Panat in postcardThe Ranums'

Panat Times

Volume 1, redone Dec. 2014

Contents

Volume 1

Panat

Orest's Pages

Patricia's Musings

Marc-Antoine

Charpentier

Musical Rhetoric

Transcribed Sources


 

Les Hommes:
La Bibliothèque du Roi, Foyer de la République des Lettres?


This informal talk was given at Marc Fumaroli's seminar on the Republic of Letters at the Collège de France in March 1999. There is nothing definitive here, but rather an attempt to raise discussion about how "national identity" and the Republic of Letters came together. Criticism is welcome.

Jean-François Sarasin, secrétaire-trésorier du prince de Conti, écrit à Jacques Dupuy, le 6 avril 1649:

M. du Puy est très humblement supplié de dire s'il juge à propos qu'un prince de [sic] prenne un brevet pour entrer dans le conseil. Si cela faict point de tort aux prérogatives de sa naissance et si c'est point asses que le Roy luy mande par une lettre d'y venir prendre sa place. S'il y a quelques exemples de la conduite qu'on tenüe les Princes du sang en pareille rencontre, il me fera la grace de me les citter. Il tiendra s'il luy plaist ce billet en secret. ... L'affaire presse.... [Artisans of Glory, p. 161]

Comme son frère Pierre, Jacques Dupuy est tenu de rendre d'abord service au roi et seulement ensuite aux autres personnages de l'État. Pierre Dupuy place toujours son titre de conseiller du roi avant celui de garde de la Bibliothèque du roi.

Les titres nobiliaires, bien qu'intégrés dans le nom de famille, sont codés et hiérarchisés, le plus honorable se plaçant toujours avant les moins honorables. Le titre de duc précède ainsi celui de comte ou de marquis, et pour les grands de la cour le tout se termine par ce qu'on peut appeler une fleurette notariale: "... seigneur en d'autres lieux". Les officiers royaux se soumettent au même type de code hiérarchisé. Pour Dupuy la qualité de conseiller du roi dans tous ses conseils est beaucoup plus honorable (et vaut bien plus sur le marché des offices!) que celle de garde de la Bibliothèque du roi.

Par le cumul de ces deux offices, Dupuy se proclame un homme totalement au service du roi. C'est-à-dire qu'il est connu pour avoir accès aux secrets d'État, et connu aussi pour être quelqu'un qui les garde. En tant que garde de la Bibliothèque, Dupuy est au service des conseils royaux et de la chancellerie, car il fournit aux avocats royaux les renseignements qui leur sont indispensables quand ils soutiennent la royauté devant le conseil — qui est à la fois une cour de première instance et la "cour suprême" de la Monarchie (car sa jurisdiction est au-dessus de celle des parlements, des chambres des comptes, et ainsi de suite). S'appuyant bien souvent sur des faits historiques (ou de prétendus faits), les Dupuy trouvent dans les vieilles chartes les éléments les plus précis qu'ils puissent et les transmettent aux avocats du roi qui cherchent à gagner les cas (nous dirions "les procès") lesquels continuent le véritable fondement de l'État de droit qu'est la Monarchie français d'Ancien Régime. Les recherches restées manuscrites qu'ils ont préservées dans d'énormes registres ne se communiquent point à n'importe qui. Et tout comme les recherches des Godefroy et des Scévole de Saint-Marthe, les documents, les compilations de droits et de préséances, voire même les généalogies qu'ils ont édités constituent un imaginaire litigieux de l'État — une forteresse imposante qui a dompté un bon nombre de ses ennemis. La Collection Dupuy renferme les pièces d'archives les plus secrètes de l'État, notamment sur les complots contre Richelieu, classées par thème.

