Panat in postcardThe Ranums'

Panat Times

Volume 1, redone Dec. 2014

Contents

Volume 1

Panat

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Patricia's Musings

Marc-Antoine

Charpentier

Musical Rhetoric

Transcribed Sources


 

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Charles Le Maistre's Relation

pages 69 to 89

{69}

WILSTECH [Willstätt]

À Wilstech, le 10 de juin jusqu'au 17, 1664 ; description du pont de Strasbourg

Nous ne séjournasmes que pendant trois jours à Strasbourg, d'où nous partismes le mardy sur le soir, pour venir coucher à deux lieues de là dans un village nommé Wilstech, appartenant au comte de Hanauu. Avant que d'arriver là, nous trouvasmes, à une petite demie-lieue de Strasbourg, un fort que les habitans gardent soigneusement, parce qu'il sert à la deffense du pont qui est sur le Rhin. Ce pont est d'une structure peu considérable, n'estant que de bois de sapin soutenu par des poutres de mesme bois, lequel estant de sa nature fort ploïant, est ébranslé par un seul homme qui passe dessus. Il n'a de largeur que pour passer deux charettes de front. Il n'a aucunes barrières, ny de part ny d'autre, si bien qu'il est assez dangereux d'y passer en carosse, en charette ou à cheval. Sa longueur est de neuf cent pas : je les ay contez plusieurs fois. Au bout du grand pont, du costé de l'Allemagne, les habitans de Strasbourg tiennent un corps de garde fermé par une barrière seulement, sans aucun fort de ce costé-là.

Arrivant au village de Wilstech, nous vismes le château du comte d'Hanauu, qui en est seigneur, que l'on rebastissoit. Il avoit esté ruiné par les dernières guerres. Celuy que l'on élevoit de nouveau estoit fort peu de chose et n'approchoit en rien de l'ancien, dont il paroissoit encore de beaux restes. S'il y eut eu quelque chose de remarquable dans ce village, nous eussions eu assez de loisir pour l'examiner, pendant {70} 8 jours que nous fusmes contraints d'y demeurer. Nous fusmes là assez incommodez pour le logement, à cause qu'il n'y avoit dans ce lieu qu'une misérable hostellerie ; mais il fallut y séjourner tout ce temps-là, parce que nous attendions des lettres de change qu'on devoit nous envoïer à Strasbourg, d'où nous estions sortis et parce qu'il y faisoit très cher vivre, et qu'on avoit dit que M. le duc de Nevers y devoit venir, avec qui le seigneur duc de Brissac ne vouloit point, pour lors, avoir de liaison.

Mon hoste catholique me prie de ne dire point la messe chez luy, et pourquoy

Pendant nostre séjour dans le village de Wilstech, je voulus dire la messe, mais ce lieu est luthérien. Je fus obligé de préparer tout ce qui estoit nécessaire dans une chambre. L'hostellerie que nous avions prise estant très petite, et n'y ayant de logement que pour la personne de M. de Brissac, nous nous logeasmes dans des maisons particulières. La maison d'un boucher, qui estoit Catholique, m'estant écheue en partage, je voulus dire la messe dans la chambre mesme où je couchois ; mais ce bon homme m'ayant représenté un inconvénient assez considérable, qui estoit qu'en célébrant la messe chez luy, je l'exposerois à un mauvais traittement de la part du seigneur luthérien, qui ne souffriroit pas qu'un prestre catholique eust dit la messe dans son village, fit que je changeay de dessein : et qu'au lieu de la dire chez mon hoste, je me disposay à l'aller dire dans l'hostellerie, dont le propriétaire estoit Luthérien, qui n'osa pas bransler parce que nous estions les plus forts dans le village.

Dévotion de pauvres massons catholiques

Quelques pauvres Catholiques du lieu, ayant sceu que je me préparois à y dire la messe, y accoururent avec bien de la piété et des témoignages de joie toute extraordinaire ; mais cette joie ne dura guères, parce qu'après que j'eus préparé toutes choses, comme je vins à tirer mon calice de son estuy, je le trouvay rompu : ce qui m'obligea, ce jour-là, qui estoit un dimanche, de congédier toute la compagnie.

Calice rompu et racommodé

Le lendemain, je montay à cheval pour faire racommoder mon calice à Strasbourg par un orfèvre qui me le rendit cinq ou six jours après, que je retournay encore le prendre dans cette ville, très bien racommodé. Pendant ce temps, la Feste-Dieu estant survenue et ne pouvant pas encore dire la messe parce que mon calice n'estoit en estat, ayant appris qu'à une lieue de Wilstech il y avoit un village catholique, j'y allay avec la meilleure partie de la maison pour y dire la messe. Le curé et les paroissiens me receurent avec bien de la joie. Quand j'entray dans l'église, je rencontray le curé, qui ramenoit sa procession d'un village voisin, dans le dessein d'y prendre une partie de ses paroissiens qui y demeuroient, afin de faire ensemble, dans le lieu où estoit la paroisse, une procession solemnelle du Saint Sacrement.

{71} Procession singulière du Saint Sacrement ; tentures pour la procession

Tout estoit préparé pour cela dans ce village, et quoy que les préparatifs fussent fort simples, je les trouvay pourtant très beaux pour un village. Tous les païsans du lieu estoient en armes pour recevoir le Saint Sacrement, peut-estre autant pour favoriser la cérémonie, qui pouvoit estre troublée par les Luthériens qui estoient voisins de tous costez de ce village, que pour l'honorer. Ils avoient dressé dans ce village des rues toutes de feuillages, par le moïen des branches qu'ils avoient fichées en terre, laquelle estoit tout jonchée de verdure. Je vis marcher la procession en cet ordre : un grand nombre de filles estoient à la teste et marchoient deux à deux fort modestement. Elles tenoient chœur toutes seules et chantoient fort bien. Une d'entre elles portoit une très grande figure de la Sainte Vierge au-devant de toutes les autres. Toutes ces filles prirent place dans le bas de la nef de l'église avec les femmes, et les hommes la prirent dans une tribune au-dessus.

Piété de quelsques manœuvres catholiques

Mon calice qui avoit esté rompu ayant esté racommodé, je dis la messe dans le dimanche de l'octave du Saint Sacrement, chez le maistre de l'hostellerie qui estoit Luthérien. Les Catholiques des lieux voisins, mais particulièrement de pauvres massons qui travailloient au château du comte de Hanauu, se trouvèrent tous à la messe avec beaucoup de dévotion. Elle me parut semblable tous les jours, au soir, que je faisois la prière pour toute la maison. Ces bonnes gens ne manquoient point de s'y trouver, et mesme de m'écouter attentivement quand je faisois parfois une instruction aux domestiques. Quoy que ces bonnes gens n'entendissent pas notre langue, ce leur estoit toujours une satisfaction de sçavoir qu'on parloit de Dieu.

Nous assistasmes au presche

J'avois appris que ce jour-là mesme de dimanche, que je dis la messe chez nostre hoste, il se devoit faire une cérémonie considérable dans le temple des Luthériens de ce village. On y devoit establir un ministre en survivance. Cela me donna curiosité de voir comment la chose se feroit. Pour cet effet, j'entray avec M. le Duc dans le temple, où nous nous fismes accompagner par un de ceux qui nous servoit de truchement dans le voïage. Le ministre en fonction nous receut avec beaucoup de civilité et nous fit seoir dans une place fort honorable. Nos gens, poussez de mesme curiosité que nous, se trouvèrent aussi à cette cérémonie ; et la pluspart entrèrent dans le temple où elle devoit se faire, assez ridiculement, les uns en cherchant fort simplement de l'eaue bénie, les autres en se mettant à genoux. Si tost que je m'apperceus de leur simplicité, je les fit lever et leur appris que des Catholiques ne devoient point prier avec des Luthériens retranchez de l'Église.

