Le 6 mars 1906 l'abbé Émile Cayron et les fabriciens qui
travaillaient étroitement avec lui, éprouvent, comme un gifle, les
répercussions de la loi du 9 décembre 1905. Depuis trois mois ils
attendent l'arrivée d'un fonctionnaire qui va inventorier le contenu de
l'église de Panat. Ce "percepteur" est enfin venu. Ils ne le savent pas
encore, mais ce jour même il y aura un mort au cours d'une protestation
violente contre la confection d'inventaires à Boeschepe, près de la
frontière belge.
Cayron et la fabriciens n'ignorent sûrement pas que,
depuis quelques semaines, des catholiques protestent et, armés de bâtons,
de fourches, et de barres de fer, se ruent sur le receveur de
l'enregistrement et des gendarmes qui l'entourent.
Face à cette montée de violence, les paroissiens de Panat restent calmes. Cayron et les membres de la fabrique se sont décidés de faire une résistance passive et par écrit: "Si vous voulez passer outre à vos opérations, nous ne vous empêcherons pas; mais nous n'y assisterons qu'en témoins passif[s] de votre inventaire."
A vrai dire, avant et pendant la confection de cet inventaire, les parossiens n’ont pas été "passifs."
Par exemple, comme jadis à Conques, où — ayant su que les autorités révolutionnaires allaient descendre sur l’abbaye et confisquer le trésor, — les paroissiens ont caché des objets précieux, les habitants de Panat auraient caché certains objets de culte. Par exemple, l’inventaire de 1906 indique la présence d’un "chemin de croix composée de 14 tableaux sur papier cadre bois uni surmonté d’une petite croix, 0.30 x 0.25 x 0.50" (AD, 9V12). Il ne peut que s’agir du chemin de croix bon marché qu’on voit dans une photo de l’intérieur de l’église romane prise vers 1888. Autrement dit, des paroissiens auraient caché le beau chemin de croix dont l’abbé Cayron était si fier, et l’auraient remplacé par les petits tableaux mesquins qui décoraient l’église abandonnée! De toute apparence ils ont fait la même chose pour la statue de sainte Anne.
Autre protestation passive: Le percepteur ayant voulu ouvrir la porte du tabernacle du maître-autel, l’abbé Cayron l’a empêché de commettre une telle profanation: "dans le tabernacle [de l’autel] et suivant la déclaration de M. le curé, qui s’est refusé à l’ouvrir, [il y a] un ciboire en argent."
Protestation à l'occasion de l'inventaire fait à l'église de Panat le 6 mars 1906 par le percepteur M. ..... [sic].
"Cette église est notre propriété chèrement acquise. Bâtie il y a 22 ans, elle est l'ouvrage de nos mains, le fruit de nos sueurs, le prix de nos deniers. Le mobilier acquis collectivement ou fourni par des ________ [illisible (1)] a été mis au service du culte paroissial. L'ancien presbytère, vieille masure acheté[e] en 1821, (2) fut mis au service du desservant.
Nous, curé et membres de la fabrique, nous sommes les gardiens de ces biens, au nom de la paroisse, au nom de notre évêque, au nom du Souverain Pontife, au nom de Dieu même à qui s'adresse le culte de notre foi. C'est pour nous un devoir rigoureux de conscience, et un droit de justice, de protester de toute[s] nos force[s] contre une loi inique et sacrilège qui n'est qu'un prélude de spoliation de la propriété. Loi que le Souverain Pontife a réprouvée et condamnée et que nous réprouvons et condamnons avec lui. Forts de nos droits, nous entendons les maintenir et nous ne cédons que devant la force. Les biens de l'église sont des biens sacrés. Les spoliations encourent la peine d'excommunication et nous ne voulons pas nous associer à de tels actes. Si vous voulez passer outre à vos opérations, nous ne vous empêcherons pas; mais nous n'y assisterons qu'en témoins passif[s] de votre inventaire.
Signé Cayron curé, M.M. Causse président, Andrieu trésorier, Belmont Louis, Palayret Blaise, Lacombe Hippolyte, membres de la fabrique. Cayron É, curé"
(L'original de cette protestation se trouve dans le dossier sur Panat, aux Archives départementales, dossier 9V12])
Vingt-cinq jours plus tard, l'abbé Cayron annonce officiellement sa retraite. Il vient de se retirer de ses fonctions, et il compte passer le reste de ses jours dans la maison qu'il a fait construire près de la nouvelle église:
"Je soussigné, Émile Cayron, né à Fréjamayous, paroisse de Saint-Hilaire,
le 31 juillet 1838, ordonné prêtre par Mgr Delalle le 10 juin 1865,
nommé dessert de la paroisse de Panat par Mgr Bourret le 29 novembre
1872, j'ai desservi cette paroisse jusqu'au mois de décembre 1906, c'est
à dire pendant 36 ans. J'ai donné ma démission entre les mains de Mgr
Charles de Ligonnès par raison d'âge et de santé. Je me suis retiré dans
ma maison d'habitation après avoir vu nommé pour mon successeur un très-excellent
prêtre, Monsieur l'abbé [Joseph] Sanhes, qui ne peut que me remplacer
que très avantageusement et faire le bien mieux que je ne l'ai fait
moi-même, malgré ma bonne volonté.
31 décembre 1906, à Panat,
Émile Cayron, prêtre"
Un des paragraphes finales du Livre de la paroisse révèle que, à peine les percepteurs partis, l'abbé Cayron a commencé des procedures qui permettraient de re-bénir son cher chemin de croix, ce témoin des "croisés" et du pèlerinage de Jérusalem de 1882. Seulement trois semaines après la désacralisation du chemin, un indult apostolique a été accordé; et en juillet 1907 Sanhes a été autorisé par son évêque de "renouveler l'érection" du chemin de croix:
"Je soussigné, Joseph Sanhes, curé de Panat, ai renouvelé l'érection
du chemin de la croix de l'église de Panat, enlevé à l'époque des
inventaires, le 26 juillet 1907. J'ai obtenu à cet effet l'autorisation
de Mgr Charles de Ligonnès, évêque de Rodez et de Vabres, le 23 juillet
1907. Cette autorisation m'a été accordée en vertu d'un indult
apostolique du 30 mars 1906, J. Sanhes, curé"
(Source: Livre
de la paroisse de Panat, pp. 86-90)
Notes:
Sur la loi de 1905, voir Wikipedia.fr, les articles intitulés: "Loi
de Séparation des Églises et de l'État," et "Querelle des Inventaires."
Nous utilisons ici une des illustrations du second article.
1. La
photocopie ne montre que la première lettre de ce mot, le mot final de
la ligne.
2. Pour le rachat de cette maison après la Révolution,
voir ci-dessus, p. 6.
First published in 2013 as http://ranumspanat.com/loi_1905.htm