Affaires religieuses du "dedans" (comme dirait Richelieu), mais encore plus importantes, les affaires du "dehors", c'est-à-dire, les relations avec les autres princes et républiques du monde. Les préséances, les clauses de tel ou tel traité, et les droits du roi sur telle ou telle terre ont bien occupé non seulement les Godefroy mais aussi les Dupuy, surtout dans ce climat litigieux de la diplomatie où toute argumentation peut provoquer une recherche sur les origines. Ainsi les juristes des deux parties remontent-ils souvent vers les brumes historiques du Haut Moyen Age. Et lorsqu'ils ne sont pas en litige contre les Habsbourg, ils le sont contre le Pape. Les Dupuy sont les successeurs d'une vénérable lignée de juristes qui ont passé leur vie à faire des recherches historiques afin d'établir les droits de l'Église gallicane, c'est-à-dire de prouver son autonomie relative vis-à-vis de Rome1.

Juristes, les Dupuy ne se piquent pas tellement du statut d'auteur ou d'écrivain. C'est sur les recherches de Pierre Pithou et de bien d'autres juristes avant lui que Pierre Dupuy bâtira les "preuves" qu'il publie pour soutenir l'Église gallicane. Leur attitude face à la production écrite et même imprimée est bien différente de celle des gens de lettres pour qui l'écriture est déjà, au XVIIesiècle, une manifestation du moi.

Dans les litiges séculaires avec la Papauté, Richelieu avait beau se piquer de logique et de théologie, il ne s'en fiait pas pour autant à à ses armes intellectuelles. Dans son Testament politique il recommande:

La raison veut qu'on entende les uns et les autres pour résoudre ensuite la difficulté par des personnes si doctes qu'elles ne puissent se tromper par l'ignorance et si sincères que ny les intérêts de l'Estat ny ceux de Rome ne les puissent emporter contre la raison. [section 9, éd. Hildesheimer, p. 135]

L'auteur des Preuves des Libertez de l'Église Gallicane... n'est point mentionné, mais son projet est tout à fait contemporain de la rédaction du Testament politique. Jurisprudence historique d'abord, et histoire ecclésiastique ensuite constituent donc les deux colonnes de la vie active et érudite des Dupuy dans la Bibliothèque du roi. Sur le plan ontologique, ils sont le véritable cœur de la Monarchie française. Ils respectent, bien sûr, les lettres; mais ni l'un ni l'autre des Dupuy ne semble avoir eu du goût pour les études de droit romain, de la rhétorique des Romains et, encore moins, de leur poésie ou de leurs romans. Parmi les juristes ayant le devoir de soutenir la royauté, règne depuis Pasquier un scepticisme envers ceux qui se piquent de rhétorique et d'effets de style. Notons aussi cette évocation d'un au-delà de l'Église et de l'État qui est sans doute pour Richelieu la communauté chrétienne. N'est-il pas significatif qu'il traite de la République des Lettres, cet "ornement de l'Église," au début de la section "Des Lettres" et immédiatement après le passage que je viens de citer?

Dans l'imaginaire litigieux de l'État s'était inséré l'esprit de curiosité — certainement chez Pasquier et même avant. Les recherches d'archives sont stimulées par des activités culturelles et religieuses auxquelles les juristes ne sont pas insensibles. Les Dupuy ont le goût des livres beaux et rares2. Il reste à explorer, parmi cette masse de documents rassemblés par les juristes, le moment où la notion d'une République des Lettres reçoit son "statut", dans le sens qu'il y a un dossier dans lequel on verse des référérences et des copies de textes. Je ne pense pas en avoir vu chez Dupuy, ni chez Delamare; mais j'avoue que je n'ai point cherché. Au XVIIIe siècle la république des Lettres deviendra peut-être une espèce d'esprit, c'est-à-dire un phénomène qui n'a pas encore fait réagir l'État lors d'un procès. Elle n'est point encore un corps, ni une société. D'ailleurs, René Marion a trouvé que, en dépit de leur notoriété, les harangères de Paris n'avaient non plus (ou à peine) attiré sur elles l'attention des juristes de l'État. Leur encadrement par des statuts d'État ne s'est réellement achevé qu'après l'Ancien Régime.

