Panat in postcardThe Ranums'

Panat Times

Volume 1, redone Dec. 2014

Contents

Volume 1

Panat

Orest's Pages

Patricia's Musings

Marc-Antoine

Charpentier

Musical Rhetoric

Transcribed Sources


 

Trois tentatives de désenclaver Panat:

1: La "route royale" entre Rodez et Figeac, un "chemin de grande communication"

Les papiers des Adhémar de Panat, préservés aux Archives départementales de l'Aveyron, révèlent qu'en décembre 1760 l'administration royale élaborait le projet de construire un "chemin" pour relier Rodez à Figeac. Occupant à peu près l'emplacement de la route actuelle D 840, le chemin allait traverser le causse un peu à l'ouest d'Onet-le-Château et descendre ensuite au Vallon à Valady, d'où partirait un embranchement en direction de Marcillac. Le chemin principal passerait ensuite par Saint-Christophe, pour arriver à Firmi et enfin au Lot.

Or, la "communauté de Panat" se sentait menacée par ce projet - et cela pour des raisons qu'on ignore. Elle a donc secrètement fait pression sur l'intendant royal, dans une tentative de neutraliser une "cabale" qui favorisait le tracé proposé par l'administration royale.

Deux lettres conservées par le comte de l'époque, François-Louis d'Adhémar de Panat, font allusion à cette "cabale"; mais sans savoir plus sur les personnes nommées dans la première lettre — par exemple, leurs fonctions, leurs alliances, leurs lieux de résidence — nous ne pouvons pas démêler les fidélités qui auraient déterminé une prise de position ou une autre. Il est clair que le comte et son entourage, faisant bande avec Clairvaux, s'opposaient à la construction du chemin Rodez-Figeac.

Pourquoi cette opposition? Les lettres ne permettent qu'une réponse sommaire: les habitants de Panat et de Clairvaux se sentaient "menacés," ils jugeaient que le chemin serait "inutile," et ils craignaient "les charges" qui allaient "accabler le pays." Motivés par un esprit de paroisse qui rendait suspects les voyageurs ou les ouvriers venus d'ailleurs, ils avaient peur aussi de "désordres." À ces quelques indices, ajoutons une hypothèse qui expliquerait l'opposition du comte et des habitants de Panat et de Clairvaux au tracé proposé par l'intendant royal: est-ce qu'ils tenaient à ce que la route passe par Issalinie pour descende ensuite au Vallon par la Côte de Panat? (1)

La première lettre a été écrite par Monsieur Puech de Rodez; elle est adressée à un personnage "puissant" dans l'entourage du comte. (Les points d'interrogation et les tirets dans notre transcription indiquent soit des lectures incertaines, voire des mots rendus illisibles par des taches d'eau.)
Ici — et dans tous les documents qui suivent — nous soulignons en gras quelques bouts de phrase particulièrement révélateurs.)

