Panat in postcardThe Ranums'

Panat Times

Volume 1, redone Dec. 2014

Contents

Volume 1

Panat

Orest's Pages

Patricia's Musings

Marc-Antoine

Charpentier

Musical Rhetoric

Transcribed Sources


 

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Charles Le Maistre's Relation

pages 303 to 336

{303}

PARME [Parma]

Couché à Parme, le 10 d'octobre

Après avoir disné à Plaisance, dans une hostellerie assez propre et assez commode, nous montasmes en carosse pour venir coucher à Parme. Le corps de garde de Plaisance, du costé que nous sortismes, nous rendit nos armes : moïennant quoy, il {304} fallut leur donner, comme j'ay dit cy-dessus, quelque pièce per la cortesia, en suitte de quoy nous sortismes. Je ne remarquay rien sur nostre chemin qui fust particulier, sinon qu'en approchant de la place, nous vismes qu'elle estoit scituée dans une platte campagne et régulièrement fortifiée de toutes parts. Elle est traversée par le milieu d'un assez beau fleuve qui porte le nom de la ville.

Magnificence du maistre-autel de l'abbaïe de Saint Jean ; impureté des figures

Nous vismes là un très beau monastère de Bénédictins, fondé sous l'invocation de saint Jean l'Évangéliste. Nous entrasmes dans l'église pour y saluer le Saint Sacrement : après quoy, nous considérasmes le maistre-autel, qui est tout à fait beau et riche en marbre de pièces rapportées. Cet autel est bas et posé au milieu de l'église, suivant l'usage de liturgie. Il est accompagné de petites figures de bronze, deux à chaque corne de l'autel et deux autres sur le gradin. Du costé de l'Épître, ce sont deux petits anges d'environ deux piés de hauteur, qui tiennent chacun d'une main un calice d'où sort un petit dragon ; du costé de l'Évangile, il y en a tout de mesme deux autres de pareille hauteur, qui tiennent chacun d'une main un livre dans lequel ces paroles sont écrites : Et Verbum caro factum est. Ces figures serviroient d'un très bel ornement à l'autel, si elles n'estoient point toutes nues. On diroit, à les voir là, dans la posture qu'elles y sont, que c'est plutost pour servir à l'impureté qu'à la piété.

Cela me choqua tellement, que je ne pus m'empescher d'en dire mon sentiment à un de ces moines qui nous fit voir leur maison ; mais il me parut bien ne se mettre guères en peine de ce que je luy en disois, peut-estre parce que ces sortes de représentations impures sont fort en usage par toute l'Italie. Au costé de l'autel dont je viens de parler, il y a deux beaux buffets d'orgues bien dorez, dont la symmétrie fait une belle décoration pour cet autel.

Jansénius inconnu dans la bibliotèque de l'abbaïe de Saint Jean

Nous entrasmes dans le cloistre et dans le dortoir de ce monastère, que nous trouvasmes très beau en toutes ses parties. De là, nous passasmes dans la bibliothèque, qui estoit assez remplie de livres. J'y demanday celuy de Jansénius, qui estoit là un auteur inconnu. Cette abbaïe avoit servy à loger beaucoup d'officiers françois de la cavallerie que le Roy avoit envoïée en Italie contre le Pape. Ces moines nous témoignèrent qu'ils estoient fort satisfaits de la conduite de ces messieurs, qui avoient vécu chez eux avec toute la civilité possible : ce qui me parut bien digne de remarque.

Grand autel de la cathédrale majestueux ; riche baptistère

De cette abbaïe de Saint Jean, nous allasmes à la cathédrale, qui est ornée de quantité de belles peintures. L'autel principal est sous un dôme, dans une élévation de douze marches qui s'étendent d'un pillier de ce dôme à l'autre et traversent toute l'église : ce qui rend cet autel tout à fait majestueux. Assez proche de cette église, on {305} y voit le baptistère commun pour toute la ville. La structure de cet ouvrage est très belle. Elle est d'une figure ronde fort élevée, de diamètre d'environ huit toises. Dans ce baptistère, il y a un très grand bassin de jaspe, tout d'une pièce. Au dehors de ce bastiment, il y a cinq galeries qui y sont attachées. Elles sont les unes sur les autres, soutenues par de petites colomnes de marbre qui les séparent.

Magnifique écurie

Nous ne quittasmes pas Parme sans visiter le palais du Duc, qui n'estoit pas pour lors achevé. Les dehors paroissent assez beaux, mais selon toutes les apparences cet ouvrage ne sera de longtemps achevé. L'écurie de ce prince est tout à fait roïalle par le nombre de ses chevaux, qui se montoit, nous dit-t'on, jusqu'à trois cent. Le Duc s'y plaisoit si fort, que nous apprismes qu'il passoit quelquefois son temps à ferrer luy-mesme quelsques chevaux. La salle des comédies qu'on nous monstra est vaste. Elle est dressée en amphithéâtre et ornée de plusieurs décorations.

REGGIO [Reggio nell'Emilia]

Couché à Reggio, le 11 d'octobre ; cérémonies d'enterremens du païs

Nous ne passasmes qu'une matinée à Parme, si bien qu'après y avoir disné dans une très pitoïable hostellerie et gousté des fromages du païs dont on fait partout tant de cas, nous sortismes des estats de Parme pour entrer dans ceux de Modène ; et nous vinsmes coucher à Reggio, qui est une ville très forte. Les douanniers et le corps de garde ne manquèrent pas à nous demander, comme j'ay dit qu'on faisoit par toute l'Italie, per la cortesia. Le soir que nous arrivasmes dans cette ville, nous vismes faire un enterrement, auquel beaucoup de pénitens du païs assistèrent. Ils avoient tous un cierge en main, revestuz d'une espèce de soutanne de toile, le visage tout couvert d'un grand masque de la mesme toile qui a seullement deux petites ouvertures à l'endroit des yeux. Ce masque couvre aussi bien le derrière que le devant de la teste, et se met et se tire quand on le veut, comme un bonnet. Le mort que nous vismes porter là en terre, ne se portoit point, comme en France, sur les bras, mais sur les épaulles de quatre hommes, le visage découvert, comme je l'ay déjà remarqué en parlant de Milan.

Reliques de saint Prospère ; vilenie d'un prestre

Le lendemain matin, avant que de sortir de la ville, nous visitasmes les églises du lieu ; et d'abord nous allasmes à la cathédrale, où nous sçavions, sur le rapport qu'on nous en avoit fait, qu'estoit le corps de saint Prosper, posé sous le grand autel. Un ecclésiastique que nous trouvasmes dans l'église, nous monstra autres reliques : le chef et l'estolle de saint Prosper, qui estoient dans la sacristie enfermez dans une {306} armoire, lesquels il nous donna à baiser. Je remarquay, dans cette occasion, que les prestres recevoient aussi volontiers de l'argent, per la cortesia, que les douanniers et les corps de garde du païs.

On nous avoit donné avis, dans nostre hostellerie, que nous pouvions voir, chez les Carmélites de la ville, une relique fort considérable : ce qui nous obligea d'y aller. Nous demandasmes à la tourière de la maison qu'on nous fist la grâce de nous la monstrer ; et aussitost, on satisfit à nostre dévotion en nous faisant entrer dans la chappelle, qui estoit fort pauvre pour des religieuses qui avoient un corps saint à monstrer. Il en vint une, laquelle nous ayant ouvert en-dedans une grille, nous fit voir le corps de cette sainte nommée Jeanne, autrefois religieuse de ce monastère. Cette sainte estoit couchée de son long, revêtue de ses habits ordinaires, dans une pauvre chasse vitrée au travers de laquelle nous considérasmes et son visage et ses mains entières. On ne voit pas ordinairement ces reliques, ny quoy que ce puisse estre en Italie, sans demander per la cortesia. Au moins nous fit-t'on bien entendre, en ce lieu, qu'il y avoit un tronc pour y mettre ce qu'on vouloit donner.

Madona prétendue miraculeuse

En retournant de là à nostre hostellerie, nous trouvasmes sur nostre route une parfaitement belle église de la Madona santissima. Elle passe pour miraculeuse, ce qui n'est pas rare, mais au contraire très fréquent en Italie, où presque toutes les villes et les églises, mesmes particulières, ont un avantage : qu'il s'y fait des miracles chez eux assez communément, si on en veut croire à tout ce qu'en disent ceux qui ont intérest à ces églises, lesquels taschent de le persuader en toutes manières, et de vive voix et par le grand nombre d'ex voto qu'ils attachent de toutes parts, pour servir d'attestation aux bonnes gens de la pluspart de ces prétendus miracles, qui sont presque toujours imaginaires. L'église dont je parle a, outre la décoration de quantité d'ex voto, celle de très belles peintures qui la rendent fort agréable. Elle appartient à des Servites dont la maison a très grand rapport à sa beauté, estant très bien bastie. Pour ce qui est de la ville, je n'en puis rien dire de particulier, sinon qu'elle n'est point peuplée, non plus que les autres villes d'Italie.

MODÈNE [Modena]

Couché près de Modène, le 12 d'octobre

Nous avions fait dessein, ce jour-là, de coucher à Modène, parce que c'est le giste où on vient ordinairement coucher de Reggio ; mais d'autant que nous n'avions pas préveu le retardement que nous eusmes, nous n'y pusmes arriver à temps : si bien que nous fusmes obligez de coucher en chemin dans un méchant village, où néanmoins nous fusmes assez bien, contre nostre attente. Ce qui nous empescha de {307} pousser jusqu'à Modène, fut que nous trouvasmes sur nostre route un torrent si fort, enflé des pluies et de quelsques neiges fondues qui couloient des montagnes voisines, qu'il nous fut impossible de le passer sans batteau, que la rapidité des eaux eut emporté, quelque effort que fissent les mariniers, si ce batteau n'eut esté arresté par des cordes attachées à des pieux plantez sur l'un et sur l'autre bord, afin de le couler le long de ces cordes qui servoient à le retenir contre la violence de l'eau.

Rapidité d'un torrent

La rapidité de l'eau ne fut pas l'unique cause de nostre retardement sur le bord de ce torrent. Il y en eut encore deux autres, dont la première fut la quantité de gens qui vouloient passer aussi bien que nous, lesquels, estant arrivez là avant nous, avoient droit aussi, suivant la juste coutume du païs, de passer les premiers. Nostre patience fut assez exercée pendant ce temps-là. Il est vray que nous la soulageasmes par le jeu d'eschecs, dont nous jouasmes quelsques parties à platte terre, en attendant que nostre rang pour passer arrivast. Il arriva enfin : mais comme nous estions prests à passer, nous fusmes retardez tout de nouveau par deux carosses à six chevaux du duc de Modène, dans lesquels estoient trois neveux du cardinal d'Este, oncle de ce duc, lesquels jouirent, en cette occasion, du privilège que leur donnoit leur naissance sur les terres de leur cousin germain.

Bonne prévoïance

Peut-estre que si on leur eust fait connoître le seigneur que nous accompagnions, ils luy eussent rendu quelque civilité ; mais il ne voulut jamais estre connu, parce qu'il désiroit passer partout incognito : comme il passa en cette occasion, où il n'eut pas plus d'avantage que les moindres gens du païs, après qui nous passasmes si tard qu'il fallut nous loger dans le village qui n'estoit éloigné de ce torrent que d'un quart de lieue. La crainte que nous eusmes que ce village ne pust pas donner le couvert à tout le monde qui avoit passé avec nous, fit que nous prismes les devants avec toute la diligence que nous pusmes : ce qui nous accommoda fort bien, parce que nous nous saisismes de toute l'hostellerie et des viandes, qui s'y trouvèrent assez bonnes, de sorte qu'il ne resta point de chambres, ny de quoy manger, pour donner à ceux qui nous suivirent.

