Panat in postcardThe Ranums'

Panat Times

Volume 1, redone Dec. 2014

Contents

Volume 1

Panat

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Patricia's Musings

Marc-Antoine

Charpentier

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Charles Le Maistre's Relation

pages 423 to 433

{423}

CAPOUE [Capua]

Nous nous rendismes sur le soir à Capoue, dont je ne diray rien icy de plus que ce que j'ay dit cy-devant, parce que je n'y remarquay rien davantage que ce que j'observay la première fois.

Manière de vivre des bandits

Lorsque nous fusmes hors les portes de la ville, nous entrasmes en conversation avec le capitaine de nostre escorte qui nous accompagnoit, à qui nous fismes faire une confession fort sincère de toute sa vie. Il nous dit franchement, tout d'abord, qu'il avoit été autrefois capitaine d'une compagnie de bandits, et qu'il avoit fait cette profession pendant vint et deux ans. Cette nouvelle, qui ne nous surprit pas peu, nous obligea à l'interroger là-dessus et à nous informer à fond de la manière de vivre des bandits, dont il nous fit ingénuement toute l'histoire qu'on ne sera peut-estre pas fâché d'apprendre icy.

Distinction ridicule de bandits de deux sortes

Il nous dit donc d'abord, que cette vie se commençoit ordinairement par quelque assassinat qu'on faisoit de son ennemy : après quoy, on se sauvoit et on se retiroit dans les montagnes, où on se joignoit à d'autres bandits qui y faisoient leurs demeures ; qu'après l'assassinat commis, on se bannissoit volontairement de son païs, de peur de tomber entre les mains de la justice ; et que c'étoit pour cela que ces sortes de fugitifs étoient appellez en italien banditi, qui veut dire bannis. Il nous ajouta que parmi les bandits, il y en avoit toujours de deux sortes : les uns étoient des misérables qui ne vivoient que de la dépouille de quelque misérable frate, c'est-à-dire moine, ou de quelque gueux de voïageur qu'ils arrestoient sur les chemins et à qui ils prenoient quelque misérable jule, qui est en Italie une pièce de cinq sols.

Les autres bandits, nous dit ce capitaine, étoient d'une classe plus relevée, parce qu'ils ne font point état de la défroque d'un frate, d'autant qu'ils ne s'occupent qu'à piller les gros bourgs, à mettre les petites villes sous contribution, à forcer les châteaux et à arrester les gens de condition sur les grands chemins, dont ils tirent en suitte de grosses rançons. Ce capitaine, qui vouloit se faire honneur, ne manqua pas de nous dire qu'il avoit été bandit de cette dernière classe, qu'il avoit été le chef d'une compagnie de ces gens de mérite, et qu'il l'avoit conduite avec autant de discipline qu'il faisoit celle à qui il commandoit présentement.

{424} Les maisons où habitent ces messieurs les bandits sont des cavernes dans les montagnes, où ils se retirent après avoir été en party. L'occupation de ces bandits de condition est de piller hautement partout ; et leur unique étude est d'assassiner leurs ennemis, et les amis mesme de leurs ennemis, quand ils apprenent, par les correspondants qu'ils ont dans Naples, que ceux-là doivent faire voïage à la campagne.

Sureté pour la vie d'un bandit

Ce fut à cette occasion que nostre bandit d'honneur nous dit une chose étonnante, sur la demande que je luy fis : Pourquoy il avoit demeuré vint et deux ans parmi les bandits de condition ? Il me dit qu'il avoit été obligé de faire cette honneste profession pendant tant d'années, parce qu'il luy avoit fallu tout ce temps pour tuer tous ses ennemis, et les amis de ses ennemis. Il ajouta qu'il n'avoit pu se dispenser d'en user de la sorte, pour assurer sa propre vie ; parce qu'après la rémission mesme qu'on reçoit du Prince, on est toujours exposé à estre assassiné, à moins qu'on ait fait mourir jusqu'au dernier amy de ses ennemis : ce qui ne se peut faire si tost.

