Panat in postcardThe Ranums'

Panat Times

Volume 1, redone Dec. 2014

Contents

Volume 1

Panat

Orest's Pages

Patricia's Musings

Marc-Antoine

Charpentier

Musical Rhetoric

Transcribed Sources


 

Le "zélé" abbé Émile Cayron

et les "difficultés" qu'il surmonte, 1878-1885,
pour faire construire la nouvelle église de Panat

 Les trois textes publiés dans le Volume 1 en 2011 à propos de la décision prise vers 1880 de construire une nouvelle église à Panat - joints à quelques évocations du projet dans l'obituaire de l'abbé Émile Cayron, publié sur ce site plus récemment - insistent d'une manière voilée sur des difficultés encourues par l'abbé.

Selon ses amis prêtres, des "difficultés," des "oppositions" lui sont envoyées par "le diable." Cayron les surmonte grâce à sa fortitude et sa résolution. (À la fin de cet article, Annexe I, nous présentons quelques morceaux choisis sur cette "petite épopée.")

Grâce aux textes susdits, on a pu faire, en 2011, un premier pas vers une compréhension du rôle que l'abbé Cayron a joué dans la création de la nouvelle église de Panat. Il faut toutefois se méfier de ces narrations - et ces évocations du Diable - qui sont parfois bien hyperboliques.

En 2012 nous avons fait un second pas vers une compréhension de ces "difficultés," ces "oppositions." Aux Archives départementales de l'Aveyron nous avons consulté le dossier 4V36 ("secours aux églises") qui renferme les papiers relatifs à la construction de l'église de Panat. Ces documents permettent non seulement de mieux comprendre la nature des difficultés auxquelles le curé de Panat a fait face entre l'automne de 1878 et les derniers mois de 1885, mais aussi de faire la différence entre hyperbole et fait.

Dès sa nomination comme curé de Panat en 1872, Émile Cayron ne pouvait ignorer que des travaux assez coûteux s'imposaient pour la petite église du village: elle était non seulement disgracieuse, elle menaçait ruine.

En effet, lors d'une visite pastorale en 1868, sans mâcher ses mots Mgr Louis-Auguste Delalle, évêque de Rodez, a parlé aux membres de la fabrique (c'est-à-dire, aux personnes, prêtres et laïcs, chargées de l'administration des finances affectées à la construction et à l'entretien d'une église ou d'une chapelle). Il les a informé que:

La voûte de la nef devait être relevée et mise de niveau avec celle du sanctuaire. Monsieur le curé [Amans Besse] et M.M. les fabriciens ont répondu à Monseigneur qu'ils avaient pris déjà une délibération pour cela, mais que l'exécution de cette réparation avait été ajournée jusqu'à ce que la fabrique eut au moins la moitié des fonds nécessaires (Livre de la paroisse de Panat, pp. 51-52).

 Une photo de l'intérieure de l'église, prise vers 1888 (elle fait partie des collections de la Société des Lettres de l'Aveyron) montre ce plafond bas et irrégulier, ainsi que les voûtes bien plus hautes du sanctuaire gothique.

interior vault of old church

Pour le curé et les fabriciens, les suggestions prononcées par un évêque à la fin d'une visite pastorale sont aussi formelles qu'une ordonnance écrite. Il y faut obéir. Mais dans une paroisse si pauvre, comment la fabrique peut-elle éliminer ce plafond ingrat?

Ayant balancé pendant une dizaine d'années entre la réparation de la vieille église et la construction d'une nouvelle, le 6 octobre 1878 les fabriciens -- le nouveau curé, Émile Cayron, et Messieurs Palayret, Causse, Portal et Révolte -- se prononcent en faveur d'une nouvelle église. Voici le raisonnement de ces responsables:

--- l'église est fort dégradée et insuffisante;
--- son emplacement rend difficile les réparations nécessaires;
--- sa situation actuelle n'est pas centrale (c'est une considération extrêmement importante pour la hiérarchie ecclésiastique de l'époque);
--- construire sur un terrain plus commode coûtera moins cher qu'on ne l'imagine, parce que les matériaux se trouvent sur place et leur transport est facile;
--- la fabrique est sûre de pouvoir disposer d'au moins 12000 francs, et pense pouvoir obtenir un "secours" du ministère des cultes.