{72} Institution d'un nouveau ministre

Cela fait, je m'appliquay très exactement à considérer ce qui se faisoit. Voicy la disposition des choses. Le ministre, accompagné de celuy qui devoit estre étably en sa place après sa mort, commença d'entonner un pseaume en langue vulgaire, d'un ton aussi effroïable qu'il avoit la mine. Tout le peuple, tant les femmes que les hommes, séparez les uns des autres comme dans cette église catholique dont je viens de parler, le poursuivit en chant. Ce pseaume achevé, le ministre sortit de sa place dans les hautes chaires et vint se mettre, tout debout et teste nue, sur le marchepié de l'autel, qui estoit posé au milieu du temple. Là, il leut, sans estre revestu d'autres habits que de ceux dont il se servoit ordinairement, à la réserve d'une fraise de toile qui ne sert qu'aux jours de cérémonie. Là, di-je, il leut un chapitre du Nouveau Testament en langue vulgaire, que tous les assistans, et hommes et femmes, écoutoient avec une merveilleuse piété extérieure, laquelle me parut toute pareille dans leur chant.

Ordre des prières et du sermon

Ce chapitre du Nouveau Testament ayant esté leu ainsi par ce ministre, il retourna prendre sa place dans les hautes chaires, où il commença tout de nouveau d'entonner un second pseaume, qui se chanta par l'assemblée des Luthériens comme le premier ; après quoy le ministre monta en chaire pour y faire le sermon, ce qu'il ne commença point qu'après avoir leu un chapitre de l'Ancien Testament et un de saint Paul : ce qui fut suivy de l'oraison dominicale, laquelle il récita les mains jointes et en langue vulgaire, comme le reste. Cette prière finie, il commença son sermon, qu'il continua et acheva d'assez mauvaise grâce, sans geste et sans aucune inflexion de voix.

Forme de queste dans le temple

Pendant que ce ministre preschoit, un bedeau sortit de sa place pour faire la queste en cette manière : il prit un long baston de la forme d'une demie-pique, au bout duquel il y avoit une bourse, dans laquelle on mit telles aumosnes qu'on voulut. On se sert de ce baston de cette longueur pour faire la queste, à cause de la disposition des bancs, qui sont rangez, dans toute l'Allemagne, assez proches les uns des autres : ce qui est cause que, de crainte d'incommoder ceux qui y sont assis en passant dans ces bancs, on se contente de présenter cette bourse au bout de la demie-pique, sans importuner par trop qui que ce soit, pour tirer de l'argent, celuy qui fait la queste se contentant seulement de la leur faire voir en la passant devant les yeux. Le sermon, qui se faisoit toujours pendant ce temps-là, finit par le chant d'un pseaume que le ministre entonna encore dans la chaire, d'où il descendit en chantant avec tout le peuple.

{73} Réception du nouveau ministre

Le chant des pseaumes estant finy, on receut le nouveau ministre, et voicy comment. Un gentilhomme envoïé de la part du comte de Hanauu, seigneur du lieu, vint dans le temple se mettre à la première place d'un costé des chaires, et après y avoir entendu l'office et chanté les pseaumes avec les assistans, s'en alla se mettre debout, la teste couverte et l'épée au costé, sur la marchepié de l'autel ; où estant, il fit venir le futur ministre, qu'il fit mettre à sa gauche ; et une douzaine des plus considérables du village, qui faisoient un demy-cercle devant luy, se présentèrent à luy, la teste nue, pour entendre ce qu'il avoit à leur dire. D'abord, il commença par l'éloge du nouveau ministre, et il leur dit qu'il le leur donnoit de la part du Comte son maistre, qui les assuroit par sa bouche de la capacité du ministre futur. En suite de quoy, il tira de sa poche une lettre dudit Comte, par laquelle il leur commandoit de le recevoir pour pasteur, à condition pourtant qu'il ne leur enseignast que ce qui estoit porté par la Confession d'Ausbourg, de laquelle s'il arrivoit qu'il s'éloignast, il vouloit qu'on le jettast du haut de la chaire en bas.

Ces choses ayant esté dites aux notables qui représentoient tout le village, ils firent la révérence, les uns après les autres, au nouveau ministre qui venoit d'estre institué ; et cela fait, chacun se sépara.

Cabaret, lieu d'entreveue pour les personnes à marier

J'avois appris, le jour précédent, que cette charge se devoit donner à ce jeune homme en faveur du futur mariage qu'il devoit contracter avec la fille de l'ancien ministre ; mais je ne sçavois pas une chose qui se pratique en semblables occasions, dans ces païs-là : qui est que quand un homme recherche une fille en mariage, cet homme ne va point d'abord dans la maison de la fille qu'il recherche, mais il va au cabaret ; et si tost qu'il y est, il fait donner avis à celle qu'il veut épouser de sa venue ; et en mesme temps, suivant la bienséance du païs, elle va le trouver au cabaret pour l'amener dans la maison de son père. C'est ainsi que se fait l'entretenue du nouveau ministre avec sa future épouse.

Étuves, lieux publics pour l'un et l'autre sexe

Voilà une des coutumes d'Allemagne pour les mariages qui se contractent. En voicy une autre pour les étuves, où ils vont assez fréquemment, mais d'une manière très honteuse. Tous les samedis ordinairement, les hommes et les femmes, mesme des villages, vont aux étuves chez le chirurgien pour s'y décrasser. Cet homme les sert tout nud, et ceux qu'il sert sont en mesme estat que luy, n'aïant les uns et les autres, à ce que me rapportèrent les gens de M. le duc de Brissac, qui les virent tous ensemble, qu'un petit morceau de linge qui n'est pas plus grand que la quatrième partie d'un de nos mouchoirs, pour se cacher.

{74} Vigilence contre le feu ; importance à ceux qui reposent

Une autre coutume d'Allemagne, mais en autre matière, est qu'il y a des gens gagez dans toutes les villes, et mesme dans tous les villages, pour y faire la ronde trois et quatre fois la nuit, afin de prendre garde si le feu n'est point en quelque maison. Ce qui est incommode en une chose, est que ces gens éveillent souvent ceux qui dorment et trouvent leur repose, et par les cris qu'ils font et aussi par un cors qu'ils sonnent trois ou quatre fois chaque nuit, afin qu'on regarde si le feu n'a point pris en quelque endroit. Cette façon de faire m'importuna beaucoup, principalement dans ce village durant tout le temps que nous y demeurasmes.

OBERKICH [Oberkirch]

Couché à Oberkich, le 17 de juin 1664 ; divertissement par un petit mulet

En sortant de Wilstech pour aller coucher à Oberkich, nous eusmes un divertissement fort inopiné, par le moïen d'un petit mulet de la maison, le plus fantasque et le plus volontaire qui fust jamais. Un suisse, domestique de M. le Duc, d'une grosseur et d'une taille de corps peu commune, voulut le monter en présence de grande quantité de monde qui estoit venu pour voir partir nostre équipage, qui estoit des plus lestes. Ce suisse ayant reconnu que toutes les fois qu'il vouloit monter ce mulet, cet animal s'écartoit de luy, voulut par un effort gaingner l'éloignement ; mais le mulet, au lieu de s'écarter pour cette fois comme il avoit coutume, s'approcha tout proche du suisse, dans le temps mesme que le suisse avoit pris ses mesures pour le pouvoir joindre : ce qui fut cause que les ayant prises bien plus grandes qu'il ne devoit, il passa par-dessus le corps du mulet, et sa grosse masse de chair venant ainsi à tomber par terre, appresta étrangement à rire à tous ceux qui estoient là présens.

