Panat in postcardThe Ranums'

Panat Times

Volume 1, redone Dec. 2014

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/285/ De Paris le 2 septembre 1650

Le mareschal de la Motte estant venu ces jours passés en cette ville, comme vous aves sceu, M. le duc d'Orleans luy fit dire tout doucement deux jours apres qu'il s'en retourna à cause qu'il estoit venu sans congé; à quoy ce mareschal ayant respondu qu'il avoit à faire icy, S.A.R. ce [se] mit en colere et dit qu'il faudroit veoir qui auroit le dementy; mais cette affaire s'est despuis accommodée, et il s'est retiré sans attendre autre ordre. Quelq'ungs veulent qu'il fasce à present des levées pour le party des princes, mais cela n'est pas certain.

Le 26 du passé M. le duc d'Orleans, ayant tenu une seconde conference sur le nom qu'il devoit donner au prince son filz avec des gens sçavans et pris leurs avis, le nomme M. de Valois simplement dans ses qualités lors qu'on les escrira.

Le mesme jour les deputtés de la Chambre des comptes estant allés au palais d'Orleans pour conferer avec S.A.R. sur les moyens desja proposés avec ceux du Parlement, la conference ne ce [se] tient point parce qu'ilz ne peurent pas demeurer d'accord des sceances avec le president de Maison, surintendant des finances, qui les vouloit precedder; ce qui obligea S.A.R. d'arrester avec eux qu'elle leur feroit sçavoir ses intentions dans leur chambre, comme elle fit dès le lendemain.
Le comte d'Alais est mandé à la Cour sur les instances qu'on[t] faict icy à S.A.R. les depputtés de Provence de leur donner un autre gouverneur; mais ce comte, voyant que les villes d'Aix, Arles, Marseiille, et autres s'unissoint avec le Parlement de Provence contre luy, a si bien brigué dans les villes [de] Tarrascon, Brignoles, et Thoulon que ces trois dernieres ont envoyé icy d'autres depputtés; lesquelz eurent le 28 audiance de S.A.R. et luy declarerent ne vouloir point d'autre gouverneur que le comte d'Alais, et que si on le changeoit, elles prendroint les armes pour le maintenir. Quant aux advis qu'on a eu de Provence, il portent que la ville de Marseille a envoyé icy les informations qu'elle a faitte de la surprise du fort Nostre Dame de la Garde avec ordre aux depputés de les presenter à M. le duc d'Orleans; que cepandant toutte la cavalerie qui estoit dans cette province là avoit passé en Piedmont, et que la garnison de Porto Longone estoit arrivée à Toulon suivant la capitulation.

La nouvelle estant arrivée à la Cour que les Marseillois avoint repris le fort Nostre Dame de la Garde, dont M. de Scudery, le poete, estoit gouverneur, M. le Cardinal donna ce gouvernement au lieutenant de ses gardes.

Le 27 on eut advis de Normandie que 3 grandz vaisseaux d'Anglois parlementaires entrerent le 12 dans le port de Cherbourg, où ils tirerent plus de 200 coups de canon contre le chasteau, abatirent quelques maisons, briserent plusieurs navires, et enmenerent celuy de M. de la Mesleraye avec une barque angloise chargée de charbon, laquelle avoit esté prise par les nostres. Quelq'ungs de leur gens mirent aussy pied à terre sans que les bourgeois de cette ville là tirassent aucung coup sur eux. Enfin apres avoir tiré plus de 1000 coups de canon toutte l'apresdisnée, ilz s'en retournerent, laissant l'espouvante à touttes ces costes là, où l'on fait à present bonne garde.

/285v/ Les ennemis ayant pris Pont à Vere [Pontavert], passerent la riviere d'Aisne et vinrent attaquer la petite ville de Fismes, dans laquelle M. d'Hocquincourt s'estoit jetté avec 4 à 500 chevaux, s'y deffendit asses long temps; mais les ennemis ayant passé la petite riviere à gué en 4 ou 5 endroitz que les paysans leur avoint monstré, ilz se mirent en deffense sur le pont; où voyant qu'ilz venoient de toutte partz et que les habitans de la ville ne se vouloint pas deffendre, il feut contraint de faire une honnorable retraitte, apres avoir perdu plus de 200 des siens et receut luy mesmes 4 coups de mousquet et 3 coups de pistollet sur la cuirasse sans avoir esté blessé, et s'en alla avec le reste de ses trouppes à Soissons. En mesme temps les ennemis estant entrés dans la ville, la pillerent; et M. de Turenne s'en estant detachés avec 4 mille chevaux, s'avancea à La Fere en Tartenois, tant pour obliger par cette diversion le mareschal du Plessis à quitter les environs de Rehins [Reims] que pour piller l'Isle de France et la Brie et alarmer Paris. M de Bouteville et le comte de Grandpré, qui estoint avec M. de Turenne, s'avancerent le lendemain avec des coureurs jusques vers Nanteuil et autres lieux de l'Isle de France et firent sommer la Ferté Milon de se rendre, laquelle fit d'abord sa composition et s'obligea de fournir aux ennemis certaine quantité de rations de pain qu'elle fit faire et d'autres vivres, et de recevoir M. de Turenne dans la ville avec sa maison, à condition que ses trouppes demeuroint dans les faubourgs et aux environs, ce qui feut executté; et cepandant sa cavalerie continuat ses courses aux lieux circonvoisins. Le gros de l'ennemy vient camper à Fere en Tartenois, ce qui donna une telle espouvante à toutte l'Isle de France et à la Brie que du despuis les habitans de cette contrée là ont apporté dans Paris ce qu'ilz avoint de melieur, en sorte qu'on a remarqué qu'il est venu dans 3 jours plus de 10 mille charrettes chargées de meubles, bled, et autres denrées pour les garantir des mains des ennemis.

Cette alarme commenceoit à faire murmurer les espritz, mais la premiere chose à laquelle le Conseil songea feut à faire executter la resolution qui avoit esté prise il y a 12 ou 15 jours de faire transferer MM. les princes hors du Bois de Vincennes, où l'on avoit remarqué que M. Le Tellier feut la semaine passée 3 ou 4 fois pour en conferer avec M. de Bar, et que les trouppes qui estoint aux environs de Paris sans faire aucung desordre estoint destinées pour les escorter. Pour cest effect ces trouppes, qui consistoint en 2 ou 300 chevaux, sçavoir la compagnie des gens d'armes de M. le duc d'Orleans, qui est de 100 hommes bien faitz avec quelq'ungs de ses gardes, celle du Prevost de l'Isle, et quelques autres gens ramassés, s'estant trouvés le 29 à 5 heures du matin à Vincennes, on en fit partir à 8 heures MM. les princes dans 3 carrosse conduitz par M. de Bar et escortés aussy par la garnison de Vincennes, laquelle grossit ces trouppes jusques à 500 chevaux et 300 fantassins. Ilz passerent la Marne sur le pont de Charenton, lequel feut rompu incontinent apres, aussy bien que celuy /286/ de St Maur, et la Seine dans un bac; et parce qu'il sembloit par là qu'on leur voulut faire prendre le chemin d'Orleans, on creut qu'on les menoit au chasteau d'Amboise, mais on ne les mena que dans le chasteau de Marcoussy [Marcoussis], qui apartient à M. d'Antragues, scitué proche Linas à 6 lieues d'icy, où ilz sont encor. Neamoings on tient pour asseuré qu'on les doit conduire par le Perche au Havre de Grace, et à cette fin on fait venir de l'armée les regimentz de cavalerie Ruvigny et de la Villette pour les escorter, lesquelz arriverent avant hier à Escouan, 5 lieues d'icy.

Le mesme jour 29 le Parlement ce [se] voulant assembler, M. le duc d'Orleans l'envoya prier de remettre l'assemblée au lendemain, ce qui feut fait; et l'on luy deputta M. de Refuge, conseiller en la Grand' Chambre, pour luy en porter la response. Cepandant afin d'avoir moyen d'arrester les rumeurs qui auroint peu naistre dans Paris, S.A.R. donna ordre qu'on fit garder touttes les portes de la ville par des bourgeois; mais elle changea le lendemain cest ordre, voyant qu'il n'y avoit lieu d'aprehension.

Le 30 les portes du Palais feurent bien gardées par les bourgeois pandant l'assemblée du Parlement; dans laquelle M. le duc d'Orleans estant entré, l'on feut longtemps dans des contestations sur les moyens d'avoir de l'argent avant qu'y desliberer; et l'on remarqua que M. le president de Mesmes insistat fort qu'on declarat la somme qu'il falloit pour repousser les ennemis, de crainte que l'argent qu'on leveroit ne feut diverty allieurs; à quoy S.A.R. repartit qu'elle s'en rendoit caution, protestant qu'il ne seroit employé que pour cela. Enfin touttes ces contestations ayant cessé, l'on commencea d'oppiner, et la pluspart des voix allerent à avancer une année du droict annuel, dont M. Laisné ne demeura pas d'accord, remonstrant par ironie que ce n'estoit point au Parlement à faire trouver de l'argent mais bien à juger des proces, ainsy qu'on leur avoit dit tant de fois, et conclut plaisanment qu'on priat M. le duc d'Orleans de lever des trouppes et M. le Surintendant des Finances à trouver de l'argent. Le president Viole fit un beau discours dans lequel, apres avoir parlé en faveur de MM. les princes, il ce [se] servit d'ung passage du prophette Isaye où Dieu reproche à son peuple qui, apres l'avoir abandonné pour adorer des faux dieux, revenoit implorer son secours dans une misere publique, qu'il devoit s'adresser à ses faux dieux, voulant donner entendre par cette ironie que bien que M. le Prince feut le veritable protecteur de Paris, que neamoings le peuple l'avoit mesprisé pour s'attacher à M. de Beaufort et le Coadjuteur, ausquelz ilz devoint maintenant s'adresser, quoy qu'il ne peut estre secouru que par M. le Prince, qui avoit tousjours esloigné les ennemis de leur ville. M. Aubry parla fort contre les malversations qui ce [se] font dans les finances et dit que l'argent qu'on vouloit lever ne serviroit qu'à remplir la bourse de ceux qui y sont nouveaux venus, fondés sur l'exemple et l'impunité de ceux qui les ont preceddés; ce que quelq'ungs apliquans M. de Maison, il dit qu'il le supplioit de ne prendre point cela pour luy, que sa naissance, sa qualité, /286v/ et le rang qu'il tenoit dans la Compagnie le mettoit à couvert de ce blasme, adjoustant que le stile ordinaire des finances estoit, "Il faut de l'argent," et qu'il estoit plus à propos d'employer l'argent quon leveroit à faire des recreues qu'à lever des nouvelles troupes, parce qu'il en faudroit bailler la pluspart à des cappitaines qui, au lieu de faire leur levée, achepteroint de la vaiselle d'argent, comme on a veu à la guerre de Paris. Ily en eut peu qui parlerent contre M. le Cardinal et en faveur des princes, parce qu'il ne s'agissoit que de trouver de l'argent. Enfin il feut resolu tout d'une voix qu'on avanceroit une année de la paulette, laquelle ce [se] pourra monter à 100 mille livres pour le Parlement de Paris seul, à raison de 400 livres pour chasque officier. Les autres cours souveraines de Paris ont aussy resolu la mesme chose.