Pour ces raisons, la fabrique se décide de construire une nouvelle église, de préférence sur un patus communale situé à l'éntrée du village. (Pour le procès-verbal de cette discussion, voir ci-dessous, Annexe II.)

La fabrique lance immédiatement une "souscription." Une copie conforme de cette souscription permet de dire que, dès novembre 1878, la fabrique pouvait effectivement compter sur 8058 francs 50 en souscriptions (nous présentons cette Souscription séparément dans sa totalité. Le même dossier renferme un "état des ressources de la fabrique de Panat," dressé le 22 mars 1879. Ce document révèle que les ressources de la fabrique montaient à 12198 francs 50, y compris la souscription. La décision des fabriciens se fonde-t-elle sur des calculs solides?

Pendant les premiers mois de 1879, le projet s'avance à merveille -- et plus ou moins selon les prévisions des fabriciens. Ces derniers entrent en pourparlers avec le conseil municipal de Clairvaux qui, au printemps de 1879, leur cède le patus situé à l'entrée du village. Vers la même époque, les fabriciens entrent en contact avec le jeune architecte départemental, qui fait des plans et dresse ensuite un devis estimatif.

En somme, jusqu'à l'été de 1879, le projet avançait comme prévu. Cet état des choses est résumé dans les Rapports/proces-verbaux du Conseil général de l'Aveyron pour 1879, p. 37, que nous reproduisons dans notre Chronologie de la construction de l'église et quelques données sur le coût de l'ensemble" publié sur ce site en 2011.

Mais bientôt les difficultés se présentent. Tout d'abord, le devis de Henry Pons dépasse largement (environ 4500 francs!) les 12000 francs prévus par la fabrique; et le conseil municipal de Clairvaux annonce que, à part le don du patus, il ne peut rien contribuer. (1)

Les fabriciens ne semblent pas trop s'inquiéter toutefois. Ils ont déjà sollicité un "secours"; et en avril 1879, ils sont informés que la préfecture leur a accordé un secours de 2000 francs.

D'ailleurs, les fabriciens savent que l'évêché et la préfecture regardent ce projet avec bienveillance. Par exemple, en août 1879, dans une lettre adressée au ministre des cultes, le préfet note que:

L'église actuelle de Panat est insuffisante pour contenir la population de la paroisse; elle est en très mauvais état et sa restauration serait presque aussi coûteuse que la reconstruction. L'utilité de l'entreprise étant justifiée, je suis d'avis, M. le Ministre, qu'il y a lieu d'accueillir favorablement la demande de secours présentée par la fabrique de Panat. (2)

Bref, Émile Cayron et les fabriciens n'ont guère de raisons d'envisager des "difficultés"; mais ils auront bientôt à surmonter une succession de mauvais coups. Regardons de plus près les difficultés qu'ils rencontrent à partir de l'été de 1879 et qui, au fil des mois, sembleront de plus en plus insurmontables à l'abbé Cayron.

Tout d'abord, le devis estimatif que Henry Pons a signé le 25 mars 1879 monte à 16497 francs 39, y compris l'honoraire de l'architecte. (3) Autrement dit, les 12000 francs que la fabrique avait budgétisés ne suffiront point: il faudra combler un déficit de plusieurs milliers de francs. (4)

Déjà en 1879, Cayron s'inquiète. Lors de la souscription de novembre 1878, il avait lui-même promis 500 francs, "demi payable au premier janvier [1879] et le restant réservé pour l'intérieur s'il n'y a pas changement de ____ [illisible]." Or, une note ajoutée à ce document révèle que la souscription de Cayron a été "annulée par le changement par l'évêque ou la non mise à exécution d'ici à janvier 1880." En somme, tout se passe comme si, en janvier 1880 - et tenant Mgr Bourret (5) pour responsible d'un retard - l'abbé a retiré au moins une partie de sa souscription personnelle.