Le chemin que nous tinsmes pour arriver à Oberkich, à la sortie de Wilstech, fut fort agréable, car nous eusmes toujours des bocages et de petits ruisseaux dans cette route, qui tempérèrent la grande chaleur qu'il faisoit ce jour-là. Nous fusmes à la vérité un peu incommodez dans Oberkich, à cause que quand nous y arrivasmes, nous trouvasmes les meilleures hostelleries prises par les gens de M. l'évêque de Strasbourg et de ceux du duc de Virtemberg, qui s'y estoient rendus de la part de leurs maistres, ceux-cy pour recevoir le remboursement de l'engagement que les prédécesseurs de cet évêque avoient fait de cette ville au duc de Virtemberg, et ceux-là pour y satisfaire et prendre ainsi, par ce remboursement, ce prélat seigneur du temporel, comme il l'est du spirituel de cette ville.

Croix de Bourgogne, ornement universel en Allemagne

Je commençay à m'appercevoir, dans cette ville, d'une chose fort singulière mais pourtant commune dans toute l'Allemagne : c'est que les habitans arborent presque partout, mais principalement sur les toiles de leurs chariots, à toutes leurs portes et {75} à tous les contrevents de leurs fenestres, des croix de saint André faites de deux corps d'arbres qui ne sont point équarrez. Ces croix s'étendent depuis un bout du chariot à l'autre, et tout de mesme aussi aux portes et aux fenestres, ausquelles elles sont proportionnées. Je m'informay d'où pouvoit venir cet usage de peindre ainsi ces croix partout. Je fus bien du temps sans le pouvoir apprendre dans le païs mesme, mais on me dit que cela se faisoit par une affection à la Maison de Bourgogne, qui porte ces sortes de croix dans ses armes.

Usitée bénédiction du Saint Sacrement dans la messe

Le matin, avant que de partir d'Oberkich, j'allay à la messe dans la paroisse, qui estoit desservie par un religieux de Prémonstré qui en estoit curé. La messe que j'entendis estoit du Saint Sacrement dans l'octave. Elle fut chantée par la plus horrible musique du monde. Les chantres aimoient tellement leur mélodie, qu'ils ne pouvoient s'abstenir de chanter musique quand ils répondoient Amen, ou bien et cum spiritu tuo. Je remarquay une chose qui ne se pratique pas dans les églises de France : qui est que le prestre donna la bénédiction du Saint Sacrement au peuple à la fin de la prose, avec le soleil qui estoit exposé.

Manière d'y communier

Je vis communier une femme à la fin de la messe. Elle ne le fit pas comme on le pratique en France, avec un respect extérieur semblable au nostre. Elle receut le corps de Jésus Christ sans avoir un linge sur ses mains pour retenir ou l'eucharistie, si elle venoit à tomber, ou quelsques particules qui se pouroient détacher de l'hostie. Comme elle communia de la sorte, sans embaras ny de sa part, ny de celuy qui servoit à l'autel, ny du prestre qui lui donna le corps de Jésus Christ, je crus que c'estoit un usage ordinaire dans le païs. Après que cette femme eut communié, un serviteur d'église revêtu d'un surpelis sans manches, luy apporta l'ablution dans une grande coupe dorée : ce qui se pratique par toute l'Allemagne.

Croix de fer élevées sur toutes les fosses du cimetière

À la sortie de cette église, j'entray dans le cimetière, que je vis plein de croix, presque toutes de fer. Entre les autres, il y en avoit un grand nombre de dorées, et au-dessous comme de petites niches fort bien peintes, dans lesquelles estoient représentée la famille des deffunts, composée de plusieurs personnes qui tenoient des chappelets à la main pour marquer par là qu'ils faisoient des prières. Ces sortes de croix de fer dans les cimetières sont en usage par toute l'Allemagne.

Fontaine avec bassin

La ville d'Oberkich dont je parle n'a qu'une rue principale fort étendue. Il y en a quelques autres adjacentes, mais très vilaines. Il y a un grand ruisseau qui {76} traverse toute la ville et passe dans la principale rue, par le moïen d'un aqueduc qui le porte au-dessus du fossé. Ce ruisseau est augmenté par la décharge d'une fonteine qui jette ses eaux dans un bassin au milieu de la ville. Outre ces différentes eaues, il passe encore une petite rivière dans ce lieu, laquelle fait moudre des moulins. Cette place est jolie, en ce qu'outre cela elle est accompagnée de bocages de toutes parts.

HOPNAU, FREYDENSTAD [Oppenau, Freudenstadt]

D'Oberkich nous vinsmes disner à Hopnauu, qui est aussi une petite ville au pié des montagnes. Elle est arrosée, comme la précédente, d'un ruisseau qui la traverse tout de mesme, et d'une agréable fonteine qui jette ses eaues par deux endroits dans un grand bassin. Cette ville, aussi bien que celle dont je viens de parler, est catholique, sujette à l'évêque de Strasbourg pour le temporel et pour le spirituel.

Rude montagne

Nous ne fusmes pas si tost sortis de ses murailles, qu'il fallut se disposer à monter une haute montagne couverte de sapins de tous costez. On attela pour cela quatre paires de bœufs, outre deux chevaux au chariot et trois paires au carosse, avec deux autres chevaux qui soutenoient le corps du carosse. Nous emploïasmes quatre heures entières à monter cette montagne, qui est bordée de précipices en plusieurs endroits. La voie par où on monte est fort étroite, si bien que dans la pluspart du chemin on ne trouve que ce qu'il faut pour faire passer une charette. Les habitans de ces lieux ont pourtant grand soin d'entretenir les chemins et de pourvoir à la sureté des passants, en bordant les routes de grands arbres de sapins à l'endroit des précipices.

Pavé de bois de sapin pour les grands chemins

Depuis le matin, nous ne sortismes presque point des bois, jusqu'à huit heures du soir que nous arrivasmes à Freydenstad. Nous trouvasmes, tout le long de nostre route, des chemins très fâcheux et dont nous eussions eu peine de nous tirer, quoy que nous fussions en plein esté, si les habitants du païs n'eussent jetté de travers dans ces chemins des troncs de sapins, dont les lieues entières estoient comme pavées. La marche que nous fismes sur cette espèce de pavé n'en estoit pas moins incommode en une autre manière, parce que cela ébransloit tellement le carosse où nous estions, que nous fusmes souvent obligez de mettre pié à terre durant un chemin considérable, pour éviter les rudes secousses que cela nous donnoit. Quoy que, ce jour-là, nous eussions marché un temps très considérable, nous ne fismes pourtant que quatre lieues d'Allemagne pour venir à Freydenstad.