Ce capitaine nous disoit ces choses avec un sens froid, comme s'il eut parlé de la conduite du monde la plus équitable et la plus chrétienne. Il sembloit mesme regretter de ne plus vivre avec de si honnestes gens et de ne plus faire une profession de si grand mérite ; car, quand il parloit de ceux qui étoient encore dans les montagnes, il nous en parloit comme de gens d'honneur qu'on avoit tort de poursuivre comme on faisoit. Je connus bien, par ses discours, que la qualité de bandit étoit, parmi les Napolitains, une marque d'une aussi grande bravoure que celle de duelliste passoit autrefois en France, tandis qu'on n'avoit aucun égard aux loix de Dieu et du Prince qui le deffendent.

Quoy que ce capitaine eust une haute idée du mérite des bandits de condition, il ne laissa pas de nous dire qu'il leur faisoit bonne guerre, selon le deu de sa charge ; et que, depuis peu encore, il en avoit tué un dont on avoit porté la teste par toutes les rues de Naples.

Cérémonie d'un bandit assommé

Pendant nostre séjour dans cette ville, nous vismes les cérémonies qui se pratiquent quand on a tué un bandit. Celuy qui a fait le coup, en coupe la teste et la promène de tous les costez de la ville, dans un plaisant ajustement. Il pose cette teste coupée sur un grand clayon d'osier, qu'il promène de tous costez sur sa teste, et il attache aux cheveux de celle qui a esté coupée quantité de rubans de différentes couleurs ; et outre les cent écus que la ville donne pour avoir tué un bandit, il tire encore du menu peuple beaucoup d'argent, chacun donnant pour cela, comme on donne en France dans les villages quand on traisne un loup qu'on a assommé.

{425} Comment un bandit a sa rémission

Cette somme de cent écus, qui se paie exactement pour la teste d'un bandit, n'est pas une petite amorce pour bien faire faire le devoir aux gardes des chemins, qui peuvent se servir quelquefois de leurs commissions, pour satisfaire leur vengeance sur des gens qui pouroient les avoir désobligez. Ces cent écus de récompense ne sont pas seulement donnez aux gardes des chemins qui ont assommé un bandit : on les donne aussi à un bandit qui en tue un autre et qui en apporte la teste, qui luy mérite et cette somme et sa grâce pour quelque crime qu'il puisse avoir commis auparavant.

Quand j'eus appris de nostre capitaine cet avantage, je ne pus m'empescher de luy dire : Comment, pendant vint et deux ans qu'il avoit fait cette profession de bandit, il ne craignoit point que quelqu'un des siens ne le trahist, pour avoir sa grâce ? À quoy il me répondit qu'il n'y avoit pas le moindre sujet d'appréhender qu'on en usast ainsi, parce que c'estoient tous honnestes gens ramassez ensemble, qui ne se trahissoient jamais ; et que si, parmy eux, il se trouvoit quelqu'un qui s'ennuyast de mener la vie de bandit, il se retiroit honnestement, en faisant sa composition la meilleure qu'il pouvoit.

Capucins, entremetteurs innocens des bandits

Lorsque j'eus appris ce détail agréable d'une si belle vie qu'étoit celle de messieurs les bandits, il me prit envie d'en connoître encore d'autres particularitez, et principalement de sçavoir comment ces gens, qui étoient exclus de la société du public, pouvoient traitter néanmoins d'affaires avec les particuliers, tant pour la rémission de leurs crimes passez que pour la rançon qu'ils prétendoient des personnes qu'ils avoient prises. Il satisfit à ma demande, en me disant que si tost qu'ils avoient pris quelqu'un, après s'estre informé de sa qualité et de sa demeure, ils alloient trouver des Capucins, leurs entremetteurs ordinaires, dans les monastères les plus proches des montagnes ; qu'ils chargeoient ces pères de donner avis aux parens ou aux amis des prisonniers, de la détention des personnes qui leur appartenoient ; qu'ils sçavoient d'eux ce qu'ils vouloient païer pour la rançon de leurs proches ; et qu'en suitte ces pères rapportoient la parole aux bandits, qui les renvoïoient tout de nouveau quand les premières offres ne les contentoient pas ; et qu'ainsi, par l'entremise charitable de ces bons pères, ils terminoient ordinairement les affaires de leurs prisonniers.