Outre cela le Conseil a taxé les partisans à certain somme, et les grandz ce [se] sont taxés volontairement, M. le duc d'Orleans à 20 mille escus, Mme d'Aigullion à 12 mille livres, le mareschal d'Estrées à 6000 livres, M. Le Tellier à 3000 livres, et plusieurs autres à proportion; et dès le mesme jour 30, l'on apporta 100 mille livres à l'Hostel de Ville pour y commencer promptement des nouvelles levées.

Le mesme jour on eut advis de Thoulouse du 24 que les 4 pieces de canon que la Ville avoit accordé au Roy estoint sorties de 18 sans aucun empeschement, quoy que quelq'ungs en murmurassent; que le Ville et le Parlement avoint deputtés à Leurs M.; que les deputtés de la Ville estoint desja partis, mais non pas encor ceux du Parlement, lesquelz avoint ordre de ne veoir directement ny indirectement le Cardinal, à cause de quoy le Premier President, qui avoit esté nommé pour y porter la parolle, s'estoit excusé de n'y pouvoir pas aller. Le courrier expres que ce parlement là a envoyé à celuy de Paris est arrivé il y a 4 ou 5 jours et a rendu sa lettre au Premier President.

Le 25 le vicomte d'Arpajou passa à Montauban, s'en allant à la Cour sur la parolle de S.E. Il avoit auparavant envoyé 500 hommes qu'elle luy avoit demandé. On dit qu'elle luy faict esperer de luy donner la lieutenance generalle de Guyenne soubz M. le duc d'Anjou et d'en recompenser M. de St Luc.

Le 30 arriva icy un courrier que le Parlement de Bourdeaux envoyoit à ses depputtés, ausquelz il aporta une lettre adressée à S.A.R. et un autre au Parlement de Paris, par lesquelles les Bourdelois se plaignent de la mauvaise foy du Cardinal, disant que dans le temps que M. de Coudray Montpensier estoit dans Bourdeaux avec des propositions de paix, S.E. avoit fait avancer le mareschal de la Mesleraye avec l'armée pour attaquer La Bastide, faisant desoler le pais partout où les troupes passoint, et avoit faict enterer en riviere le cappitaine Montriche avec des vaisseaux et pinasses; ce qui feut à peu pres confiermé le mesme jour /287/ par l'arrivée du sieur du Coudray, qui adjousta que le duc de Bouillon estoit maistre de la pluspart des espritz de Bourdeaux et qu'il avoit 2500 fantassins et 600 chevaux sans les bourgeois. Mais il y eut hier nouvelle que l'accommodement du comte d'Oignon estoit faict avec la Cour par l'entremise de l'evesque de Xainctes; qu'on luy asseuroit le baston de mareschal de France aussytost apres la prise de Bourdeaux, où il assistera et commandera l'armée navalle. Pour cest effect il faict diligenment esquiper 8 ou 10 navires de guerre et quelques chaloupes et autres sortes de petitz vaisseaux à la Rochelle et à Brouage, ayant pris pour cela 500 mille livres, à quoy ce [se] montoint les droitz du Roy despuis qui [qu'il] les y arrestoit soubz pretexte d'en payer sa garnison et restablir sa place, de laquelle somme et du scel qu'il y avoit aussy retenu, on l'a quitté envers le Roy; cepandant on fait des grandes levées en Auvergne pour le duc de Bouillon. Les Huguenotz ont obtenu dans les conjonctures presentes permission de faire bastir 17 nouveaux temples.

Hier les deputtés de Bourdeaux feurent au Parlement pour rendre leur lettre, et l'assemblée leur feut accordée pour aujourd'huy; mais elle a esté remise à demain, que cette lettre sera leue aussy bien que celle de Toulouse.

Les ennemis ne se sont pas aprochés si pres qu'il a esté dit. Plusieurs lettres de divers endroitz de l'Isle de France portent qu'ilz ne sont pas mesmes venus à la Ferté Milon; neamoings pour les empescher de s'aprocher, on a fait venir des trouppes, qui sont arrivées vers St Germain en Laye.

Les lettres de Metz du 27 passé portent que les trouppes lorraines commandées par le comte de Ligniville ont pris le chateau d'Espinal [Epinal] par l'intelligence qu'il avoit avec le major qui y commandoit, et qu'apres cela ce comte s'est avancé vers Chaste [Châtel] sur Moselle.

Un courrier arrivé ce matin de la Cour en a apporté des lettres du 29, lesquelles portent que Leurs M. estoint alors à Bourg, que M. de la Mesleraye estoit fort malade, et qu'on faisoit passer les trouppes delà la Garonne pour attaquer Bourdeaux.

Un trompette de l'Archiduc Leopold est arrivé icy cette apresdisnée et a apporté une lettre de son maistre à M. le duc d'Orleans, par laquelle il luy mande qu'il a ordre du roy d'Espagne de s'adresser à S.A.R., comme à celuy qui a maintenant tout le pouvoir de France en main, pour luy offrir la paix ou la guerre et luy declarer que Sa M. Catholique estoit disposée à l'ung et à l'autre, et qu'il n'avoit qu'à choisir. Cette lettre ne parle des princes en aucune façon et ne contient autre chose.

/287v/ De Bourdeaux le 22 aoust 1650

M. de Coudray Montpensier arriva hier icy à 5 heures du soir et entra par la porte St Jullien, qui regarde du costé de Cadillac, à cause qu'il venoit de s'aboucher avec M. de la Mesleraye, qui est de ce costé là. Il feut conduit par quelques compagnies de bourgeois qui estoint en garde à cette porte jusques en la maison de M. de Massiot, conseiller, lequel on avoit prié de le recevoir ches luy; et dans touttes les rues où il passa, tout le monde cria "Vive le Roy! Messieurs les princes sans Mazarin!" avec d'autres parolles sales et injurieuses, et on l'obligea luy mesmes à faire ces cris. On luy donna dans la maison de ce conseiller 4 bourgeois pour ce [se] tenir tousjours avec luy, afin de prendre garde qu'il n'eut aucune conference avec personne.

Le matin il est allé au Palais, où il y avoit grande quantité de monde, et l'on a redoublé les mesmes cris d'hier, l'ayant obligé luy mesmes à les faire. Estant entré dans la salle et ayant faict dire à MM. du Parlement qu'il avoit des lettres à leur presenter de la part de M. le duc d'Orleans, on le fit entrer dans la Grand' Chambre, apres luy avoir faict quitter son espée, suivant la coustume, n'y ayant que les ducs et pairs et mareschaux de France qui la puissent porter dans l'assemblée. Il a presenté ses lettres et exposé la creance, suppliant messieurs d'y desliberer promptement, à cause que les 10 jours de delay que S.A.R. avoit donné estoint passés; à quoy on luy respondit que ces 10 jours ne commenceoint que le jour de la presentation de ses lettres; que d'allieurs, que dans icelles il estoit faict mention de la Ville, de Mme la Princesse, de MM. de Bouillon et de la Rochefoucaut, et autres qui avoint suivy leurs interestz, ausquelz il falloit communiquer les propositions de S.A.R. avant que resoudre aucune chose; que d'allieurs Sadite A. faisoit esperer cessation de tous actes d'hostilitté; que neamoings au prejudice de cela, l'on avoit despuis fait enter le capitaine Montriche en riviere avec des vaisseaux pour fermer les passages; qu'il estoit necessaire de les faire ouvrir et laisser le commerce libre avant que parler d'autre chose.

Le mareschal de la Force continue d'armer. MM. Theobon et Lausun sont avec luy; cepandant les bourgeois se cottisent pour donner de l'argent à Mme la Princesse.

Le duc de St Simon qui M. du Coudray vient de partir pour retourner à la Cour afin d'y disposer les esprits à se resoudre d'agreer quelques conditions, sans lesquelles on aura peyne à commencer le traitté.

/288/ Du camp de La Bastide le 25 aoust

Le mareschal de la Mesleraye partit de Libourne le 20 et prit sa marche vers La Seauve [Sauve], qui est une abbaye de l'abbé de la Riviere, où il arriva avec sa suitte et y demeura jusques au 23 au matin, d'où il en partit pour marcher avec l'armée, laquelle estoit campée à Creon, vers La Bastide, pendant qu'il marchoit devant avec quelques officiers volontaires, et ses domestiques avancerent jusques à la portée du mousquet d'une traverse que les Bourdelois ont faict sur la digue qui faict le chemin de La Bastide à cause des marais qui sont des 2 costés; et l'armée fit alte sur une eminence où elle attendoit les ordres de son general, lequel cepandant alla visitter les postes où il la pourroit faire camper, ce qui feut executté. Bientost apres, ayant pris son quartier qui [sic] celuy du Roy à Senon [Cénon], ceux de La Bastide, qui estoint à la garde de leurs traverses, firent quelques descharges sur les nostres, dont il y en eut 2 ou 3 de mouches. Nostre armée parut alors fort eschauffée, et d'abord on creut que les Bourdelois se reduiroint et recevroint avec baise mains les propositions de paix de S.A.R.; et ce qui donna lieu à le croire feut qu'ilz avoint escrit à M. de Coudray pour le faire entrer à Bourdeaux, où il n'avoit point encor entré pour quelques mesintelligences. Ilz envoyerent le sieur de Suaut, greffier du Parlement, pour le querir; et il y entra dès le 20 au soir, ce qui fit avancer l'armée dès le jour mesmes jusques au poste où elle est campée despuis ce temps là. Le 23 au soir il y eut 1000 hommes commandés pour attaquer La Bastide et 300 travailleurs, mais aussytost cest ordre feut changé, et l'on n'y a rien fait jusques à cette heure que continuer les courses et voleries dans le Pays d'entre Deux Mers, qui est maintenant ruyné par l'insolence et cruauté des soldatz, qui n'en on[t] jamais tant fait au pays ennemy; mais on ne peut empescher ce desordre, puisque c'est le seul moyen de les arrester, et qu'on ne leur donne ny argent ny pain, l'ordre que ce mareschal avoit donné à Libourne n'ayant peu encor estre executté.