Or, une "opposition" s'organise. En effet, depuis août 1879, au plus tard, l'orage gronde au loin, d'abord dans le bureau du préfet à Rodez et ensuite au bureau parisien du ministre des cultes. Le 26 décembre 1879, dans une lettre qu'il adresse au ministre, le préfet mentionne une pétition contre la construction d'une nouvelle église. Elle circule depuis le mois d'août:

J'ai l'honneur de vous adresser une pétition par laquelle la majorité des habitants de cette paroisse proteste contre cette reconstruction et réclame une simple réparation de l'église actuelle. Vous apprécierez, Monsieur le Ministre, si dans ces conditions il y a lieu de soumettre cette affaire à une instruction nouvelle et de surseoir à l'allocation du secours sollicité.

Puis, en février 1880, vient un troisième mauvais coup: le ministre des cultes propose des modifications au projet primitif de Henry Pons (arceaux plus massifs, fondations plus profondes). L'architecte refait les plans. Heureusement pour Panat, le devis restera inchangé: 16479 francs et 39 centimes. Le ministre ne se fie toutefois pas aux estimations de Pons; en mars ce dernier est obligé à se défendre par une lettre très intéressante que nous publierons séparément). (6) Pour tenir compte de ces modifications, les discussions reprennent à la fabrique et au conseil municipal; elle dureront plusieurs mois.

En mai 1880, vient un quatrième coup. La fabrique doit démontrer au préfect et au ministre que la pétition qu'on fait circuler depuis un an, n'exprime pas la volonté de la majorité des paroissiens. Cayron dresse une table détaillée qui montre la position prise par chaque maisonnée de la paroisse.

La visite pastorale de Mgr Bourret, le 18 juillet 1880, vient donc à un moment critique: la pétition contre la nouvelle église sème le désarroi, et les frais de construction ne cessent de monter. Les mots que le prélat prononce à la fin de sa visite -- "l'église n'avait aucune valeur comme église et qu'elle ne pouvait supporter aucune réparation, pas même un clou. Il fallait donc la refaire à neuf et transférer au bas du village dans le col de la montagne" (7) -- ont-ils pour but d'inciter les paroissiens à oublier leurs différents, à ne plus se diviser en "majorité" et en "minorité"?

À ces difficultés s'ajoute la nécessité de demander un "secours" supplémentaire, avec toute les démarches que la confection de ce genre de dossier comporte. En mai 1881 la demande est transmise au ministre. (Quelques-unes des "copies conformes" exigées par les autorités sont de la main du pauvre abbé Cayron.)

En mai 1881, la préfecture et le ministère recommencent donc, plus ou moins à neuf, leur évaluation des différents dossiers liés à la construction d'une nouvelle église à Panat. Quelques mois plus tard, le 12 juillet 1881, les nouveaux plans et le nouveau devis estimatif de Henry Pons sont acceptés par la prefecture. (8) Presque trois ans après avoir décidé en faveur de la reconstruction de l'église, la fabrique est enfin autorisée à construire! Il est temps, car selon le préfet, "la toiture ... menace ruine et ... pour éviter des accidents il est urgent de procéder à la démolition." (9) (Vers 1885-88, deux chapelles seront amputées de la vieille église; mais on ne la démolira pas.)

La fabrique peut enfin lancer une "adjudication" (de nos jours on dirait un "appel d'offre") pour la somme de 16479 francs 39 centimes ("la dépense y compris une somme de 1498.12 pour frais imprévus et honoraires de l'architecte, s'élève à la somme de 16479.39"). Selon une affiche imprimée sur un papier vert tape-à-l'œil (la fabrique en a autorisé l'impression le 16 août 1881), cette adjudication devait avoir lieu le 4 septembre suivant. De toute apparence, l'adjudication est annulée.

