pas encor receus. Aussy, on a remarqué que ce comte a tesmoigné à S.A.R. que si elle luy faisoit rendre les places que M. le Prince luy tient, il reviendroit et traitteroit avec elle; mais le veritable suject pour lequel il s’est retiré, est que le siege d’Estampes estant levé, il auroit tellement fortiffié le party des princes, en se joignant à eux, qu’ilz auroint esté bientost les maistres, et auroint obligé la Cour à s’accommoder, ce que les Espagnolz ne souhaittent pas, parce qu’ilz ne pourroint plus profiter de nos divisions; et c’est la negotiation que Don Gabriel de Tolede a faitte aupres de luy.

La Cour est encor à Melun.

On escrit de Geronne [Gerona], du 7, que le mareschal de la Motte, apres avoir receu tous ses sacrementz, a commencé à se bien porter lors qu’on le croyoit mort; et despuis, sa santé se restablit si bien, qu’on croyoit qu’il pouvoit sortir dans 8 ou 10 jours. La ville de Barcelonne luy a fait un prest de 60 mille livres catalanes, pour l’entretien de son armée. M. de St Aunais, gouverneur de Leocate [Leucate], et mescontent de la Cour, s’est emparé du chasteau de Haupoul [Opoul], scitué sur la montagne entre Leocate et Perpignan. Un courrier de Provence y arriva le 6, et s’en alla tascher d’entrer dans Barcelonne, pour y aporter l’advis du temps auquel pourroint arriver les vaisseaux qu’on y a esquipés.

/100/ De Paris le 25 juing 1652

MM. de l’Hostel de Ville resoleurent, le 21, de supplier le Roy de revenir à Paris sans condition. Il s’en parlera aujourd’huy au Parlement. Ilz ont despuis fait tendre les chaisnes, la nuict, dans la ville, à cause d’ung bruit qu’avoit fait l’assemblée populaire de la Place Royale, à laquelle M. de Beaufort feut obligé, pour la faire separer, de promettre qu’il luy donneroit, le 22, une lettre de tous les Mazarins, afin de les chasser de Paris.

Le 21 le Parlement ce [se] devoit assembler, mais les presidents, et la pluspart des conseillers, n’oserent aller au Palais, craignant les insultes du peuple, qui estoit encor plus aygry que le jour precedent, à cause qu’il vient fort peu du pain de Gonnesse [Gonesse], la plus grande partie ayant esté prise par les troupes de S.A.R. et de M. le Prince, lesquelles n’ayant point de pain, vouloint obliger les boulangers d’aller à St Cloud. M. de Beaufort se trouva de bon matin au Palais, et M. le Prince y estant arrivé peu apres luy, et voyant qu’il n’y avoit que 26 conseillers, s’en alla ches le president Le Bailleul, où l’on remarqua qu’il ne laissa pas d’entrer, quoy qu’on luy eut dit qu’il n’y estoit pas. Il trouva tous les president assemblés sur ce subject, et leur offrit de les escorter au Palais; mais ilz ne vouleurent pas s’y commettre. Ilz parloint de s’assembler l’apresdisnée, mais ilz trouverent le mesme inconvenient. Il en vient plusieurs au palais d’Orleans sur ce suject, entre autres le president de Maisons, lequel estant arrivé au bas de la rue de Tournon en siege, feut cognu par une femme qui cria que c’estoit un Mazarin. Aussytost, la canaille se ramassa, et l’obligea de se refugier dans une maison de la mesme rue, où ayant esté assiegé, M. le Prince et M. de Beaufort, qui estoint dans le palais d’Orleans, feurent aussytost faire lever ce siege, et conduisirent ce president dans ce palais, où il demeura jusques à la nuict.

Les 2 semestres de la Chambre des comptes s’estant assemblés le 22, donnerent aussy un arrest portant que le Roy seroit supplié de vouloir donner la paix à son royaume, et de vouloir revenir à Paris, à quoy ilz ne mirent aucune condition. La Cour s’est assemblé ce matin sur le mesme suject.