{77} Belle scituation de Freydenstad ; temple d'une singulière structure

Ce lieu est un gros bourg luthérien appartenant au duc de Virtemberg. Il est agréablement scitué sur le plat d'une montagne. Toutes ses maisons forment un très beau quarré, quatre fois plus grand que celuy de la Place Roïale de Paris. Il ressemble assez à Nogent le Rotrou, quoy que celuy-là ait encore plus d'étendue. Il y a, au milieu de Freydenstad, une belle fonteine qui répand ses eaues dans son bassin. Dans le coin du quarré de Freydenstad, [il y a] un fort beau temple de Luthériens, lequel est d'une structure tout à fait singulière. Il est composé de deux grands corps d'édifices qui aboutissent tous deux à un mesme angle, et qui font ainsi les deux parties d'un triangle. Ces deux corps de bastimens, unis par le mesme angle, ont chacun un clocher basty en rond en forme de tour ; et au-dessus de chacun, il y a une aiguille fort élevée, et à un de ces clochers il y a un quadran. On y monte à tous les deux par un escalier fort délicat qui est fait en limace, de sorte que ceux qui sont au haut voient tous ceux qui montent dès la première marche.

Belles galeries dans le temple

Ces deux escalliers servent non seulement pour aller aux cloches, qui sont au-dessus de la porte de chacun de ces corps de bastimens, mais aussi pour entrer dans de magnifiques tribunes qui sont au bout de ces deux bastimens. Ces tribunes sont si larges qu'on y met tous les sièges en amphithéâtres, pour la commodité des personnes qui viennent à l'office et au sermon. Ces deux grandes tribunes ont communication de l'une à l'autre, par le moïen de grandes galeries qui règnent à l'entour de ces bastimens. Elles ont assez d'étendue pour y avoir aussi des sièges en amphithéâtres, tout de mesme que les tribunes. Les hommes occupent les tribunes et les galleries, et les femmes sont placées dans le bas sur le pavé. Les soubassemens de ces galleries et de ces tribunes sont fort beaux. Ils représentent, en bosse, quantité d'histoires meslées, tant de l'Ancien que du Nouveau Testament. Tout est bien doré et enrichy de peintures agréables. Ce temple n'est point voûté. Il n'a qu'un platfond bien doré et bien peint, dans lequel sont toutes les alliances de la Maison de Virtemberg et de quantité d'autres princes protestans dont les armes occupent les deux platfonds.

Orgues fabriquées par un aveugle

La chaire où on fait le presche est merveilleusement bien disposée pour la commodité des assistans. Elle est directement posée dans l'angle qui lie les deux bastimens : si bien que de tous costez on non seulement entend, mais aussi on void le ministre dans sa chaire, et encore à l'autel, qui est un peu au-devant de la chaire. Il y a pour contre-autel un grand crucifix d'airain très bien travaillé, lequel n'a pas moins de hauteur, depuis le pavé sur lequel il est posé, que les nostres, qui sont {78} élevez à la porte du chœur de nos églises. Tout proche de l'autel est le baptistère couvert d'un velous noir et, au-dessus de l'un et de l'autre, un riche buffet d'orgues fort excellentes qui ont esté faites par un aveugle nommé Conradus Scotus, dont le portrait, accompagné de quelsques vers de sa louange, est au-dessus du clavier. Au-dessus du portrait de cet aveugle, on voit des figures de sculpture en bois très bien faites, qui représentent, l'une, Jésus Christ ; et la seconde, l'aveugle-né à qui il donna la veue ; et la troisiesme, un saint Pierre.

ESTING

Couché à Esting, le 19 juin 1664 ; incommode ignorance de la langue d'un païs

Nous sortismes assez tard de Freydenstad et n'en partismes qu'après midy, pour venir à Esting, qui est un très misérable village. Nous n'y trouvasmes qu'une très pauvre hostellerie, ce qui me fit résoudre, dans la nécessité où nous estions d'avoir des lits, d'aller demander l'hospitalité au curé du lieu. Un gentilhomme et moy, qui estions inséparables, allasmes à l'église, croïant trouver le curé dans un presbytère qui y tiendroit. Nous trouvasmes à la vérité quelques personnes dans l'église ; mais le gentilhomme et moy ne sçachant point la langue allemande et n'ayant point pour lors de truchement avec nous, nous ne pusmes faire entendre à ces gens ce que nous désirions. Néanmoins, après beaucoup de gestes et de grimaces que nous fismes, on entendit à peu près ce que nous voulions dire, et un petit garçon nous mena droit au presbytère.

Curé pitoïable pour tout

Nous montasmes, le gentilhomme et moy, à la chambre du curé, auquel je m'estois chargé de faire le compliment pour luy demander l'hospitalité pour une nuit seullement ; mais ayant trouvé ce pauvre homme au milieu d'une troupe de femmes qui filoient, et ayant reconnu qu'il estoit chargé de vin, je supprimay mon compliment, et je me contentay de luy demander, à cause que nous estions dans l'octave du Saint Sacrement, s'il ne diroit pas bientost le salut. La demande que je luy fis en latin l'embarassa fort, et il me parut estre bien empesché à me répondre, non seulement à cause du vin dont il estoit tout plein, mais aussi à cause de l'ignorance qui paroissoit en luy. Il me dit pourtant qu'il alloit se rendre à l'église, où nous le devançasmes.

Il y vint incontenant après nous, en une posture qui nous surprit tous ; car outre qu'il paroissoit fort yvre, il avoit de très grands cheveux qui n'avoient point esté peignez ce jour-là. Il ne portoit qu'une soutanelle si courte qu'on voïoit passer au-dessous un canesson [lire : canezou] de chamoix de plus de trois doigts. Il estoit vêtu d'un surpelis à {79} manches à la romaine ; et avec cela il portoit à son bras gauche un très long chappelet qui pendoit jusqu'à terre, en guise d'aumusse, comme la pluspart des prestres allemands le pratiquent. Dans cet équipage, il entonna une antienne du Saint Sacrement, qu'il avoit exposé d'une manière à faire peur. Après cela, il entra dans sa chaire de chœur pour y dire seul, à voix basse, ses vespres. Il l'élevoit pourtant assez haut quelquefois pour nous faire entendre qu'il n'en prononçoit pas la moitié.

TUBINGHEN [Tübingen]

Disné à Tubinghen ; belles fonteines

Quand nous voulusmes sortir, le lendemain matin, de ce misérable village, nostre hoste nous fit païer exorbitamment le malheureux giste que nous avions pris chez luy. Il parut si fier, sur ce qu'on faisoit difficulté de luy païer toutes choses à son mot, qu'il enferma des chevaux dans son écurie, de laquelle on ne les put tirer qu'en rompant la porte : après quoy, nous partismes pour Tubinghen, où nous vinsmes disner. Cette ville est luthérienne, du domaine du duc de Virtemberg. Elle est tout à fait polie, et les habitans sont fort civils. Elle est ornée de quantité de fonteines publiques qui sont très belles. Entre les autres, il y en a une à la face du temple qui se décharge dans un grand bassin, au milieu duquel est élevée une grande pyramide, et au-dessus un saint George qui tue un dragon. On voit encore une autre fonteine, bien plus belle, dans la grande place qui est devant l'Hostel de ville, dont le bassin est si vaste qu'on y voit flotter une douzaine de reservoirs, dans lesquels il y a quantité de truittes renfermées. Au milieu de ce bassin, il y a une grande élévation de pierre, toute remplie de jets d'eaue : et au-dessus de cette élévation, une figure assez haute d'un Neptune avec son trident. Cette place est ornée de très beaux bastimens, fort bien faits et bien peints de diverses figures, suivant la coutume du païs.

