Panat in postcardThe Ranums'

Panat Times

Volume 1, redone Dec. 2014

Contents

Volume 1

Panat

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Marc-Antoine

Charpentier

Musical Rhetoric

Transcribed Sources


 

Le curé et les croisés

L'article de l'abbé Lucien Alazard sur l'érection et bénédiction du chemin de croix dans la nouvelle église de Panat, le 24 janvier 1886, brosse un tableau bien plus large que la simple cérémonie liturgique.

Cette bénédiction était "toute embaumée des parfums du pèlerinage de Jérusalem." Encore plus, la petite église néo-romane est un des "fruits" de ce pèlerinage. Ce "grand pèlerinage populaire de pénitence en Terre Sainte" s'est déroulé en avril-juin 1882. Certains l' appellaient la "IXe Croisade." (1)

Cette IXe Croisade était axée sur la Croix, et surtout sur des croix, grandes ou petites, en bois d'olivier. (2) C'était un voyage romanesque, dans tous les sens du mot, car les pèlerins s'imbibaient d'images utopiques et allégoriques; c'était aussi un voyage où les pèlerins se sentaient remonter dans le temps, jusqu'à l'époque où les petites églises romanes abondaient, et les croisés y allaient prier avant de partir pour la Terre Sainte.

D'où l'insistance d'Alazard sur les croix et les croisés: la croix dans les blasons des chevaliers, la petite croix rouge que chaque pèlerin portait sur son cœur pour se protéger des Infidèles, les quatorze stations de la croix, les petites croix en bois d'olivier que le curé avait ramené de Jérusalem, et le "vitrail qui porte les arms du Saint-Sépulcre."

Nous ne pouvons pas raconter ici l'organisation et le déroulement de ce pèlerinage auquel ont participé un millier de Français, la plupart prêtres. L'abbé Alazard a publié un livre où il raconte ses expériences au jour le jour (3); et des livres savants ainsi que plusieurs sites d'Internet offrent au public des articles solides et détaillés. (4) Pour comprendre le lien entre l'église de Panat et cette "croisade," quelques faits suffiront.

À trois reprises le pèlerinage a été béni par le pape Léon XIII (5); mais la force motricFrancois Picarde de l'entreprise était le Père François Picard, supérieur général des "Assomptionnistes" (les Augustins de l'Assomption). (6) Sermonnant ses co-pèlerins, Picard insistait sur la notion d'une croisade - une "croisade de la prière et de la pénitence" (7):

D'une voix pleine de force, de cœur et de franchise, il signala les grandes lignes de la croisade dont Dieu l'avait constitué le chef. Il releva les courages, affermit les volontés sans dissimuler aucune des fatigues qui pourraient se rencontrer sur le chemin. ... Il demanda à chacun de plier sa volonté à l'obéissance pour maintenir l'harmonie de cette armée de croisés. ... Il jeta au milieu de la France catholique le cri de: Dieu le veut! (8)

Dans son article sur l'église de Panat, l'abbé Alazard ne mentionne pas le Père Picard, mais il parle de l'autre grand animateur du pèlerinage, le Père Marie-Antoine, capucin. C'est un grand barbu au sourire joyeux qu'on appelait "le saint de Toulouse." Les déclarations du Père Marie-Antoine avaient la force de la prophétie: Pere Marie Antoine

Sa voix profonde, extraordinarement puissante, remplit facilement tout l'édifice, si vaste est-il. Tour à tour douce et caressante, éblouissante et terrible comme une armée rangée en bataille. ... Avec lui on ne sait où on va, on se laisse emporter. C'est le triompe del'éloquence des saints. (9)
     Quelle grandeur et quelle vie dans ce moine! jamais artiste ne rêvera plus beau ou Pierre l'ermite ou saint Bernard entraînant les peuples à la croisade. (10)

On comprend mieux le lien qu'Alazard tisse dans son article sur l'église de Panat. Quelques phrases du Père Marie-Antoine ont occasionné une réussite quasi miraculeuse de l'abbé Cayron. Le moine est un prophète:

"Vous ferez votre église. Vous la commencerez aussitôt après votre rentrée. Elle sera le monument qui racontera aux générations futures que le pasteur de cette paroisse a visité les Saints Lieux et y a puisé le courage d'élever une belle église en l'honneur du Dieu du Calvaire."

D'où, sans doute, la transformation chez Alazard d'une petite église de campagne en une église qui serait le témoignage du pèlerinage pénitentiel, et qui serait aussi une incarnation du Christ du mont Calvaire de Jérusalem.

Ayant fait la connaissance de ces deux animateurs charismatiques, regardons de plus près le pèlerinage.