Le lendemain, nous partismes de grand matin, afin d'avoir du temps pour voir la ville de Modène. La première chose que nous eusmes en veue, en y arrivant, fut une citadelle qui nous parut bastie tout de nouveau. Elle est sur la gauche en entrant. La ville a communication avec elle par le moyen d'une longue gallerie couverte qui a environ cinq cent pas de long. À l'entrée de la ville, il fallut encore donner aux douanniers et au corps de garde per la cortesia ordinaire. Si tost que nous eusmes passé la barrière, nous vismes, dès le commencement des premières maisons, un très beau couvent des Jacobins qui est sous l'invocation de saint Augustin. Cela nous {308} donna lieu de mettre pié à terre en cet endroit, afin de n'estre point obligez de retourner de nostre hostellerie, pour voir ce lieu. Nous entrasmes donc dans cette église, que nous trouvasmes bien polie et ornée de quantité de grandes figures de pierres blanches, posées dans des niches. Il y en avoit environ trente de cette sorte. Elles représentoient des saints et saintes qui avoient esté princes ou princesses dans leur condition. Outre ces figures qui embellissent cette église, elle est encore enrichie de quantité de très belles peintures, et d'une architecture qui paroist singulière à cause des gros pilliers qui se détachent de la muraille et qui s'élèvent fort haut.

Modène sans agréement

Nous ne voulusmes pas quitter la ville de Modène sans voir la cathédrale, qui n'a rien de remarquable, non plus que le palais du Duc, qui est très pitoïable en dehors et néanmoins assez bien meublé en dedans, où nous vismes quantité de tableaux et quelsques lustres. Nous n'eusmes pas grande satisfaction de cette ville. C'est pourquoy nous la quittasmes aisément, pour aller coucher à Boulogne ; et comme nous passions près de la porte, nous apperceusmes une abbaïe de Bénédictins qui nous parut assez belle, mais nous ne la pusmes visiter.

À cinq mille de Modène, nous passasmes la rivière de Scultenne, et nous commençasmes là à entrer dans les terres ecclésiastiques où, après avoir marché environ un mille, nous trouvasmes un grand fort très considérable. Je ne me souviens point en avoir veu, dans tout nostre voïage, de plus remarquable, plus régulier et mieux deffendu par la quantité de ses dehors et par sa scituation, qui est dans un marais d'où nous eusmes assez de peine de nous tirer en passant, quoy qu'il fut un très beau temps. Il y a pourtant une chaussée sur le fossé ; mais les sentinelles qui estoient sur les murailles, voyant que nous la prenions, menacèrent de tirer sur nous, à moins de nous écarter plus loin. Ce fort se nomme Castelfranc, ou le fort d'Urbain parce qu'il a esté basti par Urbain 8e.

BOULOGNE [Bologna]

Couché à Boulogne, le 13, 14, 15 et 16 d'octobre ; galleries commodes dans les rues

Sur le soir de cette journée-là, nous arrivasmes à Boulogne, qui est une grande ville mais sans aucunes fortifications. Ses murailles de brique sont communes et levées à la manière ordinaire des autres. Pour ses rues, elles sont fort belles et parfaitement commodes pour se garantir du froid et de la pluie, parce qu'on y marche à couvert sous des galleries qui sont soutenues par de grosses colomnes, les unes de brique, les autres de pierre et quelsques-unes mesme de marbre blanc, comme on en voit du costé des Servites.

{309} Tour panchante

Dans le milieu de la ville, il y a deux tours quarrées, toutes deux de brique, lesquelles ont environ deux toises en quarrée. Elles sont l'une et l'autre si extraordinairement élevées, que quand on approche de Boulogne, on les découvre avant toute autre chose. Elles ne sont pourtant pas égalles en élévation, parce que l'une est plus haute que l'autre de quinze ou vint toises. Celle qui a moins de hauteur que l'autre, a plus de soixante toises de haut ; ainsi, quoy qu'elle ne soit pas si remarquable que l'autre par son élévation, elle l'est au moins par son panchant : ce qui fait que quand on la regarde, il semble qu'elle aille écraser, par sa chute, beaucoup de maisons voisines qui en sont menacées. Je crois que le haut de cette tour avance bien dix ou douze piés sur son fondement.

Habits de chœur des chanoines ; belles églises

Quand nous eusmes considéré cette tour remarquable, nous allasmes au Dôme. Nous trouvasmes une église fort belle, à cause de la grandeur de son vaisseau. Celle pourtant des chanoines réguliers l'emporte en beauté par-dessus le Dôme, et celle de San Petronio l'emporte par-dessus l'une et l'autre. Son maistre-autel est tourné du costé des chanoines, dont les habits sont semblables à ceux de Milan, desquels j'ay parlé cy-devant, à la réserve de la couleur, que ceux-cy ont d'un violet brun doublé d'un rouge cramoisy. On ne voit point, dans toute l'Italie, que les chanoines portent des aumusses pendant l'esté, comme on fait en France. Ceux-là sont revêtus de chappes de différentes couleurs. Ils ont, sur le haut de cette chappe, une fourure blanche semblable à celle des docteurs de Sorbonne, quoy qu'ils ne la portent pas au mesme endroit : ceux-cy la portent sur l'estomac ; et ceux-là, sur l'espaule gauche.

Reliques considérables ; don pieux per la cortesia

Outre ces églises, nous en vismes encore trois autres très belles. La première fut celle des religieuses de Sainte Claire, dans laquelle on nous monstra la relique la plus entière que j'aie veu dans tout mon voïage : ce fut le corps de sainte Catherine, que l'on nomme de Boulogne. Il est dans une petite chappelle à costé gauche du maistre-autel, où l'on nous ouvrit une grille de fer : à travers de laquelle nous vismes, à la longueur du bras, ce saint corps vestu d'une robe de satin gris en broderie, assis dans un fauteuil, le visage et les mains découvertes, qui nous parurent l'un et l'autre, jusqu'au bout des doigts, aussi entiers que si la sainte ne fust morte que dans ce temps-là, l'extrémité du nez n'estant pas mesme flestrie. Il fallut encore donner en ce lieu per la cortesia.

Beau monastère des Dominicains ; moines riches en cuves de vin ; contraignant à boire pour avoir per la cortesia

La seconde de ces églises que nous vismes fut celle des Dominicains, qui est très considérable à cause du corps de saint Dominique, qui y repose dans une chappelle {310} à main droite, dans laquelle il y a un très magnifique tombeau du marbre blanc, enrichy de plusieurs figures grandes et petites de mesme matière. Ce tombeau est environnée de quantité de lampes d'argent. Les voûtes et les murailles de la chappelle sont enrichies de peintures admirables. Le sacré dépost de ce saint corps a rendu cette église des plus considérables de toute l'Italie. La maison a ses beautez semblables à celles de l'église. Elle est très bien bastie et fort peuplé de moines, jusqu'au nombre de cinquante. Quelsques-uns d'entre eux nous menèrent voir ce couvent et nous obligèrent mesme d'entrer dans leurs caves, que nous trouvasmes pleines de quantité de petites cuves de cinq ou six muids pièce. Ils nous contraignirent d'y boire de leur vin, malgré nous : après quoy, il fallut les païer et leur donner, comme pour voir les reliques, per la cortesia.

J'admiray longtemps la conduite de ces moines pour nous faire voir leurs caves, qui auroient esté un très bel ornement pour des moines allemands. Je croïois qu'au lieu de nous monstrer cet endroit, ils nous le devoient cacher : car de quelle édification pouvoit estre de voir des caves garnies de vin, comme estoient celles-là d'environ cent cuves, tant grandes que petites, qui tenoient l'une portant l'autre, environ cinq muids de France ? Cette veue ne pouvoit servir à autre chose qu'à faire croire que ce monastère estoit plutost un fameux cabaret public qu'une maison bien régulière.

Beauté du chœur de ce monastère

La plus belle chose à voir dans ce couvent, après le tombeau de saint Dominique, est le chœur de l'église, dont toutes les chaires sont d'un travail en bois à la mosaïque, où les histoires tant de l'Ancien que du Nouveau Testament sont merveilleusement bien représentées. Elles sont de l'ouvrage d'un frère qui a esté autrefois dans ce couvent. Le maistre-autel est riche en reliques, entre lesquelles est une Sainte Épine qu'on dit estre de la couronne de Nostre Seigneur Jésus Christ, et une Bible dont on veut faire croire qu'une partie a esté écrite par Esdras.

Riche et magnifique abbaïe de San Michel in Bosco

La troisiesme des églises considérables que nous vismes fut celle que l'on appelle San Michel in Bosco, scituée sur une petite montagne hors de la ville, dont elle n'est pas éloignée d'une demie-lieue. Cette église appartient à des moines qu'on nomme d'Olivet, qui sont des Camaldules mitigez, lesquels sont habillez tout de blanc, sans froc. Ils portent des chappeaux blancs comme ceux de Prémonstré, hormis qu'ils sont doublez de taffetas noir par-dessous. On ne peut guères voir d'église et d'abbaïe plus polies que celles-cy, à cause de l'abondance du marbre dont elles sont ornées. Les sièges du chœur de l'église sont d'un ouvrage incomparable à la mosaïque. Les peintures y sont aussi communes qu'elles sont belles.

{311} Trois cloistres

Le reste de la maison ne cède en rien à la beauté de l'église. J'y vis trois cloistres fort spatieux, dont deux sont plantez de citronniers et d'orangers dans leurs préaux. Pour le troisiesme, il n'a pas ny l'étendue ny la forme de ceux-cy, quoy qu'il n'ayt pas moins de beauté. Celuy-cy est tout rond, orné au-dessus, tout autour, d'une plate-forme et d'un corridor avec une balustrade de petits pilliers de pierre tournez, lesquels, avec les peintures qui l'embellissent, rendent ce lieu des plus agréables.

Longueur du dortoir ; abbaïe délicieuse

Nous montasmes dans les dortoirs, dont un particulièrement nous surprit par sa longueur, que je mesuray et que je trouvay de trois cent pas. Ce que je considéray beaucoup, dans ce dortoir, fut de voir que nonobstant sa grande longueur, il fust néanmoins bien éclairé partout, à cause d'un autre, plus petit, qui le coupe par la moitié et fait comme une croix : ce qui luy donne du jour ; aussi bien que quatre grandes croisées qui sont à chaque bout, lesquelles ont toute l'étendue des galleries des dortoirs, qui sont de plus de quinze piés de large. Une des merveilles de cette belle abbaïe est qu'encore qu'elle soit posée sur une montagne, elle ne laisse pas d'avoir une abondance de fonteines rejaillissantes.

Pendant que nous séjournasmes dans Boulogne, nous nous trouvasmes dans la mesme hostellerie avec une compagnie de gentilshommes françois qui nous estoient inconnus et qui néanmoins, à cause du païs qui nous estoit commun, eurent bien la confiance de nous dire un horrible crime dont l'hoste, chez qui nous logions tous, les avoit sollicitez, en leur proposant de leur abandonner sa femme, pourveu qu'ils voulussent aussi s'abandonner à luy.

Nous n'oubliasmes pas d'acheter dans cette ville des savonettes, qui y sont si renommées. Chacun de nous en acheta pour sa provision et pour en faire des présens à ses amis à son retour. Comme il y a là de toutes sortes, grosses et petites, il y en a aussi à tout prix, les unes se trouvant incomparablement meilleures que les autres. Pour les autres denrées de cette ville desquelles on parle tant, telles que sont les saussiçons, nous ne nous en chargeasmes pas. Nostre cuisinier en acheta seullement une couple, dont il servit quelquefois à table assez inutillement, parce que le poivre estoit si abondant qu'il nous rendoit ce manger insupportable, à cause que pas un de nous n'aimoit l'espice.