On laissera La Bastide pour attaquer Bourdeaux. La prise en cousteroit peut estre tropt d'hommes et n'avanceroit pas le desseing qu'on a de reduire les Bourdelois; mais il faut pour cela beaucoup de choses qu'on attend et que nous ne sçavons pas quand elles arriveront.

Le mesme jour 23 M. le Cardinal vint visitter le Mareschal, ches lequel il coucha afin d'avoir plus de temps pour conferer, mais nous ne voyons pas que cette conference aye rien avancé. L'on avoit envoyé de la Cour 2000 livres pour les travaux de la Bastide, qu'on croyoit assiegée à Libourne, mais les cavaliers /288v/ du regiment Mazarin ont volé cette somme. On attend du canon, des munitions, et autres choses necessaires, et l'armée navalle, qui est composée de 2 vaisseaux, 4 pinasses, et quelques petites galliottes; apres quoy l'on passera la Garonne pour attaquer Bourdeaux. On doute encor de MM. de la Force. Il a paru quelques vaisseaux vers St Sbastien. On conjecture que c'est du secours pour Bourdeaux, dont la reduction sera miraculeuse.

/289/ De Paris le 9 septembre 1650

Vous aures sceu la disgrace de Mlle Noyron, femme de chambre de la reyne, laquelle prouvient de ce que toutte la Cour ayant remarqué que le Roy demeura fort triste pendant 8 jours, la Reyne commenda à cette damoiselle que le Roy aymoit fort et jouoit souvent avec elle, de descouvrir adroittement la cause de cette tristesse; sur quoy elle sollicita si puissenment le Roy qu'à la fin il luy declara qu'on luy avoit bien faict cognoistre que M. le Cardinal luy perdoit son Estat et que c'estoit la seule cause de sa tristesse, mais qu'il luy deffendoit de n'en rien dire et ne voulut jamais luy declarer le nom de la personne qui luy avoit donné cette cognoissance de ces affaires. Cette damoiselle ne laissa pas de declarer ce secret à la Reyne, qui ayant voulu desabuser le Roy de ce qui luy avoit esté raporté, Sa M. se mit en colere, disant que c'estoit la petite Noyron qui luy avoit faict ce raport et voulu absolument qu'elle se retirat, comme elle fit, et est maintenant icy.

L'Assemblée du clergé ayant arresté la semaine passée qu'elle deslibereroit dans quelques jours sur les sommes qu'elle devoit accorder au Roy, l'evesque de Viviers proposa de resoudre si cette deliberation ce [se] feroit suivant l'ancienne coustume ou autrement; et fit si bien qu'il feut resolu qu'on y deslibereroit suivant cette coustume antienne, laquelle veut qu'on ne puisse rien accorder à Sa M. à moings qu'elle aye les deux tiers des voix en sa faveur, ce qui fait croire que ceste assemblée ne donnera rien.

Le trompette de l'Archiduc qui arriva icy le 2 du courant presenta sa lettre à S.A.R., un genouil à terre; et apres avoir esté bien traitté et regalé d'un present de 30 pistoles, partit d'icy le 4, accompagné d'ung autre trompette de S.A.R. et du baron de Verderonne, qu'elle envoya à l'Archiduc pour sçavoir le lieu et les personnes qu'on voudroit employer au traitté de paix, afin qu'on commenceat. Dès à present on attend le retour de ce gentilhomme.

Le 3 du courant la Grande Chambre, l'Edit, et la Tournelle s'estant assemblés, en attendant que M. le duc d'Orleans y feut arrivé, leurent la lettre du Parlement de Tholouse sans attendre que les autres chambres y feurent. Peu apres S.A.R. y estant arrivée avec MM. le Coadjuteur et de Beaufort, les mareschaux de l'Hospital et de la Mothe Oudancourt, celuy cy estant revenu de la campagne dès le jour presedent, MM. des Enquestes entrerent ensuitte; et chacung ayant pris sa place, le president Le Bailleul fit une longue relation du voyage qu'il avoit faict en Cour avec les autres deputtés, apres laquelle il se plaignit de ce qu'en passant à Poictiers on ne leur avoit faict aucune reception. Puis on leut 3 lettres adressés au Parlement de Paris, l'une de M. de la Vrilliere par laquelle il mandoit que le Roy luy avoit /289v/ commandé de sçavoir de MM. de Parlement s'il n'estoit pas tousjours dans le sentiment de reconnoistre M. de Bouillon pour criminel de leze majesté et le traitter comme tel, et deux autres du Parlement de Bourdeaux, l'une du 26 et l'autre du 27. La premiere les supplie de ne point prendre la vacation, et la 2 ne contenoit que des civilités, estant escritte seulement pour accompagner les remonstrances que les Bourdelois ont faittes du Roy dattées du 23, lesquelles feurent aussy leues et trouvées fort bien faittes. Elle ne contenoint q'ung long recit des maux que la province a souffert puis le commencement des troubles, dont ilz en attribuent incessament la cause à M. le Cardinal et à M. d'Espernon. Ce qu'on y remarqua le plus, et qui donna suject de rire, feut un endroit dans lequel ilz dirent que M. le Cardinal s'estoit faict maistre du sceau et s'estoit scelleé à luy mesme une commission de generalissime de touttes les armées du Roy. Apres cela on leut une relation de tout ce que M. de Coudray avoit faict dans Bourdeaux; et ensuitte M. le duc d'Orleans dit que l'Archiduc luy avoit escrit une lettre par laquelle il luy mandoit que le roy d'Espagne luy avoit donné pouvoir de faire la paix, que s'il en avoit envie l'affaire seroit bientost faicte, et qu'il n'avoit pas voulu luy faire responce sans en parler auparavant à l'assemblée, laquelle se levat là dessus et feut remise au 5.

Le 4 au matin feurent trouvés des placardz affichés aux coins des rues intitulés Le mareschal de Turenne aux bons bourgeois de Paris. Ilz contenoint que si le cardinal Mazarin n'eut eludé la paix, on en jouiroit il y a 3 ans, et exhortoit le peuple de suivre les bonnes intentions que l'Archiduc tesmoignoit avoir pour la paix, monstrant que sa sincerité paroissoit en ce qu'il avoit [qu'il l'avoit] demandée en l'absence du Cardinal, qui l'avoit tousjours empeschée par ses fourberies; qu'elle ne dependoit plus que des bourgeois de Paris, pourveu qu'ilz la vouleussent demander ardenment et en solliciter leurs faux tribuns et preferer les interests du Roy et de l'Estat à ceux de Mazarin, lequel ilz sanctiffient depuis qu'il a voulu payer leur amitié pandant la continuation de la guerre; et que c'estoit le seul moyen de chasser cest ennemy commung et de couper cours aux incendies, violementz, et autres desordres qu'on verra si la paix est refusée. Plusieurs ayant voulu arracher ces placardz et representer qu'on ne les avoit affichés que pour exiter une sedition, feurent fort maltraittés en plusieurs endroitz, et il y en eut un de tué.

L'apresdisnée du mesme jour M. d'Orleans manda MM. de la Ville, lesquelz estant arrivés dans son palais accompagné d'ung grand nombre de bourgeois, leur fit un long discours et leur dit qu'elle les avoit mandé pour leur donner part de ce que l'Archiduc luy avoit escrit et de la responce qu'elle luy avoit faitte, /290/ laquelle elle avoit envoyé par un gentilhomme qui devoit luy proposer de nommer un lieu pour traitter; et qu'il n'a envoyé faire ces propositions que pour faire naistre des rumeurs et des seditions; et que quant à Turenne, tout le monde sçavoit qu'il n'avoit autre interest que de brouiller, et que les placards que ces factionnaires avoint affichés le 4 ne tendoint au'à cela; et que s'ilz desiroit la paix, il se mettroit dans son devoir et demanderoit pardon au Roy, estant inouy q'ung subject eut jamais eu droict de proceder de la sorte envers son souverain; à quoy S.A.R. adjousta qu'elle cognoissoit tropt bien la fidelité des bourgeois de Paris pour les juger capables de se laisser toucher à des discours captieux, et qu'il s'en parleroit le lendemain dans l'assemblée du Parlement, où elle dit qu'elle esperoit que les bourgeois empescheroint que la canaille n'entrat au Parlement et qu'on ne feroit pas comme le 3 du courant, où la compagnie de M. Thibeuf ne s'y trouvat pas, quoy qu'elle eut est[é] commandée pour cela; à quoy cette bourgeoisie respondit qu'elle empescheroit bien les desordres et qu'elle ne respiroit que de mourir pour le service de S.A.R.

Le 5 M. le duc d'Orleans estant entré dans l'assemblée du Parlement avec les ducs de Beaufort, de Luynes, et de Brissac, les mareschaux de l'Hospital et de la Motte, et le Coadjuteur, M. de Coudray Mompensier fit recit de toutte sa negotiation de Bourdeaux; apres quoy S.A.R. fit lire quantité de lettres interceptées de M. de Bouillon à M. de Sillery, qui est en Espagne, et de celuy cy au premier, auquel il demandoit entre autres choses que la sortie de Bourdeaux de Don Joseph Ossorio retardoit de 15 jours le secours que les Bourdelois luy avoint promis, et que pour le faire haster il falloit recevoir dans Bourdeaux le baron de Batteville. S.A.R. voyant que touttes ces lettres estoint suspectes à la Compagnie, n'estant pas signées, en fit cesser la lecture; et sur cela M. de Machaut demanda si on estoit asseuré qu'elle vinssent de Bourdeaux, d'autant qu'elles parloint de la prise de Porto Longone et de tout ce qui s'estoit passé à l'assemblée du Parlement de Paris lors que S.A.R. y fit les propositions de la paix de Bourdeaux. M. Coulon dit que ces lettres estoint bien sçavantes et qu'elles disoint tout. Ensuitte M. le duc d'Orleans ayant tesmoigné qu'il ne vouloit point laisser perir Bourdeaux, et considerant seulement, aussy bien que quelques autres conseillers, la justice et la rigueur que le Roy y pourroit exercer s'il en venoit à bout, M. Payen replicqua qu'on ne faisoit point de reflexion sur l'affront que Sa M. receuvoit de Bourdeaux ne se rendant point, et que c'estoit une ville à tenir 2 ou 3 mois; sur quoy S.A.R. l'interrompit, disant qu'il n'y avoit q'une muraille seiche sans autre fortification, et qu'elle estoit aisée à prendre /290v/ en bien moings de temps. A cela M. Payen voulant faire quelque nouvelle repartie, Sadite A. luy dit qu'elle avoit faict pour le moings autant de sieges que luy, et proposa ensuitte d'envoyer à Bourdeaux M. du Coudray avec 2 conseillers pour sçavoir si le Parlement vouloit encor accepter ou rejetter les premieres propositions que Sadite A. leur avoit envoyé; sur quoy MM. les Gens du roy ayant pris leurs conclusions conformement à son advis, on commencea les deliberations, dans lesquelles il ce [se] passa peu de choses remarquables, sinon que M. Le Prevost dit qu'il ne faloit pas que les deputtés allassent à la Cour pour n'y estre que 5 heures et pour y disner, comme y avoint fait les autres deputtés qui y ont esté, mais bien pour s'y tenir jusques à ce que la paix feut faitte ou rompue; dont le president Le Bailleul se picqua et repartit qu'ilz avoint faict punctuellement tout ce qui estoit porté par l'arrest. Quelq'ungs parlerent des desordres que les trouppes font autour de Paris, de la paix generale, de la lettre du Parlement de Tholouse, et de nommer les jours ausquelz on s'assembleroit pendant les vacations. Il y en eut peu qui parlerent de M. le Cardinal, à la reserve de M. d'Irval, lequel dit qu'on pouvoit nommer la guerre de Bourdeaux une seconde guerre de Paris, que les aproches s'en faisoint de mesmes, qu'on se servoit des mesmes instrumentz, et qu'on y vouloit oprimer un parlement dont le contrecoup tomberoit sur celuy de Paris. Enfin il feut arresté tout d'une voix qu'on envoyeroit à Bourdeaux M. du Coudray avec M. Meusnier de la Grande Chambre et Bitaud de la 3, et qu'on y invitteroit deux deputtés de Bourdeaux de les y accompagner pour sçavoir si le Parlement de Bourdeaux vouloit la paix ou non, et y demeurer jusques à ce qu'elle soit faitte. Tous ces deputtés devoint partir dès le mesme jour, mais ilz feurent retenus tout le lendemain à cause que S.A.R. demandoit que M. de Coudray peut assister et donner sa voix dans touttes les desliberations que ce [se] feroint pendant le traitté, ce qu'ilz ne vouleurent point accorder; ainsy ilz ne partirent que le 7 en poste.