Seize abbés aveyronnais et six séculiers ont quitté Rodez le 25 avril; ils seront de retour le 10 juin. Le prix était modique: les tarifs variaient entre 250 francs et 550 francs. Habillés en soutane et chapeau à larges bords, et montés sur des ânes, des mulets, et parfois des chevaux, par des chaleurs étouffants les pèlerins les plus robustes (dont les abbés Cayron et Alazard) ont fait pèlerinage du Jourdain et de la Mer Morte. (Sur les rives du Jourdain, Cayron a rempli un petit flacon de l'eau de cette rivière où Jésus a été baptisé.)

(Nous emprontons quelques images du site des Assomptionnistes, dans l'espoir de vous faire consulter leurs pages sur cette "croisade." Nous les remercions.)  

pilgrims

Les pèlerins ont fait une entrée solonnelle à Jérusalem, précédés par l'ancien sénateur, M. de Belcastel, et par l'oriflamme du Sacré-Cœur. Ils ont séjourné quinze jours à Jérusalem. Là, les mille pèlerins ont fait le chemin de croix sur la "Via Dolorosa," escortant les deux grandes croix d'olivier qu'on avait amené sur les bâteaux et que portaient, ce jour-là, quelques-uns des pèlerins. Avant de suivre cette voie douleureuse, l'abbé Cayron a acheté quatorze petites croix en bois d'olivier. À la onzième station, il les a inséré dans "le trou dans lequel fut plantée la croix sur laquelle expira N.-S. J.-C." (11); et à la treizième, il les a posé sur la "pierre d'onction." (12) Finalement, dans l'église de Sainte-Anne, bâtie, disait-on, sur l'emplacement de la maison de saint Anne et saint Joachim, il a pris une petite pierre. (Il la mettra plus tard dans une statue de saint Anne, à Panat. (13))

Tout au long de leur séjour en Terre Sainte, les pèlerins portaient une petite croix rouge. Car le Père Picard avait recommandé "de porter ostensiblement sur la poitrine la petite croix rouge du pèlerin. Cette invitation, il la faisait officiellement au nom du gouverneur ottoman de la ville. ... La croix imposa toujours le respect ...." (14)

Cette solidarité, née pendant des marches épuisantes sous un soleil ardent et incarnée dans la petite croix rouge, perdurera: "Pendant ces jours merveilleux, nous avons vécu de la même vie dans les sentiments d'une sincère affection, nous nous sommes mutuellement encouragés dans les fatigues ...." Pour cette raison, dit l'abbé Alazard, les noms des pèlerins, et leurs cœurs aussi, seront toujours "unis dans une même communauté de souvenirs et de prières." (15) On ne doit pas s'étonner, donc, si Émile Cayron invite cinq anciens pèlerins à participer à la bénédiction du chemin de croix dans l'église de Panat en janvier 1886.

Les faits présentés ci-dessus permettent de mieux comprendre la présence, dans l'église de Panat, de quelques éléments iconographiques bien atypiques:

--- La croix rouge, dit la Croix de Jérusalem — portée par les chevaliers de l'Ordre du Saint-Sépulcre  - figure dans le vitrail du nef qui, selon l'article d'Alazard, "porte les armes du Saint-Sépulcre" et est le "témoignage de ce qu'a fait le pieux curé ... à son retour de la Terre-Sainte."

 

 

 

 

 

 

--- Les armes de Léo XIII dans le vitrail de la façade, sous les pieds de saint Julien: ces armes signifieraient les trois bénédictions que le pape a données au "grand pèlerinage populaire de pénitence en Terre Sainte." 

--- Les quatorze petites croix en bois d'oliver, attachées sur le croisillon de chaque tableau du chemin, elles sont autant d'évocations de la Vraie Croix.

 

 

 

 

 

--- Les quatorze stations de croix évoquent les stations de la Via Dolorosa que les pèlerins ont faites à Jérusalem.

Cette iconographie si particulière, quel petit curé de campagne oserait l'incorporer à une église paroissiale? Par exemple, pour mettre les deux blasons dans les vitraux, il aurait fallu sans doute l'approbation de l'évêché. Or, l'abbé Cayron avait un ami pèlerin haut placé à l'évêché: Joseph Touzery, "chanoine honoraire et membre du coumité de Mgr [Bourret]."

Nous espérons que des recherches futures sur le cercle intime de l'évêque de Rodez permettront de savoir plus sur ce comité, et sur cet engagement de Bourret envers les pèlerinages en Terre Sainte. (16)

Post Scriptum du 28 février 2012:

Les membres du "coumité" choisis par Mgr Bourret ont sans doute longuement étudié les catalogues de l'Institut de Vaucouleurs et ceux de Moynet de Vendeuvre. Se décider en faveur de Vaucouleurs, c'était choisir une esthétique plutôt qu'une autre. C'était préférer le dépouillé au fouillé.

