Panat in postcardThe Ranums'

Panat Times

Volume 1, redone Dec. 2014

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Volume 1

Panat

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Marc-Antoine

Charpentier

Musical Rhetoric

Transcribed Sources


 

1495: un débat à propos de la réparation de la "forteresse" de Panat

Le 17 novembre 1495, Pierre d'Esclabissat, notaire public à Rodez, a dressé un "instrument public" qui résume un débat qui mettait en opposition les jurés, manants et habitants du "château" de Panat contre les manants et habitants de Fijaguet, Nuces, Roques, Serres, Montels, Saint Christophe, et plusieurs autres "mas" situés "dans la jurisdiction et baillage dudit château et chatellenie (1)

de Panat." Pour pouvoir s'exprimer de vive voix, et surtout pour trouver un accommodement, une quarantaine de personnes se sont assemblées ce jour-là à Clairvaux, dans l'auberge du Lion de la Croix.

L'instrument dressé par Maître d'Esclabissat renferme les données essentielles à tout procès-verbal: la date et le lieu de l'assemblée; les noms des assistants, ainsi que leur qualités et les lieux où ils habitent; leurs griefs; la décision des arbîtres. L'instrument renferme aussi de précieux renseignements sur Panat.

Quelques mots qui ont changé de sens

Avant de nous pencher sur cette la contestation que le notaire qualifie de "débat," "dispute," "question," "controverse" et " procès" -- et surtout avant de lire l'instrument public lui-même -- regardons de plus près plusieurs mots dont le sens a manifestement changé au cours des cinq siècles qui nous séparent de ce débat.

D'abord, le mot château. En 1495 -- et dans le parler du Vallon -- château désignait un village fortifié. Quand le notaire parle du château de Panat il fait donc allusion à un groupe de maisons et de jardins entourés d'un cercle de maisons dont les murs mitoyens se touchent (ou presque) et qui forment par conséquent un rempart protecteur. Au coeur du château de Panat se trouve le réduit où on peut se refugier en dernier recours: de nos jours les habitants de Panat appellent ce réduit "le château."

Le mot mas a aussi changé de sens. De nos jours, un mas est une grande ferme isolée et autonome situé surtout dans le Midi de la France. Mais à la fin du XVe siècle, pour les habitants du Vallon un mas était un groupe de plusieurs maisons sans fortifications, c'est-à-dire, un petit village ou un hameau. Fijaguet, Nuces, Roques, Serres, Montels, Saint-Christophe, "Cantrem" et Cassagnettes (Cassanhettes), "Melliac," et "La Cayrède" sont, pour Maître d'Esclabissat, des mas. Parfois, au lieu d'écrire mas, le notaire emploie le mot fourq: "les habitants du fourq du Causse et ceux du fourq de La Rebieyra." (Comment identifier le fourq "du causse" ou "du Causse"? Le fourq de La Rebieyra" serait La Rivière, près de Montfranc.)

Le notaire donne aux personnes qui résident dans ces mas et dans ces fourqs une qualité particulière: ils sont des fourtains, (2) des personnes qui demeurent "en dehors" du château de Panat et son faubourg. (3) En revanche, le notaire n'emploie jamais cette expression pour désigner les habitants du château de Panat.

Les "Fourtains" contre les habitants du château

Le procès-verbal du notaire révèle à quel point l'optique des fourtains diverge de celle des habitants du château.

Selon les fourtains, la dissention vient de la conduite des habitants du château: ils "imposaient de grandes tailles [impots] pour réparer le château, et n'y réparaient rien...." En effet, dans les vingt dernières années les fourtains ont contribué plus de 600 livres, dont seulement 50 ont été déboursées pour la réparation du château. Pire encore, les habitants du château "ne permett[ent] jamais que les jurés élus par les fourtains soient présents et puissent voir à quoi ils convertissent ces deniers." Car, continuent les fourtains, les jurés du château ont converti tout l'argent à "leur propre utilité, et [l'ont] employé à leurs usages et affaires propres." (Pis encore, à en juger des remontrances des fourtains, l'argent s'était surtout employé pour fortifier, voire embellir les "demeures et courettes" des "hôtel privés" appartenant aux "cosseigneurs" et aux "barons.")