Le 6 le Parlement resolut de continuer ses assemblées pendant les vacations pour les affaires du Roy et du public, lors qu'il en sera besoing.

M. de Beaufort et Mlles de Chevreuse et de Montbason pressent extraordinairement M. le duc d'Orleans de prendre M. le Coadjuteur pour son ministre, et de le faire loger dans son palais à l'apartement où estoit logé M. l'abbé de la Riviere, mais il y a plusieurs personnes aupres de S.A.R. qui l'en dissuadent.

Le corps d'armée qui estoit vers Duncherque s'est avancé en deça pour couvrir Paris, suivant ce que S.A.R. avoit promis au Parlement; et cepandant les regimentz de /291/ Ruvigny et de la Villette et quelques autres troupes commandées par M. Lord Digby sont vers Pontoise, Argenteuil; et afin de les empescher d'y faire du desordre, on a assigné leur payement sur les tailles de cette contrée là, où MM. les Tresoriers de France sont allés expres pour les y lever; et on remarque que tous les habitans font leurs effortz pour les payer afin d'eviter les desordres dont ilz sont menacés par les soldatz, qui ne sont pas si retenus qu'ilz n'ayent depuis avant hier violé 3 filles dans Argenteuil. Ilz ont cepandant rompu tous les bacs qui estoint de ce costé là sur la Seine, aussy bien que les pontz qui feurent rompus dès la semaine passée.

Le comte de Grançay envoya icy un expres il y a 4 ou 5 jours pour porter nouvelles qu'il avoit defaict les troupes que le sieur de Chamboy avoit levé à Argentan en Basse Normandie. Depuis on a sceu que celuy cy avoit defait le prevost de Chartres et ses archers.

La garnison de Monrond ayant mis à contribution la petite ville d'Ené le Chastel [Ainay-le-Château], a pris celle de Cosne en Bourbonnois et assiegé le chasteau d'Herisson, qui est un poste sur le Cher dont elle pourra faire contribuer fort long; et cepandant 2 à 300 chevaux se sont avancés vers Montargis commandés par le comte de Tavanes pour y exiger d'autres contributions, mais on y envoye des commissions au comte de St Geran pour faire des levées et s'opposer aux desseings de cette garnison.

Les lettres de Thoulouse et du Bas Languedoch portent qu'on a faict des feux de joye dans touttes les villes de la province pour la naissance de M. de Valois, et notenment à Montepellier où les resjouissances ont duré 3 jours.

Quant aux nouvelles des ennemis, ilz sont encor campés à Fismes, Brane [Braine], Basoch [Bazoches], et autres lieux entre Rheins et Soissons. On a creu qu'ilz avoint desseng de surprendre cette derniere place par quelque intelligence qu'il y avoit, dont le gouverneur mesmes, nommé Sanguin, est accusé et a esté mis en prison pour cela, icy à la Bastille; et ce qui faict croire qu'il est entierement dans l'interest des princes, c'est que son filz est employé dans les troupes de M. de Turenne et sa fille est avec Mme de Longueville. Le marquis Sfrondaty s'estoit avancé vers Laon avec 4000 chevaux, mais ce n'estoit que pour escorter un convoy et quelques pieces de canon qu'on a mené à Fismes avec quelque infanterie, où l'on dit qu'ilz vont faire un fort royal pour conserver ce poste et establir leur quartier d'hyvert dans cette contrée. Cepandant le lieutenant general Rose, qui est avec son corps d'armée vers le Rethelois, leur a pris ou a faict sur eux si grand nombre de prisonniers que tous les tripotz de Rheins et de Chalons en sont remplis. L'argent de la demy monstre qui a esté envoyé à nostre armée est encor à Soissons sans avoir esté donné, à cause qu'estant seulement /291v/ destiné pour les soldatz et n'y ayant rien pour les officiers, ceux cy en ont faict du bruit et menacent de tout quitter si on ne leur en donnoit; mais on leur a envoyé qu'ilz touscheront en mesmes temps que les soldatz le leur.

La semaine passée on eut nouvelle que ce comte Broglio estant sorty de La Bassée avec toutte sa garnison, avoit surpris la procession de la ville de Lisle et l'avoit mené dans sa place avec la croix, la banniere, et les prestres, et avoit taxé un chacun à certaine rançon, ce qui luy a valut plus de 200 mille livres.

L'ordinaire de Bourdeaux, qui devoit arriver icy le 6, a esté arresté à Bourg avec touttes ses lettres, et il y a ordre à Chastelleraut et en d'autres lieux de ne laisser passer aucung courrier allant ou venant, s'il n'est envoyé par le Roy à Paris ou par S.A.R. en Cour; dont l'on a nouvelle q'ung religieux Recollé alloit et venoit de Bourdeaux à Bourg de la part de Mme la Princesse et de M. de Bouillon pour negotier quelques moyens d'accommodementz, et que mesmes le president Pichon y estoit venu pour le mesme subject; qu'on y avoit remarqué que M. de Paluau faisant la desbauche avec les principaux officiers de l'armée et faisant tirer un coup de canon lors qu'il beuvoit à la santé du Roy et de la Reyne et de M. le Cardinal, le canon crevat lors qu'on beuvoit à la santé de S.E. et les esclatz tuerent 2 ou 3 hommes; que la Reyne estoit malade d'ung douyement [dévoyement?]; et que les grandes pluyes qui estoint tombées pendant 5 jours avoint empesché les aproches de Bourdeaux; et qu'on avoit donné à M. de Ruvigny les charges de premier veneur et de premier fauconnier de M. le duc d'Anjou.

Le sieur de Champfleury, cappitaine des gardes de M. le Cardinal, arriva icy avant hier; et en passant à Marcoussy, eut une longue conference avec M. de Bar et icy avec M. Le Tellier; et M. de la Tivoliere estant arrivé hier icy au matin, feut mené à M. le duc d'Orleans par M. le Garde des Sceaux et par M. Le Tellier, qui tiendrent Conseil avec S.A.R., sans qu'on aye peu encor sçavoir le suject.
De Bourg le 30 aoust

La Cour arriva icy le 27. M. de la Mesleraye est à Lormond dans la maison de M. l'archevesque de Bourdeaux, malade de la goutte mais sur le point de sa convalescence. Il doit investir Bourdeaux jeudy prochain et commencer de faire tirer le canon. Les vaisseaux du Roy sont dans la riviere à une lieue de la ville qui la blocquent par là; et le corps d'armée de M. de Paluau, qui est de 3000 hommes de pied et de 800 chevaux, est du costé de Medoc à Blanquefort, chasteau apartenant à M. de Duras, scitué dans un marais à 2 lieues de Bordeaux, lequel les Bourdelois ont habandonné cette nuict sur l'advis qu'ilz ont eu que M. de /292/ Paluau les alloit assieger. La place eut peut [pu] tenir 8 jours. Le comte d'Ognon est prest pour venir dans la riviere avec son armée, et luy et M. de St Simon sont asseurés au service du Roy. M. d'Arpajou vient d'arriver icy presentement. MM. de la Force ont refusé d'en faire de mesmes, mais ilz ont promis de ne rien entreprendre. Il y a division dans Bourdeaux, où le Parlement ne bat plus qu[e] d'une aisle, M. de Bouillon et le peuples estant les maistres. M. le prince de Tarante partit hier d'icy avec commission pour lever 2 regimentz d'infanterie et autant de cavalerie. M. le Cardinal feut hier se promener en l'isle de Casaux à une lieue d'icy, vis à vis le Bec d'Ambes, pour y designer un fort qui tienne la riviere en bride. Il se parle de quelque assemblée de noblesse en Poictou et en la Marche.

De Bourg du 31 aoust

Nous avons pris un expres qu'on envoyoit de St Sbastien à Bourdeaux, lequel estoit chargé d'une lettre adressé au duc de Bouillon par laquelle on luy mandoit que 8 vaisseaux espagnolz devoint arriver en riviere dans audjourd'huy. Ilz ne sont pas encor arrivés, et s'ilz ne viennent dans cette semaine, Bourdeaux est perdu parce que nous attendons le comte d'Augnon avec 8 vaisseaux et 20 pinasses, et le capitaine du Quesne avec 6 autres; cepandant nous allons demain commencer nos attaques par le faubourg St Taurin [Saint-Seurin]. L'armée a receu pour cest effect une demy monstre.

On a donné 3 brevetz de mareschaux de France, un au comte d'Oignon, un au vicomte d'Arpajou, et l'autre au marquis de la Force.