Infame commerce de religieuses

Outre le trafic de savonettes et de saussiçons, il s'en fait encore un autre dans Boulogne, qui est de petits chiens espagneuils. M. le duc de Brissac eut envie d'en acheter un, pour en faire un présent à Madame sa femme, au retour de nostre voïage. Il s'en fit apporter, pour cela, quelsques-uns dans nostre hostellerie ; mais comme il ne les trouvoit pas assez beaux, et qu'il en vouloit avoir des plus rares, on {312} luy donna avis d'aller chez les religieuses de la ville, qui faisoient grand commerce de cette marchandise. Il prit aussitost résolution d'aller voir ces religieuses, chez qui il voulut me mener avec luy ; mais je le refusay, en luy disant, tout indigné que j'estois : s'il se pouroit bien résoudre à acheter des chiens à ces filles, et à entretenir ainsi un commerce infame avec des personnes de leur profession, qui estoient destinées à toute autre chose qu'à faire accoupler des chiens ensemble ?

M. de Brissac jugea ce que je luy dis si raisonnable, qu'en mesme temps il me donna parole qu'il n'acheteroit point de chiens de ces religieuses. Quand je le vis dans cette disposition, je le priay de monter en carosse et de trouver bon que nous allassions ensemble au monastère, où on disoit que les chiens se vendoient comme les denrées si vendent en un marché public : afin que, si cela n'estoit point, nous pussions ensuitte désabuser ceux qui nous parleroient du trafic honteux de ces filles ; ou que, si la chose estoit telle qu'on nous l'avoit dite, nous pussions parler comme témoins oculaires d'un si infame ménage.

Nous montasmes donc en carosse, et nous allasmes au monastère où se tenoit le marché des chiens : où si tost que nous fusmes arrivez, nous demandasmes s'il n'y avoit point de chiens à vendre. Nous eusmes réponse à l'heure mesme, et les tourières nous dirent que nous en trouverions, dans la maison, de telle sorte que nous en pourions désirer. En mesme temps, celle qui nous parla, nous pria d'aller à la porte du monastère, où nous trouvasmes sept ou huit religieuses qui nous attendoient, la porte ouverte, chacune ayant nombre de chiens à vendre entre ses bras.

Religieuses trop familières

J'avoue que je fus terriblement estonné de voir un si grand haras de chiens entre les bras de ces religieuses ; mais mon estonnement s'augmenta encore bien davantage, quand je vis des religieuses sans voile, le visage fort riant, lesquelles parloient de toutes choses avec des gens comme nous, qu'elles ne connoissoient pas. Elles avoient ouvert leur porte pour faire leur trafic plus commodément. Elles nous parlèrent là avec la mesme familiarité que si elles eussent conversé toute leur vie avec nous. Il est vray qu'elles ne sortirent pas de leur closture : mais il ne s'en fallut que le seuil de la porte, sur lequel et elles et quelsques-uns de nos messieurs avoient le pié un peu plus avant que des religieuses bien régulières ne devoient souffrir.

On s'amusa, dans cette entreveue, à marchander les chiens qu'on n'avoit pas dessein d'achetter, parce que ces religieuses en estoient les maquignonnnes ; et on rompit commerce avec elles sous prétexte qu'elles les vouloient vendre quatre pistolles d'or, au dernier mot : ce qui estoit, leur dit-t'on, un prix excessif.

Justes réflexions

Il n'est pas malaisé de faire icy les réflexions que nous fismes sur ce sujet et de se figurer les pensées que nous eusmes sur un tel dérèglement de religieuses, que l'on {313} souffre dans une des plus célèbres villes de l'Estat, et dans un lieu où le Pape tient toujours un cardinal légat, plutost à la vérité pour veiller au temporel qu'au spirituel du païs où il est envoïé, pour y faire plus la fonction de gouverneur et de capitaine que d'évêque et de pasteur. Que peut-t'on se figurer, disions-nous, des autres religieuses qui sont retirées ou à la campagne ou dans un coin de quelque petite ville, si celles qui sont au milieu de l'Estat ecclésiastique, exposées aux yeux de tout le monde, sont si peu réglées qu'elles ne rougissent pas de faire de la maison de Dieu un marché, non pas de colombes, mais de chiens et de chiennes qu'elles ont le soin de faire accoupler ensemble, ce qui est l'employ le plus infame d'une fille et d'une religieuse ?

La visite que nous fismes à ces religieuses nous laissa une très mauvaise opinion de la ville de Boulogne, pour laquelle nous n'avions déjà pas des sentiments bien avantageux ; mais quand nous faisions réflexion, et à ce trafic auquel des religieuses estoient occupées, et plus encore à cet horrible crime dont nostre hoste s'estoit voulu souiller avec ces jeunes gentilshommes françois qui estoient logez dans sa maison, et à qui pour cela il voulut prostituer sa femme, il ne se put faire que nous n'eussions bien de l'indignation contre une ville où nous remarquions tant d'impiété.

Nous la quittasmes donc, et nous y perdismes un très bon cocher nommé Le Bergamasque, qui estoit un bon gros vieillard grison, lequel nous avoit amené de Padoue jusqu'à Boulogne par le chemin que j'ay marqué jusqu'icy. Ce bonhomme eust bien voulu nous conduire jusqu'à Rome, aussi bien que Domenico Presti, nostre voiturin ; mais comme il n'estoit pas le maistre de son carosse et qu'il n'avoit pas la permission de son patron d'aller plus loin, il se contenta de pleurer en nous quittant et de nous témoigner ses regrets. Si ce bonhomme n'eust point juré, comme il fit en nous quittant, pour nous prouver sa douleur, nous eussions ry de ses larmes.

Lenteur de carosses

Il fallut donc se séparer de nostre cocher à Boulogne et se fournir d'un autre carosse et d'un autre cocher, qui estoit un vray Italien pour sa lenteur, tant il faisoit rouler doucement son carosse à la manière des Italiens, qui ne vont jamais qu'à tour de roues et le plus doucement qu'ils peuvent, particulièrement dans les rues, où ils marchent de telle sorte qu'ils semblent avoir peur d'arriver où ils veulent aller : ce qui n'a aucun rapport avec la vivacité des François, qui se font bien reconnoître par là, comme par beaucoup d'autres choses, en Italie. Nostre nouveau cocher, qui n'estoit pas accoutumé à marcher à la françoise, exerça bien nostre patience, comme nous exerçasmes aussi la sienne en le pressant incessamment. Quelquefois, néanmoins, il accordoit quelque chose à la promtitude françoise ; mais aussitost, il retomboit dans la lenteur italienne.

{314} IMOLA, FAËNZA

Couché à Faënza, le 17 d'octobre

Nous vinsmes disner, en cet équipage lassant, à Imola, petite ville épiscopale assez malbastie et dans laquelle je ne trouvay rien à remarquer que sa pauvreté, et que le jour que nous y arrivasmes il y avoit une foire, laquelle pour toutes denrées à vendre ne pouvoit fournir que des chevaux et des cochons.

D'Imola, nous tirasmes droit à Faënza, où nous arrivasmes sur la brune : ce qui fut cause que nous eusmes le divertissement de quelsques fusées volantes du feu d'artifice qu'on y tira pour la venue du cardinal Picolomini, légat de la Romagne, dont il avoit esté pourveu depuis peu par le pape Alexandre 7, après que ce cardinal eust esté chassé de France pour le mauvais traitement qui fut fait dans Rome à M. le duc de Créquy.

Civilitez du cardinal Picolomini

Nous allasmes saluer ce cardinal le soir de nostre arrivée. Il nous receut fort civilement dans son palais ; et après s'estre informé de nous qui nous estions, d'où nous venions et où nous allions, ayant sceu que nous venions de Hongrie, il nous apprit, le premier, comment l'Empereur avoit conclu la paix avec le Turc, sans la participation du Pape ou du roy de France. Sçachant que nous allions à Rome, il nous convia fort d'y voir sa Sainteté, nous assurant qu'elle avoit beaucoup d'estime et de tendresse pour les François, et qu'elle les recevoit toujours parfaitement bien. Ces complimens faits, nous prismes congé de son Éminence pour venir à nostre hostellerie.

Nous entendismes, le lendemain matin, la messe au Dôme avant qu'il fut jour. Nous n'y vismes rien de considérable, sinon un long escallier de sept marches qui tenoit toute l'estendue du portail devant lequel il est posé. Nous nous apperceusmes aussi, à la faveur du jour qui commençoit à paroître, que tout proche le Dôme on avoit dressé des barrières, pour y courre la bague en réjouissance de la nouvelle promotion du cardinal Picolomini à la légature de la Romagne.

Voilà tout ce que nous pusmes remarquer d'extraordinaire et de singulier dans cette ville, parce que nous y estions entrez assez tard le jour précédent, et que nous en partismes le lendemain d'assez grand matin. Cela fut cause que nous ne pusmes pas prendre le temps d'y voir les poteries qu'on nomme de fayence, du nom de cette ville, où on a vraysemblablement trouvé le secret, et où on tient qu'on en fait des plus fines et des plus délicates.

SESANA [Cesena]

Couché à Saviniano, le 18 d'octobre ; fin de la beauté des routes

Nous nous apperçusmes, ce jour-là, 18 d'octobre, que nostre chemin n'avoit plus l'agréement ordinaire, et que les routes n'estoient plus ny si droites ny plantées {315} d'arbres comme auparavant, et que les monts Apennins s'approchant de nous, nous n'avions plus cette veue agréable [et] ces grandes campagnes qui faisoient nostre divertissement de voïage. Nous trouvions déjà de petites montagnes dans nostre chemin, dans l'une desquelles la petite ville de Sesana est scituée. Comme nous y arrivasmes fort tard pour y disner, nous en partismes aussi fort tard, pour venir coucher à Saviniano, où nous n'arrivasmes qu'à nuit fermée : ce qui m'empescha de pouvoir faire aucune remarque, ny de sa scituation ny des autres choses qui luy sont singulières.

Le fameux et ridicule fleuve Rubicon

Avant que d'y arriver, environ à moitié chemin de Sesana à Saviniano, nous rencontrasmes ce fameux fleuve de Rubicon dont il est tant parlé à l'occasion de Jules César. Son passage, qu'il mit en cet endroit si longtemps en délibération, fait croire à tous ceux qui n'ont pas esté sur les lieux, que c'est assurément un grand amas d'eau qu'il luy eut esté impossible de traverser ; et cependant, nous n'y en vismes pas seullement une goute. C'est seullement un simple fossé assez plat dans lequel les pluies d'hyver en font couler, sans que personne puisse pourtant s'y noïer en ce temps-là mesme.

Plaisante dépense d'Innocent Xe

J'admiray en ce lieu l'autorité de la renommée : laquelle, en s'étendant au loin, augmente et enrichit les choses, comme bon luy semble, en faisant d'un petit fossé tout sec une rivière très considérable ; mais j'admiray encore davantage la conduite basse du pape Innocent Dixiesme, qui avoit fait faire sur ce fossé un arche de pierre, comme si elle eust esté bien nécessaire pour le passer ; et qui, outre cela, avoit encore fait élever un pié d'estail, dans lequel il avoit fait graver sur le marbre que ce fossé estoit le lieu sur lequel s'arresta autrefois Jules César et où il demeura quelque temps pour se déterminer à le passer. Après quoy, ce pape, désirant spiritualiser et moraliser sur ce passage, a fait mettre sur une table de marbre noir, élevée et enchassée sur ce pié d'estail, que Ce que la superstitieuse gentilité n'avoit osé entreprendre (c'est-à-dire de faire un pont), la liberté chrétienne l'avoit achevé.

Nous sceusmes donc ainsi, grâces au pape Innocent Dixiesme, que le fleuve Rubicon estoit là ; et l'inscription qu'il y avoit fait mettre, nous apprit que César avoit beaucoup hésité dans ce lieu pour sçavoir s'il le passeroit ; et qu'enfin, c'estoit là qu'il avoit résolu de le passer, pour ensuitte porter la guerre dans son païs. Cette dépense, et de ce pont si inutillement et de ce pié d'estail sur lequel estoit cette table de marbre où estoit l'inscription de tout ce que je viens de dire, nous fournit, le reste de nostre journée, un assez agréable entretien au sujet d'un pape qui avoit tant d'autres choses bien plus nécessaires à faire, et qu'il laissoit sans y penser.