Voilà ce que j'appris de la vie des bandits par ce capitaine, et par ses soldats aussi, qui avoient tous été de cette honorable profession, les uns plus et les autres moins de temps. Nostre entretien sur une si belle matière dura fort longtemps, et je crois que nous l'aurions continué encore davantage, si nous ne fussions arrivez au bourg de Sainte Agathe, où nous vinsmes disner et où je reconnus encore mieux que je n'avois fait, depuis Naples et Capoue, qu'il falloit que le capitaine qui conduisoit {426} nostre escorte se fust bien fait redouter dans tout le païs : puisque sur la route où il étoit connu, chacun luy faisoit des civilitez extraordinaires et ne luy parloit qu'avec beaucoup de respect et de crainte.

Respect et présens au Capitaine ex-bandit

Le respect que l'on portoit à ce capitaine de bandits, nous parut bien plus grand dans le lieu de Sant' Agatha que dans nostre route où, dès que nous entrasmes près des maisons qui sont détachées de la ville, qui est sur une montagne, les gens de ces quartiers luy apportèrent des présens de fruits et de gibier, dont aussitost il fait offre à M. le duc de Brissac, qui les accepta. Nous nous préparions à reprendre la mesme hostellerie dans laquelle nous avions disné en passant, mais nous la trouvasmes entièrement bruslée depuis nostre passage. Nous en reprismes une autre, où on prépara le gibier que le Capitaine avoit donné.

Je dis la messe dans ce lieu, tandis qu'on nous apprêtoit à disner. Ce ne fut pas sans grand répugnance que je la dis, à cause que les ornemens étoient fort sales, quoy que le curé, en considération du capitaine de nostre escorte, me donnast tous les plus beaux de son église. J'aurois bien voulu me dispenser, ce jour-là, de dire la messe ; mais parce qu'il étoit feste de sainte Catherine, et qu'il n'y avoit point de messe à entendre, je fus contraint de la dire.

Quand nous eusmes disné à Sant' Agatha, nous montasmes tous à cheval pour venir coucher à Mola. Nous eusmes bien des gens à nous voir partir, parce que tous les païsans du quartier étoient venuz pour faire honneur au capitaine qui nous conduisoit. Nous traversasmes la belle prairie voisine de la rivière de [en blanc], que nous passasmes dans un bac ; d'où étant sortis, nous visitasmes, avant que de remonter à cheval, de vieux restes d'aqueducs et d'amphithéâtres qui paroissent en-deça, desquels j'ay déjà parlé dans le récit que j'ay fait de nostre première marche.

Comme cette journée de Capoue à Mola est la plus longue de celles que l'on fait sur la route de Naples à Rome, nous arrivasmes fort tard à Mola, c'est-à-dire environ une heure et demie de nuit. Nous y reprismes la mesme hostellerie qu'auparavant, et nous couchasmes sur les mesmes paillasses et dans les mesmes chambres puantes dans lesquelles nous avions passé quelsques nuits. Nous y trouvasmes là toutes les mesmes choses que la première fois, jusqu'à cette effrontée prostituée dont j'ay déjà parlé. Elle restitua un bonnet de nuit qu'elle avoit dérobé, en passant pour Naples, à un gentilhomme de nostre compagnie.