Ce n'est que treize mois plus tard, le 24 septembre 1882, qu'une adjudication pour la même somme et sous les mêmes conditions (elle aussi annoncée par une éclatante affiche verte) aura lieu. (10) François Poujol est choisi comme entrepreneur. Plus mystifiant encore que cette décision de rapporter l'adjudication, est le fait qu'aucune démarche administrative n'est mentionnée dans ce dossier, entre le 4 septembre 1881 et le 24 septembre 1882.

C'est pendant ce silence des documents que l'abbé Cayron fait son pèlerinage en Terre Sainte, avril-juin 1882. Pendant le voyage sur mer, il se lamente à ses confrères:

     Tourmenté par on ne sait quelle mauvaise inspiration, il raconta toutes les difficultés que rencontraient ses projets et il conclut en disant qu'il était incapable de les surmonter. Fort heureusement que ces paroles furent entendues d'un homme [le carismatique père Marie-Antoine] qui s'entend à relever les courages.
     « Quand on va à Jérusalem, lui réplique le P. Marie-Antoine, il n'est pas permis de prendre la résolution de reculer devant le diable. Vous ferez votre église. Vous la commencerez aussitôt après votre rentrée. ... L'abbé Cayron accepta le défi. Rentré au milieu de son troupeau, il passa par-dessus toutes les difficultés qu'il tourna ou qu'il brisa. (Revue religieuse de Rodez, 29 janvier 1886, p. 74)

Le contenu du dossier 4V36 permet de dire avec assez de précision quelles étaient le principales difficultés dont l'abbé Cayron pouvait se lamenter en avril 1882:

--- un devis estimatif qui dépassait les ressources de la fabrique de Panat;
--- des modifications imposées par le ministre des cultes, et qui ont occasionné des frais supplémentaires inattendus;
--- une protestation par des paroissiens qui s'opposaient au projet;
--- l'annulation de l'adjudication prévue pour septembre 1881;
--- la fatigue occasionnée par la confection des innombrables "copies conformes" exigés par l'administration;
--- les lenteurs de cette administration. (11)

La prophétie du père Marie-Antoine se réalise. Le premier juillet 1883, huit mois après l'adjudication, on pose la première pierre de la nouvelle église. Cela ne veut pas dire que "le diable" évoqué par le père Marie-Antoine -- "le diable qui se met en travers pour empêcher que la nature ... soit taillée et embellie pour servir à la construction d'un temple en l'honneur du Dieu de l'Eucharistie" -- a plié baggage! Ce retard de huit mois s'explique par l'instabilité du sol, c'est-à-dire, par "la nature." En faisant les excavations pour les fondations, MM. Poujol et Pons (ce dernier porte le titre "architecte chargé de la direction des travaux") constatent que:

la nature du sol sur lequel repose l'église nécessite des fondations plus profondes et plus coûteuses que celles qui étaient prévues. Le sol, formé d'une succession d'argile et de grès rouge, a dû être creusé en redents, d'où une augmentation de 1278 fr 55 pour le terrassement et les fondations sur le chiffre porté au devis. (12)

Auquel s'ajoute, bien entendu, un honoraire supplémentaire pour l'architecte!

En dépit d'un déficit toujours grandissant que les paroissiens s'avouent incapables de combler, et en dépit des obstacles techniques qui tourmentent l'architecte et l'entrepreneur, dans le patus à l'entrée du village une "gracieuse" petite église avec un clocher "élégant" se construit. Le 5 octobre 1884, Mgr Bourret préside à la bénédiction de l'édifice.

Le 15 janvier 1885, le préfet prend parti pour la fabrique endettée. Insistant sur la pauvreté de la paroisse, il informe le ministre de la justice et des cultes de sa décision d'accorder un nouveau secours de 1200 francs. Autrement dit, la préfecture prend en charge la quasi totalité des frais supplémentaires occasionnés par l'instabilité du sol.