En ce qui concerne la république des Lettres, est-ce que les juristes ont été, peut-être, moins attentifs à cause de la juridiction prétendue de la cour souveraine sur la langue, etc., de l'Académie Française? Dans l'Académie, la présence des juristes, et même l'esprit de chicane, ne sera pas forte pendant le long règne de Louis XIV. Si cette illustre compagnie avait bien veillé sur sa juridiction, la république des Lettres aurait peut-être été bridée, et elle aurait servi l'État avant de devenir un lieu de rhétorique susceptible de stimuler un climat de désenchantement envers la Monarchie. Richelieu et Mazarin étaient restés attentifs aux moindres rencontres régulières entre des gens qui partageaient le même "esprit". La fondation de l'Académie par le premier cardinal et la suppression de la Compagnie du Saint-Sacrement par le second sont bien révélatrices à cet égard. Colbert et la Reynie n'ont fait que continuer cette politique de soit supprimer toute institution ou tout phénomène tendant à devenir un corps, un être, soit de l'encadrer juridiquement.

Mais ce qu'on pourrait appeller le Siècle d'Or des études juridiques, humanistes et historiques, la période 1560-1660, n'ignore cependant pas les doctes qui s'intéressent aux Pères de l'Église et aux éditions critiques des ouvrages de l'Antiquité. Chose curieuse, Nicolas Rigault, caractérisé par Antoine Coron3 comme ayant été le premier bibliothécaire au sens que nous donnons aujourd'hui à ce titre, est considéré aussi comme un savant juriste. Mais Rigault a eu depuis toujours la réputation d'avoir abandonné les étude de droit par manque de goût: le Ménagiana, I, p. 181, note qu'il "fut fort méchant avocat, soit que le goût particulier qu'il avoit pour les belles lettres lui vit négliger cette profession, soit qu'il n'eut pas les talents nécessaires pour y réussir...".

N'oublions pas non plus que Rigault fut un élève des Jésuites, ce qui ne fut pas le cas des frères Dupuy. Les élèves des Jésuites respecteront de moins en moins l'atticisme des juristes. Je pense que l'amitié entre Rigault et Pierre Dupuy pourrait être considérée non seulement comme intime, mais civique, dans le sens d'une complémentarité de connaissances et de talents au service du roi. Quand Naudé écrit à Jacques Dupuy en 1640: "J'estime très nécessaire que M. Rigault écrive de bonne encre contre l'optatus Gallus puisque les ennemis de la France ont fait tirer certaines propositions...", [Naudé à J.Dupuy, 1640] il reconnaît les compétences de Rigault.

Parmi ceux qui servaient le roi dans sa bibliothèque, il y avait, je crois, des compétences particulières. En effet, le docte qui, à titre d'exemple, compulse des copies manuscrites des écrits des pères de l'Église — et notamment ceux de Tertullien, dont Rigault était le spécialiste — n'a ni la même formation ni la même attitude que le docte (dont Dupuy) qui cherche dans les archives royales des "cas royaux", c'est-à-dire des procès intentés par le roi contre certains saints et nobles évêques pour crime de lèse-majesté. Il y a une nette différence entre le lecteur de manuscrits et le compulseur des archives de la justice royale et des chartriers monastiques. Ensemble, les serviteurs du roi dans sa bibliothèque se tiennent au courant des travaux savants et moins savants des écrivains du royaume, et ils veillent sur les esprits afin que ces esprits ne s'égarent ni vers l'hérésie ni vers l'infidélité.