Toutes ces choses ne contribuent pas peu à rendre cette ville des plus agréables. Elle me parut des plus jolies d'Allemagne. Sa scituation en augmente encore la beauté : elle ressemble assez à celle de Château Thierry en Champagne. Son chasteau est placé, comme la ville, sur un costeau battu au pié d'une rivière semblable à celle de Marne, qui coule le long d'une prairie fort belle et de très grande étendue. Sur toute la colline, il y a quantité de vignes plantées, soustenues par des terrasses assez proches les unes des autres. Les échalas de ces vignes sont disposez en losanges, ce qui rend le plan fort agréable.

Jamais on ne peut voir un païsage plus agréable qu'est celuy de Tubinghen à Aurach, qui continue toujours égallement pendant les six heures de chemin qu'il y a de cette ville à l'autre. Ce ne sont à droit' et à gauche que bois, prez, villages, fonteines et ruisseaux en si grande quantité que très souvent nostre carosse rouloit dans ces petites eaues, qui traisnoient un sable doré dont la beauté estoit augmentée par {80} d'autres fonteines, qui couloient des deux costez des chemins sur un gazon tout à fait ravissant. La bonté et l'agrément du païs a donné lieu à l'établissement de quantité de riches villages qui sont répandus de toutes parts et partout fort peuplez.

Enfans à la mamelle tous nuds en été ; habillement extravagant des hommes

Il est étonnant de voir là, comme partout ailleurs dans l'Allemagne, la manière avec laquelle on y élève les petits enfans qui sont encore à la mammelle. Les mères les portent toujours tous nuds entre leurs bras, sans mesme qu'ils aïent un béguin pour couvrir leur teste. Les femmes aussi du païs vont sans coeffeure, n'ayant que leurs seuls cheveux tressez qui se renversent par derrière leur teste. Les païsans sont habillez d'une extravagante manière. Leurs habits sont cousus ensemble, le pourpoint et le haut-de-chausse : celuy-là ne descend guères plus bas que les aisselles, et celuy monte jusque-là pour le joindre. Il ne laisse pas de paroistre au pourpoint quantité d'eguillettes de cuir, comme si elles servoient à tenir ces deux pièces d'habits ensemble, quoy que ces éguillettes ne servent qu'à la décoration. Presque partout ces vestemens sont de chamoix. Ils sont incommodes, non seullement parce qu'ils sont si étroits par les cuisses qu'il faut un estuy pour placer et dont toute la forme paroist mesme au-dehors, ce qui est fort malhonneste, que parce qu'il faut mettre pourpoint bas, aussi bien que le haut-de-chausses, quand il est besoin d'aller aux nécessitez de nature. Cette façon d'habits est universelle à tous ceux qu'on appelle les Suaubes.

AURACH [Urach]

Couché à Aurach, le 20 juin 1664 ; figure de saint Christophle usitée en Allemagne

Après les heures de chemin que nous fismes dans un païs si beau que je viens de le décrire, nous arrivasmes à la ville d'Aurach, qui est luthérienne et de la dépendance du duc de Virtemberg, comme l'autre. Sa scituation est très particulière. Elle est posée dans un valon fort étroit, enfermée entre 4 hautes montagnes revêtues de bois, qui la serrent de si près qu'il seroit impossible de donner plus d'étendue à cette ville, quand on le voudroit. Sur la plus haute de ces montagnes il y a un château qui paroist inaccessible de toutes parts. La commodité des fonteines qui descendent de là, rendroient ce lieu imprenable s'il estoit fortifié à la moderne, quoy que pourtant d'ailleurs on auroit assez de peines à l'attaquer. Il coule, au pié de la montagne sur laquelle est ce chasteau, une rivière qui entre dans la ville, ce qui n'empesche qu'il n'y ait encore dans la grande place une belle fonteine avec un grand bassin qui en reçoit les eaues. Il y a dans ce bassin, comme dans tous les autres d'Allemagne, des grilles de fer à l'endroit où les jets d'eaue tombent, pour les recevoir commodément dans les vaisseaux que l'on veut remplir. Au milieu de ce bassin, il y a une pyramide {81} de pierre élevée qui porte sur sa pointe une image de saint Christophle, que j'ay observé, à cause des figures fréquentes qu'on voit de luy par toute l'Allemagne, estre un saint pour qui le païs a bien de la vénération.

Je me souviens que nous demeurasmes longtemps assis, le soir que nous arrivasmes à Aurach, sur des boutiques des marchands, à la veue de cette belle fonteine dont la beauté des eaues contribuoit à nous entretenir agréablement. Je fais cette remarque afin de faire connoître que les boutiques, par toute l'Allemagne, se ferment de très bonne heure, beaucoup avant la nuit, et en esté et en hyver : si bien qu'ils n'ont point la coutume d'y allumer jamais de la chandelle, comme on fait en France.

PLAUBEYREN [Blaubueren]

Guérites naturelles

Pour sortir de la ville d'Aurach, que j'ay dit estre entourée de quatre montagnes, il fallut atteler quantité de paires de bœufs pour tirer en haut nostre carosse et nostre chariot, après quoy nous trouvasmes un chemin assez plat pour arriver à Plaubeyren, qui est une petite ville luthérienne du duché de Wittemberg, dépendante pour le spirituel, aussi bien que Thubinghen et Aurach, de l'évesché de Constance. Quand nous approchasmes de Plaubeyren, il fallut descendre pour y entrer, à cause qu'elle est scituée entre des montagnes bien plus affreuses que ne sont celles qui reserrent Aurach. Celles-là sont presque toutes de grands rochers stériles, fort élevez. On remarque, en bien des endroits de ces rochers, quantité de guérites taillées dans le roc, destinées pour des sentinelles en temps de guerre. Nous ne pusmes jamais découvrir l'entrée de ces guérites. Il y a encore, au haut de ces rochers, de petits chasteaux dans lesquels il y a garnison.

Contenance des lépreux sur les chemins ; abondance de truites partout

Nous commençasmes à voir des lépreux en arrivant à Plaubeyren, environ à 200 pas de la ville. Ces gens sont un peu écartez du grand chemin, d'où ils approchent pourtant afin de demander la charité aux passants, à qui ils se font entendre par le moïen de deux petites pallettes à jouer, en frappant l'une sur l'autre. Quand nous fusmes entrez dans cette petite ville, nous y remarquasmes aussi une belle fonteine qui répandoit ses eaues, comme les autres, dans un grand bassin. Ces sortes d'ornemens sont si communs dans les villes, les bourgs et les villages d'Allemagne, qu'il n'y en a presque aucun où cela ne se rencontre : ainsi je ne feray plus doresenavant cette observation, à moins qu'il n'y ait quelque chose en ce genre de plus remarquable. La quantité de sources qui se rencontrent dans ce païs fait cette quantité de fonteines, qui donnent tant de truittes partout, que vous ne faites aucun repas qu'on ne vous en serve, et froides et chaudes et en pasté.

{82} Nous ne fismes que disner dans la ville de Plaubeyren ; et à l'issue, tandis que nos gens mangeoient, nous allasmes voir le temple des Luthériens, que nous trouvasmes fort bien paré de tableaux et d'autres ornemens, mais particulièrement de bonnes et belles orgues. Pendant que nous estions dans ce temple, le ministre y vint avec environ trente enfants, qui paroissoient ses pensionnaires. Ils chantèrent tous ensemble les vespres en musique, avec tant de modestie et de piété apparente que je puis dire véritablement n'en avoir jamais vu une pareille parmy les enfans catholiques, dans lesquels je n'ay point remarqué un extérieur si bien composé dans leurs prières.