Dans l'espoir d'emporter sur Martin Pierson de Vaucouleurs, dont les chemins de croix étaient très appréciés, en 1880 Léon Moynet de Vendeuvres a commencé à en produire aussi. Sa production a été mal accueillie. "Enserrés dans des tableaux compacts, leur présentation miniature est désavantageuse, elle oblige à regarder les scènes de trop près. Ses personnages foisonnent pêle-mêle. Ils s'entassent en désordre, les figures se rassemblent en groupes tellement que le Christ est débordé par cette foule houleuse là où il conviendrait de le mettre en évidence."

En revanche, l'œuvre de Pierson de Vaucouleurs "est jugée nettement supérieure: les têtes sont expressives, les poses bien rendues, les draperies amples et simple, les couleurs discrètes, les scènes pleines de vie. Ces chemins de croix trouvent preneur. Ils pénètrent dans de nombreuses églises ...." (J. Durand, Une Manufacture d'art chrétien: la sainterie de Vendeuvre-sur-Barse, 1842-1961 [1978], pp. 108-109)

Pour mieux saisir l'esthétique de la petite église néo-romane de Panat, ces deux images valent des milliers de mots! À gauche, une illustration de chez Vendeuvre; à droite, de chez Vaucouleurs.

 

Notes:

1. "Les religieux et autres pèlerins de 1882 se veulent les dignes héritiers de ces chevaliers ... Pour les organisateurs, l'utilisation d'un tel vocabulaire, historique et religieux, veut démontrer une fois de plus l'aspect unique et sacré d'une telle aventure. Du simple projet de pèlerinage on est passé à une croisade, la 9e," Bertrand Lamure, dans sa page sur le IXe Croisade à http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2006.lamure_b&part=115636. (Si la seconde lien ne marche pas, il faut demander à Google de trouver cette phrase: "la IXe croisade Le mot "Croisade" est le terme le plus fréquemment utilisé") Pour de plus amples informations, voir la thèse de B. Lamure, "Les pèlerinages catholiques français en Terre Sainte au XIXe siécle," Université de Lumière Lyon 2, disponible à http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2006/lamure_b/info;

2. La croix à laquelle on a attaché Jésus était, disait-on, en bois d'olivier, Lucien Alazard, Souvenirs de mon pèlerinage aux Lieux-Saints (Rodez: Carrère, 1883), 416 pp. disponible gratuitement à gallica.fr. Sur la Croix, voir p. 266; et sur les oliviers en général, p. 177.

3. Alazard, Souvenirs.

4. Voir surtout Bertrand Lamure, "Le premier pèlerinage populaire de pénitence en Terre Sainte, l'ultime croisade, Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 2004, disponible à http://bcrfj.revues.org/index 119.html; et l'article dont nous avons empruntés quelques illustrations: "Pelerinages en Terre sainte, premiers pas d'une longue tradition des Augustins de l'Assomption," http://www.assomption.org. Voir aussi, pour un context plus large, S. Linon-Chipon, J.-F. Gennoc, et A. Blondy, Transhumances divines: récit de voyage et religion (Paris: Presses de la Sorbonne, 2005).

5. Alazard, Souvenirs, pp. vii, 392, 404

6. Pour une biographie du Père Picard, chercher à Google: "Francois Picard Assomption," et vous trouverez la page sur le site http://www.assomption.org. Voyez aussi l'article de Lamure, "Le premier pèlerinage..."

7. Alazard, Souvenirs, p. 2.

8. Alazard, Souvenirs, p. 6. Dieu le veut!: il emprunte la cette phrase d'Urbain II qui a lancé la première Croisade.

9. "Spiritualité chrétienne, Le Père Marie Antoine de Lavaur, Le combat de l'amour," http//spiritualitechretienne.blog4ever.com. Pierre l'Hermite a préché la première Croisade; et saint Bernard de Clairvaux a aussi préché la croisade.

10. Alazard, Souvenirs, pp. 28-29.

11. Alazard, Souvenirs, p. 144-145, et Une fête à Panat: "il a eu la pieuse sollicitude de [les] déposer sur la pierre du Saint-Sépulcre et sur le calvaire dans le trou de la croix que porta N.-S. J.-C."

12. Alazard, Une fête. La pierre de l'onction serait l'endroit où le corps de Jésus a été préparé avant son ensevelissement. C'est le lieu de la 13e station du chemin de croix.

13. Livre de la paroisse de Panat, p. 79.

14. Alazard, Souvenirs, p. 134.

15. Alazard, Souvenirs, p. viii, où il nomme tous les pèlerins aveyronnais.

16. Bourret était un grand sympathisant de pèlerinages: Lourdes, Ceignac, Conques, Estaing (saint Fleuret), Notre-Dame de la Carce (en Lozère), Notre-Dame d'Ay (en Ardèche), le bienheureux Jean-Gabriel Perboyre (un enfant du Lot), etc. 

 

First published in 2011 in Volume 1 with the URL http://ranumspanat.com/eglise_cure_croises.htm