Considérant que la paroisse de Panat est très pauvre; que les vignes qui constituent la principale ressource de ses habitants sont ravagées par le phylloxéra; que la fabrique se trouve sans ressources pour combler le déficit où l'architecte l'a engagée, [le préfet] est de l'avis qu'il y a lieu d'accorder à la fabrique de Panat un secours supplémentaire de 1200 francs.

Pour la préfecture, ce secours a permis de clore le dossier sur Panat.

Mais pour la fabrique, recevoir ce secours ne veut pas dire éliminer le déficit: au moins 600 francs restent à payer. Peu à peu, les fabriciens s'éfforcent de payer cette dette. (13) En 1906, quand la fabrique se dissout par suite de la loi de séparation de 1905, les fabriciens déclarent avec une certaine fierté qu'ils n'ont plus que 400 francs à payer:

Les membres de la fabrique de la paroisse de Panat déclarent que la somme de deux cent francs de recettes réalisée pendant les exercices 1905 et 1906, ont été employée à amortir une dette de six cents francs contractée à l'occasion de la construction de l'église, laquelle dette n'est plus à partir d'aujourd'hui que de quatre cents francs.

 

Annexe I

Quelques morceaux choisis sur "l'épopée" où l'abbé Cayron a fait construire un nouvelle église en dépit du "Diable" (nous montrons en caractères gras les mots les plus évocateurs)

1 "La paroisse de Panat avait une église bien pauvre, bien délabrée, peu digne de son passé historique et surtout de sa destination. Son zélé pasteur vient de la remplacer par une nouvelle qu'envieraient aujourd'hui beaucoup de paroisses plus favorisées des dons de la fortune. Située au pied de l'escarpement que domine l'ancien château des seigneurs de Panat, à l'intersection de deux routes, elle présente sa gracieuse façade et son élégant clocher avec une satisfaction bien justifiée." (Azémar, curé de Valady, dans la Revue religieuse de Rodez, 1884, p. 651)

2 "Car il faut le dire, la gracieuse église de Panat est sortie d'une généreuse résolution prise en 1882 pendant le premier pèlerinage national de Terre-Sainte. [Cette affirmation est inexacte: on a vu que la résolution to construire une nouvelle église a été prise en octobre 1878.]

C'est une petite épopée qui mérite d'être rapidement racontée.

Depuis bien des années, tout le monde convenait qu'il fallait restaurer l'église servant autrefois de chapelle au manoir qui couronne le mamelon sur le flanc duquel est construit le village.
Mais l'édifice, si édifice il y a, ne se prêtait guère à une restauration.

On songea donc à une reconstruction. Mais c'est ici surtout que les difficultés s'accumulèrent. ... Presque toutes les constructions d'église trouvent d'incroyables obstacles. C'est le diable qui se met en travers pour empêcher que la nature créée dont il voudrait être le maître soit taillée et embellie pour servir à la construction d'un temple en l'honneur du Dieu de l'Eucharistie.

...M. l'abbé Cayron a éprouvé toutes les difficultés de cette opposition. Mais il a vaillamment persévéré.

Cependant les meilleures volontés se lassent. Aussi l'abbé Cayron eut-il quelques heures d'hésitation.

... Tourmenté par on ne sait quelle mauvaise inspiration, il raconta toutes les difficultés que rencontraient ses projets et il conclut en disant qu'il était incapable de les surmonter. Fort heureusement que ces paroles furent entendues d'un homme [le père Marie-Antoine] qui s'entend à relever les courages.

« Quand on va à Jérusalem, lui réplique le P. Marie-Antoine, il n'est pas permis de prendre la résolution de reculer devant le diable. Vous ferez votre église. Vous la commencerez aussitôt après votre rentrée. Elle sera le monument qui racontera aux générations futures que le pasteur de cette paroisse a visité les Saints Lieux et y a puisé le courage d'élever une belle église en l'honneur du Dieu du Calvaire ».