/293/ De Paris le 16 septembre 1650

La semaine passée le marquis de Digne, gouverneur d'Ardres, revient de la Cour avec parolle de la Reyne du gouvernement de Pignerol, pour lequel M. le duc d'Orleans avoit escript à Sa M. en faveur du jeune marquis de Vardes, qui n'avoit pas esté asses diligent pour le demander le premier. On dit que par ce moyen M. le Cardinal se reservoit celuy d'Ardres, quoy qu'il l'eut promis au sieur de la Salle, guidon des gendarmes du roy, qui en a faict fort esclatter son mescontentement; mais tout cela n'a rien servy aux ungs ny aux autres, parce qu'il ne se trouve pas que M. de Malicy soit mort, et qu'on a sceu qu'il a un neveu dans Pignerolles qui est resolu de ne rendre point la place en personne apres la mort de son oncle.

Le 9 du courant l'Assemblée du clergé resolut de ne rien donner au Roy; et l'on remarqua que de 15 provinces qu'il y a, il y en eut 10 qui feurent de cest advis là purement et simplement, et les 5 autres d'en differer encor la desliberation.

Le mesme jour on eut advis de Sens que la noblesse qui s'y estoit assemblé en ces quartier là, ayant passé la Seine le premier du courant sur le pont de Sens au nombre de 80 chevaux commandés par le comte de Bussy Rabuttin ou par d'autres seigneurs de ce pays là, passerent par Joigny, Villeneufve le Roy [Villeneuve-sur-Yonne], et Pont sur Yonne et feurent à leur rendésvous aupres de Chastillon pour s'y joindre à quelque autre cavalerie qui le comte de Tavanes y avoit mené, afin d'aller faire un effort à Marcoussy pour enlever MM. les princes; mais ayant jugé l'affaire impossible, ilz s'en retournerent dès le 6 à Sens, où estant arrivés, les bourgeois en arresterent quelq'ungs et les obligerent à crier, "Vive le Roy!" Dans le mesme temps qu'il partirent de Sens, l'archevesque de cette ville là feut veoir Mme la Princesse [douairiere] à Chastillon.

Le 10 le sieur de Bienvilliers, escuyer de Mme la Princesse, feut mis en prison dans la Bastille, accusé d'avoir levé des soldatz en cette ville.

Le 12 le Parlement estant assemblé, on leut la lettre du Parlement de Tholouse, laquelle contient en substance que le feu de la guerre estant dans la Guyenne, dont une partie est de leur jurisdiction, ilz avoint creu le pouvoir esteindre plus tost en s'unissant avec le Parlement de Paris pour le service du Roy, le soulagement des peuples, et l'execution de la declaration. Cette lettre ayant esté leue et quelq'ungs ayant demandé s'il y avoit des exemples d'une pareille union, M. Coulon respondu que leurs ancestres leur avoint laissé des registres et qu'ilz en laisseroint à ceux qui viendroint apres eux; à quoy le president Charreton adjousta qu'il estoit tres difficile de trouver une conjoncture pareille à celle cy. Enfin, apres quelques contestations on commencea d'opiner, et il y eut deux advis: le premier, d'escrire en termes generaux au Parlement de Thoulouse une lettre plaine de civilités; et le second, /293v/ de donner un arrest d'union avec ce parlement là; mais le president Viole ayant proposé l'execution de la declaration à l'esgard de ceux qui sont detenus à la Bastille, son avis feut suivy de plusieurs et notenment du president Le Coigneux, lequel remonstra qu'on avoit mis en liberté le garde qui avoit faict sauver Mme de Bouillon, et qu'on y detenoit M. de Carnavalet, qui n'estoit coulpable d'autre crime que de ne se vouloir pas defaire de sa charge. Apres quoy l'on separa ces 2 chefs, et il feut arresté qu'on escriroit une lettre pleine de civilités au Parlement de Tholouse pour l'asseurer de la bonne correspondance que celuy de Paris vouloit avoir avec luy; et quant aux prisonniers de la Bastille, le Premier President fit si bien qu'il feut arresté d'en donner advis à S.A.R. et qu'on deslibereroit le lendemain sur ce subject. On y fit aussy beaucoup de plaintes de ce qu'on a rompu les pontz et les bacs des rivieres de Seyne et d'Oyse, à cause que cela empesche le commerce, et des extorsions que faict le gouverneur de Lagny, qui rançonne tous les batteaux qui y passent.

Le trompette de l'Archiduc et celuy de M. le duc d'Orleans arriverent icy le 10 au soir et porterent nouvelles que l'Archiduc envoyoit icy Don Gabriel de Tolede, lequel estoit arrivé ce jour là à Nantheuil [Nanteuil] avec M. de Verderonne et suivy de 2 gentilhommes espagnolz. (Ce Don Gabriel est l'ung des prisonniers qui feurent faictz à la bataille de Lens, filz du capitaine du chasteau de Milan, et ne porte le nom de Tolede qu'à cause que sa mere vient de cette Maison là.) Aussytost que S.A.R. sceut qu'il estoit à Nanteuil, elle envoya ordre à M. de Verderonne de ne le mener pas par le droit chemin afin d'eviter que le peuple ne s'amassat, comme il auroit faict s'il feut entré par la porte St Martin, mais de luy faire passer la Seyne sur le pont de St Cloud, ou le mener à Issy dans la maison de M. Tuboeuf, une lieue de Paris, où il arriva le xi au soir et y feut receu par M. d'Alzau, cornette des chevaux legers de S.A.R., traitté et servy par les officiers de Sadite A., ce qui a continué pendant tout le sejour qu'il a faict, à cause que M. de Verderonne avoit esté receu de mesmes à une lieue du camp de l'Archiduc. Le lendemain 12, S.A.R. luy envoya 2 carrosses, qui le conduirent icy sur le 4 heures du soir par la porte des Carmes deschaussés, devant celle du palais d'Orleans; où estant entré, il feut conduit par MM. de Verderonne et d'Alzau dans le cabinet de S.A.R., à laquelle il donna une lettre de l'Archiduc et luy fit compliment de sa part, en presence de MM. de Beaufort, le Garde des Sceaux, Le Tellier, d'Avaux, de Maisons, et les mareschaux d'Estrés et de l'Hospital. Sadite A. ayant receu la lettre, luy dit qu'elle la liroit et y feroit response; sur quoy il se retirat et feut veoir Madame, à laquelle il fit aussy compliment, /294/ et alla veoir ensuitte M. de Valois et les petites princesses, apres quoy il retourna avec M. d'Alsau à Issy. Cepandant la lettre feut leue dans le Conseil, et avec une autre que l'Archiduc avoit donné à M. de Verderonne. Celle cy ne contenoit que des grands civilités à S.A.R., à laquelle il proposoit seulement que le traitté de paix feut faict par eux deux, afin d'avoir plus tost faict. Par l'autre l'Archiduc luy mandoit qu'apres luy avoir proposé un abouchement pour la paix, comme il croyoit que c'est le melieur moyen d'avancer cest ouvrage apres lequel toutte la Chrestienté respire, il souhaitteroit que le lieu du traitté feut en quelque endroict entre Rheins et Rethel, qu'il esperoit que S.A.R. s'y pourroit trouver pour le commencer au 20 de ce mois, et que leur parolle serviroint de seurté pour l'ung et pour l'autre, dont on envoya avertir la Cour par un expres, qui partit en poste 2 heures apres. On remarqua d'abord que S.A.R. tesmoigna grand desir d'aller trouver l'Archiduc, mais on luy representa que sa personne ne seroit pas en seurté dans le poste que celuy cy avoit choisy; q'outre que les ennemis y estoint les plus fortz, l'Archiduc n'y pourroit pas estre le maistre absolu des deportementz de M. de Turennes, et qu'ainsy il estoit à propos de trouver moyen de faire changer le lieu. Pour cest effect le lendemain 13, M. le Nonce feut avec M. d'Avaux trouver Don Gabriel de Tolede pour pressentir si l'Archiduc vouloit changer le lieu du traitté et consentir que ce feut entre Laon et Soissons ou bien en quelque autre lieu qui ne feut pas si avantageux aux ennemis et dans lequel S.A.R. y peut estre en seureté; sur quoy Don Gabriel tesmoigna que l'Archiduc ne le refuseroit pas afin de faciliter cette entrevue. Don Gabriel revient le 14 au palais d'Orleans pour avoir son audiance de congé, et S.A.R. luy baillia la response qu'elle avoit faitte aux lettres de l'Archiduc, apres quoy il prit aussy congé de Madame et s'en alla par le jardin de ce palais, où on le fit boire; et il partit hier d'Issy pour s'en retourner au camp de l'Archiduc, d'où il doit envoyer aujourd'huy des passeportz pour M. le Nonce, M. l'agent de Venise, et M. d'Avaux, qui doivent partir demain pour aller conclurre avec l'Archiduc le lieu du traitté et conferer sur les moyens les plus difficiles, afin que S.A.R. n'y soit pas retenue si longtemps. La response qu'elle a faict à ces deux lettres contient en substance que quoy que dans tous les traittés on envoye des plenipotentiares pour resoudre touttes les difficultés, que neamoings la sincerité avec laquelle l'Archiduc procedde dans cette conjoncture l'a faict resoudre à s'aller aboucher avec luy, et qu'elle conneoit desja de ses bonnes intentions et des siennes le repos de toutte la Chrestienté; que cepandant elle luy envoye M. d'Avaux pour resoudre avec luy le lieu du traitté et commencer à l'esbaucher, apres quoy elle s'y rendra. On croit que le Garde des Sceaux et le Premier President l'y accompagneront.

/294v/ Le 13 le Parlement s'estant assemblé pour l'affaire des prisonniers de la Bastille, M. le duc d'Orleans y envoya un memoire des noms de tous les prisonniers d'Estat qui y sont, et du suject pour lequel chacung y avoit esté mis en particulier, disant à l'esgard de M. de Carnavalet que c'estoit un homme qui n'avoit jamais executté aucung des ordres qu'on luy avoit donné, et en rapporta quelques exemples: entre autres, qu'on luy avoit donné commission de s'aller saisir de la place de Montreuil apres la mort du comte de Lanoix, et qu'il y estoit arrivé tropt tard; qu'on luy avoit donné ordre de se saisir du prince de Marcillac, qui l'avoit [qu'il avoit] manqué; et qu'il avoit laissé eschaper Mme de Bouillon. A l'esgard de MM. de Crenan et de Paris, qu'ilz n'avoint jamais voulu donner leur parolles de ne servir point contre le Roy, moyenant laquelle l'on les avoit voulu mettre en liberté. Sur quoy l'on commencea à opiner, et l'on remarqua que plusieurs parlerent fort en leur faveur, et d'autres remonstrerent aussy que le president Perraut y estoit en tres mauvais estat, estant fort malade sans qu'on luy voulut donner ny medecin ny confesseur; ce qui donna suject à M. de Broussel de repartir à cela qu'on ne luy faisoit point d'autre traittement que celuy qu'il plaisoit à M. le Premier President. Cette repartie ayant donné subject de croire qu'il vouloit se ressentir par là de ce que celuy cy l'avoit joué dans la precedent assemblée, M. Le Clerc de Courcelles prit occasion de parler en faveur de M. de Marchin, disant qu'il devoit estre mis dans la mesme cathegorie que ceux de la Bastille. Enfin l'affaire ayant esté bien disputtée, il feut arresté seulement que M. le Procureur General examineroit les interrogatoires que le Lieutenant Criminel avoit faict à la Bastille, et en feroit raport à la Compagnie.