Augmentation d'escorte

Quand nous fusmes arrivez à Mola, la brigade des gardes de ce quartier vint trouver nostre capitaine, pour obéir à l'ordre du viceroy de Naples, qui leur avoit fait {427} dire de venir renforcer nostre escorte sur la route. Ces gardes, joints à ceux que nous avions déjà, furent présentez par le Capitaine à M. le Duc, qui les remercia, et qui les congédia fort civilement après leur avoir fait faire quelque petit régal.

La conformité d'habits que je vis dans ces gens destinez contre les bandits mérite, ce me semble, d'en faire la description, qui est assez singulière à cause de l'équipage de leurs armes, que voicy.

Équipage des gardes contre les bandits ; leurs habits, leurs armes

Ils sont vêtuz tous à l'espagnole, à la réserve de la forme du chapeau, parce qu'ils n'ont qu'un bonnet à l'angloise. Par-dessus leur pourpoint, ils ont un corps de maroquin noir. Ils sont ceints d'une ceinture de mesme peau de maroquin, laquelle est large et épaisse comme un baudrier garny. Elle s'attache avec de grands crochets de fer à cette ceinture, au-dessous du bras gauche, en forme de baudrier, hormis qu'elle ne descend pas si bas. La pluspart de leurs armes pendent à cette ceinture, à laquelle sont attachez deux gros pistolets d'arçon à rouet. Il y a deux stilets à droit' et à gauche, et un fort grand poignard à coquille au derrière du dos. Ils ne portent point d'épées, se croïant peut-estre trop embarassez de cette sorte d'armes, qui est incommode à des gens qui ont à courir, comme ils font, après les bandits, et dans les montagnes et parmi les hayes de myrthes dont la campagne est pleine en beaucoup d'endroits. Au lieu de mousquet ou de fusil, ces gardes portent un chop sur l'épaule : c'est une sorte de carabine fort pesante, qui se monte à rouet et qui a deux chiens qui battent sur le bassinet, l'un en haut et l'autre en bas. Ils se laschent successivement, afin que si l'un ne prend pas feu, l'autre ne manque pas son coup.

FONDI

En montant à cheval pour venir disner à Fondi, nous congédiasmes le renfort de gardes qui nous avoit joint par ordre de M. le viceroy de Naples. Nous nous contentasmes de nostre escorte ordinaire, avec laquelle nous nous mismes en chemin, qui fut presque toujours par la Via Appia : qui ne nous fut pas moins incommode la dernière que la première fois, à cause de l'extrême largeur du pavé dont j'ay déjà parlé. Nous traversasmes, à moitié chemin de Mola à Fondi, la petite ville de [en blanc], où nous rencontrasmes des receveurs du roy d'Espagne qui prenoient le nom de toutes les familles de ce lieu et de tous les particuliers qui les composoient, afin de taxer chacun comme ils aviseroient bon estre : ce qui ne causoit pas moins de bruit et de murmure qu'on en entend en France, quand les collecteurs des tailles marchent pour se faire païer.

{428} Équipage de moine à cheval

Nous eusmes de la compassion de ces pauvres gens, qui murmuroient hautement de l'exaction qu'on leur faisoit. Cette compassion ne dura pas longtemps, par la rencontre d'un bon moine Minime que nous trouvasmes sur nostre route, monté à cheval avec un pot de chambre du païs à l'arçon de sa selle. Ces sortes de pots sont de verre, couverts de gros jonc, longs d'un pié et larges d'environ quatre doigts. Ce bonhomme marcha un temps considérable en cette posture avec nous, ce qui nous donna tout du long du chemin un sujet de divertissement dont tous les plus sérieux eussent eu peine de s'empescher de rire. Nous arrivasmes avec luy jusqu'à Fondi ; et nous trouvasmes, une demie-heure avant que d'y arriver, une grande inscription en marbre blanc écrit en lettres noires, élevé d'environ 8 ou 9 piés, tout proche d'une petite arcade bastie pour laisser passer les torrens. La réflexion que je fis sur ce marbre, sur lequel la libéralité de Philippe 4e, roy d'Espagne, étoit gravée, fut que le marbre avoit plus cousté que l'arcade ; et qu'ainsi, à moins que d'estre Espagnol, on pouvoit se dispenser de faire une dépense comme estoit celle du marbre, pour un si méprisable ouvrage qu'étoit l'arcade.