{316} SAVINIANO

République de Saint Marin

Nous arrivasmes dans cette entretien à Saviniano, à nuit fermée : ce qui fut cause que je n'y pus rien considérer ce soir-là, ny le lendemain, parce que nous partismes avant le jour. Environ à six mille au-delà de Saviniano, nous vismes la petite république de Saint Marin, qui consiste en quatre ou cinq cent païsans, lesquels, en vertu de la souveraineté qui leur est propre, se gouvernent eux-mesmes et rendent sur le champ des jugemens en dernier ressort dont il n'y a point d'appel. Un des voiturins qui nous conduisoit, nous dit qu'il avoit autrefois passé sur les terres de cette petite république qui est enfermée dans les montagnes ; et que là, une affaire luy estant survenue contre des personnes qu'il menoit, il fit vuider le différent qui estoit entre eux par un des consuls de la République, qui estoit à la charrue, qu'il ne quitta que pour prononcer un arrest en sa faveur : après quoy, il la reprit.

ARIMINI [Rimini]

Rencontre de pèlerins heureuse pour eux

Dans ce mesme lieu, nous trouvasmes deux pèlerins qui alloient à Lorette. Leur modestie nous édifia si fort que nous prismes résolution, en les faisant joindre, de sçavoir qui ils estoient ; mais on ne put exécuter ce dessein que le lendemain, que nous les rencontrasmes encore. Nous arrivasmes cependant à Arimini, ville célèbre dans l'histoire ecclésiastique à cause du conciliabule des Arriens. Nous entendismes la messe dans la cathédrale, qui nous parut assez pauvre et mal ajustée. Nous la regardasmes avec toute l'attention possible, à cause qu'elle est fameuse par ce conciliabule des Arriens, qui rendit encore davantage (1) par la chute épouvantable du pape Libère, qui condamna la foy catholique en condamnant saint Athanase, et qui tomba par là dans l'hérésie des Arriens.

Disposition singulière de l'autel de la cathédrale

Ce que nous remarquasmes de particulier dans cette cathédrale fut le maistre-autel, qui estoit posé entre le chœur et la nef, en sorte que le prestre qui célébroit avoit toujours le visage tourné du costé du peuple, et le dos vers les chanoines. Quoy que tous les principaux autels des abbaïes et des cathédrales soient dans une mesme scituation, néanmoins les prestres n'y sont pas tous des mesme : car dans quelsques endroits l'officiant regarde le chœur, le dos tourné au peuple, ce qui est le plus ordinaire ; et dans les autres, comme dans la cathédrale dont je parle, le célébrant regarde [317} toujours le peuple en face, le dos aussi toujours tourné au chœur, ce qui est disposé tout de mesme dans les églises de Saint Pierre, de Saint Jean de Latran et de Sainte Marie Majeure à Rome, comme je le diray en son lieu.

Nous observasmes encore une autre chose dans cette église : ce fut la chappelle où repose le Saint Sacrement, qui est la dernière à main droite, près de la grande porte. On y apporta processionnellement, après la grande messe, le Saint Sacrement. Nous assistasmes à toute la cérémonie ; après quoy, nous sortismes par une place qui a assez peu d'étendue, sans aucune beauté : dans laquelle place nous vismes la figure en bronze de Paul Troisiesme de six piés de haut, élevée sur un pié d'estail de la mesme manière qu'elle est encore à Lorette, dans une place assez proche de l'église, où il paroist, en l'un et l'autre endroit, la main élevée comme pour donner la bénédiction au peuple.

LA CATHOLICA [Cattolica]

Couché à La Catholica, le 19 d'octobre

Quand nous eusmes disné à Arimini, nous tirasmes du costé de la mer, que nous commençasmes d'appercevoir à trois mille de cette ville. Comme nous n'avions pas grand chemin à faire ce jour-là, nous arrivasmes de fort bonne heure à nostre giste dans un village nommé La Catholica, qui est scitué sur le bord de la mer. Nous croïyons, y estant arrivez de si bonne heure, que nous nous y ennuïerions très fort, parce que nous n'avions pas lieu de nous persuader qu'un si pauvre village, tel qu'estoit celuy-là, pust nous fournir quelque chose de remarquable pour soulager nostre ennuy.

Cependant, nous ne laissasmes pas d'y trouver beaucoup de satisfaction en nous promenant pendant un peu de temps sur le bord de la mer, et d'y voir quelque chose de considérable dans la pauvre église de ce village ; où nous vismes toutes les filles, qui chantoient les litanies de la Sainte Vierge, mais à l'italienne, c'est-à-dire avec peu de modestie, quelsques-unes d'entre elles ne cessant de badiner, durant ce temps-là, avec de jeunes hommes de leur aage : ce qui nous donna beaucoup de scandale et nous fit sortir de la chappelle dans laquelle ces filles chantoient.

Monument considérable

J'apperceus, assez proche de là, un marbre noir, gravé en lettres d'or et attaché à la muraille de la première maison du village : d'où m'estant approché pour le lire, je trouvay que c'estoit l'inscription d'un monument glorieux de l'Antiquité, qui devoit faire beaucoup considérer ce pauvre village. On en est obligé au cardinal Spada, qui l'a fait appliquer à cette muraille, comme l'inscription mesme le marque, afin {318} d'instruire la postérité de l'honneur qu'a autrefois mérité ce misérable village, qui a conservé le nom de la Catholica, pour avoir servi de retraite aux évêques catholiques, qui se retirèrent courageusement de l'impie concilabule d'Arimini, pour se venir mettre à couvert en ce lieu et y sauver la foy de l'Église. C'est ce que le cardinal Spada a prétendu faire connoître aux voyageurs, comme il l'a marqué mesme sur ce marbre.

PESARO

Nous eusmes, cette journée-là, 20 d'octobre, un chemin fort diversifié par les veues différentes que nous avions en marchant : car tantost nous découvrions la mer, et tantost la beauté de la campagne plantée d'arbres nous la cachoit. D'autres fois nous entrions dans de petites villes fort agréables où, pour lors, nous ne voyions plus ny mer ny campagne. Cela nous arriva en passant au travers de Pésaro, qui est une petite ville fort peuplée et bien marchande, et des plus agréables de celles que j'ai vues en Italie, après les villes souveraines. Nous la traversasmes à l'endroit de la place publique, où nous vismes, en y passant, une très belle fonteine qui tomboit en cascade dans un grand bassin, où elle versoit une grande quantité d'eau. Cette ville est épiscopale.

Belle fontaine publique

La beauté du lieu nous plut tant, que nous souhaitions tous de nous y arrester pour disner, et ainsi de prendre là quelque peu de temps pour y considérer ce que nous jugions, avec quelque fondement, y devoir estre de beau et d'agréable ; mais parce que cette station eust trop mal partagé nostre journée, il fallut renoncer à cette satisfaction et se contenter de voir en passant cette place publique, pleine, ce jour-là, de beaucoup de monde et de marchandises, et ne regarder qu'en courant, s'il faut ainsi dire, la fonteine dont je viens de parler, qui nous sembloit des plus belles.

Bonne avanture pour deux pèlerins

Il fallut donc passer outre, afin de venir disner à Fano : où, avant que d'y arriver, nous trouvasmes les pèlerins que nous avions déjà rencontrez la journée précédente. Je m'accostay d'eux, et je m'informay de leur païs, de la route qu'ils tenoient et où ils prétendoient aller. Ils me dirent avec beaucoup de simplicité qu'ils estoient Liégeois, et qu'ils alloient à Lorette, et que de là ils prétendoient aller à Rome. Je voulus encore sonder s'ils n'estoient point gens de condition, parce que leur mine marquoit quelque chose de noble ; mais ils m'avouèrent simplement qu'ils n'estoient que d'une médiocre naissance : ce qui me donna lieu de leur demander s'ils avoient suffisamment de quoy achever leur voyage, afin que si l'argent leur manquoit, je leur procurasse quelque soulagement.

{319} Hostelleries incommodes, manque de fenestres

Ils eurent assez de peine à me découvrir l'estat de leur bourse : néanmoins, je connus assez, par leur réponse honneste et timide, qu'ils ne refuseroient pas quelque bienfait. Cela fut cause que je leur procuray quelque chose auprès de M. de duc de Brissac, qui ordonna qu'on leur donnast, tous les jours jusqu'à Lorette, à disné et à soupé avec les gens. On commença, à Fano, à exécuter cet ordre. Nous n'entrasmes point dans cette petite ville. Nous ne fismes que passer le long de ses murailles, pour venir à une hostellerie hors des portes, sur le bord de la mer, que nous voyions estant à table, mais avec incommodité, à cause des grands vents qu'il faisoit ce jour-là, qui nous firent souffrir : d'autant plus que la chambre où nous mangions n'avoit point de chassis ny de fenestres, mais seullement de misérables contre-vents que nous ne pouvions pas fermer sans nous oster la lumière.

Quand nous fusmes prests de sortir de l'hostellerie, M. de Brissac me fit dire à nos pèlerins qu'ils suivissent nostre carosse, et qu'il les nourriroit jusqu'à Lorette ; et parce qu'on jugea bien qu'ils ne pouroient pas aller assez viste, on leur marqua, avant que de partir, et la ville et l'hostellerie où nous allions coucher, afin qu'ils nous y vinssent trouver : comme ils firent à Sinaglia, où ils ne purent arriver qu'une grosse heure après que nous eusmes pris nostre logement dans l'hostellerie.

SINAGLIA [Senigaglia]

Je ne puis rien dire de cette ville, non plus que de Saviniano, où nous logeasmes le jour précédent, parce que nous y arrivasmes de nuit et que nous n'y entrasmes pas mesme, ayant logé dans une hostellerie qui est hors des portes. Je puis seullement dire que cette hostellerie où nous nous retirasmes, est fort belle et fort commode, en ce qu'il y a quantité de chambres qui sont disposées en manière de dortoir, c'est-à-dire les unes près des autres, à droit' et à gauche, et séparées par une belle allée, au milieu dans laquelle est un bel escallier qui est des mieux faits et des plus commodes.

Quand nous sortismes, le matin, de nostre hostellerie, nous ne pusmes rien voir de Sinaglia, non plus que le soir précédent, que sa scituation, qui est sur le bord de la mer, environ à une portée de mousquet. Nous ne fismes que cette étendue de chemin pour venir au rivage ; et dès là, nous commençasmes à voir Ancône, qui en est pourtant distant de quinze ou seize mille. La veue de cette ville est une chose très agréable à ceux qui marchent, comme nous fismes, sur la grève ; car comme elle est posée sur une éminence qui avance dans la mer, elle fait face à tout le rivage, auquel elle est en perspective. La beauté du sable qui est au bord de la mer, nous invita tous de mettre pié à terre pour nous promener ; mais quelsques-uns de nostre compagnie s'arrestant à considérer, avec un peu trop d'attention, les flots de la mer qui se roulent et se développent ensuitte, ces flots les surprirent. Ils en furent pourtant quitte pour en avoir les piés et les jambes mesmes mouillées.

{320} ANCÔNE [Ancona]

Travail des pescheurs

Nous trouvasmes sur ce rivage, en allant à Ancône, un vieux chasteau qui estoit devenu une ferme, où on vendoit du vin. Nous y entrasmes afin d'y déjeuner. Nous eusmes assez de peine d'y trouver de quoy manger : de sorte que, sans le secours de quelsques huitres qu'on nous présenta, nous eussions pu difficilement prendre le pain et le vin qu'on nous servit. Ce repas fait, nous reprismes le chemin d'Ancône, en suivant toujours le rivage de la mer, où nous vismes plusieurs pauvres pescheurs qui estoient dans l'eau jusqu'aux aiselles, avec une basche qu'ils jettoient de temps en temps. Ils estoient tous deux à deux, et ils entroient alternativement dans l'eau. Celuy des deux qui n'y estoit pas, portoit les habits de l'autre.