Le pire de tout, c'est que cela se passe dans une période d'instabilité et de crainte. Les historiens disent que grosso modo la guerre de Cent Ans s'est terminé quarante ans plus tôt, en 1453; mais en 1495 les plateaux et les vallons du Rouergue sont toujours sillonnés par des "routiers," c'est-à-dire, des soldats-bandits mercénaires à la solde du roi de France. Les routiers prennent vivres, blé, moutons, boeufs, vaches, mulets, porceaux. (4) On ne doit donc pas s'étonner si les fourtains fassent allusion aux dépradations commises par les routiers; et qu'ils parlent à plusieurs reprises du rôle que Panat, "fort et quasi imprenable," pourrait jouer comme "gardien de la chose publique": "s'il y avait quelque guerre"; "en temps de guerre ou autrement...." Le procès-verbal précise que ce profond sentiment d'insécurité dure depuis au moins trois décennies: "... depuis trente ans, à cause de la guerre..." Autrement dit, pour les habitants du Vallon, la guerre de Cent Ans n'est pas finie!

Dans ce climat d'insécurité, le château de Panat sert comme "gardien de la chose publique," -- c'est-à-dire, de la res publica, le bien être du peuple. C'est du moins la théorie. Mais la pratique prouve qu'il n'en est rien. Car, "quand lesdits fourtains, en temps de guerre ou autrement, voudraient s'y réfugier, ils ne trouveraient pas place de mettre la tête, encore moins leurs biens, et devraient rester à découvert." En effet, les fourtains n'ont "aucunes propriétés, préaux, ni maisons dans ledit château, ou si par hasard ils y en avaient, c'était en très petit nombre." Autrement dit, les remparts, pour la réparation desquels ils sont taxés chaque année, ne leur servent à rien. Afin de protéger leurs bêtes, leurs meubles, leurs semances, leurs récoltes, il leur faudrait pouvoir "emporter leurs biens sur deux lieues, alors que "les hommes d'armes sont déjâ à leurs maisons et prennent leurs biens à leur aise." Et si jamais un fourtain tente de mettre ses bêtes à l'intérieur des remparts de Panat, "les manants dudit château [jettent] dehors leur bétail, ... et cela en cas de nécessité."

En revanche, les habitants du château ont peu à craindre: ils ont "leurs maisons à l'intérieur du château" et ils "ont tout autour leurs vignes, prés, jardins, et autre possessions." Ainsi, "depuis trente années, à cause de la guerre, les habitants du château "n'ont pas perdu même un poulet ni sa valeur."

Pour ces raisons, depuis "il y a peu de temps," le fourtains "se mett[ent] chaque jour en refus de payer" leur part des taxes. Et les habitants du château non seulement font le procès aux fourtains, mais aussi, pour payer les frais de justice, ils utilisent les sommes que les fourtains contribuaient!

L'arbitration

Dans l'espoir de mettre fin à cette controverse, une quarantaine d'hommes (et une femme qui représente son époux) sont donc venus des quatre coins de la châtellenie et se sont réunis dans l'auberge de Clairvaux, où des habitants du château les ont rejoints. Tous ont déclaré vouloir "éviter les dépenses" en mettant fin aux procès coûteux qui risquent d'être sempiternels. Ils ont élu des arbitres afin de de "parvenir à la paix et à la concorde" à propos de "plusieurs tailles imposées autrefois par les jurés du château [de Panat], pour les réparations dudit château."

Les arbitres ont commencé par faire une tournée d'inspection à Panat, "pour voir ledit château et quelles réparations étaient nécessaires." Dans un second temps, ils ont demandé que chaque habitant déclare le montant des "gages" qu'il a payées pour l'entretien du château.

Cela fait, les arbitres ont annoncé leur décision:

-- Tous les habitants des mas ainsi que les habitants du château, seront tenus à contribuer à la réparation des murailles bombées (guachiels), des portes fortifiées (barbacanes), and des "petits prés communs" ("courettes?" s'est-demandé Louis d'Adhémar de Panat).

-- Mais les fourtains ne peuvent pas être "tenus aux réparations des murailles qui font clôtures aux hôtels privés dudit château, ni à faire mettre des barres aux fenêtres, ou des grilles aux demeures et courettes" des particuliers, ni aux maisons des nobles (barons) qui logent dans le "réduit" du château (c'est-à-dire, la fortification au sommet du village que nous appellons de nos jours "le château").

-- Aucun habitant ni fourtain n'aura désormais à y mettre aucun travail et manoeuvres, pierre, chaux, ni sable. On fera venir "des maîtres" (des maîtres maçons) qui établiront le prix le plus avantageux, feront le travail manuel, et prendront en charge le déboursement des impositions.

-- Les fourtains auront désormais le droit de jouir "des prés intérieurs dudit château comme ses habitants, sans que les manants dudit château puissent jeter dehors leur bétail."

-- Un barême de taxation est proposé, en attendant une nouvelle estimation de la taille. Ces impositions varient selon le lieu: par exemple, un habitant de Panat paiera 3 livres 12 sous (il y avait 20 sous dans une livre); Fijaguet, 1 livre 17 sous; Saint-Christophe, 1 livre 12 sous; Roques, 1 livre 2 sous; Nuces, 1 livre; Serres, 9 sous; Montels, 8 sous.