D'ailleurs, quant aux recherches que Dupuy a faits sur les cas royaux, il faudrait tâcher d'établir jusqu'à quel moment il ne cherchait que des exemples qui pourraient étayer en sous-œuvre la politique de Richelieu, et à quel moment il se serait mis à rechercher des exemples qui pourraient être utiles dans un éventuel procès intenté contre un cardinal étranger ou contre un évêque "tyran" qu'on voulait accuser de lèse-majesté. Le regretté W.F. Church avait entrepris des recherches sur cette question. Ses fiches sont à la Brown University Library, à la disposition de tout chercheur. Ces fiches, jointes à quelques recherches supplémentaires, pourraient enfin permettre de répondre à la question: Les Dupuy ont-ils agi selon un esprit pré-Frondeur ou Frondeur?

Le Siècle d'Or des juristes (1560-1660) coïncide bien avec l'Étatisme fondé sur quelques grands principes du droit romain, et des milliers de petits faits tirés des archives. N'exerçant jamais le moindre monopole dans ce qui est appelé la bibliothèque du roi, les juristes — comme Guillaume Budé, Jacques-Auguste de Thou et Pierre Dupuy, Du Châtel, et les non-juristes, Amyot, Casaubon et Rigault, pour ne citer qu'eux — côtoient les doctes. Ces derniers exerçaient souvent des fonctions dans l'Église ou la Bibliothèque du roi, mais ils étaient avant tout de très fidèles serviteurs du roi et de son Église.

Et un mot sur l'Étatisme des bibliothècaires juristes. Prenons pour point de départ l'exemple de Budé, qui dans l'Institution du Prince fait une distinction entre le tyran — c'est-à-dire, un roi "par force et non par droicture et par le bon vouloir des sujets" (C. Bontemps et al., p. 135) — et le favori qui exerce le pouvoir au nom d'une autorité légitime. Puisque son œuvre se fonde d'une manière générale sur les exempla historiques, Budé évoque l'évolution du gouvernement d'Alexandre le Grand qui:

se enyvra par manière de parler des grands délices d'Orient, et se laissa couler en autres nouvelletez répréhensibles et insolences barbariques, en se départant des meurs des Grecs et dégénérant de sa maison de Macedoine en laquelle il avoit été instruict et nourry, le tout par la grande faveur et doulx traitement de fortune ... et aussi par l'induction et pernicieux conseil de ses grans mignons et compagnons .... Et Alexandre n'estoit pas mal content de ce nom qu'on leur bailloit, et leur faisoit de grans dons et excessifs au moyen de quoy pour lors, il tumba en hayne et mauvais estime des princes qui suivoient en ce voyage, et de ses vieux capitaines et serviteurs.

Budé narre la chute d'Alexandre et évoque son triste sort après le meurtre de Clitus (Bontemps et al., p. 130), fixant ainsi dans un des grands textes historiques et monarchiques du XVIe siècle l'exemplum du grand capitaine corrompu par les mœurs de l'Orient. Le malheur est survenu entre les amis parce que Clitus "luy remonstroit par desdaing désordonné quelque chose qui de soy estoit vray, mais il ne parloit en révérence comme il debvoit ..." (Ibid., p. 130). Les éléments de cet exemple ont sans doute plusieurs sources, mais ils formeront un ensemble qui, sous la plume d'un critique, pourra toujours servir pour attaquer le ministre, c'est-à-dire, en France, celui qui gouverne au nom du prince.

Le grand projet historique de de Thou met en relief la légitimité et la force des institutions royales, et l'affection que les véritables serviteurs du roi ont toujours eu pour sa personne sacrée. Entre Budé et de Thou l'humanisme juridique a fait son chemin, et le sens de l'État s'est incarné dans l'histoire de la Monarchie Française, un ensemble de droits et de corps constitués..