Nous admirasmes la fatigue de ces pauvres misérables qui avoient tout le corps dans l'eau, nonobstant le grand froid qu'il faisoit ce jour-là, qui nous transissoit, quoy que nous ne fussions que sur le rivage de la mer où nous marchions. La peine que nous voyions qu'avoient ces pauvres gens à faire leur pesche, nous donna envie de connoître si ils en tiroient bien du profit : de sorte qu'en rencontrant quelsques-uns d'eux qui sortoient de la mer avec leur pesche, qui consistoit en quelsques petites raies et d'autres poissons peu considérables, nous les achestasmes pour dix sols et en fismes, ce jour-là, nostre disné.

Perspective agréable d'Ancône du rivage de la mer

Plus nous approchions de la ville d'Ancône, plus nous avions de satisfaction de la voir, parce qu'elle nous paroissoit, dans l'éloignement où nous estions, comme un agréable amphithéâtre de maisons qui sont élevées les unes par-dessus les autres : ce qui fait qu'il n'y en a presque aucune qui ne voie dans le port où sont les vaisseaux. Environ à trois mille d'Ancône, nous commençasmes à voir des oliviers. Jusque là, nous n'en avions encore rencontré aucuns ; mais aussi, depuis cet endroit-là, nous en trouvasmes par toute l'Italie, où on les voit comme des forests entières.

Nous fismes un grand détour pour arriver dans Ancône, à cause du carosse où nous estions, qui ne pouvoit passer par un chemin étroit qui estoit le long de la mer. Il n'y a que les gens de pié et de cheval qui puissent tenir cette route, qui abbrège le chemin de plus d'un mille. Nous trouvasmes, du costé que nous prismes pour entrer dans la ville, une forteresse très considérable, garnie de quantité de pièces de canon, qui commande au port et à la ville. Cette forteresse n'est pas la seule qui deffende cette place. Il y en a encore une autre sur le port mesme, laquelle n'est pas si étendue ny si régulière que celle dont je parle icy, qui est du costé de Lorette.

Ancône aussi malfaite en dedans que belle en dehors

La ville d'Ancône, qui nous avoit paru si belle au dehors, dans ses approches, et qui formoit un si bel amphithéâtre à nos yeux, nous parut très malbastie quand nous {321} y fusmes entrez. Les rues en sont très salles et fort étroites. Elles ne sont nullement droites et n'ont aucune décoration de maisons ; et à la réserve d'une salle qui sert aux plaideurs, laquelle est d'une assez grande étendue, je puis dire que je n'y remarquay rien pour quoy on pust avoir de l'estime. Il est vray pourtant que nous trouvasmes là une hostellerie des plus commodes, et une des meilleures que nous ayons eues en l'Italie, dans laquelle on nous traitta autant bien qu'on pouvoit le souhaitter.

Rencontre de livre

Si tost que nous eusmes fait décharger nos hardes dans l'hostellerie, nous allasmes promener dans la ville, que nous trouvasmes, comme je viens de dire, assez malfaite. Je trouvay, en chemin faisant, une boutique de libraire, où j'entray pour voir s'il n'y auroit point quelsques pères de l'Église en petits volumes, que j'aurois acheté. On me présenta les Confessions de saint Augustin in 18o, qui estoient parfaitement bien imprimées. Je les achetay d'autant plus volontiers qu'elles estoient en blanc, et que je me proposois de les faire bien relier en France : où je les apportay effectivement, après leurs avoir fait faire tout le voyage d'Italie ; mais je ne profitay point de mon heureuse rencontre, parce que le relieur à qui j'avois donné ce livre à couvrir, l'ayant mis entre les mains de son apprentif pour me le rapporter, cet apprentif, qui avoit envie d'aller à Saint Jacques en Galice, l'emporta et le donna, à ce que j'appris depuis, pour dix sols à Orléans, où il passa.

Papesse Jeanne

En quittant la boutique du libraire où j'avois acheté ce livre en blanc, nous nous fismes conduire au port d'Ancône, lequel n'a pas beaucoup d'étendue, et où nous vismes aussi peu de vaisseaux, la pluspart françois. Nous entrasmes dans une chaloupe afin de nous promener sur mer. Nous tournasmes à l'entour du môle, au bout duquel il y a une grosse tour où nous vismes, au-dedans d'une fenestre, une grosse figure de pierre en buste, que nostre guide et les mariniers qui nous menoient nous dirent, par galanterie, estre la papesse Jeanne qui gardoit le port. Leur manière de parler de la papesse Jeanne nous surprit un peu, parce que nous ne pouvions pas comprendre comment des sujets du pape estoient si hardis de nous parler ainsi d'une chose aussi injurieuse à l'Église de Rome qu'elle est fabuleuse, au sentiment mesme des plus habiles entre les hérétiques.

Nos mariniers qui nous promenoient sur mer, nous firent venir l'envie de les aller voir pescher ; mais comme nous sceusmes que leur pesche ne se faisoit que la nuit, nous ne pusmes nous résoudre de la passer sans dormir. Le refus que nous leur fismes, de nous trouver à leur pesche, ne les rebuta pas : car la nuit approchant, ils vinrent encore dans nostre hostellerie, où nous soupions fort à nostre aise, pour nous solliciter de vouloir prendre ce divertissement avec eux, à quoy pas un de nostre compagnie ne put se résoudre.

{322} Si tost que nous eusmes quitté la chaloupe, on nous mena à la cathédrale, qui est au haut de la montagne dont la ville d'Ancône occupe la colline. Le chemin qu'on nous fit tenir, pour y aller, est extrêmement roide. Il y en a un autre qui ne l'est pas tant, mais il est de beaucoup plus long. Il est aisé de conjecturer que la cathédrale, estant aussi élevée qu'elle est, ne peut qu'elle ne soit bien batue des vents. Si elle a cet incommodité, elle a aussi, en récompense, l'avantage d'estre en la plus belle veue qu'on puisse trouver. On voit de là, à droit' et à gauche, quantité de petites villes qui sont sur les rivages de la mer, jusqu'à trente mille d'Ancône. Nous trouvasmes le portail de cette cathédrale assez beau pour sa matière, qui est de marbre blanc ; mais le dedans de l'église n'a rien de semblable, sinon les gros pilliers qui soutiennent la voûte, qui sont aussi d'un marbre pareil à celuy du portail. Pour le reste, tout y est fort commun.

Belle relique en pauvre équipage

Nous vismes, dans ce lieu, le corps tout entier d'un saint évêque de cette église, dans une chappelle proche de la porte en entrant, à main gauche, étendu dans une pauvre chasse de verre très malpropre. Si c'eust esté le corps saint de quelque moine, dans un monastère de son ordre, il auroit esté paré de brocard d'or, dans une chasse de vermeil doré accompagnée d'une grande quantité de lampes d'argent toujours ardentes ; mais parce que c'estoit un saint évêque, il estoit fort négligé dans un recoin de sa cathédrale. Ce saint évêque, qui se nommoit Antoine, estoit mort il y a deux cens ans ; et néanmoins, ce saint corps estoit encore tout entier depuis un si longtemps.

Méchant chemin d'Ancône à Lorette

Quand nous eusmes soupé, nostre hoste nous donna avis de louer des chevaux pour aller le lendemain à Lorette, à cause du fâcheux chemin qu'il y avoit depuis Ancône jusque là, où on ne trouve continuellement que des montagnes à descendre et à monter pendant dix mille de chemin qu'il y a de l'un à l'autre lieu. Nous prismes donc tous des chevaux pour cette route, à la réserve de nostre blessé, que nous laissasmes en carosse. Nous trouvasmes ce chemin tel qu'on nous l'avoit dit ; et nous reconnusmes, par nostre propre expérience, qu'il estoit très incommode à faire jusqu'à Lorette, qui est scituée sur une hauteur distante de la mer d'environ deux mille.

LORETTE [Loreto]

Couché à Lorette, le 22 d'octobre

Nous eusmes un peu de peine d'y trouver une hostellerie qui fust commode pour nous loger, d'autant que le duc de Brunswich, qui depuis Milan nous avoit toujours devancé d'un jour sur la route, avoit pris les deux meilleures hostelleries du lieu, pour se loger avec sa suitte, et avoit ainsi réduit ceux qui venoient après luy, à se {323} loger dans des maisons de rebut. Il nous fallut pourtant entrer dans une de ces maisons ; mais tandis que nous l'examinions, on nous vint dire que le duc de Brunswich sortoit avec tout son monde, et qu'il partoit pour Rome : ce qui fit que nous allasmes aussitost prendre sa place dans l'hostellerie.

Chappelets et médailles seul trafic de Lorette

Nous ne nous arrestasmes pas bien du temps dans l'hostellerie dont nous venions de nous saisir, parce que nous voulusmes satisfaire au plutost à l'ardeur que nous avions depuis longtemps, de visiter l'église de Nostre Dame de Lorette, dans laquelle on dit qu'est enfermée la maison de la Sainte Vierge que les Italiens nomment la Santa Casa. Nous passasmes, pour y aller de nostre hostellerie, le long d'une grande rue où on ne vend que des chappelets et des médailles ; et nous vinsmes dans une grande place qui est au-devant de l'église, dans laquelle place il y a une assez belle fonteine ; et un peu au-devant du portail de l'église, nous y vismes la figure en bronze de Paul 3e, qui est en chaire, la thiarre en teste et la main droite élevée pour donner la bénédiction. Nous en avions déjà vu une pareille à Arimini, dans la place.

C'est une chose qui n'est point du tout avantageuse, à un voyageur qui veut avoir de la satisfaction, de croire trop à la renommée, qui embellit toutes choses et qui enchérit toujours au-dessus des beautez qu'elles peuvent avoir : parce que quand il les regarde luy-mesme, il ne trouve jamais les lieux semblables aux belles idées qu'il s'en estoit formées sur le rapport de ceux qui, pour se païer des peines qu'ils ont eues à voyager, n'en parlent qu'avec exaggération : ce qui fait que celuy qui voyage sur leurs rélations, se trouvant trompé dans son attente, méprise si fort ce qu'il peut y avoir de beau, que tout passa dans son esprit pour choses fort communes et fort ordinaires.

Je puis dire que tout cela arriva à mon égard, au sujet de l'église de Lorette : dont je m'estois formé une idée si avantageuse et si grande, qu'estant entré au-dedans et n'y ayant rien trouvay qui eust rapport à ma pensée, je ne fis aucune estime du bastiment, qui me sembla assez commun, et avec très peu ou presque point du tout d'ornemens, pour une église que l'on vante si fort par toute la terre. Ce que je remarquay de particulier, en y entrant, furent les confessionnaux, qui sont marquez pour les nations différentes de l'Europe, au-dessus desquels il y a écrit : Pro lingua gallica, hispanica, anglica, etc. ; et, plus haut, il y a encore un tableau de velin écrit en langue vulgaire pour servir à ceux qui n'entendent pas le latin.

Description de la chapelle de Lorette

Quand je dis que l'église de Lorette n'a pas tant de beauté qu'on le publie, j'entens parler du corps de tout le bastiment, et non pas du dôme qui couvre la Santa Casa, c'est-à-dire la maison que l'on tient estre de la Vierge : laquelle maison est enrichie tout à l'entour d'une ceinture de muraille de marbre blanc, ornée de grandes et de petites figures, et de bas reliefs les mieux faits que j'aie veus en toute {324} l'Italie. Pour le dedans de la chappelle, il est fort simple et au mesme estat qu'estoit la maison de la Vierge, c'est à dire qu'elle est bastie de brique que la longueur du temps a rendu fort noire.