Phénomène singulier

J'oubliois de rapporter icy une chose remarquable que nous vismes pendant trois heures, c'est-à-dire depuis 8 jusqu'à onze, sur le chemin d'Aurach à Plaubeyren. Il faisoit, ce jour-là, un peu de brouillard qui cachoit le soleil, non pas pourtant en sorte que nous ne le pussions point voir du tout et remarquer en mesme temps dans son corps un croissant assez lumineux, qui répandoit une longue queue éclatante semblable à la comette qu'on a veue à la fin de cette année par toute l'Europe (1). Nous examinasmes le mieux que nous pusmes ce météore, sans jamais en pouvoir rien découvrir. J'en ay voulu pourtant parler icy, afin de donner lieu à ceux qui liront cette relation de s'en entretenir.

ULM

Couché à Ulm, le 21, 22 et 23 de juin 1664

Nous sortismes un peu tard de Plaubeyren, ce qui fut cause que, dans la crainte que nous eusmes de n'arriver pas d'assez bonne heure à Ulm, on envoïa un gentilhomme au-devant dans la ville, pour prier le magistrat de vouloir retarder de quelque demie-heure la closture des portes, afin d'y pouvoir coucher, n'y ayant point là de fauxbourgs. Nous rencontrasmes sur nostre route, environ à une lieue de cette ville, un fort beau monastère de filles Cordelières, au nombre de cinquante, lesquelles on nous dit avoir de très grands biens. Il y paroissoit assez à leurs bastimens, qui estoient magnifiques. Nous trouvasmes, un peu au-delà de ce monastère, {83} un gros village où nostre train logea, parce qu'il ne put pas faire assez de diligence, à cause des mauvais chemins, pour entrer dans Ulm, où nous autres vinsmes coucher parce que nous estions en carosse.

Fortifications de la ville ; Arsenal

La ville d'Ulm est toute luthérienne, dépendante pour le spirituel de l'évesché de Constance. Son gouvernement est libre ; et [la ville est] indépendante de qui que ce soit, que d'elle-mesme. Son étendue, ny le nombre de ses habitans, n'est pas si grand que celuy de Strasbourg, mais ses fortifications sont de beaucoup plus belles, plus polies et mieux entretenues. D'un costé, elle a doubles fossez à fond de cuve, tous deux pleins d'eaue. L'un et l'autre est revêtu de brique. Le premier est extrêmement large, mais le second est plus estroit. Tous les dehors sont revêtus de gazon, ce qui sert à une agréable promenade pour toute la ville. Un officier de la Ville, qu'elle avoit envoïé à M. le duc de Brissac, nous donna ce divertissement et nous promena en carosse toute à l'entour de la place, dont la disposition est différente suivant les différens quartiers. D'un costé, qui est celuy où nous nous promenasmes, la ville est régulièrement fortifiée, et de fossez et de contrescarpe et de demie-lunes et choses semblables ; mais de l'autre, elle n'a que la rivière de Danube qui la deffend, parce qu'elle coule au pié de sa muraille bastie à l'antique. Le mesme officier qui nous fit voir les ramparts de la ville, nous mena aussi à l'Arsenal, lequel, quoy qu'il soit considérable, n'approche pourtant pas de celuy de Strasbourg pour la quantité de canon et de toutes autres sortes d'armes.

Cabinet curieux ; momie considérable

Quand nous eusmes finy nostre promenade, on nous mena chez un curieux de la ville pour y voir un cabinet plein de raretez, soit pour de différentes pierres, soit pour les squellettes d'animaux, soit aussi pour un petit autel de bois qui avoit autrefois servy à des sacrifices que les Chinois faisoient ; mais une des plus belles raretez que nous vismes dans ce cabinet fut une momie d'un Maure faite en 1633. Elle est si entière qu'il ne luy manque qu'un peu de peau au petit ventre, tout le costé du corps estant entier, jusqu'aux parties mesme du sexe.

Étranges épingles

Quoy que la ville d'Ulm soit toute luthérienne, il y a néanmoins une église catholique desservie par des chanoines réguliers de Saint Augustin. Nous les allasmes voir le dimanche matin, 22 de juin. Je dis la messe chez eux. Il me souvient qu'ayant eu besoin de quelsques épingles pour attacher aux manches de mon aube, ils m'en donnèrent de celles du païs, qui sont longues comme le doight et fort propres à faire des pieux.

{84} Nous retournasmes, le soir, dans cette église, pour y entendre vespres. Nous rencontrasmes, cette journée-là, beaucoup de Catholiques, à cause de la solemnité du Saint Sacrement dont ces religieux, qui suivoient l'ancien calendrier, célébroient la feste après les autres. Toute la noblesse catholique des environs, et les pauvres Catholiques de la ville, s'y estoient assemblez pour faire solemnellement la procession. Nous entendismes vespres dans ce lieu, qui furent chantées par ces religieux, partie en plein-chant et partie en très mauvaise musique, qu'ils grossissoient par une espèce de trompettes qui avoient des ouvertures comme en ont les flustes.

Régalle allemand ; service des Allemands

À la sortie des vespres, le supérieur nous mena dans une chambre pour nous faire voir, disoit-t'il, des tableaux anciens fort bien peints ; mais dans la vérité, c'estoit plutost pour nous faire boire, suivant la civilité du païs, que pour toute autre chose. En effet, ce prieur nous ayant fait passer assez promtement dans la chambre où estoient ces tableaux dont il nous avoit parlé, lesquels nous ne pusmes considérer que très légèrement, il nous fit entrer dans une autre où d'abord un vallet vint poser tout au milieu un fauteuil, pour y faire seoir M. le Duc : après quoy d'autres s'avancèrent, l'un portant un brot de vin avec un grand verre, et un autre des amandes sèches dans une coupe d'argent, des biscuits faits avec du gingembre, de sucre, de la canelle et clou de girofle. Le prieur prit d'abord le verre que portoit le vallet, par qui il se fit verser du vin qu'il but ; et puis, sans l'avoir vuidé tout à fait, il en fit remettre par-dessus, qu'il présenta en suitte à M de Brissac, et puis à tous nous autres qui l'accompagnions. Après avoir ainsi présenté à boire à toute la compagnie, le valet qui portoit les biscuits nous en offrit, aussi bien que de ces amandes sèches. Je voulus gouster de ces biscuits. J'en écornay un : et ayant mis le morceau à la bouche, je le trouvay composé de la manière que j'ay dit, ce qui m'échauffa tellement la bouche qu'elle ne le pouvoit estre davantage, ce qui me fit connoître que cette composition n'estoit pas mal inventée pour faire boire les gens.

Nous eusmes assez de peine de nous tirer des mains de ces religieux allemands, qui prétendoient nous faire faire la feste selon la coutume du païs, qui est de boire extraordinairement ; mais chacun de nous s'estant contenté de baiser seulement le verre, pour ne les pas désobliger tout à fait, on se retira aussitost, les laissant en train d'achever peu sobrement la journée qu'ils avoient déjà, selon toutes les apparences, très mal commencée.