L’on a recommencé, despuis 3 jours, une nouvelle negotiation pour la paix, sur les mesmes propositions qui en feurent faittes nagueres ches Mme d’Aigullion, lors que MM. de Chavigny et Goulas y estoint employés; et le bruit a fort couru du despuis, partout Paris, qu’elle estoit faitte, quoy qu’elle ne le soit pas. On a neamoings veu quelque aparence d’y pouvoir reussir, S.A.R. et M. le Prince s’y estant monstrés fort disposés, jusques à consentir que l’esloignement du cardinal Mazarin ce [se] fit par voye honneste, et sans qu’il ce [se] parlat de l’exclurre de l’esperance de retour. M. le Prince envoya, pour cest effect, M. de Gaucourt à Melun le 23 au matin; mais on eut hier nouvelles que la Cour demande beaucoup de choses sur ce point, auquelles MM. les princes ne peuvent consentir.

Le mesme jour, 23, un valet de pied de la reyne feut tué, en plain midy, par quelque /100v/ peuple ramassé dans une rue proche St Jacques de la Boucherie, ayant esté trouvé chargé de 2 grenades, et de deux pistolletz à deux canons chacung.

La Cour ayant resolut d’aller à Meaux, et de là à Compiegne, le mareschal de Turenne fit partir son armée de Lagny le 23, y ayant seulement laissé 2 regimentz, pour garder ces postes; et feut camper à Tieu [Thieux], et à Compan, au dessous de Melun, pour ce voyage. Le marquis de Castelnau Mauvissiere, qui y commande en qualité de lieutenant general, est demeuré malade d’une fievre tierce à Fresnes, 7 lieues d’icy, dans une maison de M. du Plessis Guenegaud.

L’armée de S.A.R. et de M. le Prince est encor à St Cloud, en attendant les troupes qui la doivent venir joindre de Flandres et de Liege, lesquelles sont encor bien esloignées, et ne peuvent s’aprocher, tandis que le mareschal de Turenne sera de ce costé là. Le duc de Lorraine est encor à La Ferté Milon, et ne se presse pas de s’en retourner. Le bruit est fort grand que les Espagnolz ont assiegé La Bassée.

Le Parlement se devant assembler ce matin, comme il a fait, les chaisnes ont demeuré tendues dans touttes les rues voisines du Palais, dont touttes les avenues ont esté gardées par des compagnies des bourgeois, afin que les presidentz et conseillers feussent en seurté. Il s’est neamoings fait divers cris sur les avenues, pendant que les conseillers y passoint pour entrer, les ungs crioint "Point de Mazarin," et menaceoint de tout tuer, si on n’y alloit de bon pied, et d’autres "La paix sans condition," ayant esté gaignés pour cela; ce que S.A.R. ayant recognue, en entrant avec M. le Prince, a envoyé ordre aux officiers qui commandoint la garde des bourgeois, de ne laisser entrer personne, pour quelque suject que ce feut. Leurs A. estant dans l’assemblée, on a commencé à desliberer sur la response du Roy, faitte aux deputtés; et le president Le Coigneux ayant dit qu’il seroit à propos de sçavoir ce qu’elles vouloint replicquer aux articles qui sont contenus dans cette response, touchant les seurtés que le Roy leur demande, en esloignant le cardinal Mazarin, à quoy S.A.R. ayant conferé sur ce suject avec M. le Prince, et resolu de s’en raporter à ce que la Compagnie jugeroit à propos, a respondu que, pour faire plus court, elle et M. le Prince declaroint qu’ilz soubscriroint à tout ce que le Roy avoit souhaitté, par tous les articles de cette response, et qu’ilz estoint prestz de donner touttes les seurtés que Sa M. leur demande, pourveu qu’elle esloigne le cardinal Mazarin, sans esperance de retour; apres quoy, le Parlement envoyera ses deputtés à Sa M., pour tenir la conference qu’elle souhaitte, dans laquelle se trouveront aussy les deputés de S.A.R. et de M. le Prince, pour regler tous les autres differentz. MM. les Gens du roy ont aussy ordre de demander leur response là dessus, dans jeudy prochain, et declarer qu’au cas qu’on leur voulut retarder plus longtemps, la Compagnie sera obligée de desliberer sur l’union. Cette desliberation estoit achevée à midy, et neamoings on n’est sorty qu’à 3 heures, à cause d’une grande rumeur qui s’est faitte sur ce que le secretaire de M. Menardeau, /102/ conseiller de la Grande Chambre, qui estoit en predicament d’estre Mazarin, s’estant presenté à une porte du Palais avec des armes, pour y entrer, et ayant esté recognu, a esté fort mal traitté et blessé d’un coup d’espée à l’espaule; dont son maistre ayant esté adverty, et craignant de ne s’en pouvoir pas retourner en seurté, envoya ordre à un cappitaine de sa colonnel, nommé Le Secq, qui estoit posté avec sa compagnie au bout du Pont Neuf, de s’avancer jusques à la petite porte du Palais qui est vis à vis le logis du Premier President, afin de l’escorter à son retour; à quoy ce cappitaine ayant obei, et s’estant presenté à cette porte, a esté pris pour Mazarin par ceux qui estoint en garde, quoy qu’il ne le feut pas, ny personne de sa compagnie, mais creut tel seulement parce que M. Menardeau est son colonnel; et on a commencé d’abord à tirer sur ces gens, qui se sont trouvés investis, les chaisnes estant tendues de tous costés, mesmes sur le chemin qu’il avoit tenu, où elles avoint esté bassées pour les laisser passer. On a [en] mesme temps jetté des pierres par les fenestres, sur sa compagnie, en sorte qu’il a esté obligé de faire main basse; et comme il y avoit environ 40 ou 50 personnes de resolution, ilz ont fait deux descharges, en se deffendant, et ont poussés ceux qui s’y estoint avancés vers eux, jusques à la chaisne qui estoit tendue proche le cheval de bronze du Pont Neuf, laquelle estant bordée de mousquetaires, picquiers, et halebardiers, les a empeschés de passer outre; et ilz se sont dispersés et sauvés en desordre, d’ung costé et d’autre, apres qu’il y a eu 12 ou 15 blessés, et 8 ou 10 de tués, tant d’une part que d’autre, entre lesquelz est l’enseigne de cette compagnie.