Respectueux privilège de cette chappelle

On entre dans cette chappelle par deux portes, à droit' et à gauche : ce qui se fait avec tant de respect extérieur, qu'il n'est permis à qui que ce soit d'y entrer non seulement l'épée au costé mais le bourdon mesme ou le baston à la main, toutes les personnes qui en portent dans le voyage pour se soulager de la fatigue du chemin, estant obligées de les laisser à la porte. Outre ces deux portes, il y en a une troisiesme au-dedans de la chappelle, à main droite de l'autel, par laquelle on nous introduisit pour y voir la cheminée de la chambre de la Vierge, et une petite armoire dont on dit qu'elle se servoit dans sa maison. Tout cela est derrière l'autel de la chappelle.

Lampes d'or au nombre de treize ; présent d'Anne d'Autriche

Je contay, dans cet endroit, treize lampes d'or de diverses grandeurs, dont la moindre est très considérable. Elles sont suspendues, et elles bruslent perpétuellement derrière l'image de la Vierge dans la chappelle. Celuy qui nous fit entrer là, qui estoit un chanoine de l'église, eut le soin de nous monstrer un ange d'argent de la hauteur de deux piés et demi, qui présente un enfant en maillot à la Vierge, lequel est d'un pié et demi de long, tout d'or massif. Il nous apprit, en mesme temps, que c'estoit l'offrande de la feue reine mère Anne d'Autriche, qu'elle présenta après qu'elle fut accouchée du roy Louis Quatorziesme.

Écuelles, reliques fort douteuses ; conte ridicule

Il y a, dans cette chappelle, beaucoup d'autres présens très considérables, qui sont en si grand nombre que je ne puis les rapporter tous. Je diray seulement que cet ecclésiastique tira d'une petite armoire, qui est à costé gauche, derrière l'autel, deux écuelles qu'il nous dit estre des meubles de la Vierge, dans lesquelles il mit tous les chappelets de ceux de nostre compagnie, que nous avions achetez dans la ville. Il nous fit remarquer une fenestre assez bien faite, dans le fond de la chambre, à l'opposite de l'autel, par où ils nous voulut persuader que l'ange Gabriel estoit entré pour annoncer le mystère de l'Incarnation de Jésus Christ.

Bassesse d'un chanoine de Lorette ; faveur singulière pour communier dans la chappelle

Nous donnasmes la pièce à ce chanoine, qui la prit fort volontiers, pour nous avoir monstré ce que je viens de dire, dans le dessein qu'il nous procureroit aussi, auprès du sacristain, la liberté de voir le thrésor ; ce qu'il fit, après avoir pris nostre argent : en quoy nous remarquasmes la bassesse des Italiens, lesquels, de quelque condition qu'ils puissent estre, ne refusent jamais d'argent. Il est vray que celuy que {325} nous luy donnasmes, nous servit encore à nous faire obtenir la permission, à moy, de dire la messe dans la chappelle, et à nos messieurs d'y communier : ce qui est une faveur toute extraordinaire pour les prestres et pour les laïques.

Je comprenois bien pourquoy il falloit avoir la permission de dire la messe, d'autant que toutes les personnes ecclésiastiques ont cette dévotion et désirent avoir cette consolation ; mais je ne comprenois pas bien pourquoy des laïques ne pouvoient pas communier dans cette chappelle sans avoir un billet pour cela, après qu'on a écrit leur nom sur un registre : à moins qu'on ne voulust rendre, par là, le lieu plus recommandable par cette cérémonie et par la rareté des communiants. La grâce de communier s'accorda bien facilement à nos messieurs, mais celle de dire la messe dans cette chappelle ne me fut pas donnée si aisément. Il me fallut faire, pour cela, plusieurs démarches et rendre plusieurs visites aux grands vicaires du lieu, lesquels m'accordèrent enfin ce que je leur demandois, après pourtant que je leur eus monstré mes lettres de prestrise : sur lesquelles ils signèrent ma permission, que je fis voir au sacristain, qui ne me traitta pas avec beaucoup de civilité, puisqu'il ne me donna que du linge assez salle, après m'avoir fait attendre deux bonnes heures avant que de me laisser aller à l'autel.

La dévotion ne vient pas des lieux

Quand j'eus dis la messe, nous demandasmes au thrésorier la grâce de nous faire voir le thrésor, ce qu'il nous promit ; mais il n'exécuta pas si tost sa parole, à cause de quelsques affaires qui le retenoient encore dans la sacristie qu'il avoit en gouvernement. Ce retardement nous donna le temps d'assister à une grande messe qui se dit à l'autel de la Vierge, et qui fut chantée par le chœur et par la musique des chanoines, laquelle est à costé droit de la chappelle. Le peu de révérence avec laquelle et les chanoines et les chantres firent cette fonction, nous scandaliza beaucoup, parce que nous ne vismes aucun de ces ecclésiastiques qui gardast la modestie qu'il devoit. La pluspart se promenoient ou causoient pendant la messe, en quoy ils nous firent voir que leur dévotion estoit de mesme trempe que celle de l'Italie, pour ne pas dire pire qu'elle n'est en beaucoup d'autres endroits de ce païs.

Cette grande messe estant dite, le thrésorier nous appella pour nous faire voir le thrésor, qui est au bout de la sacristie. Il nous offrit de nous y laisser entrer tous seuls ; mais nous en fismes participans nos deux pèlerins dont j'ay parlé, et quelsques autres personnes qui se trouvèrent là fortuitement avec nous, à qui nous fismes un plaisir d'autant plus grand que, sans nostre rencontre, ils n'auroient jamais eu cet avantage.

Prodigieuses richesses du thrésor de Lorette

Je ne puis rien descrire de particulier de ce thrésor, à cause de la grande quantité de choses rares et précieuses qui y sont. On peut dire en général qu'il n'y a point d'empereurs et d'impératrices, de roys et de reines, de souverains et de souveraines, de princes et de princesses chrétiens qui n'ayent fait là, à l'envy les uns des autres, {326} leurs présens, soit de pierreries, de perles, de calices et autres vases d'or et d'argent, de chasubles et de paremens d'autel de drap d'or et de broderie. Des communautez et des particuliers aussi ont donné là des figures de villes entières d'argent, ce qu'a fait aussi autrefois feu M. le prince de Condé (2), qui y a présenté le chasteau de Vincennes en argent, en action de grâce d'en estre sorti de prison.

MACERATA

Couché à Macerata, le 23 d'octobre

Si tost que nous eusmes vu toutes ces choses, nous songeasmes à sortir de Lorette, afin de nous rendre à Rome le plus promtement que nous pourions, à cause que nous avions appris que le Pape se disposoit à faire la canonisation de saint François de Sales pour la feste de Tous les Saints, à laquelle nous ne pouvions estre présens à moins de presser nostre voïage. Ainsy, ayant pris résolution de partir au plutost, nous changeasmes de carosse, afin de renvoïer à Boulogne ce lent cocher qui nous en avoit amenez. Nous prismes en sa place un petit vieillard qui avoit beaucoup de naturel françois en ce qu'il aimoit à pousser toujours ses chevaux, qu'il conduisoit avec une addresse merveilleuse dans les détours, mesmes des montagnes les plus difficiles par où nous fusmes obligez de passer.

Fortunez pèlerins ; mauvais chemin de Lorette à Macerata

Avant que de partir de Lorette, je sollicitay la charité de M. de Brissac pour nos deux pèlerins, que j'avois pris en affection à cause qu'ils me paroissoient fort sages et qu'ils marquoient quelque piété ; et je demanday à ce seigneur qu'il luy plust de leur continuer, jusqu'à Rome, le bien qu'il leur avoit déjà fait jusqu'à Lorette. Il leur accorda ce que je luy demandois pour eux, et il leur ordonna de suivre le carosse, comme ils avoient déjà fait, et qu'il continueroit de leur donner la table de ses gens : de quoy ils le remercièrent avec toute la civilité et toute la reconnoissance que des gens bien élevez pouvoient faire. Après cela, nous montasmes en carosse ; et dès que nous fusmes sortis de Lorette, nous trouvasmes un chemin aussi montagneux que nous l'avions rencontré en y arrivant, la journée précédente.

RECANETTO [Recanati]

Recanetto, reposoir angélique

Sur le chemin de Macerata, nous trouvasmes une petite ville nommée Recanetto, recommandable pour avoir esté autrefois (à ce qu'on dit) le premier lieu où fut posé {327} par les anges la Santa Casa. Aussi cette ville conserve-t'elle la mémoire de cela, par une représentation en bronze de la Sainte Vierge posée sur le toit de sa maison, tenant son fils entre ses bras, laquelle maison, quoy qu'attachée à un bastiment qui est dans le milieu de la ville, est soutenue par deux anges. Les habitans de cette ville se font un grand honneur de ce que leur lieu a servy de reposoir aux anges, qui un peu après transportèrent ce saint domicile de la Vierge à Lorette, ne jugeant pas à propos de le fixer à Recanetto, dont les habitans, disent quelsques historiens, s'en estoient rendus indignes par le désordre de leur vie criminelle.

Heureuse rencontre pour nostre voiturin

Entre la petite ville de Recanetto et Macerata, nous trouvasmes quelsques-uns de nos messieurs les François que nous avions veus en Hongrie, qui retournoient déjà de Rome et qui prenoient le chemin de Venise. Nous nous arrestasmes les uns et les autres sur le chemin, pour nous rendre des civilitez réciproques. Ces messieurs, qui retournoient, comme je viens de dire, à Venise, s'informèrent de nostre voiturin, Domenico Presti, où ils pouvoient prendre des chevaux pour faire ce voïage. Ce bonhomme, voyant une occasion favorable pour gaingner encore quelque chose à son retour, leur dit qu'il leur en fourniroit, au cas que M. le duc de Brissac voulust luy donner son congé, et qu'il le déchargeast de l'obligation qu'il avoit de le rendre à Rome.

Il proposa fort honnestement la chose à M. le Duc, à qui il fit entendre qu'il luy auroit obligation de ce gain qu'il feroit avec ces messieurs, s'il vouloit permettre qu'il prist congé de luy à Macerata, s'engageant de donner un autre homme en sa place, qui nous fourniroit de bons chevaux et qui auroit aussi tous les soins possibles de nous. M. le Duc eut égard à sa prière et luy permit de s'engager avec ces messieurs, après qu'il nous auroit conduits à Macerata. La fidélité et le soin qu'il avoit pris de nous, depuis Venise jusque là, fit que M. le Duc luy accorda la grâce qu'il demandoit. Ainsi, il nous quitta à Macerata, pour aller joindre à Lorette ces messieurs, qui l'y devoient attendre.

Nous eusmes, en la place de Domenico Presti, un habitant de Macerata nommé Vincenzo, qui estoit aussi un assez bon homme et qui s'étudioit à nous servir, suivant les instructions que son prédécesseur luy en avoit données ; mais il s'en falloit beaucoup qu'il fist les choses comme luy, quoy qu'il eust bonne volonté et qu'il prist toujours le soin d'aller au-devant de nous, avec nostre cuisinier, pour nous faire préparer les meilleurs viandes et les moins malpropres appartemens des hostelleries.

Ville de Tolentino ; montagnes des Apennins

Je ne diray rien icy de Macerata, parce que nous y arrivasmes fort tard et que nous en partismes le lendemain de très grand matin, pour venir disner à une hostellerie inconnue sur le chemin. Nous passasmes, avant que d'y arriver, par Tolentina, petite {328} ville renommée par le saint Nicolas qui porte le nom. J'avois grand désir de voir l'église où repose son corps, mais le seigneur ne voulut pas arrester : ce qui fut cause qu'il fallut renoncer à la satisfaction que je prétendois avoir, et marcher incessamment dans les Apennins, dans lesquels nous estions entrez presqu'à la sortie de Macerata : d'où nous vinsmes coucher à Lamouca, après avoir disné fort légèrement dans la misérable hostellerie dont je viens de parler.