Quelques détails sur l'aspect du village qu'on appellait le "château de Panat "

Le notaire laisse tomber des phrases qui jettent tant soit peu de jour sur l'aspect de Panat en 1495, et sur celui du le village actuel aussi.

-- Le village était "fortifié," mais sans les cercles de murailles que le père du comte Louis d'Adhémar imaginait sur une vieille carte postale.

-- Les fortifications à Panat consistaient en un cercle (ou plutôt un ovale) de maisons avec des solides fondations en pierre: il y avait "plusieurs maisons dans ledit château qui faisaient la muraille."

cercle de murs sur le cadastre

Dans le détail du cadastre ci-joint, ce cercle, cet ovale, est marqué en rouge. Ici et là des maisons manquent, mais le cercle se devine facilement, car on peut supposer que les soubassements qui existaient en 1495 ont été repris lors de la construction de maisons plus modernes, ou bien ont été transformés en murs de soutènement pour des jardins. Prenons à titre d'exemple le jardin du château-réduit: il s'appuie sans doute sur des caves voûtées ou autres constructions éffondrées. Une des maisons dans ce cercle était la "maison romane," avec son soubassement massif: elle est rehaussée d'orange sur le plan. La maison romane s'élève au centre de cette vieille photo; et au fond et à gauche on voit les murs solides de l'ancien presbytère-école, qui existait déjâ en 1495.

maison romane

-- Quand les maisons ne se touchaient pas, ou quand les fenêtres des étages inférieurs donnaient sur l'extérieur de cette "muraille," les devoirs de cloison (5) obligeaient les habitants à renforcer un mur ou à barrer une porte ou une fenêtre. Au château de Panat, par suite de la politique des jurés, souvent ces renforcements manquaient: "ils ne réparaient pas les maisons faisant les murailles," et il y avait "plusieurs maisons dans ledit château qui faisaient la muraille et dans lesquelles il y avait beaucoup de fenêtres qui n'étaient point pourvues de barres."

-- Panat avait au moins deux portes fortifiées -- barbacanes, au pluriel. Une des ces portes donnait sans doute accès au chemin public qui, jusqu'aux années 1960, menait au "village del Bac" (vert). L'autre barbacane était celle du Barry, c'est-à-dire, l'entrée principale du village qui permettaient aux visiteurs et aux gens du faubourg de pénétrer dans le "château." On ignore l'emplacement exact de cette porte, parce que les terrassements occasionnés par la construction d'une route carrossable vers 1880 auraient fait disparaître toute trace du Barry, à supposer que des traces existaient toujours.

-- Sans être un village fortifiée à la manière de Carcassonne, Panat possédait plusieurs guachials (ou guachiels), c'est-à-dire des murailles bombées. Cela expliquerait l'existence de la tour ronde transformée en base de four, si joliment restaurée par la famille Couderc (jaune).

-- Au coeur du "château de Panat" se dressait le "réduit du château," c'est-à-dire le château proprement parlé (bleu). En effet, le notaire fait allusion à des "demeures... des barons [nobles] qui sont dans le réduit du château."

-- Il y avaient aussi "des hôtels privés," et des "maisons ou courettes des cosseigneurs." L'ancien presbytère-école, avec sa cheminée gothique, (numéro 43 sur le plan) serait une de ces maisons. La "maison romane" (orange) en serait une autre.

-- A l'intérieur des murailles, il y avaient des "prés" pour le bétail.

-- À l'extérieur des murailles, les habitants du château cultivaient leurs jardins et leurs vignes: "les habitants qui aient leurs maisons â l'intérieur du château et qui ont tout autour leurs vignes, prés, jardins, et autres possessions..."

 

Notes:

1. La châtellenie ou mandement était le territoire exploité et protégé par un "château. Cette circonscription -- la plus petite du découpage administrative --- regroupait à la fois des fonctions administratives, militaires et financières.

2. Les mots fourq et fourtain semblent venir du latin foris, foras, foraneus, "en dehors," c'est-à-dire, vivant hors des murs du château de Panat.

3. Voyez la page sur le "bourg castral" de Najac, chez http://patrimoines.midipyrenees.fr/, qui décrit la formation de la banlieue de Najac à travers les années. À Panat les maisons Aussibal-Anastassiou, Lacombe, Ranum, Pernot et de la Roque auraient constitué ce genre de faubourg.

4. J. Rouquette, Le Rouergue sous les Anglais (Millau, 1887), pp. 429, 448.

5. Michael Wolfe, Walled Towns and the Shaping of France, from the Medieval to the Early Modern Era (New York, 2009), pp. 64-65.