Les advis qu'on a eu cette semaine de la Cour sont fort differentz, chacun en parlant sellon sa passion. A l'esgard de Bourdeaux, les plus frais sont du 13, et ce qu'il y a de plus certain est que la Reyne est guerie de son indisposition; qu'elle a restably Mlle Noyron, sa femme de chambre, faisant passer le subject de sa disgrace pour une bagatelle; qu'apres la prise du faubourg St Surin [Saint-Seurin], M. de la Mesleraye ayant faict avancer ses troupes vers 2 tenailles en forme de demy lune qui sont entre ce faubourg et la ville, n'avoit pas jugé à propos de les attaquer de vive force parce qu'il y auroit fault perdre tropt de monde pour les emporter, mais qu'il avoit esté resolu de faire deux attaques dans les formes dont on se sert aux sieges des places regulieres, la premiere à ces deux tenailles par le comte de Paluau, et la 2 du costé de l'archevesché par ce mareschal, qui avoit desja planté une batterie et faict une bresche dans un endroit le plus foible, mais outre que la bresche est bien deffendue de /295/ l'archeveschée, il y a encor un grand fossé entre deux qui ne ce [se] peut combler qu'avec grande difficulté; que l'on avoit envoyé M. de St Luc, lieutenant de Guyenne, du costé du Perigord pour y assembler les communes et empescher l'aproche du comte de Tavanes, qui venoit de Monrront [Monrond] avec 600 chevaux pour aller joindre M. de la Force; q'ung petit secours d'Espagne avoit paru à l'emboucheure de la Garonne dès le 9, mais qu'il n'estoit pas encor entré dans la riviere, ce qui faisoit croire qu'il ne se sentoit pas asses fort; et qu'on avoit deslivré à M. de Pommiers, conseiller à Bourdeaux, des passeportz pour six autres conseillers qui devoint venir traitter à la Cour et y estoint attendus le 13, auquel jour les deputtés du Parlement de Paris avec M. de Coudray Montpensier, lequel avoit esté arresté par delà Poictiers par des gens du duc de la Rochefoucaut, qui le relascherent apres l'avoir fort interrogé sur le suject de son voyage.

Les depputtés de la ville de Thoulouse ont esté tres bien receus à la Cour et ceux du Parlement tres mal.

Despuis l'arrivée des sieurs de Champfleury et de la Tivoliere, on a tenu plusieurs discours asses differentez de leur voyage, les ungs ont voulu que S.A.R. eut eu intention de se rendre maistre de la personne de M. le Prince à la sollicitation de MM. de Beaufort et le Coadjuteur, et de Mme de Montbazon, les autres que M. le Garde des Sceaux et Mme de Chevreuse l'en aye dissuadé, et d'autres que S.A.R. n'aye jamais songé à s'en charger. Cepandant M. de Bar a faict mettre des grilles de fer en la chambre où sont MM. les princes à Marcoussy à cause que les fenestres demeurant tousjours fermées, M. le Prince en avoit rompu les vitres pour veoir [sic] l'air. L'on y mena, la nuict du 10, 4 pieces de campagne avec des munitions de la Bastille. Le sieur de Chamboy continue ses levées dans le Perche et dans le Dunois, où l'on dit qu'il a 200 chevaux, ce qui a donné subject au Conseil de donner des commissions au marquis de Sourdis de faire des levées dans le gouvernement d'Orleans pour s'opposer au courses de Chamboy.

On avoit faict esperer à M. de Beaufort des commissions et de l'argent pour lever un regiment de cavalerie et un d'infanterie avec 2 compagnies d'ordonnance, mais M. le Garde des Sceaux ne luy a pas voulu sceller des commissions, disant que cela seroit inutile jusques à ce qu'il y auroit de l'argent prest.

Avant hier au soir le mareschal de Rantsau mourut d'hydropesie en cette ville aagé de 42 ans. Le comte d'Olac a demandé son regiment à S.A.R., et l'on croit qu'il l'obtiendra, et que le gouvernement de Duncherque sera donné au marquis /295v/ de la Ferté Imbaut et celuy de Bergues Saint Venox au baron de Sirey, gentilhomme ordinaire de S.A.R.

Un courrier envoyé icy par le gouverneur de Rocroy arriva hier icy et rapporta que la garnison de cette place avoit surpris Aubenton et faict prisonnier cent hommes qui gardoint cette place, et ensuitte enlevé un quartier des ennemis.

Le vicomte de Corval a esté contraint pour la seconde fois de lever le siege devant le chasteau d'Aigremont, secouru par les troupes du comte de Ligniville. Quelques officiers de la garnison de St Dizier ont esté tirés à 4 chevaux dans cette ville là, convaincus d'avoir eu intelligence avec les ennemis pour livrer cette place moyenant 4 mille escus.

De Bourdeaux du 12

Tout presentement M. Guyonnet, depputé par ce parlement à celuy de Paris, estant arrivé hier au soir en poste, feut veoir Mme la Princesse, à laquelle il tesmoigna que le peuple estoit resolu de rentrer dans l'obeissance du Roy et que pour cest effect il la supplioit de chercher allieurs sa seurté, puis que le party des princes n'estoit pas asses fort pour secourir la ville, laquelle estoit resolue de n'irriter pas davantage Leurs M.; en suitte de quoy le Parlement estant assemblé, resolut d'envoyer au Roy des depputtés, comme il fit, et pour cest effect 2 president et 4 consillers et 2 notables bourgoies de cette ville feurent nommez pour aller asseurer Leurs M. de leur fidelité; et l'on tient l'accommodement de M. de Bouillon asseuré avec la Cour.

/297/ De Paris le 23 septembre 1650

Le traitté que l'archevesque de Rheins avoit faict avec l'evesque de Chalons pour la coadjutorerie de son archevesché n'ayant pas esté aprouvé à la Cour, il a maintenant traitté avec M. d'Aumale, qui luy assigne 10 mille livres de pension sa vie durant sur son abbaye de St Rhemy de Rheins pour estre seulement son coadjuteur. On ne sçait si celuy cy sera aprouvé.

M. d'Elbene, antien evesque d'Alby, a presenté requeste à l'Assemblée du clergé par laquelle il demande qu'on fasse tres humbles remonstrances à Leurs M., et en leur abscence à S.A.R., pour les suplier de vouloir ordonner que la justice luy soit rendue, laquelle luy a esté refusée au Conseil; sur quoy l'on deslibera le 19 et il feut arresté que ces remonstrances seroint faittes à S.A.R. et à Leurs M. aussytost qu'elles seroint de retour, et que si l'Assemblée estoit finie avant ce retour, les agentz du clergé feroint assembler tous les prelatz qui ce [se] trouveroint alors dans Paris pour faire ces remonstrances; cepandant on deputta pour les faire à S.A.R. les evesques de Pons et de Viviers et de Cominges, qui doivent à cette fin avoir audiance aujourd'huy.

Les Estatz de Languedoch sont convoqués au 20 du mois prochain. Il y a eu rumeur dans la ville de Nismes, où le college des estudiantz est miparty, la moitié estant catholique et l'autre huguenotz, sur ce q'ung jeune escolier huguenot ayant resolu de se faire Catholique, son professeur, qui estoit un Jesuiste, en avertit l'Evesque, qui prit ce jeune escolier ches luy; sur quoy un ministre feut à l'evesché accompagné de 40 ou 50 Huguenotz, qui enfoncerent la porte, tuerent le Suisse, blesserent quelques domestiques, et enleverent cest escolier, dont il eut aussytost des informations et des plaintes à la Chambre de l'Edit; mais cest affaire s'accommoda.

Despuis le despart de Don Gabriel [de Tolede] on a faict plusieurs remarques qui tesmoignent le desir que M. le duc d'Orleans avoit de faire la paix; entre autres, qu'il ait dans la pensée que c'est la plus grande seurté qui [qu'il] sçauroit avoir pour l'avenir; qu'il avoit faict venir tous ses gardes quoy qu'ilz ne servent que par quartier, afin d'aller au lieu du traitté avec un esquipage digne de sa personne; et que les passeportz n'estant pas arrivés le 17, comme on les attendoit par le retour du trompette que S.A.R. avoit envoy à l'Archiduc pour les aporter, elle envoya le 18 par deux foix prier M. le Nonce et M. d'Avaux de partir, à quoy M. le Nonce respondit dès la premiere fois qu'il estoit tout prest de partir, ne croyant pas avoir besoing de passeport, et qu'il n'attendoit que la commodité de M. d'Avaux; lequel /279v/ s'estant excusé de partir à cause du danger qu'il y avoit pour luy de s'en aller sans passeport, Sadite A. luy envoya ordre d'aller jusques à Nanteuil, où il attendroit le trompette en cas qu'il ne feut pas arrivé devant luy; sur quoy il partit le 19 avec M. le Nonce et le secretaire de l'ambassadeur de Venise, qui estoit demeuré despuis le despart de la Cour, que l'ambassadeur Morsini suivit. Chacung commenceoit de concevoir des bonnes pensées de la paix, non seulement à cause de l'affection et de l'a sincerité avec laquelle S.A.R. s'y portoit, mais encor du choix qu'elle avoit faict à cette fin de M. le Nonce et de M. d'Avaux, qui sont tous deux dans une aprobation universelle, estant partout estimé gens de bien et fort candides. D'allieurs le courrier que M. le duc d'Orleans avoit envoyé à la Cour pour l'avertir du voyage de Don Gabriel de Tolede estoit revenu le matin du 20 et avoit apporté une commission du Roy par laquelle Sa M., suivant le desir de S.A.R., nommoit pour plenipotentiaire MM. le Garde des Sceaux, le Premier President, et d'Avaux pour faire la paix, et y adjoustoit M. de Servien afin de ne luy oster pas la qualité de plenipotentiaire; mais parce qu'il ne devoit pas s'y trouver, il y avoit une clause dans la commission qui portoit que ceux qui s'y trouveroint pourroint agir et conclurre seuls, en cas que tous n'y puissent pas s'y trouver; mais touttes ces dispositions ont esté inutilles, parce que les Espagnolz ne veulent point faire la paix et leur proceddé donne bien à cognoistre qu'ilz n'avoint envoyé faire la proposition que pour donner lieu à quelque sedition dans Paris et tascher de ruiner par là le credit que S.A.R. s'est acquis parmy les peuples; puisque l'Archiduc, apres avoir retenu le trompette 4 ou 5 jours, pendant lesquelz il a decampé de Bazoches et de Fismes et s'est retiré à Cormissy [Cormicy] avec toutte son armée, l'a renvoyé avec 2 lettres, l'une adressée à S.A.R. et l'autre à M. le Nonce, laquelle luy feut rendue à Nanteuil et contenoit une priere que l'Archiduc luy fait de ne se donner point la peyne de l'aller trouver, parce que le traitté de paix traineroit tropt en longueur puisque M. le duc d'Orleans envoyoit des ministres et n'y venoit pas luy mesmes, et qu'il ne pouvoit pas y travailler à moings que le tout ce [se] passat de la façon qu'il avoit escrit à S.A.R.; ce qui obligea M. le Nonce et M. d'Avaux à s'en revenir dès hier au soir; et le trompette estant arrivé 4 ou 5 auparavant et avoit rendu celle qu'il avoit pour Sadite A. par /298/ laquelle l'Archiduc luy mandoit qu'apres avoir choisy le temps, le lieu, et les personnes, suivant la permission qu'elle luy en avoit donné, il avoit creu qu'elle ce [se] seroit trouvée au 18 de ce mois au lieu nommé afin de conclurre promptement la paix; mais que son pouvoir ne s'estendoit pas jusque là, qu'il y peut faire travailler par des ministres qui y employeroint un tropt long temps, et que puisqu'elle n'y estoit pas venue, il la prioit de conserver pour une autre conjoncture la bonne volonté qu'elle avoit de faire a paix, à cause qu'il n'avoit point de temps à perdre, et avec charge de commandement d'une armée de laquelle il est obligé d'avoir soing.