LAMOUCA [Muccia]

Couché à Lamouca, le 24 d'octobre ; ornemens claustraux de Cordeliers

Le lieu de Lamouca est un misérable village, dans lequel nous ne laissasmes pourtant pas de trouver un couvent de Cordeliers qui s'y estoient nichez. Nous visitasmes leur maison, qui estoit très pauvre : ce que nous avions déjà jugé par l'aspect de l'église, qui nous parut très délabrée et fort malpropre. Quand nous entrasmes pourtant dans leur cloistre, nous crusmes, par la veue de certains ornemens que nous y trouvasmes, tout à fait dignes de Cordeliers, que leur pauvreté n'estoit pas si grande que nous nous l'estions figuré. Ces ornemens claustraux consistoient en quantité de bonnes et grandes tonnes de vin, qui pouvoient faire une honneste provision pour une communauté trois fois plus grande que celle de ces moines, qui nous firent bien connoître, par leur conduite, le grand principe de leurs semblables : qui disent qu'il faut établir la cuisine avant toutes choses.

Ce qui nous fit prendre nostre giste à Lamouca, fut que nous vismes certaines gens qui nous devançoient, lesquels alloient à trois mille de là, dans une petite ville qui est ordinairement celuy des personnes qui vont de Lorette à Rome : où nostre nouveau voiturin Vincenzo, pour signaler le zèle qu'il avoit à nostre service, nous dit que nous ne trouverions point de place si nous y arrivions après ceux qui nous devançoient. En effet, nous nous apperceusmes bien, le matin, qu'il avoit eu raison de nous donner cet avis ; car en traversant cette ville, nous n'y vismes qu'une misérable hostellerie remplie de monde, laquelle ne valloit guères mieux que celle où nous avions couché à Lamouca.

FOLINIO

Couché à Folinio, le 29 d'octobre ; imposts excessifs

Cette journée, nous vismes des neiges en grande quantité sur les Apennins. La proximité de ces montagnes couvertes de neiges, nous causa un si grand froid que nous fusmes obligez de faire faire grand feu dans une misérable hostellerie où nous disnasmes, laquelle ne nous fut bien remarquable que par la cherté des vivres. Je fus fort surpris quand on me vint dire le prix des choses que nous avions mangées à {329} disné ; et je ne pus m'empescher de le témoigner au maistre du logis, qui tascha de se justifier du reproche que je luy faisois, en me disant que dans les païs où on met des imposts jusque sur la lumière du soleil, comme on fait dans ceux du Pape, on ne pouvoit pas donner les denrées au bon marché. Je me contentay seulement de faire les réflexions qu'un si dur traittement oblige communément à faire.

Route agréable

Sur la fin de nostre journée, nous nous trouvasmes sur une montagne fort haute, plantée d'oliviers, d'où nous avions une des plus belles veues du monde sur une admirable et fertille plaine. Le chemin de cette montagne, pour descendre dans le vallon, alloit en serpentant et ne contribuoit pas peu à augmenter la satisfaction que nous avions, de passer et de repasser par-devant de petits villages qui estoient sur le penchant de la colline, ces contours differens nous les faisant voir de tous sens. Quelque périlleux que fust le chemin, nous ne laissions pas d'y rouler fort viste, parce que nostre cocher nommé Pédro, qui avoit toute sa vie routiné ces chemins, allant incessamment de Lorette à Rome et retournant de Rome à Lorette, avoit tant d'expérience dans ces routes, que son addresse nous ostoit toute la peur que nous eussions eue d'ailleurs dans des chemins si dangereux.

Charmante scituation de Folinio

Quand nous fusmes au bas de la montagne, nous entrasmes dans un vallon parfaitement beau où est placée la petite ville de Folinio, environ à trois mille du pié de la montagne que nous descendismes. La scituation de cette ville est très agréable, à cause qu'elle est entre deux montagnes éloignées à peu près de deux mille de l'une et de l'autre, et aussi parce qu'elle a le vallon fort étendu à son couchant : ce qui donne lieu, à ceux qui viennent du costé de Spolette, de la considérer de loin, leur veue ne pouvant mesme avoir d'autre object, à cause des deux montagnes qui ferment ce vallon à droit' et à gauche de cette ville.

Lorsque nous fusmes arrivez à Folinio et que nous nous fusmes placez dans nostre hostellerie, nous allasmes dans un monastère de filles pour y voir un tableau qu'on nous avoit dit estre très beau. La tourière de cette maison nous ouvrit la chappelle ; mais parce que le tableau, qui faisoit le contre-table du maistre-autel, estoit couvert d'un rideau, elle nous dit qu'elle alloit demander permission de le tirer et d'allumer un cierge pour nous faire voir, parce que la nuit, qui estoit proche, ne permettoit pas qu'on le vist autrement.

Dans cet intervalle de temps, nous trouvasmes trois ou quatre religieuses à la grille toute ouverte, qui estoient fort curieuses de nous voir et de nous parler ; et nous remarquasmes mesme que cette liberté de religieuses, qui passeroit pour fort déréglée en France dans des personnes de cette profession, estoit une chose de laquelle on ne trouvoit rien à dire dans les terres mesme du Pape. Nous nous {330} entretinsmes avec elles assez aisément, et nous leur contasmes les avantures de nostre voyage de Hongrie, qu'elles écoutoient avec beaucoup de satisfaction.

Novice françoise

Tandis que nous messieurs entretenoient ces filles de ces choses, j'apperceus une novice à une petite grille tout proche de la grande, avec qui je liay conversation ; et ayant reconnu qu'elle estoit Françoise, je l'entretins bien plus volontiers, et à cause de la nation et à cause aussi que la langue qui nous estoit commune me donnoit la facilité de luy parler. Je m'informay tout d'abord d'elle, d'où venoit qu'elle avoit pris l'habit de religieuse dans un païs étranger ; et elle me répondit que ses parens s'estant établis à Rome, l'avoient mise où je la voyois parce qu'ils avoient beaucoup d'enfans. Je m'apperceus fort bien, sur la réponse de cette fille, qu'elle n'estoit pas satisfaite où elle estoit : ce qui me porta à luy demander si elle s'accommodoit bien dans ce monastère ; et m'ayant témoigné sincèrement qu'elle s'y déplaisoit très fort, je luy fis offre de mon service pour l'en faire sortir, luy faisant entendre qu'il n'y avoit rien de plus aisé, puisqu'elle n'estoit que novice. Je luy dis que j'allois à Rome, et que si elle vouloit me donner l'addresse pour voir ses parens, je leur ferois entendre comment elle estoit mal satisfaite de ce monastère.

Déplorable résolution de la novice

Je m'apperçus bien qu'elle auroit esté très contente que je luy eusse rendu ce bon service, si elle eust esté en estat de le recevoir ; et voïant qu'elle me le faisoit assez paroître, sans oser me le dire, je la pressay de se déclarer. Elle m'avoua que ce qui l'empeschoit d'accepter mes offres, estoient ses cheveux qu'on luy avoit coupez ; et comme je me moquois d'une chose de si peu de conséquence, et que je luy représentois qu'elle pouroit, en sortant, se servir de faux cheveux jusqu'à ce que les siens fussent revenus, et que quand mesme il n'en faudroit point avoir en sortant, il valloit bien mieux demeurer quelque temps sans cheveux que de se mettre au hazard d'estre damnée pour une éternité. Elle ne s'étonna point de ce que je luy disois ; mais me répondant, elle me dit qu'elle aimoit mieux estre perdue pour toujours que de sortir dans l'estat où elle estoit.

Je ne sçais si la supérieure du monastère se douta que je pourois peut-estre détourner cette novice de faire ses vœux. J'en eus quelque doute, parce qu'elle envoïa une de ses religieuses à cette novice que j'entretenois, pour luy dire qu'elle se retirast : ce qui fit qu'en me saluant, elle prit congé de moy. Cette supérieure nous fit aussi dire, par la tourière, qu'on ne pouvoit pas monstrer le tableau à la chandelle, parce que la fumée de cette chandelle le terniroit. Ainsi, nous sortismes aussi mécontens de l'incivilité de la supérieure que nous avions esté scandalisez de l'irrégularité de sa maison.

Nous ne vismes rien du dedans de la ville que ce chétif monastère, parce qu'il estoit nuit quand nous le quittasmes : si bien que nous allasmes souper à nostre {331} hostellerie, où on ne nous donna que du vin muscat pour boire. Nous commençasmes là à quitter les vins doux dont on nous avoit toujours servi depuis Vérone, dans le païs de Lombardie et par toute la route que nous avions tenue jusque là.

SPOLETTE [Spoleto\

Agréable route

Nous crusmes, à la sortie de Folinio pour Spolette, rentrer encore une fois dans le beau païs de la Lombardie, tant la campagne nous parut agréable. Nous marchasmes, pendant quinze mille, dans un vallon de cette longueur et environ deux mille de largeur. Il n'y avoit dans ce vallon ny villages ny maisons ; mais il n'en estoit pas moins agréable pour cela, parce qu'ils estoient répandus sur les deux collines opposites, ce qui donnoit de la beauté à ce vallon. Nous vismes dans nostre marche, sur nostre gauche, la petite ville de Trevos, scituée d'une manière très avantageuse sur une de ces collines. L'église est dans le lieu le plus élevé, accompagnée d'un très beau clocher. Au bas de cette église sont toutes les maisons, disposées comme en amphithéâtre : ce qui fait un très bel effet, à la veue de ceux qui passent dans le vallon, d'où on considère avec plaisir l'arrangement de ces maisons.

Église miraculeuse

Ce vallon si agréable se ferme d'un costé par la ville de Spolette, qui est une très vilaine ville. Nous la trouvasmes entourée de très misérables murailles toutes délabrées, qu'en plusieurs endroits nous y vismes de très grandes bresches qui n'estoient fermées que de fagots d'épines. Nous n'entrasmes pas dans la ville pour y disner. Nous demeurasmes seullement dans le fauxbourg, où est la meilleure hostellerie. J'y dis la messe dans un petit prieuré de chanoines réguliers. Cette petite église, qui est sous l'invocation della Madona, est miraculeuse, comme une infinité d'autres d'Italie ; mais elle n'en est pas mieux ornée pour cela. Les ex voto y sont fréquens, comme ailleurs.

Première église sous l'invocation de saint Pierre

Nous entretinsmes le Prieur après la messe. Il nous parut un fort honneste homme. Il nous fit entrer dans son jardin, et il nous pria à disner de très bonne grâce. Nous le remerciasmes de sa civilité, et nous nous contentasmes de quelque temps de son entretien, qui estoit fort honneste et agréable. Nous nous informasmes à luy des particularitez de Spolette, dont nous n'en apprismes que deux : la première, que cette ville estoit le siège d'Urbain 8e quand il fut élevé au pontificat ; la seconde estoit qu'une église collégiale de chanoines, qu'il nous monstra à l'opposite de son prieuré, d'où elle n'estoit pas éloignée de deux portées de mousquet, avoit esté la première, de toutes les églises, fondée sous l'invocation de saint Pierre.

{332} Jeu de boulle avec des fromages

Quand nous eusmes finy nostre entretien avec le Prieur, et qu'il nous eut reconduit jusque dans la rue, nous revinsmes, M. de Brissac et moy, à l'hostellerie : où n'ayant pas trouvé une partie de nostre monde, qui estoit entré dans la ville pour y considérer ce qui estoit de remarquable, nous eusmes le temps de voir un fort bel aqueduc attaché à la porte de la ville du fauxbourg où nous estions. Pendant tout cet intervalle de temps que nous attendions nos messieurs, nous eusmes le divertissement du jeu de boulle des habitans de Spolette. Leur manière d'y jouer est plus tuante que divertissante pour eux. Ils ne jouent qu'à qui poussera plus loin dans le fauxbourg, qui est extraordinairement raboteux. Un de leurs buts est la porte de la ville, et l'autre le bout du fauxbourg, où d'ordinaire ils ne poussent qu'en trois coups. Leurs boulles avec quoy ils jouent sont des fromages fort durs, dont la forme est semblable à ceux de Pont l'Évêque, hormis qu'ils sont une fois plus larges. Leur dureté est si grande qu'elle résiste à tous les cailloux des rues, qui sont assez fréquens.