Rodez, 2d may 1761
Monsieur,
Les projets qu'avoit fait Mr Seguret de faire ouvrir un chemin pour Figeac avec un embranchement pour Marcillac, avoint [sic] échoué dans le mois de decembre dernier [1760]. Ses desseins avoient si maltourné, la ville avoit été si revoltée, et la scene avoit été si desagreable pour ceux qui avoint cabalé pour surprendre les suffrages des deliberants, qu'on n'avoit pas dû imaginer qu'on eut encore fait de nouvelles tentatives; mais il y a de gens qui ne se rebutent jamais, et qui pour servir leur volonté et leur entetement s'exposent, sans scrupule et sans delicatesse, à tout entreprendre sans s'embarrasser si les moyens sont ou ne sont pas legitimes. C'est ce qui vient d'arriver icy, car mardy dernier on a fait tenir aussi secretement qu'il a eté possible une deliberation par laquelle treize particuliers seulement, en ce compris le president de l'assemblée de ses consuls, ont arreté qu'on supplieroit Mr l'intendant de faire faire incessemment l'ouverture du chemin de Figeac, toujours avec l'embranchement pour Marcilhac. Ce chemin doit passer par Valady et St Christophle. Le petit nombre des deliberants, sauf de Mrs Jouery et Bonal, ne signerent pas sans repugnance; mais on leur dit tant de choses qu'ils n'oserent ny repliquer ny refuser de souscrire: on appuya surtout sur les avantages du commerce et de l'agriculture; on fit craindre que si les corvées ne se faisoint point pour le nouveau chemin, les gens du causse de Rodez et du Valon seroint forcés d'aller les faire aupres d'Espalion; on assura que Mr l'intendant etoit infiniment surpris et qu'il savoit [lire: avoit?] ecrit qu'on ne demandat pas l'ouverture de ce chemin, et finalement on engagea à la ville la parolle d'honneur de Mr l'intendant de repandre des dons et des liberalités à l'infini. Il n'en falloit pas tant pour gens qui ont peur de la capitulation et qui cath[é]chisoit si vivement celuy que le profanum vulgus [le vulgaire profane] appelle le pere de la patrie: Reflexion faite, on vit qu'il n'etoit pas supportable d'envoyer une deliberation signée de si peu de gens; alors ordre à Glandines d'aller mandier des seings d'une porte à l'autre; et par cet expedient elle se trouve souscrite par environ vingt cinq personnes: ce n'est pas qu'on n'ait proposé à beaucoup plus de gens de signer, mais ils ont constamment refusé, entr-autres Mrs Gaston Molay, Bancarel, Balza, Azemar, Delprat et bien d'autres. Ces messieurs là, ou la pluspart d'eux, ont projetté de former un[e] opposition à la deliberation, et sans doute que le nombre des opposants sera tres considerable; elle seroit deja signifiée si Mr Bancarel etoit de retour depuis où il est, et où il a expliqué ses sentiments. Mr de Tayac doit encore grossir le nombre des opposants, car outre que les malheurs du temps luy font sentir vivement combien l'ouverture de ce chemin est à craindre, il voit encore bien clair que Panat, Clairvaux et autres lieux voisins en souff[r]iront si ces communautés ne trouvent un protecteur qui les sauve du malheur qui les menace. Il est bien à esperer, Monsieur, que dans ces tristes circonstances vous voudrés bien ne pas les abandonner et que vous les appuyerés de votre puissant et genereux secours. Notre ville en ressentira encore les effets et en_____ son deffenseur; mais Monsieur, le temps presse et c'est ce qui fait que je prends la liberté de vous ecrire ce qui se passe; lundy on doit faire partir la deliberation; on croit meme qu'elle est partie et on pourrait [?] _________ surprendre un ordre pour commencer le chemin si ____________tout ce pays est obligé de tomber pour toujours sous le poid des ___________ et des charges dont il sera accablé. Il me parut dans le carn__________er que vous etiés plus convaincu que personne de l'inutilité de ce chemin et le desordre qu'il alloit causer. Si vous le trouviés à propos, Monsieur, on pourroit tenir une deliberation à Panat contraire à celle de Rodez; cela fortifieroit le droit des opposants. J'espere d'avoir l'honneur de vous faire ma reverence mardy prochain. En attendant j'ay celuy d'etre avec un profond respect
Monsieur,
Votre tres humble et tres obeissant serviteur,
Puech

En bas de la lettre, un personnage non-identifié a ajouté une phrase pour le comte::"On m'a remis la lettre cy jointe hier au soir à dix heures."

Deux jours plus tard, le comte de Panat, alors à Villefranche de Rouergue, écrit à Charles-André Lecoré, intendant royal de la généralité de Montauban, Le lendemain, 5 mai, ce dernier répond: il tente d'amadouer le comte et de le faire patienter jusqu'à l'arrivée à Montauban d'un nouvel intendant, Alexis-François de Gourgues.

[À] le comte de Panat, à Villefranche
J'ay receu, Monsieur, la lettre que vous m'avés fait l'honneur de m'ecrire le 4 de ce mois [mai 1771] contenant des representations au sujet de l'ouverture du chemin de Rodez à Figeac. Mr Seguret m'avoit envoyé par le dernier courier la deliberation de la ville de Rodez et de celle de Marcillac à cet egard, que je n'ai point jugé à propos d'autoriser avant d'etre instruit de toutes les communautés qui doivent travailler à ce chemin, et s'il n'occasionneroit pas quelque representation. M. de Seguret vient de m'ecrire que plusieurs communautés paroissoient s'y opposer, à sçavoir par votre lettre que ce chemin vous occasionneroit un prejudice considerable. Comme je serois tres faché de prejudicier à qui que ce soit, et particulierement à vous, je viens de ________________ __[illisible]_________________ toutes choses à cet egard. Ce sera à Mr de Gourgues, mon successeur, à juger de la necesité de ce chemin ou à prendre les mesures necessaires pour que personne n'ait lieu de s'en plaindre. Il a de trop bonnes vœux [?] pour le bien public pour ne pas faire à ce sujet tout ce qui pourra dependre de luy, et je suis persuadé qu'il aura tout l'égard possible aux representations que vous pourrés lui faire.
J'ay l'honneur d'etre avec un sincere et respectueux attachement, Monsieur, votre tres humble et res obeissant serviteur
Lacoré

La "cabale" emporte. Peu après cette échange épistolaire, on semble avoir entamé les travaux sur le chemin Rodez-Figeac. Les quelques documents préservés par les Adhémar ne permettent pas d'affirmer que — pour employer une expression qui ne figurera dans les dictionnaires qu'à partir des années 1870 — le "chemin" qui allait lier Rodez à Figeac avait pour but de "désenclaver" une bonne partie du Vallon. Le désenclavage était toutefois un des grands mérites de ce projet, et nous verrons que les successeurs des intendants royaux (c'est à dire, l'administration préfecturale des années 1840 et 1850) s'en rendaient bien compte.