Chappelet en aumuce ; diversité d'habits pour le matin et pour le soir

J'ay déjà dit comment ces religieux avoient chanté vespres avec une misérable musique qu'ils avoient remplie de très pauvres voix, de méchantes trompettes, de violons et d'orgues qui ne valloient pas mieux. Pour nous donner le plaisir de cette musique, ils nous placèrent dans un jubé où ils chantoient, qui estoit posé au milieu {85} de l'église. Tous les religieux, au nombre de quinze, assistèrent à l'office en cette posture. Ils portoient tous un gros chappelet au bras qui traisnoit presque à terre. Ils estoient revêtus d'un surpelis sur une robe blanche : ce qui nous surprit, d'autant plus que nous les avions veus, le matin, couverts d'une soutane noire, avec une autre manière de surpelis qui estoit resserré sur le cou, où il n'avoit pas plus de quatre doigts de large, fort étendu par le bas. Ils nous dirent que tous les jours ils se dépouilloient du noir après le disné, pour se revêtir de l'habit blanc jusqu'au soir.

Beauté du temple dans son étendue

Avant que d'entrer dans la maison de ces chanoines, nous estions allez voir l'église des Luthériens. Nous la visitasmes le matin, après que j'eus dit la messe. Cette église des Luthériens estoit autrefois la cathédrale. Ce vaisseau, qui est très vaste et un des plus beaux qui j'aie vu en Allemagne, est tout basty de brique, à la réserve du portail et de la tour, qui sont de pierre de taille. Cette tour est élevée sur le milieu du portail. Selon le dessein, elle devoit faire la face du portail. C'est pourquoy, aussi, elle est très large et posée tout au milieu ; mais les fondemens ne s'estant pas trouvez assez forts pour une si grosse masse, on ne l'a élevée qu'à la moitié de la hauteur qu'elle devoit avoir. On monte, par quatre escalliers qui sont dans les quatre coins de cette tour, sur sa plate-forme, qui n'est guères plus haute que le comble de l'église.

Le corps de l'église est vaste et élevé. Il y a dedans de doubles bas-costez beaucoup plus exhaussez que ne sont ceux de Nostre Dame de Paris. La voûte principale a une pareille hauteur que celle de cette église, mais et la grande et les petites voûtes sont soutenues par des pilliers beaucoup plus délicats que ne le sont ceux de Saint Étienne du Mont à Paris. Pour la voûte du chœur, elle est plus basse que celle de la nef.

Chaire à prescher d'un excellent travail en pierre

Ce que je vis encore de considérable dans cette église fut la chaire pour la prédication. Elle est toute de pierre à jour, merveilleusement bien travaillée. Ce qui est de plus remarquable dans cet ouvrage est un cul de lampe tout rond, posé comme pour servir de dais à la chaire. Il est élevé de plus de 50 piés et porte sa pointe jusque dans la voûte de la nef. Celuy qui a fait cet ouvrage, l'a fait avec toute la délicatesse possible. Ce qui en relève la politesse est que dans ce cul de lampe, qui est tout à jour aussi bien que la chaire, l'ouvrier a pratiqué au-dedans un petit escallier qui va jusqu'à la pointe de cet ouvrage, lequel finit par une petite chaire qui est le racourcy de la grande.

Habillement du ministre en chaire

Nous visitasmes par deux fois cette église, et toutes les deux fois nous y trouvasmes différens ministres qui faisoient le presche. Ils preschoient avec un autre {86} habit que ceux que nous avions veu à Strasbourg et à Wilstech. Les premiers preschoient avec une longue robe, et une grande calotte sur la teste et une fraise au cou ; l'autre preschoit le manteau sur ses épaules et la fraise aussi au cou ; mais ceux d'Ulm n'avoient de commun avec ceux-là que la fraise, et ils différoient d'eux par un surpelis dont ils estoient revêtus, et d'un bonnet quarré qu'ils portoient.

Scituation du tabernacle d'un' admirable structure

Nous observasmes encore dans cette église une chose fort considérable : c'est le tabernacle où reposoit autrefois le Saint Sacrement. Ce tabernacle est de pierre, attaché au pillier gauche qui sépare la nef d'avec le chœur. On portoit là, autrefois, le Saint Sacrement par deux escalliers différens, à droit' et à gauche, soutenus par deux figures de pierre assez bien faites. L'une est de saint Jean Baptiste et l'autre de saint Christophle. L'un et l'autre escallier n'a pas plus de dix ou douze marches. Il y a, au-dessus de ce tabernacle, un autre cul-de-lampe, de mesme ouvrage que celuy qui couvre la chaire pour la prédication, c'est-à-dire tout à jour comme l'autre, mais pourtant encore bien plus délicat : car outre qu'il est plus élevé que celuy-là d'environ vint toises, c'est qu'il est garny, et dedans et dehors, de quantité de petites figures de pierre assez bien taillées. On voit encore, à costé gauche de ce tabernacle, la figure du seigneur à genoux qui l'a fait bastir en 1391.

Tout proche de ce tabernacle, à droit' il y a un autel tout seul qui ferme le chœur en dehors, sur lequel il y a un tableau de la Cène. Au dos de cet autel, en dedans, on voit trois chaires de bois fort bien faites et de mesme structure que le sont toutes les autres du chœur, qui ont toutes au dos de très belles figures de sculpture : et au-dessus de chaque rang de chaires, cinq pyramides en bois, toutes à jour. Celles des deux bouts sont plus basses que celles du milieu. Il reste encore, dans ce chœur, le maistre-autel fort élevé. Il a pour contre-table un grand crucifix en relief, posé sur du velous noir. Cet autel est accompagné à droit' et à gauche de deux chappelles.

En entrant dans ce chœur, on trouve à main droite le baptistère, qui est à l'opposite du tabernacle. Ce baptistère n'est point achevé. Il avoit esté autrefois entrepris, pour le faire d'un mesme ouvrage que la chaire et que le tabernacle ; mais il est demeuré imparfait, n'ayant pas plus de trois piés d'élévation dans la pyramide qui le devoit couvrir. Outre toutes ces beautez, il y a encore un magnifique buffet d'orgues, qui est posé au fond de l'église sur un ceintre de voûte de pierre détaché entièrement du portail : ce qui diminue, à la veue, la longueur de ce vaisseau, que je dirois estre un ouvrage accomply si on l'avoit fait en croix, comme sont tous les autres. Toutes les murailles sont ornées d'armoiries bien dorées. Je ne pus apprendre de qui elles estoient. Je conjecture seulement qu'elles estoient des nobles qui sont dans la ville et aux environs.

{87} Je ne trouvay point, dans cette ville, les habillemens des femmes semblables à ceux de Strasbourg. Ils sont tous différens de ceux de cette ville, et entre elles-mesmes, selon la diversité des conditions. Les nobles sont coeffées en tresses de leurs cheveux mesme nattez qui tombent en rond sur les aureilles, à peu près comme sont les cornes des belliers. Le haut de leur tête est envelopé d'un raiseau de soie ou de fil blanc, au dedans duquel il y a quelque dorure qui éclatte. Tout cet équipage de teste est couvert d'un grand chapeau, dont les bords sont extrêmement larges, et la forme de la teste fort haute. Les bourgeoises ont un bonnet d'une fourure noire fort large. Elles portent avec cela une fraize. Les veuves ont une coeffure blanche avec deux oeillons très grands et étendus de demy-pié, et au-dessus une pointe de mesme couleur et de mesme hauteur. Cela est accompagné de deux bandes de linge, l'une qui tombe sur une épaule et l'autre qui couvre la bouche. À tout cela, elles ajoutent une fraize fort empesée. Les femmes du commun sont coeffées de leurs seuls cheveux, natez et retroussez en rond des deux costez sur leurs oreilles, en façon de moustaches. Les habits des unes et des autres ne sont ridicules que pour les corps, qui ne descendent guères plus bas que les épaules. Les vieilles ont, par-dessus, un manteau qui vient jusqu'à la ceinture. Pour les hommes du commun, ils ont la forme d'habits des Suaubes dont j'ay déjà fait la description.