STRETTURA [Stretture]

Couché à Strettura, le 26 d'octobre ; mauvais chemin de roches ; méchant' hostellerie

Nos messieurs estant retournez de la ville, d'où ils ne nous raportèrent rien de remarquable, nous nous mismes à table, ensuite de quoy nous partismes pour Strettura. Nous n'eusmes pas la commodité de dormir dans le chemin, comme nous faisions quelquefois, d'autant que celuy que nous prismes pour y arriver estoit si rude et si plein de roches, que nous n'en avions pas eu un plus fâcheux dans le Frioul, quand nous arrivasmes à Pontévra. Ce mauvais chemin nous obligea tous de quitter le carosse et de marcher à pié pendant un long temps, quelsques-uns mesmes, du nombre desquels j'estois, aimant beaucoup mieux de continuer ainsi la marche jusqu'à Strettura, où nous allions coucher, que de souffrir les rudes secousses du carosse. Ainsi, nous vinsmes au giste à pié, c'est-à-dire au village de Strettura, qui est scitué dans un fond où il n'y a qu'une misérable hostellerie qui est, entre autres choses, incommode en ce qu'on loge d'un costé de la rue, et de l'autre on y fait la cuisine. Les chambres où on couche ne sont à proprement parler que de véritables greniers, parce qu'on n'a rien au-dessus de sa teste que les tuilles.

NARNI

Non-résidence d'Alexandre 7

Le lendemain, nous eusmes un chemin un peu moins fâcheux. Nous trouvasmes sur nostre route la petite ville de Terni, qui est épiscopale, aussi bien que celle de Narni : où nous ne fusmes pas néanmoins très bien régalez pour cela à disné, parce {333} qu'il estoit jeusne ce jour-là, et que dans cet évêché on n'y mangeoit pour lors ny œufs ny beurre, à pareil jour. Cela fut cause que nous y fismes un très mauvais repas, à cause de l'huille dont il fallut se servir pour accommoder le poisson qu'on nous donna là.

Nous traversasmes cette ville en y montant toujours, et nous trouvasmes, dans une place, une fort belle fonteine, remarquable particulièrement à cause de sa haute scituation et de sa source ; mais nous n'y vismes rien de plus qui la pust rendre considérable. On peut dire pourtant qu'elle a eu l'avantage d'avoir esté le siège épiscopal d'Alexandre 7e ; mais aussi, elle a esté assez malheureuse pour n'avoir point esté son séjour pendant 18 ans qu'il devoit gouverner ce diocèse, les grandes affaires qu'il avoit sur les bras ne luy ayant pas permis de faire celles de son diocèse, qui estoient encore plus importantes, et de résider en ce lieu et de connoître mesme ses grands vicaires qu'il avoit commis pour gouverner en son absence.

Si nous n'eussions point esté pressez d'arriver à Rome pour les raisons que j'ay dites déjà, nous aurions pris le temps d'aller voir la plus belle cascade du monde, laquelle n'est qu'à deux lieues de Narni. C'est une abondante chute d'eaux, qui tombent incessamment des montagnes de roches, élevées de plus de 150 toises. L'empressement dans lequel nous estions de partir, ne nous permit que d'entendre parler de cette merveille, et non pas de la voir. Ce prodige estoit assurément à voir, mais nous préférasmes la canonisation de saint François de Sales, que nous ne vismes pourtant pas, à ce prodige de la nature que nous eussions pu voir très facilement.

Fâcheux chemin à la descente de Narni

Si, en sortant le jour précédent de Spolette, nous eusmes un très mauvais chemin, nous n'en eusmes pas un meilleur en sortant de Narni. Le coché qui nous conduisoit, qui estoit fort expérimenté sur cette route, nous en avertit pendant que nous disnions, et nous dit mesme qu'il falloit prendre des chevaux de charge pour porter le bagage, qui estoit derrière le carosse, parce qu'il ne pouvoit rouler qu'à vuide à la descente de la montagne. Nous fismes les choses comme il nous le disoit, et nous sortismes tous à pié de Narni : ce qui nous donna le moyen de voir les horribles précipices qui sont de ce costé-là, au bas de la ville, dans lesquels coule une petite rivière fort rapide qui descend des montagnes. Ses eaux sont toutes bleues, parce qu'elles passent au travers des minières de souffre, qui leur imprime mesme leur odeur qu'on sent.

On void des restes d'un pont magnifique, tout proche de Narni, qui font voir que cette ville estoit en considération parmi les anciens Romains. Ce pont estoit d'une hauteur surprenante, comme on en peut juger par quelsques pilles de resté. Il est visible que ce n'estoit point la nécessité qui l'eust fait entreprendre, mais la seule magnificence, estant posé sur une montagne où est la ville, pour passer sur une autre montagne voisine qui est séparée de l'autre par des précipices, au travers desquels {334} passe cette petite rivière ensouffrée dont j'ay parlé cy-devant. Nous descendismes tous à pié la montagne de Narni, et quelsques-uns de nostre compagnie, dont j'estois du nombre, ayant devancé le carosse, qui rouloit fort lentement, arrivèrent à pié à Outrecouly, nostre giste.

OUTRECOULY [Otricoli]

Couché à Outrecouly, le 27 d'octobre

Nous y trouvasmes, en arrivant, cinq ou six pèlerins françois qui venoient de Lorette pour aller à Rome. Quelsques-uns de ces gens-là estoient assez mal en ordre : ce qui estant venu à ma connoissance, je leur procuray à soupé gratis. Pour nos deux autres pèlerins liégeois, que nous avions rencontrez à Sinaglia, ils ne paroissoient plus : parce que moy ayant reconnu que ces pauvres gens estoient extraordinairement fatiguez de suivre nostre carrose, pour se trouver au disné et au soupé, j'avois obtenu qu'on leur donnast une aumosne qui pust les conduire à petites journées à Rome.

Dispense commode de jeusne

On eut de la peine à nous loger à Outrecouly, parce qu'estant jeusne, ce jour-là, à cause de la vigile de saint Simon, nous ne voulions pas souper. Quelsques prestres italiens qui se trouvèrent dans la mesme hostellerie que nous, ne contribuèrent à nous y faire recevoir peu favorablement : d'autant qu'estant voyageurs aussi bien que nous, ils vouloient nous persuader, à leur exemple, de souper, nous assurant que nous n'en devions avoir aucune peine de le faire comme eux. Leur discours, qui estoit tout semblable à celuy d'Escobar (3), me surprit et m'obligea de leur dire que des gens comme nous, qui voyageoient fort à leur aise dans un bon carosse, ne pouvoient point prétendre dispense d'un jeusne commandé par l'Église, qui n'en décharge que ceux qui voyagent par nécessité et avec beaucoup de peines.

Mais ce raisonnement trop spirituel pour des prestres italiens, qui aiment assez les résolutions du fameux Escobar en matière de cas de conscience, ne les fit point du tout changer de sentiment. Au contraire, il les affermit dans ceux qu'ils avoient déjà pris, dont ils ne voulurent jamais démordre, soutenant toujours qu'il suffisoit d'estre voïageur de quelque manière que ce pust estre, fut-ce la plus commode du monde, pour estre entièrement dispensé du jeusne. Si mes raisons ne leur firent pas changer de sentimens, celles qu'ils me donnèrent de leur costé ne fit point aussi changer aucun de nostre compagnie : si bien que chacun jeusna, au grand mécontentement de nostre hoste, et mesme de quelsques-uns des nostres.

{335} CASTELNUOVO [Castelnuovo di Porto]

Couché à Castelnuovo, le 28 d'octobre

Nous commençasmes, à Outrecouly, de souhaiter plus que jamais la ville de Rome, tant à cause que nous la sçavions proche, qu'à cause aussi que nous estions très incommodez dans ce misérable giste, nous persuadant aisément que le lendemain nous serions bien plus à nostre aise, aux approches de la première ville du monde, et que nous nous ressentirions de ses beautez et de ses charmantes douceurs tant vantées de toutes parts ; mais nous fusmes bien frustrez dans notre attente, et au disné et au soupé. Nous disnasmes dans un si méchant village que je ne me mis pas seulement en peine d'en demander le nom. Nous ne fusmes guères moins mal à souper dans Castelnuovo, où toute la satisfaction que nous pusmes avoir, fut de voir de là, sur une petite éminence, la ville de Rome que nous commençasmes à découvrir par le dôme de Saint Pierre, qui en est à quinze mille, c'est-à-dire cinq lieues.

Triste abord de Rome

Jamais on ne partit plus gayement que nous fismes de Castelnuovo, parce que nous estions si remplis de l'idée de la belle campagne que nous présumions estre autour de Rome, que nous croyions aller entrer dans un païs enchanté. Nous avançasmes toujours chemin dans cet esprit ; mais au lieu de trouver quelque chose qui nous contentast, nous ne rencontrions rien que d'horrible et d'affreux : de sorte que nous en estions tout abbattus. Pour moy, j'avoue franchement que je m'estois persuadé de trouver, aux environs de Rome, une campagne encore plus agréable que celle de la Lombardie, parce qu'au lieu que celle-cy n'est plantée que de meuriers blancs, je me persuadois que celle-là seroit de citronniers et d'orangers.

Plus nous avancions vers Rome, moins nous trouvions d'agréemens. On n'y voit aucun plan d'arbres ; on n'y rencontre aucun village ny maison de campagne, pas mesme pour un païsan. Bien loin d'y voir ces magnifiques palais de cardinaux que ma curiosité me faisoit croire estre bastis de marbre et de porphire, on ne rencontre sur cette route que quantité de vieux restes de bastimens, fouillez jusque dans les fondemens : si bien que tout le terrain est semblable à celuy qui a esté sondé pour des carrières. Enfin, pour dire en un mot ce qui est des environs de Rome, c'est qu'on n'y voit pas un arbre ny un buisson, l'un et l'autre n'y pouvant pas mesme croistre, à cause que la terre n'est, à proprement parler, qu'un sable bruslé qui éclate, comme de petits diamans, à la lueur du soleil.

Le Tibre, rivière peu considérable au-dessus de Rome

Quand nous eusmes vu ces tristes approches de la ville de Rome, nous ne désirions plus que de voir la fameuse rivière du Tibre, que les poètes et les historiens ont toujours représenté comme la maistresse de l'océan et de toutes les autres mers du {336} monde. Nous la trouvasmes sur nostre route presqu'au mesme estat que Saint-Amand l'a décrite dans sa Rome ridicule (4). Son lit est estroit et porte un peu plus que la moitié de la rivière de Marne au-dessus de la ville. Son cours est tortu, ses eaux toujours vilaines et bourbeuses, mesme dans les plus beaux jours de l'esté : si bien que la veue de cette rivière ne satisfait pas beaucoup ceux qui marchent sur son bord.

 

Notes

1. Cette phrase est fautive : pour éviter la répétition de "fameuse" après "davantage", Le Maistre a rayé les mots "cette ville fameuse", sans corriger le reste de la phrase.

2. Il ne s'agit point du Grand Condé, qui mourut le 11 novembre 1686 et qui fut détenu dans la tour de Vincennes pendant la Fronde, mais de son père, qui fit un pèlerinage à Lorette en 1622 pour accomplir un vœu qu'il avait fait pendant sa propre détention à Vincennes.

3. En France le nom de ce Jésuite espagnol, auteur de la Summita casuum conscientiæ (1627), s'appliquait à toute personne qui modifiait adroitement les règles morales pour servir à ses propres intérêts.

4. Saint-Amant décrit le Tibre comme étant un "ruisseau bourbeus/ Torrent fait de pissat de bœufs,/ Canal fluide en pourriture", La Rome Ridicule, Œuvres, éd. Jean Lagny (Paris, 1961), III, p. 6.