L'abbé Touzery [qui, à l'évêché, s'occupait des formalités nécessaires auprès des autorités civiles] applaudit chaleureusement à ce langage.

L'abbé Cayron accepta le défi. Rentré au milieu de son troupeau, il passa par-dessus toutes les difficultés qu'il tourna ou qu'il brisa.

Un an après, le 1er juillet 1883 en la solennité des apôtres saint Pierre et saint Paul eut lieu la bénédiction de la première pierre."(sans signature, mais à la fin d'une copie manuscrite de l'article préservé par l'abbé Cayron, ce dernier a noté: "Compte-rendu de la Revue Religieuse de Rodez, du 29 janvier 1886, par l'abbé Alazard")

3 "L'ancienne église n'était plus convenable, vu son mauvais état et n'était pas apte à être restaurée, ce qui a été déclarée par les autorités civiles et ecclésiastiques, où [l']avis a été à la construction d'une nouvelle église. ... Cela n'a pas été sans souffrir certaine difficulté. Les uns voulaient la restauration de l'ancienne, mais tout examiné il a paru nécessaire de construire à neuf et même de la transporter sur un nouvel emplacement. Ce qui a été arrêté et conclu qu'on ferait une église neuve et placée à l'entrée du village, comme cet endroit étant plus central. Une souscription fut faite dans la paroisse au nom de la fabrique, les plans et devis furent dressés par M. Pons, architecte du département et approuvés au ministère et à la préfecture le 21 juillet 1881. Enfin les travaux ont été donnés à l'adjudication dans le courant de l'année 1882. Les fondations en ont été jettées le 1er juillet 1883." (L'abbé Émile Cayron, dans le Livre de la paroisse de Panat, p. 70)

4 "À son arrivée à Panat, il ne trouva point d'église: les fidèles se réunissaient pour les offices dans la chapelle du château du comte de Panat. Le bon curé eut vite compris qu'à cette population il fallait une église indépendante. Bien de difficultés l'attendaient: les vignes avaient péri, les paroissiens étaient pauvres et ne s'entendaient pas sur l'emplacement, l'État distribuait des secours avec parcimonie, les confrères se montraient sceptiques, ses supérieurs ne l'encourageaient guère, le diable enfin s'en mêlait. Mais lorsque M. Cayron avait une idée en tête, bien malin aurait été celui qui l'aurait convaincu du contraire; il se mit donc l'œuvre malgré tout le monde et amena son œuvre à bonne fin." (Revue Religieuse, 1920, archives de l'évéché de Rodez)

Annexe II

Procès-verbal de la décision de construire une nouvelle église (octobre 1878)

Considérant que l'église se trouve dans un état déplorable, la nef irrégulière, écrasée, et demandant à ce que la toiture soit reconstruite ainsi que les murs latéraux, le clocher dégradé, la sacristie tout à fait insuffisante ne mesurant qu'une surface que quatre mètres carrés.
Considérant que les réparations ne peuvent se faire sur le même emplacement sans occasionner des dépenses considérables qu'il est toujours difficile de préciser d'avance quand il s'agit de vieilles réparations. Les transports fort difficile à cause du site, et puis pas possibilité d'exécuter un ouvrage régulier.

Considérant que l'emplacement actuel est peu central tandisque en la transférant à l'entrée du village elle sera plus à portée pour toute la population de la paroisse. Les divers chemins des hameaux de la paroisse aboutissent tous à ce point: ainsi route de Serres, chemins de l'Issalinie et de la Frégière, avenue de Panat sans que le lieu se trouve incommodé, puisque quelques maisons se trouvent plus rapprochées de ce point, quelques autres à peu près même distance, et quatre ou cinq maisons seulement un peu moins rapprochées.

Le seul obstacle qui détournait d'abord quelques personnes de la reconstruction sur un nouvel emplacement était les frais que, disaient-elles, seraient beaucoup plus considérables. Or, il est facile de montrer que la dépense ne sera guère plus considérable attendu que les matériaux seront presque sur place, les transports beaucoup plus faciles, et les souscriptions beaucoup plus abondantes.