Les Dupuy sont les véritables héritiers de cette perspective historico-juridique sur la délégation du pouvoir monarchique dans le corps. Envisagé dans cette perspective, la tyrannie des favoris — c'est-à-dire, de Concini, de Richelieu et de Mazarin — menace la chose publique. Sous l'influence de tel ou tel favori, une poussée vers la tyrannie pourrait avoir lieu. Pour Pierre Dupuy il ne s'agit pas d'une rupture profonde à l'intérieur de l'institution monarchique, mais plutôt d'une aberration regrettable. Il ne semble pas que les Dupuy se soient alarmés à cause de l'enfilade des tyrans au cours du XVIIe siècle; ils ne sont pas semblables à certains Anglais qui croient toujours que la monarchie "mixte" est menacée. Ce sentiment pourtant sera fortement sous-jacent dans toute l'œuvre de l'auteur des Lettres persanes. L'Histoire des plus illustres favoris anciens et modernes est pourtant une mise en garde contre les dangers d'un Ministerium qui n'agit pas conformément aux lois et aux coutumes du royaume. (Écrire ce livre était sans doute pour Dupuy une action civique.)

Ce livre date de 1661. Jean Elsevier est à Paris et à Leyde; il se qualifie d'imprimeur de l'Académie. La dédicace à Fabian, comte de Dona, est de sa main. Il cite le Thyeste de Sénèque et il célèbre l'antiquité de la famille Dona et son exercice direct du pouvoir, c'est-à-dire sans avoir recours aux favoris. Elsevir termine ainsi sa dédicace: "Je n'en ajoûte pas davantage sur une matière si délicate et où je ne serois peut estre pas trop volontiers écouté." Avant de dresser une liste des favoris, il est intéressant de noter qu'en supplément à l'œuvre de Pierre Dupuy on trouve une "Relation de la Mort du Maréchal D'ancre." Une fois entré plus avant dans le livre, le lecteur sera en mesure de lire ce supplément comme étant un chapitre rédigé par Dupuy, car le nom de l'auteur de ce texte n'est pas précisé. Le texte se termine par une allusion qui n'a qu'une seule interprétation possible: Richelieu et Mazarin incarnent une continuité de ce gouvernement tyrannique par les favoris:

Pour ce qui est de la suite de cette Histoire, elle fait partie de la Générale du Temps, c'est pourquoy l'autheur de ce Discours, qui a eu bonne part en toute cette intrigue, ne l'a pas voulu poursuivre.

Les spécialistes de l'assassinat de Concini peuvent peut-être identifier l'auteur de ce texte. Sinon, il serait intéressant de proposer le nom de Louis Tronson, secrétaire du cabinet, disgrâcié par Richelieu en 1626 pour avoir soutenu Gaston et ses complices. (Voyez l'édition des Mesmoires de quantité d'actions particulières qui se sont passées pendant les troubles de Paris, 1649, de Guillaume Tronson, le fils de Louis, Société de l'Histoire de France, à paraître).

Il n'est pas question d'analyser en détail le texte même de Dupuy, ni celui sur l'assassinat de Concini — ce n'est pas aujourd'hui notre propos. Mais je voudrais insister ici sur le fait qu'il y a un message subconscient dans ce livre où sont intercalées 16 estampes qui n'ont aucun rapport évident avec le texte lui-même. Ces estampes dépeignent la culture politique et sociale des Turcs — c'est-à- dire l'orientalisme tyrannique par association des thèmes, et l'installation de la tyrannie en France par les ministres favoris.

À titre d'exemple, ces illustrations montrent:

Page de la chambre du Grand Seigneur
Kushir Aga, chef des Eunuques noirs des femmes
Habits des Dames du Sérail
Le Premier Visir
Habit des Femmes de Constantinople
Un Spahis
Un Janissaire

Au moment de la publication de ce livre, Pierre Dupuy était décédé depuis dix ans et Jacques depuis cinq ans. Est-ce que les frères Dupuy auraient reconnu l'ouvrage de Pierre comme Elsevier l'a édité? La réponse est, selon moi, affirmative. Les historiens de la culture politique royaliste ne se sont pas donnés la peine d'analyser les lieux communs historicisés sur les favoris — non plus que cet autre lieu commun de l'apologiste (dont J. Racine) qui tient que le monarque n'était pas informé de ce que les autres faisaient en son nom (Artisans of Glory, p. 328). Beaucoup reste à faire.