Nous reprismes à Fondi la mesme hostellerie, pour y disner, que nous avions eue en y passant la première fois, quand nous y couchasmes. Rien ne se présenta là de nouveau à mes yeux, qu'un hermite qui me parut aussi frippon que le sont la pluspart de ces gens-là, quand ils sont vagabonds. Je voulus l'entretenir ; et ayant reconnu qu'il étoit François, je m'informé de luy ce qui pouvoit l'avoir amené là : mais je ne pus rien apprendre autre chose de luy, sinon qu'il étoit d'Alençon et qu'il avoit été autrefois sergent. Je croyois bien qu'après m'avoir fait la déclaration et de son païs et de sa profession, il me diroit bien d'autres choses ; mais il en demeura là, me faisant entendre qu'il ne pouvoit pas s'expliquer d'avantage. La misère de ce pauvre homme me toucha, parce qu'il avoit les fièvres et une hydropisie toute formée. Je luy fis faire quelque charité, après quoy nous partismes pour Terracina : où, en arrivant, nous trouvasmes deux Capucins qui alloient en promenade à Naples. L'un des deux, qui étoit François, n'étoit pas moins à plaindre que l'hermite, parce qu'il avoit aussi les fièvres, dont il étoit tout défiguré.

TERRACINA

Nous arrestasmes ce pauvre Capucin malade, qui fut un peu consolé de nous parler, parce qu'il étoit François comme nous ; et nous luy demandasmes pourquoy il s'exposoit sur les chemins, en l'état où il étoit ; et il nous répondit franchement que le désir de voir la ville de Naples l'avoit porté à demander au Père qu'il accompagnoit, de le suivre dans le voïage qu'il faisoit pour aller réconcilier une femme avec son mary, dans un lieu assez près de la ville de Naples, qu'il espéroit de voir par {429} ce moyen. Cela étant dit de part et d'autre, nous nous séparasmes, en souhaitant réciproquement un heureux voïage, les Capucins allant à Mola et nous autres à Terracina, où nous arrivasmes d'assez bonne heure.

L'hostellerie de Terracina étoit pour lors pitoïable. Nous en avions déjà connu la misère pour aller à Naples, quoy que nous n'y fismes que disner ; mais en retournant, nous en fusmes encore plus convaincus, parce qu'il fallut y coucher dans des lits tous sales et très mal équipez. Ainsi, nous fusmes très persuadez, par une fâcheuse et incommode expérience, que tous les gistes de Rome à Naples étoient fort misérables : en quoy nous fusmes encore plus confirmez par celuy que nous fismes en suitte à Casenuové, qui est un méchant hameau de trois ou quatre maisons, dans lequel on n'est pas mesme à couvert des bandits, qui peuvent facilement enlever, la nuit, les passans qui couchent dans ce lieu, qui est sans aucune deffense contre la moindre violence qu'on y pouroit faire. Le repas d'œufs cuits dans de mauvaise huile sur le réchaud, ne contribua pas peu à nous dégouster d'un giste tel que celuy-là, dans lequel nous ne trouvasmes pas la moindre douceur.