Le 20 du courant au matin il y eut assemblée au Parlement, où le Procureur General ayant faict son rapport des interrogatoires faictz par le Lieutenant Criminel aux prisonniers qui sont dans la Bastille, excepté Mme de Bouillon et le president Perraut, on opina là dessus, et plusieurs ne laisserent pas de parler fort en faveur de ce president, sur quoy il feut arresté que le Lieutenant Criminel continueroit ses interrogatoires et qu'on poursuivroit leur proces; et quant à M. Perraut, il feut ordonné que M. le duc d'Orleans seroit suplié de luy faire accorder qu'on desboucheroit les fenestres de sa chambre, qui ont esté fermées de muraille despuis qu'il y est, afin qu'il peut avoir de l'air, et qu'on le fisse visitter par des medecins à cause qu'il est malade. M. des Landes Payen ayant dict qu'il estoit chargé d'une requeste pour M. de Marchin par laquelle il demande qu'on le laisse du moing jouyr de son bien, on le remit à la huictaine. Apres qu'on eut parlé de tout cela, on remarqua que M. Coulon demanda si l'assemblée ne prendra pas un jour pour parler du beau ministere de Mazarin, qu'il traitta de faquin et dit qu'il avoit abandonné la frontiere aux ennemis pour aller se venger de Bourdeaux.
M. de Beaufort a enfin obtenu une commission que M. le Garde des Sceaux luy a scellé pour lever un regiment de cavalerie, mais il ne sera que de 6 compagnies, et l'on ne luy a point encor donné d'argent pour le lever, n'y en ayant pas mesmes pour les troupes que S.A.R. veut lever au nom de M. de Valois.

Outre ce que vous verres par les relations de la Cour, d'autres lettres adjoustent que les depputés de Bourdeaux n'ayant pas voulu que M. le Cardinal feut admis dans ces conferences, l'on avoit nommé MM. de Villeroy, du Plessis Guenegaud, et Servien pour aller traitter avec eux, et qu'ilz se montroint fort resolus, /298v/ faisant cognoistre qu'ilz ne craignoint pas que Bourdeaux feut pris par force.

Celle de Tholouse ne portent autre chose sinon que le Parlement s'y est continué sans aucung ordre de la Cour.

Du bas de Languedoch on mande que l'affaire de Nismes a faict grand bruit dans la province, et que l'Evesque a transferé son siege à Beaucaire et a envoyé depputtés du chapitre, qui arriverent hier icy pour se plaindre à l'Assemblée generalle de la violence des Huguenotz; et la Ville 2 autres, sçavoir un Catholique, qui doit faire les mesmes plaintes à S.A.R., et l'autre Huguenot, qui doibt justiffier l'action des Huguenotz et se plaindre des autres.

Le bruit court que M. le Cardinal offre au comte d'Alais le gouvernement d'Auvergne en eschange de celuy de Provence.

M. d'Angoulesme est fort malade.

Le message de Lyon feut pris la semaine passée par quelques cavaliers de la garnison de Mourron aupres de la ville de Veurdres sur l'Allier, qu'ilz avoint passé à gué, et luy prirent environ 10 mille escus monnoyé. Le comte de St Aignan ayant sceu que le sieur du Broutet, qui commandoit au party de cette garnison, s'estoit jetté dans sa maison aupres d'Argenton avec 100 chevaux et quelques paysans qu'il avoit ramassé, le fit investir par 5 ou 600 hommes, qui l'ont faict prisonnier, et l'on parle de luy faire le proces comme à un voleur de grand chemin.

L'on eut hier nouvelles que l'Archiduc s'avançoit vers Rocroy, qui est investy par le corps de l'armée du marquis Sfrondatti, que le comte de Ligniville est allé joindre avec les troupes du duc de Lorraine.

Un convoy qu'on envoyoit d'Amyens à Arras feut pris le 17 du courant dans le village d'Arponville [Harponville] par 300 chevaux de la garnison de Douay, qui prirent quelques marchandises que des marchandz y apportoint par occasion.

On continue à fortiffier St Denys et l'on oblige tous les paysans des bourgs et villages voisins d'y venir travailler, chacung à son tour.

Les paysans d'Argenteuil et d'autres bourgs d'alentour où il y a des gens de guerre vinrent hier au matin au nombre de 3 à 400 pour suplier M. le duc d'Orleans de les faire desloger, se plaignant fort des extorsions et violences qu'ilz y souffroint, dont S.A.R. leur fit esperer qu'ilz seroint bientost soulagés.

/299/ Les depputtés de l'Assemblée du clergé ont faict ce matin leurs remonstrances à Sadite A. en faveur de M. d'Elbene. Elle leur a aussy donné des bonnes parolles.

L'on a remarqué qu'avant le despart de M. le Nonce, S.A.R. luy envoya 1000 escus pour le deffrayer dans son voyage, mais il les refusa genereusement, disant qu'il avoit un bon maistre pour le deffrayer.

De Bourg le 16 septembre

Le diamant que la Reyne a perdu n'est estimé que 10 à 12 mille livres. Elle le faisoit venir de Paris pour le donner à un gentilhomme qui est attendu icy et qui a mené au Havre de Grace un vaisseau dont la reyne de Suede faict present à Sa M. Cette piece a esté prise entre les mains d'ung courrier expres qui l'apportoit avec un habit du Roy, par le sieur de Curay, cappitaine au regiment d'Anguien, lequel se tient dans la forest de Thusson [Tusson] avec quelques gens de M. de la Rochefoucaut et prent tout ce qu'il peut attraper. La Reyne a escript là dessus une lettre fort pressante à Mme de la Rochefoucaut, qu'elle prie de luy faire rendre ce diamant; à quoy cette dame ayant respondu qu'elle ne sçavoit ce que c'estoit, Sa M. tesmoigna d'en estre mescontente et l'en rend responsable; sur quoy elle est allée veoir le marquis de Montauzier à Angoulesme pour le prier d'en escrire à la Reyne, ce que ce marquis a faict; mais tout cela ne satisfaict pas Sa M.

Le comte de Paluau ayant encore attaqué par deux fois la demie lune de Bourdeaux et en a esté tousjours repoussé; la batterie de 6 pieces de canon que M. de la Mesleraye avoit faict dresser, a faict une bresche à la muraille par laquelle les assiegés le 14 firent une sortie, sans laquelle ilz perdirent 200 hommes, sçavoir 120 prisonniers et 80 tués, et le reste estant entrés dans la ville avec confusion.

Le subject de la mesintelligence qui estoit entre les principaux officiers de l'armée du Roy vient de ce que MM. de St Megrin et de Roquelaure, lieutenant generaux, estant picqués de ce que l'on ne leur a point voulu accorder aucune attaque et qu'on en avoit donné une au comte de Paluau, ne vouloint point du tout obeir à celuy cy; mais S.E. les a accommodé, et Paluau l'a emporté. La cavalerie y souffre beaucoup, faute de fourrage.

Le 13 au soir les depputtés du Parlement de Paris arriverent icy avec M. du Coudray Momtpensier; ceux de Bourdeaux arriverent aussy le mesme jour au nombre de 7, sçavoir 2 presidentz, 4 conseillers, et le Procureur General. La premiere chose dont on /299v/ parla feut d'une suspension d'armes pour 6 jours, laquelle feut accordée à commencer du 16 et finir au 22. Pour cest effect des ostages feurent donnés de part et d'autre: sçavoir, du costé de la Cour à Bordeaux, le vicomte de Montbas, qui commande le regiment royal; et du costé de Bourdeaux à la Cour, le sieur de Chambon, qui commande dans La Bastide. Les deputtés de Bourdeaux, qui n'avoint aucung pouvoir de rien conclurre mais seulement de faire des propositions et d'en recevoir de la Cour, demanderent que M. le Cardinal ne feut ny veu ny ouy dans les conferences et que mesmes il n'entrat point dans Bourdeaux avec le Roy. Ceux de Paris et M. de Coudray partirent hyer d'icy, conduitz par M. de Sainctot, maistre des ceremonies, pour aller à Bourdeaux disposer les espritz à un prompt accommodement, auquel la Reyne se monstre fort portée. Le cappitaine Montriche est tousjours au Bec d'Ambes avec 4 vaisseaux en attendant la jonction du comte d'Ognon et du cappitaine du Quesne, lesquelz sont arrivés en riviere sans avoir rencontré le secours d'Espagne, qu'on ne sçait ce qu'il est devenu, et ont pris un autre vaisseau chargé de morue allant à Bourdeaux.

Les depputtés de Toulon qui sont venus icy pour demander que le comte d'Alais feut continué ont esté mal receus.