Avec la Révolution, les projets routiers se sont arrêtés quasiment partout en France, pour ne reprendre que quelques décénnies plus tard. La reprise des travaux sur la "route royale no 140" (la route de Rodez à Figeac) date de la Restauration. Grâce aux procès-verbaux publiés par le Conseil Général de l'Aveyron, (2) nous savons que, en 1840, ces travaux étaient surtout "isolés et sans point de contact" (1840, p. 90). Ces procès-verbaux jettent du jour sur la continuation du projet routier que l'administration royale avait lancé quatre-vingts ans auparavant. Penchons-nous donc sur cette source précieuse.

Sans employer un mot qui n'a pas encore été inventé, les autorités y insistent sur la nécessité économique de désenclaver le Vallon:

"
De tous les chemins de grande communication, celui de Rodez à Bagnac[-sur-Célé], par Valady, Decazeville et Livinhac, est, sans contredit, un des plus importants. Il ouvre un double débouché aux produits abondants du vignoble de Valady et des environs .... Il ne lui sera réellement utile toutefois que lorsqu'il sera tout à fait praticable, d'une part entre Valady et Firmi, et de l'autre entre Livinhac et la limite du département. Les autres parties du chemin sont déjà accessibles au roulage et même à l'état d'entretien sur quelques points" (1842, p. 61).

Et encore:

"Ne devons-nous pas l'espérer de l'administration au moment où l'industrie viticole est tombée dans un tel état de souffrance que le Gouvernement paroît disposé à employer tous les moyens en son pouvoir pour venir à son secours? Les vallées de Marcillac et de Valady, encombrées de leurs riches produits, leur trouveraient des débouchés faciles au moyen de la route demandée qui leur fournirait l'avantage de les écouler d'une part sur Decazeville, Rignac et le Ségala, de l'autre sur le Causse et la Montagne, Sévérac et le canton de Laissac" (1842, p. 163).

Les membres du Conseil insistent aussi sur la nécessité de terminer le tronçon entre Valady (3) et Firmi, qui n'était pas encore carrossable et où il fallait faire des "travaux extraordinaires":

"J'ai lieu d'espérer que ... la partie de ce chemin sur laquelle s'exécutent les travaux extraordinaires ... pourra être livrée au roulage, et qu'en outre le pont qui se construit à Valady sur le ruisseau d'Ady, permettra prochainement de la mettre en communication avec les parties, sinon complètement terminées, du moins viable, du chemin supérieur, c'est-à-dire les parties comprises entre Rodez et Valady. La partie inférieure, de son côté, entre Decazeville et les limites du département du Lot, ne sera guère moins promptement achevée. ... Une diligence la parcourt déja journellement" (1843, p. 61).

"Travaux extraordinaires": est-ce une allusion à la difficile descente qu'on appelle le "tournant du sous-préfet"? Quoi qu'il en soit, cette forte descente marquait manifestement une frontière à la fois physique et mentale, entre le tronçon de Valady à Firmi, et celui du "chemin supérieur" qui avait Rodez comme point de départ et qui traversait ensuite le causse.

Finalement, ces procès-verbaux révèlent que, presque dix ans après la première allusion à cette route — on l'appelait maintenant la "route no 140 " — elle n'était toujours pas terminée (1852, p. 69). À partir de 1853, les procès-verbaux sont muets sur cette route qui allait un jour lier Rodez non seulement à Figeac mais aussi à Montargis. Ce serait l'indice que le projet tirait à sa fin.

Le trajet de cette "route de grande communication" se voit dans l'atlas du département de l'Aveyron préparé par Victor Lavasseur en 1856. On y voit les trois parties de la route en construction. On avait plus ou moins fini les tronçons à chaque bout du chemin (rehaussés ici en vert mais indiqués dans l'atlas par des traits épais); il restait cependant à faire la partie centrale, celle de Valady à Aubin (en jaune et indiquée par des traits plus fins dans l'atlas). Notez, dans le petit détail à droite, que Lavasseur montre, juste au sud de Valady, les lacets du "tournant du sous-préfet.)

 (Pour les routes/chemins du Vallon sous l'Ancien Régime, voici un détail tiré de la carte de Cassini(1781).

Lire d'avantage sur les trois tentatives:

L'Introduction      La Route royale        La "Grande Rampe"      "Le chemin numéro 17"      Les notes.

 

First published as http://ranumspanat.com/Panat_desenclave.htm