PIMPERNO [Piperno]

Couché à Velitry, le 28 de novembre 1664 ; séparation et honnesté du Capitaine ex-bandit

Ce n'est pas un petit avantage, pour des voïageurs qui désirent de faire diligence, d'avoir un mauvais giste : parce qu'il n'y a rien qui l'y retienne plus qu'il ne faut ; et c'est ce que nous éprouvasmes dans ce lieu, que nous quittasmes le lendemain de grand matin, tout le plutost qu'il nous fut possible, pour venir disner à Pimperno, auquel lieu M. le Duc remercia le Capitaine et ses gens qui nous avoient escortez depuis Naples. Le seigneur luy présenta quelsques ducats d'or, pour reconnoître la peine qu'il avoit prise ; mais il le remercia généreusement, luy témoignant qu'il étoit assez récompensé par l'honneur que ses gens et luy avoient eu de luy faire compagnie. Il demanda en suitte au seigneur un mot d'écrit de sa main, pour s'en servir à deux fins : la première, pour faire connoître à M. le cardinal d'Arragon, viceroy de Naples, qui luy avoit commandé d'accompagner M. le Duc et ses gens jusqu'à ce qu'ils fussent en sureté des bandits, comment il s'étoit exactement acquitté de sa commission ; et la seconde, pour empescher qu'on ne l'arrestast, et ses gens aussi, sur les terres ecclésiastiques où il nous avoit rendus, à cause des armes à feu qu'ils portoient : parce qu'elles sont deffendues dans ce païs-là, sous de grosses peines.

M. de Brissac luy donna le mot d'escrit qu'il souhaitoit, et il luy donna de la manière la plus avantageuse qu'il luy fut possible, se servant de cette occasion pour luy présenter encore les ducats d'or, et le forçant de les prendre par toutes sortes d'amitiez ; ce que le Capitaine accepta enfin, témoignant aussi de son costé beaucoup {430} de générosité, en priant M. de Brissac de luy faire l'honneur de recevoir de luy un très beau cheval de Naples sur lequel il étoit monté : ce que le seigneur ne voulut point accepter, luy témoignant pourtant qu'il étoit fort satisfait de son honnesteté.

VELITRY [Velletri]

Pimperno, où nous étions pour lors, n'étant pas éloigné de Caserte, qui est une petite principauté, le Capitaine qui nous avoit conduits témoigna à M. le Duc un grand désir d'aller saluer le Prince, pour luy rendre ses respects et pour luy donner aussi avis du passage de M. de Brissac, qu'il seroit bien aise de recevoir sur ses terres ; mais, comme nous luy dismes qu'il n'obligeroit pas en cela le seigneur, qui passoit partout incognito, il nous répondit aussi en mesme temps qu'il n'obligeroit pas le Prince de laisser ainsi passer M. de Brissac sans le luy faire sçavoir ; et il ajouta qu'il perderoit d'autant plus assurément les bonnes grâces du Prince, qu'il sçavoit qu'il y avoit de l'alliance entre l'un et l'autre (1). Il ne le fit pourtant pas, parce que nous luy en fismes de nouvelles instances de n'y pas penser.

Commode retraite de bandits ; garnison à peu de fraix

Voyant qu'on ne trouvoit pas bon qu'il parlast au prince de Caserte du passage de M. de Brissac sur ses terres, il nous quitta pour luy aller faire la révérence, et pour aller vraysemblablement reconnoître le poste qu'il tenoit autrefois, étant bandit, les gens du païs nous ayant appris que cette ville de Caserte, qui fait la principauté de celuy qui en est souverain, sert ordinairement de retraite aux bandits, dont la garnison pour la pluspart est composé : ce qui accommode autant le Prince, qui ne leur donne pour toute solde que la liberté de faire des courses, après quoy ils trouvent leur retraite dans sa ville, qui est très forte et par sa scituation, qui est sur une montagne, et par ses ramparts et autres deffenses très considérables.