De Marseille le 13 septembre

Le bruit estant venu la semaine passée à Toulon que MM. les princes estoint hors du Bois de Vincennes, le comte d'Alais y fit chanter le Te Deum et l'on fit ensuitte des grandes resjouissances; mais elles feurent converties peu d'heures apres en tristesse, la nouvelle estant venue qu'on ne les avoit sorty de là que pour les mettre en plus grande seurté. Cepandant le comte d'Alais ne veut point obeir à l'ordre qu'il a eu d'aller à la Cour, disant qu'il veut attendre le retour du courrier q'il y avoit envoyé, lequel apportera la response qu'auront eu les depputtés de la noblesse de son party. Il attend aussy le succes du siege de Bourdeaux, et son interest est tousjours celuy des princes. Il a faict courir un bruit qu'il a receu une lettre du Roy portant ordre de lever des gens de guerre, ce qu'il a faict, on ne sçait pour quel desseing; mais on juge que c'est pour se fortiffier si bien dans Toulon qu'on ne puisse pas l'en faire sortir, quoy qu'il est certain qu'on [ne] l'y souffriroit pas s'il venoit un second ordre de la Cour, lequel le comte de Carces n'a pas attendu, ayant desja obey et estant party pour aller rendre contes de ses actions à Leurs M.

/301/ De Paris le 30 septembre 1650

La semaine passée on eut advis de Lisbonne que le roy de Portugal ayant sceu que les vaisseaux parlementaires luy avoint pris quelq'ung des siens chargés de marchandises qui venoint des Indes, fournit de l'argent au prince Robert pour equiper les siens, qui estoint au nombre de 8, et luy en presta 16, avec lesquelz ce prince estant sorty à l'emboucheure du Tage [Tejo] sur 29 vaisseaux parlementaires qui le tenoint investy, les a defaict entierement et en a coulé 8 à fonds et en a pris autant, le reste s'estant sauvé dans le port de Cadis [Cadiz].

Le duc de Rohan estant en Bretagne il y a quelque temps y voulu lever des gens de guerre sans le faire esclatter, mais parce qu'en ce pays là l'on n'en peut lever sans que la commission soit enregistrée au Parlement, il y eut arrest de Rennes portant deffenses de faire aucune levée dans la province. En suitte de cela le marquis de la Mesleraye ayant receu une commission pour y lever 4 mille hommes, tant de cavalerie que infanterie, partit de Nantes en poste pour Rennes, où l'ayant presentée au Parlement pour l'enregistrer, on en sursit la desliberation au lendemain et ensuitte à 15e, ordonne que les 2 semestres seroint convocqués à l'assemblée pour y desliberer; de sorte que ce marquis voyant ces remises, s'est retourné à Nantes sans faire autre chose.

Le 22 M. de Ste Frigue, qui estoit allé de la part de M. le duc d'Orleans en Savoye pour y porter la nouvelle de la naissance de M. de Valois, en revient apres y avoir esté magnifiquement traitté et regallé d'ung present de 500 pistolles.

Le 23 le duc d'Angoulesme estant mort en cette ville, il y eut grand bruit entre les parens et les creantiers. Il y eut des espées tirées ches luy aussytost qu'il feut expiré, sur ce que son intendant nommé Mercier vouloit faire tout enlever pour se rembourser de 100 mille escus qu'il pretend luy estre deubt; à quoy grand nombre d'autres creantiers s'oposerent, y estant venus avec main forte. L'on remarqua que Mme d'Angoulesme feut fort exactement observée pendant la maladie de son mary par les gens du comte d'Alais, de peur qu'ilz avoint qu'elle s'emparat de quelques riches meubles. L'on conclut par ce traittement qu'elle n'aura aucune part dans le bien de son mary pour luy substituer aucung douaire pour maintenir son rang de princesse. Mme la mareschalle de Rantsau se trouve dans la mesme peyne, son mary n'ayant pas du bien à luy laisser.

Un courrier envoyé par le comte de St Aignan arriva icy le 24 et confierme que ce comte ayant sceu que le sieur de Brouttet s'estoit retiré dans /301v/ sa maison de Gargelles [Gargilesse?] aupres d'Argenton dans la Marche, avec ses cavalliers, l'y alla attaquer avec 600 hommes, deux pieces de canon, et quelque milice du pays qu'il avoit assemblé pour cest effect; et n'ayant pas voulu le recevoir à composition, le prit prisonnier le 20 avec toutte sa garnison, consistant en 28 officiers, 32 chevaux legers, 8 gendarmes, 18 autres cavaliers, 27 valetz, et 150 chevaux, apres quoy il fit tout conduire à Bourges, où l'on a envoyé commission pour faire le proces à Brouttet.

Le 27 au matin le Parlement s'estant assemblé, on y leut deux lettres dattées du 19 des 2 depputtés de Paris qui sont en Cour, lesquelles ne contenoint que leur audiance de la Reyne et leur voyage à Bourdeaux avec la suspension d'armes. On resolut sur cela de leur faire response pour les exhorter à continuer leur soings pour la paix. Ensuitte on leut deux lettres de cachet du Roy portant ordre à veriffier deux declarations, dont on fit aussy lecture; la premiere, qui ne contient autre chose que le 6 article de la declaration du 22 octobre 1648, mais un peu modifiée, veue que ceux qui ont achepté des rentes dont ilz se sont faict rembourser au denier 14 en payant la 4e partie au Roy dans 3 mois, et outre cette somme le quatruple à l'esgard de ceux qui ont esté remboursés au denier 18, excepté neamoings ceux à qui le remboursement a esté accordé en consideration des services qu'ilz ont rendu à l'Estat; la 2e accorde, moyenant une contribution modique que le Conseil imposera, le privilege de veteran à certain nombre d'officiers de justices tant souverains que subalternes et officiers du Roy et de la Reyne et de S.A.R., apres avoir servy certains nombre d'années, sçavoir: à 4 maistres de requestes, à 6 conseillers du Parlement de Paris, 4 conseillers des Parlements de Tholouse, Rennes, etc., et à 2 conseillers du Parlement de Pau apres 6 années de services. L'on a remis à mardy pour en desliberer sur ces 2 declarations.

Ce mesme jour 27 le sieur de la Motte Guyonnet arriva icy venant de Bourdeaux et porta nouvelle que la paix y estoit faitte, voicy comment. Les depputtés du Parlement de Paris estant revenus de Bourdeaux à la Cour, examinerent touttes les propositions avec les autres depputtés de part et d'autre. Celles de la Cour estoint les mesmes que M. le duc d'Orleans avoit faittes, en suitte desquelles on avoit seulement accordé que Mme la Princesse pourroit se retirer dans la ville de Nerac, M. de Bouillon à Turenne, et M. de la Rochefoucaut dans la maison de ce nom. Celles des Bourdelois estoint si estranges qu'il estoit tres /302/ difficile de les leur accorder. Les principales estoint que Mme la Princesse peut aller et venir partout dans le royaume où bon luy sembleroit, et mesmes à Paris, en toutte seurté, pour y demander en justice la liberté de MM. les princes ou qu'ilz feussent mis entre les mains de leurs juges naturelz pour les juger. Quant à M. de Bouillon, qu'il pourroit aussy se retirer là où il voudroit en toutte seurté, et qu'en attendant qu'on feut en estat de satisfaire à son traitté de Sedan, on luy assignat sur un bon fondz le revenue à quoy ce [se] montoit ce qu'on luy avoit promis par son traitté. Quant aux Bourdelois, qu'on leur assignat sur le convoy de Bourdeaux et sur les autres impositions que le Roy tire de la Guyenne 1500 mille livres qu'ilz pretendoint pour leur remboursement de frais qu'ilz ont faict à cette guerre; que touttes les maisons qui leur ont esté ruynées feussent restablies; que la province ayant esté ruynée, on la deschargeat des tailles pour 20 ans; que le Chateau Trompette demeurat en l'estat qu'il est; que MM. de la Force feussent compris dans l'amnistie generalle; qu'il feut inseré dans la declaration de la paix que ce que les Bourdelois ont faict n'a esté que pour le service du Roy; et autres propositions moings importantes. Tout cela ayant esté bien examiné, et MM. les deputtés de Paris ayant veu ce à quoy se pourroit relascher les ungs et les autres, retournerent à Bourdeaux pour en faire raport au Parlement pour deliberer si l'on accepteroit la paix ou non. Tous les conseillers, à la reserve de 7 ou 8, tesmoignerent d'abort qu'ilz la vouloint, mais il feut ordonné qu'avant que desliberer on prendroit les avis de MM. de Ville, lesquelz s'estant assemblés à l'Hostel de Ville pour ce subject, Mme la Princesse alla à pied avec M. le duc d'Anguien, MM. de Bouillon et de Rouchefoucaut, et leur fit un discours asses bon pour leur persuader de n'accepter point cette paix; mais les bourgeois, qui avoint des vendanges à faire et d'autres biens à perdre, l'interrompirent par des cris continuelz de "La paix! La paix!" qui firent resoudre malgré le menu peuple qui croioit dehors "Point de paix!" et qui feut dissippé par les bourgeois, qui feurent ensuitte au Palais et empescherent que la canaille n'y entrat. Sur quoy le Parlement tout d'une voix resoulut que la paix seroit acceptée aux propositions de S.A.R. et à ce qui avoit esté adjousté à la Cour, et qu'on supplieroit les depputtés de Paris d'y retourner pour en resoudre touttes les circonstances, notenment à l'esgard de Mme la Princesse et de MM. de Bouillon et de la Rochefoucaut, en les restablissant dans tous leurs biens en consequence de l'amnistie generalle, et pour en faire dresser les articles et la declaration; en suitte de quoy /302v/ ces deputtés estant à cette fin reparty de Bourdeaux, Mme la Princesse envoya un gentilhomme à la Reyne pour la supplier de vouloir souffrir qu'elle passat l'hyver dans Bourdeaux, où elle se tiendroit dans une religion; mais on ne croit pas que cela luy soit accordé. On luy permet seulement de se retirer dans Mourron, à condition d'en faire sortir auparavant tous les gens de guerre. Despuis on a sceu qu'il y avoit quelques pointz assez longs à resoudre, entre autres à l'esgard de M. de la Rochefoucaut, à qui on refuse de rendre le gouvernement de Poictou, et à l'esgard du comte de Tavannes, qu'on ne veut pas comprendre dans l'amnistie generalle pour n'avoir pas observé celle qu'il avoit prise à Bellegarde. Neamoings le 25 on esperoit que tout cela seroit vuidé dans peu, que le Roy pourroit enterer dans Bourdeaux le 29 avec toutte sa Cour sans exception, ce qui fait croire que M. le Cardinal y entreroit mais qu'on ne luy feroit aucune ceremonie.

Consult other years:
Fronde 1648
Fronde 1649
Fronde 1650
Fronde 1651
Fronde 1652
Fronde 1653