C'est ainsi que la dépense pourrait être couverte par les souscriptions volontaires de la paroisse que dépasseront huit mille francs. Les fonds de la fabrique près de trois mille francs et les vieux matériaux peuvent s'évaluer à douze cents francs ainsi attendrons-nous le chiffre de douze mille francs et si ces fonds ne suffisent pas, la fabrique priera le gouvernement de venir à son secours.

Pour tous ces motifs le conseil de fabrique à l'unanimité a reconnu la nécessité et l'urgence de reconstruire son église et de la placer à l'entrée du village. Il destine une somme de deux mille huit cents francs dont il peut disposer à cette fin. Il achevera une souscription déjà commencée qui atteindra au chiffre de huit mille francs. Il aura encore les vieux matériaux qui peuvent se porter à trois cents francs. Ainsi la fabrique de Panat pourrait fournir la somme de douze mille francs. Le conseil pour mettre ses projets à l'exécution se propose de demander au conseil municipal de Clairvaux de lui céder gratuitement le patus communal nécessaire."

Annexe III

Les démarches auprès du préfet, 1881-1885

Une Minute d'avis signé par le préfet le 15 janvier 1885, résume les démarches des fabriciens et de l'administration civile. Nous reproduisons ici la totalité de la minute, y compris les passages rayés. Quasiment tous les documents mentionnés dans cette minute se trouvent dans le dossier 4V36:

"Vu les pièces du projet de reconstruction de l'église de Panat, commune de Clairvaux, ledit projet approuvé le 15 juillet 1881; ensemble le décompte des travaux exécutés;

Vu le devis estimatif des travaux supplémentaires présenté par la fabrique de Panat, à l'appui d'une demande de secours supplémentaire à l'État et le rapport de l'architecte, directeur des travaux;

Vu la délibération du conseil de fabrique de Panat, en date du 20 avril 1884, et le budget de cet établissement religieux pour l'exercice 1884;

Vu la délibération en date du 23 juin 1884, du conseil municipal de Clairvaux, les budget primitif et supplémentaire de cette commune pour le même exercice;

Vu l'avis de la commission des bâtiments civils du département, en date du 9 octobre 1884;

Vu l'avis de M. l'évêque de Rodez en date du 4 novembre 1884;

Vu la proposition faite par la commission départementale dans la séance du 9 décembre 1884;

Considérant que le projet primitif évaluait la dépense à 16479.34

Que les travaux supplémentaires exécutés s'élèvent à 3514.73
Ce qui porte le montant total de la reconstruction de l'église de Panat à 19994.12
Considérant qu'il résulte des déclarations de l'architecte que cette augmentation de dépense aurait été occasionnée

1o par les modifications apportées au projet primitif en exécution de la dépêche de M. le Ministre des cultes en date du 26 février 1880

et 2o par la nécessité d'établir les fondations à une profondeur plus considérable que celle prévue au projet

Considérant qu'après avoir opéré les modifications dont il s'agit, l'architecte directeur des travaux a délibéré, par une lettre communiquée déjà à M. le Ministre des cultes et qui est jointe au dossier, devait maintenir par les motifs y exposés, la première évaluation du projet qui est resté ainsi fixé à 16479.39

Considérant que par une décision du 26 juin 1881 un secours de 2000 francs a été accordé pour cette reconstruction à la fabrique de Panat

Considérant que la paroisse de Panat est très pauvre; que les vignes qui constituent la principale ressource de ses habitants sont ravagées par le phylloxéra; que la fabrique se trouve sans ressources pour combler le déficit où l'architecte l'a engagée,

Est de l'avis qu'il y a lieu d'accorder à la fabrique de Panat un secours supplémentaire de 1200 francs
Fait à Rodez le 15 janvier 1885