/102/ De Paris le 28 juing 1652

Ce feut dès le 22 du courant qu’on parla à S.A.R. et à M. le Prince, de recommencer la negotiation pour la paix, et de resoudre à consentir que le cardinal Mazarin se retirat par quelque voye honneste, puisque c’estoit la principale difficulté; à quoy Leurs A. ayant entendu, M. le Prince envoya, le 23, M. de Gaucourt à Melun pour negotier ses interestz, et l’on remit sur le tapis les mesmes propositions qui feurent faittes ches Mme d’Aigullion, qui estoint que le cardinal Mazarin se retirat pour 3 semaines à Bouillon, apres lesquelles il reviendroit à Sedan pour 3 mois, ensuitte à la Cour; à ce qu’on consentit qu’il allat traitter la paix avec l’Espagne, au lieu qui seroit designé pour cest effect; à quoy S.A.R. ne voulut point consentir, et M. le Prince se regla, dans cest interest, à la volonté de S.A.R., qui consent bien que ce cardinal se retire par une voye honneste, mais non pas qu’il puisse revenir. Depuis, l’on n’a pas laissé de continuer le traitté, et parce qu’on trouve beaucoup de disposition à le faire reeussir, le bruit a fort couru, toutte cette semaine, que la paix estoit faitte, quoy qu’il n’y aye rien encor de conclut, ny d’asseuré que sur des aparences, qui veritablement sont belles et bien fondées.

Apres le tumulte qui arriva le 25 sur la compagnie de M. Menardeau, pendant l’assemblée du Parlement, dans laquelle il feut arresté non que les Gens du roy retourneroint à la Cour, comme il a esté dit, mais bien les mesmes deputtés qui avoint desja esté, il en arriva un autre au Palais, vers les 3 heures apres midy, où les bourgeois ne voulant pas laisser sortir les conseillers, leur presentant le bout du mousquet, pour les obliger de donner un arrest d’union. La pluspart tesmoignerent y estre fort portés, mais l’affaire en demeura là. Quelq’ungs se refugierent dans des maisons voisines, d’autres se sauverent, desguisés en habitz courtz, le president Le Coigneux ayant essuyé 7 coups qui feurent tirés dans son carrosse; et 17 autres, tant presidentz que conseillers, coucherent dans le Palais. Le soir il y eut encor une autre rumeur, sur ce que le Lieutenant Civil estant sorty du Palais, avec les archers du guet et de l’Hostel de Ville, et ceux cy voulant marcher en bataille, les bourgeois les obligerent à defiler, et les pousserent si bien qu’ilz feurent contraintz de se retirer en desordre avec le Lieutenant Civil, dans le Chastellet, où les bourgeois du quartier les assiegerent; mais MM. Miron et Vedeau, cappitaines de ces quartiers là, en firent un accommodement, suivant lequel tous ses archers, ausquelz on avoit promis la vie, en sortirent sans armes; et le Lieutenant Civil ne se croyant pas en seurté à sortir par la porte, se sauva par une fenestre du Chastellet, dans une maison, dans laquelle il sortit sur les xi du soir.