En me promenant chez les libraires, je trouvay le livre de Wendrocq (2), qui s'y débitoit partout. Il estoit imprimé en Allemagne, avec un discours à la fin qui avoit pour titre cecy : Samuelis Rachelii Examen probabilitas jesuiticæ novorumque casuistarum ; Hælmestadii typis Jacobi Mülleri, anno 1664. J'achetay cet ouvrage à cause de la dissertation contre la Probabilité. Je ne manquay pas de dire au libraire que les Luthériens ne devoient point prendre aucun avantage, contre l'Église catholique, des pernicieux sentimens des Jésuites touchant la Probabilité, ny de la corruption universelle de tous leurs casuisites sur d'autres matières différentes, puisque tous les véritables Catholiques condamneroient ces erreurs ; que tous les évêques de France les avoient censurées, et qu'on avoit mis au jour un excellent livre nommé Wendrochius, lequel avoit détruit jusqu'aux moindres fondements la morale détestable des Jésuites.

Les belles choses que nous voyions dans l'Allemagne, nous donnèrent envie de nous écarter un peu du chemin droit que nous devions prendre, et de tirer sur la main droite, dans l'espérance de voir encore quelque chose de plus beau que nous n'avions vu. Comme on nous avoit vanté les villes d'Ausbourg et de Munich, nous prismes résolution d'y aller. On ne laissa pourtant pas d'embarquer la plus grande {88} partie de nostre bagage sur le Danube, avec ordre aux gens à qui on en avoit commis le soin, de nous attendre à Ratisbonne, où nous devions les aller joindre après que nous aurions passé en Bavière.

QUINSBOURG [Günzberg]

Couché à Quinsbourg, le 24 juin 1664

Nous passasmes le Danube sur le pont d'Ulm. Quinsbourg, petite ville catholique du diocèse de Dilinghen appartenante à l'archiduc d'Inspruk. Si tost que nous en approchasmes, nous entendismes le son des trompettes. Nous croyions que ce fut par civilité qu'on les sonnoit ; mais nous apprismes que c'estoit le guet ordinaire de la ville qui donnoit avis de nostre approche, et que c'estoit une coutume générale d'en user ainsi par toute l'Allemagne en pareilles occasions, comme nous le reconnusmes dans la suitte de nostre voïage.

Nous vismes, au soir, les feux que les Catholiques allument en ces païs-là, le jour de la Saint Jean, et non point la veille comme on fait en France ; et nous considérasmes leurs cérémonies ridicules, qui consistent à sauter, tant les hommes que les femmes et les filles, par-dessus le feux à plusieurs reprises : après quoy, ils dansent tous ensemble à l'entour du feu et chantent des chansons spirituelles en l'honneur de la Vierge, qui vraysemblablement n'est guère honnorée par la danse de ces gens-là.

Il mourut, dans cette ville-là, un des chevaux du carosse, lequel on ne voulut point permettre de tirer de l'escurie pour jetter dans les champs, parce que c'est dans ce païs un droit du boureau du lieu, qu'on fit venir et à qui on donna un écu pour tirer dehors le cheval mort.

Ridicule représentation de la Vierge

Nous visitasmes dans Quinsbourg un monastère de religieuses de Sainte Claire, et nous trouvasmes proche du grand autel, du costé de l'Évangile, une représentation de la Vierge tout à fait blasmable. Elle estoit de pierre, grande comme nature, et elle estoit posée dans l'enfoncement de la muraille. On voyoit dans ce lieu la Sainte Vierge en couche dans son lit, et saint Joseph qui estoit aux piés de ce lit et qui la regardoit. Il avoit quantité de chappelets pendus à son cou. Le nombre des bougies qui estoient à l'entour de ces figures me fit juger que les femmes enceintes et celles qui estoient nouvellement accouchées, faisoient là leurs principales dévotions.

{89} Ce que nous avions vu en dehors du chasteau de Quinsbourg, quand nous arrivasmes à la ville, nous porta à l'aller voir. Ce chasteau est une des maisons de plaisance de l'archiduc d'Inspruk. Il est posé sur les murailles de la ville. Tout nous parut fort simple dans ce lieu. Les chambres en sont si peu considérables, que les bourgeois de Paris qui ont des maisons à la campagne en ont de plus polies. Une seule de ces chambres avoit une petite tapisserie de Bergame et un lit à l'allemande.

Ce qui nous parut de plus beau dans ce chasteau est une assez belle salle, percée de trois costez de fort grandes croisées. Dans l'entre-deux de ces croisées, il y a tous les ancestres de la Maison d'Inspruk, leurs devises, leurs éloges et les actions mémorables de leur vie, le jour et l'an et la manière de leur mort. On n'avoit pas oublié là Charles Quint, avec sa devise : Plus ultra. On l'a mis au nombre des dix-huit qui composent cette généalogie. Au-dessus de la teste de ces 18 grands personnages, on a peint leurs chasses ; et plus haut on a posé, dans le contour de la salle, trente-six grands bois de cerfs fort considérables. Au bout de cette salle, à la face de la porte, on a peint une carte de grande étendue du marquisat de Burgoun. À l'autre bout, du costé de la porte, il y a un grand tableau où l'Empereur est peint assis sur son throsne, accompagné de tous ses officiers, dans l'estat qu'il est lorsqu'il reçoit les hommages de tous les princes de l'Empire, qui sont aussi tous représentez de la manière qu'ils le luy rendent.

Tout proche de ce tableau, il y a un poesle très magnifique de cuivre tout doré, soutenu par quatre animaux, aussi de cuivre doré. Nous entrasmes, de cette salle, dans la tribune de la chapelle, qui est très médiocre. Nous n'y vismes rien de remarquable que l'effigie du dernier duc d'Inspruk à cheval, habillé de ses armes de pié en cap, posé au-dessus d'une des portes qui regarde l'autre.

 

Notes

1. Le 23 décembre 1664, pendant le séjour à Rome de Charles Le Maistre, Créqui, l'ambassadeur, évoqua cette comète dans sa correspondance diplomatique: "Il paroist ici, depuis quelques jours, une comète qui donne beaucoup de matière de discours." Bourlemont, son attaché, en parle aussi: "Depuis le 10e de ce mois l'on a commencé à s'appercevoir d'une comète, laquelle se lève sur cet horizon à une heure aprez minuit et disparoist au lever du soleil. Elle fait en 24 heures le tour du ciel, comme les étoilles et planètes. Cette comète paroist à notre veue environ de la grosseure d'un orange. Elle est claire comme une étoille, et pousse ses rayons ou queue jusqu'à 8 palmes", Archives des Affaires étrangères (A.A.E.), Rome, 162, fols. 328v-329 et 330.

2. "Guillaume Wendrock" est le pseudonyme choisi par Pierre Nicole pour sa traduction des Lettres provinciales de Pascal : Ludovici Montaltii Litteræ Provinciales... (Cologne, 1658). Censuré au Conseil du roi en 1660, le livre fut brûlé comme hérétique et diffamatoire. Cette traduction serait le Wendrochius dont Le Maistre parle ici.