Bandits, malhabilles arquebusiers

Avant que nostre capitaine et ses gens montassent à cheval, nous voulusmes un peu voir leur addresse à tirer leurs armes à feu. Nous les priasmes de vouloir tirer au blanc, afin de voir comment ils s'y prenoient. Ils firent beaucoup de difficulté pour s'y résoudre ; et quelque instance que nous fismes au Capitaine, jamais nous ne pusmes obtenir de luy qu'il tirast un seul coup : ce qui nous donna lieu de croire qu'il étoit un fort pauvre arquebusier, et que ce n'étoit pas sans raison qu'il luy avoit fallu vint et deux ans pour tuer tous ses ennemis. Quoy que le Capitaine ne voulust {431} pas tirer au blanc en nostre présence, nous eusmes pourtant la satisfaction d'y voir tirer ses gens, lesquels, après avoir chargé et amorcé leur chop et s'estre mis en posture avec bien des cérémonies, en amassant beaucoup de grosses pierres les unes sur les autres pour appuïer leurs armes quand ils tirèrent, le firent d'une manière si peu adroite qu'ils s'écartèrent du blanc de près de 2 piés : ce qui nous persuada bien que tous les bandits n'étoient pas de grands arbalestriers, puisqu'ils avoient besoin de tant de temps et de tant de commoditez pour tirer un méchant coup.

Nous ne voulusmes plus, après cela, arrester messieurs les gardes, qui montèrent à cheval pour s'en aller à Caserte avec autant plus de joie qu'ils n'avoient rien à craindre pour les armes qu'ils portoient, à cause du billet que leur avoit donné M. le duc de Brissac. Nous crusmes bien que nostre capitaine et tous ses gens, qui avoient fait autrefois la profession d'estre bandits, comme je l'ay marqué cy-devant, n'auroient pas peu de satisfaction de voir encore, dans Caserte, quelsques-uns de leurs anciens amis : pour qui nous sçavions qu'ils conservoient toujours quelque estime, ainsi qu'ils nous l'avoient fait connoître dans beaucoup de rencontres, où ils nous en parloient d'une manière qui nous faisoit presque croire qu'ils avoient un secret déplaisir de ne vivre plus encore dans une si honorable profession.

CASTEL GANDOLPHE [Castel Gondolfo]

Ce jour-là, que nous nous séparasmes les uns des autres, nous eusmes une horrible pluie qui rompit tous les chemins dans lesquels nous passasmes. Comme il avoit déjà beaucoup plu quelsques jours auparavant, les chemins furent bientost gastez, tout n'estant que boue et que fange, dans laquelle un gentilhomme de nostre compagnie fut trempé depuis les piés jusqu'à la teste, son cheval estant tombé sous luy, et l'ayant roulé dans un effroïable bourbier dont on eut assez de peine à le tirer. Ce qu'il y eut de divertissant pour la compagnie, fut que ce gentilhomme étant monté sur le moins mauvais de nos chevaux, se prévaloit beaucoup de sa monture et railloit tous les autres, qui n'avoient que de pitoïables bestes qui ne branchèrent point dans les mauvais chemins : au lieu que le sien le roula dans la bourbe, y ayant perdu une des bottines de Turquie qu'il avoit à ses jambes, son misérable cheval ayant pincé celle qui demeura pour gage dans le bourbier, d'où il sortit à moitié déchaussé, son habit et son bonnet à l'anglois qu'il portoit estant teint tout à fait en jaune de la couleur de la boue.

Le gentilhomme qui avoit été si maltraitté, ne voulant plus monter ce misérable cheval, l'écuïer de M. le Duc changea avec luy ; mais quoy qu'il fust un très bon homme de cheval, il ne laissa pas de se voir aussi bientost couché dans la bourbe et devenir peint de fange jaune, aussi bien que l'autre, à Velitry où nous fismes nostre dernier giste avant que de rentrer à Rome.