[en bas de cet avis se trouve a un mot personnel que le préfet adresse au ministre:]
Ministre de la Justice et des cultes
J'ai l'honneur de vous transmettre avec mon avis en forme d'arrêté un dossier relatif à une demande de secours supplémentaire de l'État, formé par la fabrique de Panat, commune de Clairvaux, pour l'aider à payer la dépense de travaux imprévus exécutés pour la reconstruction de l'église paroissiale
Veuillez [etc]

Notes:

1. En fin de compte, Clairvaux contribue 1000 francs en 1884 .
2. S'agit-il d'un second secours, un premier ayant été approuvé en avril 1879? Ou s'agit-il plutôt du premier secours? Par suite de lenteurs de la communication et des décisions, une datation précise est parfois hasardeuse.
3. Ce "devis estimatif" ainsi que le "prix de règlement" et "cahier des charges" dressés par Pons se trouvent dans le dossier sur Panat, 4V36. En revanche, les plans - qui sont mentionnés en divers documents - n'y sont pas.
4. En principe, l'arithmétique la plus élémentaire donne un déficit de 4298.89, mais un document de la préfecture (avril 1879) mentionne un déficit bien moindre (2130.89), tandis qu'un autre document (août 1879) parle d'un déficit de 4280.89. Devant de telles divergences, nous ne pouvons que citer les chiffres que nous avons trouvés dans les documents, sans tenter de les corriger ou de les réconcilier.
5. Dans nos premières recherches dans les archives de l'évêche de Rodez nous n'avons pas trouvé, dans les papiers de Mgr Bourret, des pièces ayant affaire à Panat. Il est donc impossible, pour le moment, de dire à quel point Bourret a pu faire pression sur le préfet et le ministre des cultes. Sa lettre au Conseil général de l'Aveyron, ainsi que ses remarques sur les architectes diocésains, font penser qu'il aurait joué un rôle actif.
6. Le ministre est convaincu qu'une église bien construite devrait coûter environ 30000 francs. Rappellons que Pons avait calculé que 16497 francs 39 suffiraient.
7. Livre de la paroisse de Panat, p. 65.
8. Selon Cayron ces plans sont "... approuvés au ministère et à la préfecture le 21 juillet 1881" (Livre de la paroisse, p. 70). Le dossier 4V36 confirme l'exactitude de cette remarque.
9. Au début du projet (22 mars 1879), la fabrique envisageait de détruire la vieille église et de vendre les matériaux pour augmenter le chiffre de ses "ressources." Les fabriciens pensaient pouvoir recueillir ainsi au moins 1340 francs, dont 260 francs pour les pavés [dalles en pierre], 540 francs pour la vieille charpente, 240 francs pour les vieille tuiles [ardoises], et 300 francs pour la pierre moellon.
10. C'est la date que donne Cayron: "Enfin les travaux ont été donnés à l'adjudication dans le courant de l'année 1882" (Livre de la paroisse, p. 70). Le dossier 4V36 renferme aussi une notice de journal datée 1882.
11. Par exemple, en octobre 1878 la fabrique décide de reconstruire l'église, mais ce n'est qu'en octobre 1880 que le ministre conclut à la reconstruction. De la même manière, Pons termine ses révisions avant le 2 mars 1880, mais les plans ne sont approuvés par le ministre qu'en juillet 1881. Et ainsi de suite ...
12. Dans cette lettre autographe du 31 août 1884, Henry Pons se justifie, après le fait, d'avoir fait faire ces "travaux supplémentaires."
13. Un "état des ressources de la fabrique de Panat" pour 1883 révèle que les revenues annuelles destinées au culte montaient à environ 400 francs par an (provenant surtout d'une rente de 200 francs, et de la location des bancs, 141 francs), et que les dépenses annuelles pour le culte (pain, vin, cire, encens, entretien, sonneur ...) montaient à environ 200 francs. Rappellons qu'un cantonnier touchait entre 580 et 660 francs de salaire par an.

 

First published in 2013 as http://ranumspanat.com/cayron_difficulties.htm