Le soir du mesme jour, on arresta prisonnier 2 hommes de neant, qui semoint partout Paris un libelle fort dangereux contre MM. les princes, intitulé l’Esprit de Paix, lequel persuadoit fort adroittement les peuples de se separer des interestz de Leurs A, /102v/ et demander la paix et le retour du Roy, sans condition.

L’apresdisnée du 26, il y eut une assemblée particuliere de presidentz et conseillers attachés aux interestz de la Cour, ches le president de Novion, où ilz proposerent de sortir de Paris, et de s’en aller à la Cour; mais ilz se separerent sans rien resoudre.

Le mesme jour, on eut advis certain de Guyenne que le colonnel Baltazard, avec 5 à 600 hommes, avoit defait, dans le Perigort, toutes les troupes du marquis de Montausier et du sieur de Folleville, lesquelles estoint jointes ensemble et faisoint environ 1800 hommes, dont on ne s’en sauva pas 300. Il y fit plus de 800 prisonniers, le reste ayant esté tués ou blessés. Ce marquis y eut 2 chevaux tués soubz luy, et y receut un coup de pistollet au bras gauche, et quelques moindres coups en divers endroitz.

M. de Vendosme a achevé d’esquiper une flotte, pour aller assieger Brouage, à quoy il se prepare.
On escrit de Flandres qu’il estoit arrivé un secours de 700 hommes à Ostende, qui avoit esté levé par le comte de Voldemar, filz naturel du roy de Dannemarc, et que le blocus de Duncherque est tousjours en mesme estat.

Le duc de Lorraine, qui n’avoit peu passer la Marne à Treilleport [Trilport], il passa le 24 à ponton, 3 lieues de Chalons. Il poursuit son chemin asses lentement. Les ostages qui [qu’il] laissa à la Cour y sont encor, et ceux que la Cour donna sont aupres de luy, et le chevalier de Guyse aussy.

Le sieur de Bourdonné, gouverneur de Vich et Moyenvich, feut arresté prisonnier la semaine passée, dans Nancy, par le mareschal de Senneterre, qui le soubçonnoit d’intelligence avec M. le Prince.
Hier, au matin, les deputtés du Parlement partirent d’icy pour aller en Cour, et feurent coucher à la maison du president Nesmond, une lieue de Lagny. Leurs M. partirent hier aussy de Melun, et feurent coucher à Chemin, maison du president Violle, d’où elles viennent coucher ce soir à La Chevrette, une lieue de St Denys, où les deputtés les viennent trouver, et n’y doivent demeurer que 2 jours. La suitte de la Cour demeure à St Denys, où Leur M. reviendront demain.

Le mareschal de Seneterre arriva hier à la Cour a[vec] 1500 hommes, qui joignirent l’armée du mareschal de Turenne, lequel s’avancea à Escouan [Ecouen], 2 lieues de Pontoise, pour aller attaquer celle de S.A.R. et de M. le Prince, qui est encor postée à St Cloud, où celuy cy est allé ce matin, avec 200 volontaires et tous les officiers qui estoint icy, ausquelz, et à tous leurs soldatz, S.A.R. a fait commandement, sur peyne de la vie, de s’y rendre dès ajourd’huy.

/103/ S.A.R., ayant creu que l’aproche des troupes du mareschal de Turenne empescheroint les boulangers de Gonnesse [Gonesse] d’apporter demain du pain à Paris, a envoyé ordre à tous les ballifz, d’obliger tous les boulangers des fauxbourgs de cuire le double du pain qu’ilz ont accoustumé de cuire, afin qu’il s’en trouve sufisenment dans les marchés; mais on a sceu, ce soir, que ce mareschal avoit envoyé des troupes à Gonnesse, pour escorter le pain à Paris.

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