{432} Nous respirions beaucoup ce séjour, à cause des fatigues de quinze jours que nous avions eues dans nostre voïage de Naples, d'où je retournay malade par l'incommodité que mon cheval, qui étoit très méchant aussi bien que ceux des autres, m'avoit causée. Nous prismes nostre chemin pour arriver à Rome par Castel Gandolphe, qui est la maison de plaisance des papes, laquelle nous ne voulions pas manquer à voir, estant sur les lieux : d'autant que nous nous la figurions bien plus polie et plus ornée qu'elle n'est en effet, nous persuadant qu'elle surpassoit en beauté les maisons de Tivoly et de Frescaty que nous avions veues avant que d'aller à Naples.

Maison de plaisance des papes

Castel Gandolphe est un petit bourg à douze ou quinze mille de Rome, scitué sur une petite éminence d'où on découvre cette ville en perspective, et la mer sur la gauche environ à huit mille. Au pié du bourg, sur la droite, il y a un lac dont la grandeur n'est pas fort considérable, n'ayant pas plus d'étendue que deux fois la Place Roïalle de Paris. Ce lac est enfermé de montagnes de tous costez, et la maison du Pape est sur une de celles-là, qui est fort escarpée : ce qui luy donne pleine veue sur ce lac, parce qu'elle est scituée sur le bord de cette montagne.

Chétive maison de plaisance

L'empressement que nous avions de visiter cette maison papale, ne nous donna presque pas le temps de disner. Nous en eusmes regret, après que nous eusmes vu cette maison et au-dedans et au-dehors, qui ne mériteroit pas qu'on fist la moindre démarche pour la venir voir. La court en est si petite qu'un carosse à quatre chevaux n'y tourneroit pas. Les bastimens en sont très médiocres, et les ameublements si chétifs que si les papes n'avoient rien d'ailleurs de plus éclattant, on pouroit dire qu'ils seroient dans la dernière modestie. La maison est très petite, quoy qu'à trois étages, dont le premier seulement a des vitres aux croisées, les deux autres n'ayant que des toiles cirées aux fenestres, ce qui est pauvre pour un château pontifical.

Première église sous l'invocation de saint Thomas de Villeneuve

Tout proche de ce château, il y a une église qu'Alexandre 7e avoit fait bastir nouvellement sous l'invocation de saint Thomas de Villeneuve, qu'il avoit depuis peu canonisé. Il y a un marbre noir dans cette église, laquelle sert de paroisse au bourg, écrit en lettres dorées, qui marque, et au-dedans et au-dehors, que cette édifice est un ouvrage d'Alexandre 7, basty en honneur du saint qu'il avoit canonisé. Cette église est assez jolie et en dedans et en dehors, où il y a une galerie qui règne tout à l'entour, fermée par une belle balustrade de fer travaillé, laquelle prend au rez-de-chaussée du portail, d'où elle tourne tout à l'entour, faisant aux costez, mais principalement sur le derrière, comme une espèce de plate-forme, qui est élevée à cause de la montagne, laquelle est bien escarpée en cet endroit-là : d'où on voit avec agréement le lac, qui est comme une grande fosse au milieu de quatre montagnes qui le renferment.

{433} Nous n'eusmes pas peine de quitter ce lieu, qui ne nous donna pas une idée plus avantageuse de la beauté des avenues de Rome, de ce costé-là, que de trois ou quatre autres endroits que nous avions vue, soit en entrant dans la ville, soit en sortant. Avant que de rentrer, nous mismes pié à terre dans une hostellerie d'une maison toute seule, dans laquelle nous ne trouvasmes quoy que ce fust à manger, ny mesme une chambre pour nous y reposer : ce qui nous fut d'autant plus dur que, n'ayant rien trouvé à manger dans Castel Gandolphe, nous nous estions attendus sur ce qu'on nous avoit dit de cette hostellerie misérable, qu'on nous avoit beaucoup vantée.

 

Note

1. Le Capitaine évoque sans doute une parenté ou une alliance matrimoniale entre les Caetani di Sermoneta, princes de Caserte, et les Gondi italiens. Rappellons que la mère du duc de Brissac était une Gondi de Retz.