Notons entre parenthèses que Clitus — le "favori" d'Alexandre selon l'exemplum de Budé — ne figure pas dans les en-têtes des 25 chapitres de Dupuy sur les "illustres" favoris. Il reste à vérifier si les Dupuy ont participé ainsi à cette héroïsation d'Alexandre qui s'étend d'abord dans les miroirs des princes rédigés pour le jeune Louis XIV et ensuite dans tous arts4. Dans des chapitres à la fois biographiques et moraux, Dupuy insiste surtout sur les morts des favoris, qui sont habituellement violentes, comme si leur rôle dans l'histoire était contre nature5. Le livre de Dupuy sur les favoris est un labyrinthe de faits historiques et de jugements moraux en exemplum. Il incite la classe politique française à insister sur le principe que le roi doit gouverner seul, c'est-à-dire, avec ses conseillers, mais sans un premier ministre, et le livre contribue ainsi à consolider par l'histoire ce qui sera l'état de fait après la mort de Mazarin et l'arrestation de Foucquet.

Il serait osé de tirer la moindre conclusion de réflexions si diffuses; il vaut mieux en rester à quelques questions:

1) Est-ce que ces juristes d'élite qui ont fleuri pendant environ un siècle et qui étaient bien engagés dans toutes les affaires les plus épineuses touchant à la création de l'État, avaient un amour pour les lettres et espéraient revenir aux études des textes antiques si chers à ceux qui se considéraient comme faisant partie de la république des Lettres?
2) De leur vivant les Dupuy jouirent d'une énorme réputation due en partie à leur rang dans l'État. Est-ce que leurs contemporains les ont considérés comme de véritables lettrés? La jurisprudence est bien restée une partie intégrale des Lettres jusqu'à la grande redéfinition des savoirs provoquée par l'académisme colbertien.

Une si forte identité de juriste au service de l'État laissait peu de place à la réflexion ou au rêve d'être un citoyen de la république des Lettres. Comme Naudé l'a écrit à Jacques Dupuy: "... je suis sujet de Sa Majesté et serviteur du Cardinal de Bagny, auquel et le Roi et M. le Cardinal de Richelieu portent tant d'affection"6. Tout le reste est littérature.

P.S. La République des Lettres ne figure pas dans la table des matières du catalogue de la Collection Dupuy (B.N.) préparé par Mlle Solente. Je remercie le Dr. Vicnent Pitts d'avoir vérifié de fait à ma demande.

 

Notes

1. N'oublions pas la polémique et même la contestation autour de l'action civique qui fut la publication des livres sur les libertés gallicanes. G. Demante, "Histoire de la publication des livres de Pierre Dupuy...", Bibliothèque de l'École des Chartes, V (1843-44), p. 585-606.

2. Même si la "Bible d'Anvers" était dépassée par les éditions les plus récentes, Christophe Dupuy recommande l'achat de cette édition pour la Bibliothèque du roi à cause de la beauté de sa typographie et de sa reliure. Humanisme et politique: lettres romaines de Christophe Dupuy (1646- 1649), éd. par P. et C. Wolfe, (Tübingen, 1997), II, p. 160, 164, 207.

3. M.-H. Tesnière et P. Gifford, éds., Creating French Culture (New Haven: Yale U. P., 1995), p. 163.

4. Ch. Grell et Ch. Michel, L'École des Princes ... (Paris, 1988), passim.

5. Pourtant, Dupuy insiste sur le rôle sinistre que Robert Carr a joué à la cour de Jacques I d'Angleterre, sans mentionner toutefois ni le rôle de favori joué par Buckingham, ni son triste sort.

6. Lettres de Gabriel Naudé à Jacques Dupuy (1632-1652), éd. Phillip Wolfe (Edmonton: Alta Press, 1982), p. 39.